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Idéologie antichinoise primaire à l’ULB : Lettre ouverte au Professeur Jacques Englebert

En 2019, l’ULB (Université Libre de Bruxelles) décidait de se séparer de l’Institut Confucius pour des raisons officiellement administratives, mais en réalité idéologiques (1). En 2020, Vanessa Frangville, titulaire de la chaire d’études chinoises à l’ULB, inventait le concept de « terrorisme anecdotique » pour qualifier le terrorisme islamiste ouïghour ayant tué des centaines d’innocents et ayant fourni des milliers de combattants fanatisés à Daech (2). Début 2021, elle en remettait une couche dans un réquisitoire antichinois plutôt indigent (3). C’est au tour maintenant d’un éminent Docteur en sciences juridiques et chargé de cours à l'ULB, Jacques Englebert, de se livrer à des propos sinophobes d’un simplisme désarmant.

Un échange frustrant

Réagissant à un appel de ma part à consulter, à propos des Ouïghours, d’autres sources que les affabulations d’Adrian Zenz, Mike Pompeo et consorts, Jacques Englebert m’a écrit le 14 juin :

« Dès lors que le Chine est une dictature qui bafoue tous les droits fondamentaux, votre acharnement à défendre ce régime me donne la nausée. »

Réponse de ma part le 21 juin :

« Je ne comprends pas que vous accusiez la Chine de bafouer tous les droits fondamentaux, comme si les droits sociaux (art. 22-28 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme), globalement garantis en Chine, n’étaient pas des droits aussi fondamentaux que les droits individuels (art. 1-21).

Il s’agit là d’une faute de logique (généralisation hâtive) qu’en tant que professeur du secondaire (aujourd’hui retraité) je n’aurais pas tolérée chez un adolescent.

Elle en dit long, me semble-t-il, sur les dérives d’une certaine analyse politique universitaire, alimentant le China-bashing à la mode. »

Je terminais par ces mots :

« Mais s’il devait s’agir de votre part d’un simple mouvement d’humeur et d’une phrase ne reflétant pas votre pensée, j’aimerais continuer à pouvoir dialoguer avec vous et vous garder dans ma liste de destinataires. »

Une demi-heure plus tard, Jacques Englebert m’envoyait cette réaction que je reproduis in extenso :

« Cher Monsieur,

J’ai soutenu une thèse de doctorat exposant qu’à défaut de liberté d’expression réelle et effective, aucun autre droit ne pouvait être considéré comme étant raisonnablement garanti.

La belle affaire : les droits sociaux seraient (« globalement », vous êtes prudent) garantis aux chinois.

Il ne suffit pas de donner du pain et des jeux à son peuple pour garantir le respect des droits fondamentaux.

Il n’est en rien question de « China-bashing » ! Il est temps que les démocraties nomment la réalité. La Chine (elle n’est malheureusement pas la seule) est un pays soumis à un régime autoritaire (une dictature) et non démocratique qui bafoue l’ensemble des droits fondamentaux des chinois.

Les préalables non négociables avant toutes autres discussions sont : liberté politique (élections réellement libres), liberté d’expression (au sens de l’article 10 de la CEDH) et liberté de manifestation.

Mon précédant message n’était en rien un mouvement d’humeur et il reflétait parfaitement ma pensée.

Merci de ne plus m’imposer la lecture de votre propagande pour un tel régime.

Bien à vous ».

D’où ma lettre ouverte ci-dessous.

Cher Monsieur Englebert,

J’espérais, naïvement sans doute, qu’en tant qu’intellectuel vous sauriez reconnaître – errare humanum est – que vous vous étiez laissé emporter par un mouvement d’humeur ; cela vous aurait grandi ; et nous en serions restés là. Mais votre persistance dans le simplisme et l’arrogance m’autorise à vous adresser cette lettre ouverte.

L’argument d’autorité

Vous commencez par brandir votre thèse de doctorat. De la part d’un membre d’une institution se revendiquant du libre examen, j’attendais mieux, en guise d’introduction, que cette espèce de plaidoyer pro domo. Pour moi, la qualité de l’argumentation compte davantage que les titres universitaires et un curriculum vitae de plusieurs pages.

Il m’étonnerait d’ailleurs que, lors de votre défense de thèse, il ne se soit trouvé aucun examinateur pour en démontrer le caractère tendancieux. Pour ma part, je n’ai jamais été impressionné par l’argument d’autorité ; et ce n’est pas aujourd’hui, à l’âge qui est le mien, que je vais en changer.

Libertés fondamentales et droits de l’homme

Vous ne répondez pas à mon reproche de prendre la partie (droits individuels) pour le tout (droits de l’homme) ; vous vous contentez de vous répéter en remplaçant « bafoue tous les droits fondamentaux » par « bafoue l’ensemble des droits fondamentaux ».

Mais cette fois, vous basez votre démonstration sur l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (Rome, 04/11/1950) dont le sous-titre Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales annonce pourtant clairement qu’elle ne concerne que les droits individuels (4).

