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Compliqué

Un des mots les plus utilisés par les médias neuneux et les politiques médiocres est “ compliqué ”. Il s’agit là d’une de ces nombreuses simplifications qui appauvrit la langue française dans son sémantisme, et donc la pensée qui va avec. Ce type de phénomène est toujours, pour partie, idéologique. Ces assassins de notre langue utilisent “ compliqué ” en lieu et place, selon les contextes, de : complexe, alambiqué, recherché, ardu, nébuleux, difficile (je vous passe difficultueux), délicat, épineux, emberlificoté, byzantin, ardu, subtil, raffiné. Parmi deux ou trois dizaines d’autres termes.

En fait, le plus souvent, on nous balance “ compliqué ” pour signifier “difficile ”. Mais en utilisant ce terme de manière floue, on opacifie la réalité et on on l’atténue lorsqu’elle est hostile. Dire « ce sera compliqué pour Jacques de se sortir de cette situation », c’est beaucoup plus doux et moins dramatique que « ce sera ardu ou épineux ».

Et pourtant, l’adjectif compliqué n’est pas inintéressant en soi. Mais les neuneux et les médiocres nous en ont fait oublier toutes les subtilités. Á noter, pour commencer, qu’il est toujours postposé. On ne dit pas « une compliquée situation » mais « une situation compliquée ». Le mot a plusieurs sens, le premier renvoyant à des éléments qui entretiennent entre eux des rapports multiples, variés et difficiles à appréhender. Il peut qualifier des mots concrets (« un plan de masse compliqué ») ou abstraits (« une représentation compliquée »). « Compliqué » peut avoir une connotation morale (« ce type a une tournure d’esprit vraiment compliquée »). Il peut être positif : « ce tour de magie est compliqué » ou ambigu (« elle est compliquée, ton histoire ! », « cette colonne baroque est d’un compliqué ! »).

J’en viens à ce qui a motivé ce billet. Une couverture récente du magazine La Croix nous informe que l’Islam (Islam avec une majuscule, on se demande pourquoi) « c’est compliqué », et que l’équipe de l’hebdomadaire catholique va nous expliquer le « pourquoi » de cette complication. Nous sommes ici dans une affirmation péremptoire, dans l’absolu et dans la simplification. L’islam est-il plus ou moins compliqué que le catholicisme ou le pentecôtisme ? Que représente l’« islam » de cette couverture ? Une religion, une population, une politique, une présence au monde ? Peut-être une menace. Mais la grande complexité de ce titre choc est atténuée par l’utilisation de l’adjectif « compliqué » qui ne veut pas dire grand-chose, donc qui veut tout dire mais sans le dire tout en le laissant entendre. Écrirait-on que le luthérianisme avec ses 95 thèses était « compliqué » ? Non, bien sûr. Remplacez « islam » par « politique étrangère de Joe Biden » ou « gestion de la crise sanitaire par le banquier éborgneur » et vous aurez des propositions qui cachent les drames du monde, qui en évacuent les ressorts dialectiques, qui produisent un discours qui ne ramène qu’au discours car nous sommes, non pas dans l’analyse ou l’information, mais dans dans la communication.

Et il se trouve que les kiosques lyonnais qui affichent la “ une ” de La Croix ont disposé la “ une ” d’Historia au dessus de celle de l’organe catholique. Là, rien n’est compliqué, tout est clair. La France, notre France, est celle des « 100 tribus gauloises », ces Arvernes, ces Parisii qui ont créé les « territoires » (mot très chargé d’idéologie comme l’a récemment démontré Fabrice Aubert). On passe sur le fait qu’il n’y a pas eu 100 tribus gauloises en Gaule pour retenir que ces tribus n’avaient vraisemblablement pas conscience de constituer un tout pouvant projeter un territoire français. Bien compliqué, tout cela.

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