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Chronique du Corona (suite) : Président Raoult et Docteur Trump

On pense de l'épidémie du Corona qu'elle est la cause des problèmes actuels et à venir du monde. En réalité elle les révèle aussi , tels un coup de boutoir ou un tremblement de terre révèlent les fragilités d'un édifice.

Elle révèle l’épuisement et l’absence d’avenir d’un modèle de civilisation et de consommation qui ne respecte pas la nature. Elle révèle les contradictions qui minent l’Union européenne et qui à terme la condamnent. Elle révèle la face cachée des États-Unis d’Amérique où l’épidémie décime les pauvres parce qu’ils sont vieux et les vieux parce qu’ils sont pauvres. Elle révèle partout, dans tous les pays, le lien intime entre les discriminations sociales et les problèmes de santé. Elle révèle la nouvelle démographie du monde, avec partout l’allongement de l’espérance de vie, les perspectives qu’elles créent en même temps que les nouveaux problèmes de santé, économiques et sociaux qu’elle pose.

Des masques et des tests

Sur le plan sanitaire, la lutte contre l’épidémie se résume à deux choses : des masques, des tests. Des masques pour la sortie du confinement. Des tests, car la seule information maîtrisable est celle de la personne infectée, malade, puisqu’elle apparaît visible dans le système de santé au moment où elle vient s’y faire soigner. Il faut donc connaitre et aussi tester ceux qui l’ont infectée en amont, et ceux qu’elle a pu infecter en aval, pour les isoler, pour arrêter la chaîne de contamination, comme cela semble avoir été fait avec succès en Chine, en Corée du Sud. Il faut donc systématiquement des enquêtes, et si possible, utiliser les moyens technologiques à travers les applications numériques de traçage. Les tests peuvent en outre déceler sur des échantillons représentatifs de la population, des porteurs asymptomatiques, sains et donc améliorer ainsi l’évaluation du taux de contamination de la population. La question parait, ainsi exposée, claire. Pourquoi alors devient-elle aussi compliquée, notamment à travers ces polémiques qui ne cessent de rebondir. C’est qu’elle est passablement obscurcie par de nombreux biais, notamment politiques et idéologiques. Toutes les grandes pandémies humaines ont été révélatrices des contextes, des enjeux, des idéologies, des intérêts et des rapports de force de leur époque.

La polémique, qui se poursuit actuellement, autour du traitement proposé par le professeur Raoult, et ses prises de positions, en est une bonne illustration. Elle mérite d’attirer d’autant plus l’attention, qu’elle a pris une dimension internationale avec le président Trump qui a déclaré que "le professeur Raoult était un génie" et la défense de ce traitement par les pays d’ Afrique francophone et du Maghreb.

Le problème parait au départ simple : un traitement soigne ou ne soigne pas. Les moyens de le vérifier objectivement existent : deux groupes identiques dans leur composition ( âge, sexe, paramètres médicaux etc..), l’un reçoit le traitement et l’autre non, et on compare. Mais les choses vont passablement se compliquer. À ceux qui vont lui reprocher de ne pas avoir respecté cette démarche, le professeur Raoult rétorque que, lui, soigne et qu’il n’y a pas de temps à perdre, vu la gravité de la situation, à faire des essais. Sophisme, fausse alternative, puisque la question est précisément de savoir s’il soigne. Un autre débat non déclaré s’ouvre ainsi, celui de l’approche thérapeutique contre l’approche expérimentale, celui du médecin soignant contre le chercheur, celui philosophique et quasi spirituel d’une approche humaine en face de la froide démarche de l’homme de laboratoire, le mot laboratoire prenant dès lors une connotation extensive, celle de ces laboratoires pharmaceutiques soupçonnés de n’être mus que par des motivations mercantiles. De proche en proche, d’autres débats sont ouverts par le professeur Raoult : en interprétant la faible prévalence jusqu’à présent du Corona dans le Sud de la planète comme "une plus grande efficacité des pays pauvres sur les pays riches", il introduit un élément idéologique. Lorsque une étude étasunienne met en cause ses résultats, l’antiaméricanisme et les thèses complotistes viennent passionner le débat sur les réseaux sociaux. Lorsque ce sont les autorités médicales en France qui critiquent sa démarche, le réflexe anti-autorités et anti-establishment se manifeste sous une forme ou une autre. Le professeur apparaît comme un homme antisystème dans son secteur. Il bénéficie donc d’un préjugé favorable sur les réseaux sociaux probablement parce que ceux-ci se sont développés comme une alternative au système médiatico-politique et en confrontation avec les autorités en place.