Il faut dire que ce parti pris était déjà contenu en germe dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (Paris, 10/12/1948) élaborée dans un climat de début de guerre froide qui a vu la tendance « atlantiste » individualiste, avec l’Américaine Eleanor Roosevelt et le Français René Cassin, l’emporter, dans le compromis final, sur les alternatives « tiers-mondiste » (du Chilien Hernán Santa Cruz) sensible à la dimension socio-économique et « orientale » (du Chinois Chang Pengchun) sensible aux valeurs confucéennes d’harmonie sociale.

Autre grande absence de la Déclaration de 1948 : la mention des devoirs comme contrepoids aux droits, autrement dit l’effacement du citoyen (cher aux Constituants de 1789) au profit de l’individu. D’où cette remarque narquoise du Mahatma Gandhi : « J’ai appris de ma mère, illettrée mais fort sage, que tous les droits dignes d’être mérités et conservés sont ceux que donne le devoir accompli [...] On pourrait montrer que tout autre droit est seulement une usurpation pour laquelle il ne vaut pas la peine de lutter. » (5).

Il me paraît plutôt étrange que le Professeur d’université que vous êtes semble ignorer les nombreuses critiques de fond dont la déclaration dite universelle a fait l’objet. Sans pour autant cautionner certaines de ses accointances idéologiques, je vous recommande la lecture de l’excellent article d’Arnaud Imatz, intitulé « Une déclaration des droits de l’homme pas très ‘universelle’ » (6). Y sont mentionnés une bonne vingtaine de personnalités prestigieuses (7), de toute provenance géographique ou philosophique, s’inscrivant en faux contre une interprétation univoque de l’universel, trop fréquente, hélas, chez tel(le) ou tel(le) universitaire baignant dans la pensée unique... Négliger ces avis, c’est pire que de la myopie ; c’est du scotome, une perte de vision qui affecte finalement le champ idéel.

Paralogisme, voire sophisme

« Il ne suffit pas, écrivez-vous, de donner du pain et des jeux à son peuple pour garantir le respect des droits fondamentaux » : de cette prémisse indiscutable, vous concluez, sans respect pour la logique, que les libertés individuelles constituent des « préalables non négociables avant toutes autres discussions ». C’est ce qu’on appelle un paralogisme, ou pire un sophisme. S’il est vrai que l’ « homme ne vit pas seulement de pain » (Évangile de Matthieu, 4,4), il est faux de laisser croire que les libertés individuelles constitueraient la condition sine qua non d’une vie vraiment humaine.

C’est même l’inverse qui est vrai : sans la garantie des droits sociaux, les droits individuels restent lettre morte ; en revanche, on peut vivre décemment sans jouir de la plénitude des droits individuels. Dans toute société civilisée, ce ne sont pas la liberté de parole et l’absence de censure qui sont les valeurs suprêmes, mais la vie humaine et la dignité humaine.

Iriez-vous jusqu’à affirmer que les écoliers chinois – parce que vivant dans une « dictature » – ont moins de chance que les 60 millions de petits Indiens astreints au travail, que la condition des femmes en Inde est préférable à celle des Chinoises ou, pour faire court, que le paysan chinois jouissant d’une moyenne aisance est plus à plaindre que le paria indien qui – citoyen d’une « démocratie » −, a le droit de mourir sur un trottoir ? Je me refuse à croire que vous puissiez répondre par l’affirmative à ces questions, car ce serait pure stupidité.

Arrogance

Mais que dire alors de votre prétention à faire des libertés individuelles des « préalables non négociables avant toutes autres discussions » sinon qu’elle fait preuve d’une incroyable arrogance ? Ne vous a-t-on jamais appris qu’une des obligations de tout débat intellectuel consiste à respecter cet antique principe de droit : audiatur et altera pars, en l’occurrence la partie chinoise, qui s’exprime comme suit ? Je cite :

« L’argument selon lequel les droits de l’Homme sont la condition préalable au développement est sans fondement. Lorsque la pauvreté et le manque de nourriture et de vêtements adéquats sont monnaie courante et que les besoins fondamentaux des personnes ne sont pas garantis, la priorité doit être donnée au développement économique. Dans le cas contraire, les droits de l’Homme sont totalement hors de question. » (8)

Cet avis serait-il nul et non avenu du seul fait qu’il a été énoncé par un Chinois ? Iriez-vous, du haut de votre bien-pensance occidentale, jusqu’à prétendre, comme le fit un jour un présentateur vedette de la ZDF (9), qu’il faille choisir entre les valeurs éthique de Kant et celles de Confucius ? Je me refuse à croire que vous verseriez dans une telle goujaterie à l’égard de la Chine dont la civilisation prestigieuse est imprégnée de confucianisme depuis deux mille cinq cents ans jusqu’à aujourd’hui.

