Depuis vos débuts en politique, vous avez toujours fait la bagarre contre le racisme, aujourd’hui j’ai le sentiment que vous allez encore plus loin dans les mots, notamment lors de votre discours à Strasbourg durant la présidentielle, estimez-vous que votre regard a changé sur le racisme et les violences policières ?
Les crimes se sont additionnés. Comme tout le monde je préférais croire qu’il s’agissait d’actes isolés et que notre indignation publique serait dissuasive. La mort d’Adama Traoré a été pour moi un moment clef. J’ai compris que je participerai a un déni dangereux si je me tenais dans la circonspection habituelle en faisant confiance par principe. Cette confiance a été abusée trop de fois. Elle a permis d’étouffer la critique, d’abaisser la vigilance et de faciliter l’impunité au détriment de l’exigence républicaine. Puis les comportements des autorités dans les perquisitions qui m’ont été infligées, la répression sanglante des gilets jaunes et des manif retraites ne m’ont plus laissé le choix. La circonspection balancée est bien un déni criminogène. Avec deux groupes Facebook de 8000 policiers chacun, faisant du racisme, du sexisme et de l’homophobie un lien d’appartenance collective, nous voyons bien qu’il est déjà très tard pour reprendre le contrôle de la situation. La situation est grave. C’est l’unité de notre peuple qui est mise en cause par les contrôles au faciès, les propos ou comportement racistes et le déni de justice des violences policières impunies.
Les luttes sociales, contre le racisme et le féminisme (certains ajoutent l’écologie) sont-elles liées ?
Les situations de discrimination ont chacune leurs caractéristiques et leur aire mais elles se superposent aussi souvent. Alors se révèle le caractère fondamentalement antihumaniste de la société capitaliste. Une femme noire pauvre subit tous les outrages sexistes et sociaux et elle est mise en danger écologique plus que les autres. Son humanité est niée avec la négation de son droit à l’égalité.
Est-ce qu’il y a un racisme structurel dans les institutions et la société française ?
Non. Les institutions ont bien des défauts mais elles n’ont pas cette tare. Mais la faillite morale des encadrant est avérée. Ils ont laissé faire, puni les justes et amnistié les malfaisants. Dans la société, ceux qui bénéficient de l’ordre établi préfère souvent croire que l’inégalité sociale est un fait de nature. La couleur de peau ou la religion leur fournissent d’utiles préjugés. Mais la mauvaise conscience issue des guerres coloniales joue aussi un rôle considérable pour banaliser les assignations racistes. Enfin, l’action des Le Pen et les délires sécuritaires des macronistes ont banalisé les pires mauvais penchants dans la société.
Si oui, comment votre mouvement peut-il contribuer à faire reconnaître cette réalité et à la combattre ?
D’abord regarder en face la réalité déplaisante : un racisme décomplexé est désormais répandu dans tous les corps d’autorité. Ensuite opposer une résistance morale sans faille. Et par-dessus tout mener le combat contre les inégalités. Pour moi le lien est direct entre l’acceptation des inégalités et le racisme. Le moment venu, une fois au pouvoir, il nous faudra rétablir la République partout.
Il y a un combat aussi sur les mots, hier « islamophobie » ou aujourd’hui « racisé », quelle est votre position, faut-il prendre les mots employés par les citoyens concernés ?
Les mots sont la pensée quand elle entre en relation aux autres. Certes, il faut avoir le gout de la précision. Mais pas au point de créer des fétiches verbaux. « Islamophobie » a en effet plusieurs sens possibles. Mais ce qu’il désigne pour ceux qui l’emploient dans la vie courante est clair : « la haine des musulmans ». Ceux qui combattent la haine des musulmans ont raison quel que soit le mot pour le faire. Ceux qui focalisent sur le mot fabriquent une diversion favorable aux seuls haineux. « Racisé » ne reconnait pas l’existence des races, mais l’assignation d’une personne à une supposée race et à tous les préjugés qui vont avec. Il y a 25 mots pour décrire l’état de la neige en Laponie. Chacun a intérêt à les connaitre et à les utiliser à propos s’il veut survivre. La vie n’est pas une partie de Scrabble mais une lutte contre l’entropie et la mort. Le racisme c’est la mort de l’idée d’humanité unique et cela au moment où la crise écologique nous montre que notre espèce disparaitra si les uns pensent s’en sortir sans les autres.