Que diriez-vous si la Chine imposait aux États-Unis, comme « préalables non négociables », qu’ils arrêtent d’emprisonner cinq fois plus d’habitants qu’en Chine (10), qu’ils interdisent le commerce des armes, en grosse partie responsable, chaque semaine, de la mort de 25 de leurs enfants (11), qu’ils cessent d’envahir des pays souverains pour y installer un régime à leur dévotion, etc. ? Nul doute que vous ne trouveriez cela déplacé : c’est votre droit. Les Chinois n’auraient-ils pas le même droit ? Comme le note finement Sylvie Bermann qui connaît bien la Chine pour y avoir été ambassadrice de France : « Nous avons du mal à comprendre que ce qui est pour nous la défense normale de nos valeurs et de la supériorité de la démocratie est aux yeux des dirigeants chinois purement et simplement de la propagande et de l’ingérence dans leurs affaires intérieures. » (12)

Vous n’allez tout de même pas écrire à cette diplomate chevronnée : « Merci de ne plus m’imposer la lecture de votre propagande pour un tel régime » !

Accusations infondées

Pas plus que l’argument d’autorité, les accusations infondées, les procès d’intention ou les arguments ad hominem ne me touchent. Je ne suis nullement un adepte inconditionnel de la RPC (voir, si vous en doutez : http://tibetdoc.org/index.php/politique/chine-en-general/299-a-propos-de-l-autobiographie-de-tashi-tsering-censure-et-soft-power-en-chine). Je ne suis payé par personne et ma situation de vieil enseignant, jouissant d’une retraite convenable, me protège de toute autocensure, ce qui n’est pas toujours le cas des journalistes (quand ils sont obligés de se conformer à la ligne éditoriale de leur rédaction) ni des jeunes chercheurs (dont la promotion peut dépendre de leur conformisme à l’institution qui les emploie).

En guise de salut final, je vous invite, cher Monsieur Englebert, à méditer le proverbe ouïghour « On ne peut réveiller quelqu’un qui fait semblant de dormir. »

(1) Voir http://tibetdoc.org/index.php/politique/chine-en-general/511-confucius-ou-dalai-lama-l-ulb-a-choisi.
(2) Voir https://www.legrandsoir.info/le-terrorisme-anecdotique-nouveau-concept-universitaire.html.
(3) Voir http://tibetdoc.org/index.php/politique/chine-en-general/589-china-bashing-universitaire.
(4) Il faudra attendre le Protocole additionnel (Paris, 20/03/1952) pour voir figurer, à l’art. 2, une mention pouvant émarger aux droits collectifs : « Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction ».
(5) Cité dans l’article référencé sub 6.
(6) Arnaud Imatz, https://www.polemia.com/une-declaration-des-droits-de-lhomme-pas-tres-universelle-12/ (1ère partie) et https://www.polemia.com/une-declaration-des-droits-de-lhomme-pas-tres-universelle-22/ (2ème partie).
(7) * d’Europe : le philosophe espagnol Raimon Panikkar, le diplomate et historien espagnol Salvador de Madariaga, le politologue français Joseph Yacoub, les philosophes français Emmanuel Mounier et Jacques Maritain, le sociologue français Georges Gurvitch, l’historien français Michel Villey, le théologien et scientifique français Pierre Teilhard de Chardin, l’anthropologue français Claude Lévi-Strauss, le juriste belge J. Hasaert, le théoricien socialiste britannique Harold Jospeh Laski, l’historien anglais Edward Hallett Carr, le journaliste et romancier anglais Aldous Huxley, le philosophe italien antifasciste Benedetto Croce ;
* d’Amérique (États-Unis) : le politologue Quincy Wright, le philosophe Stuart C. Norhtrop, le neurophysiologiste Ralph W. Gerard ;
* d’Asie : le philosophe chinois Chung-Shu Lo, la poète et homme politique musulman indien Hymayun Kabir, le penseur indien S.V. Puntambekar, sans oublier Gandhi mentionné plus haut ;
* d’Océanie : l’anthropologue australien Adolphus Peter Elkinn.
(8) à la Conférence mondiale sur les Droits de l’Homme qui s’est tenue à Vienne en 1993. Voir Decoding China Dictionary, p. 35 ;
(9) Il s’agit de Claus Kleber ; voir http://tibetdoc.org/index.php/politique/mediatisation/467-arte-d-indecrottables-prejuges.
(10) Aux États-Unis, la population carcérale représente 0,666 % de la population ; en Chine, la population carcérale représente 0,118 % de la population ; en France, c’est 0,103 % ; en Belgique : 0,094 % ; en Allemagne : 0,077 (Chiffres de 2016, d’après la World Prison Brief, éditée par Birkbeck, université de Londres).
(11) Voir https://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique-nord/les-armes-a-feu-2e-cause-de-mortalite-des-enfants-aux-etats-unis_1920072.htm.
(12) Sylvie Bermann, Goodbye Britannia. Le Royaume-Uni au défi du Brexit, essai, éd. Stock, 2021, p. 42.

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José Marti

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