"Une grippe saisonnière"

Le professeur Raoult va faire aussi dans la prédiction : il annonce que le covid 19 est une grippe saisonnière, comme les autres, et qu’elle va donc s’atténuer. L’argument est, en fait, incontrôlable et il n’y a pas grand risque à l’avancer, l’atténuation de l’épidémie étant un concept extensible et les raisons pour lesquelles elle peut s’atténuer étant multiples. C’était d’ailleurs le cas aussi des résultats de son traitement, incontrôlables eux aussi , puisqu’en fait la quasi-totalité des malades (98%) guérissent aussi sans ce traitement. Pour les cas graves ou qui ne guérissent pas, le professeur Raoult aura un bel argument : il faut commencer le traitement au début, avant que la maladie n’évolue. On voit peut être déjà tout l’intérêt que peuvent trouver les politiques à une telle démarche : avoir un traitement, avoir enfin quelque chose à offrir à la population et en tirer un bénéfice politique certain puisque guérison il y a, et certainement pour presque tout le monde, à part le drame des personnes fragilisées par l’âge ou des comorbidités. On assistera même à un phénomène qui pourrait prêter à sourire : beaucoup de médecins et même des scientifiques vont craindre d’exprimer leurs critiques sur la démarche du professeur Raoult, de peur, "On ne sait jamais, n’est-ce pas ?", qu’il obtienne néanmoins des résultats. Fausse alternative encore : comme s’il pouvait y avoir des résultats en dehors d’une démarche scientifique. Et comme si l’obtention éventuelle de résultats pouvait autoriser à faire l’impasse sur la défense de la rationalité et de l’esprit scientifique.

Car tel est en fait l’enjeu : la méthode scientifique. Si la polémique est aussi intense, c’est que l’affaire a quitté le terrain de la science pour entrer dans celui de l’idéologie, des croyances. Le corona réveille les grandes peurs. On se retrouve ramené à l’esprit pré-scientifique, transporté à avant Copernic et Galilée, à avant la méthode expérimentale et la nécessite de confronter les affirmations aux faits.

Le logiciel caché

Le président Trump dit donc du professeur Raoult qu’ "il est un génie". Pourquoi ? Pourtant les deux hommes semblent aux antipodes l’un de l’autre. Pas si sûr. Comme le dit Bachelard : "Il n’y a de vérité que cachée". Quel est ici le logiciel caché ? Il semble évident, concernant le président Trump. Il privilégie la solution économique sur les impératifs sanitaires, comme beaucoup d’autres qui ne le font pas savoir aussi clairement que lui . Il est contre le confinement. Tout ce qui diminue le sentiment de gravité de l’épidémie, soit par la perspective qu’elle va s’éteindre, soit par l’affirmation que le traitement médical existe déjà, ne peut alors qu’avoir ses faveurs. On en arrive ainsi à une inversion des rôles. Le président Raoult fait d’évidence de la politique. Il magnifie les pays du Sud de la planète, il dénonce l’establishment, il critique la manière de faire de la médecine. Le docteur Trump fait de la médecine : il prescrit la chloroquine et propose même d’utiliser des désinfectants et des bains d’ultraviolets pour nettoyer le corps du virus.

Avec le président Trump et d’autres, on peut craindre un glissement vers un raisonnement qui accepterait le "coût humain", celui des populations âgées ou fragiles, pour "éviter la catastrophe économique". On pourrait voir alors, à la faveur de cette pandémie, resurgir, là aussi du passé, un nouveau malthusianisme qui verrait, un avantage économique dans les guerres et les épidémies, et qui les considérerait comme une sorte de régulation naturelle. Ne serait-ce pas le temps, susurrent les nouveaux Malthus, de laisser la nature faire le ménage, d’enlever toutes ces bouches inutiles, devenues de plus en plus nombreuses notamment avec l’allongement de l’espérance de vie ? La barbarie n’est jamais bien loin.

En menaçant particulièrement et massivement la vie des gens âgés, concentrés, parqués dans les établissements de retraite, l’épidémie vient faire la critique d’une certaine vision égoïste et individualiste des relations humaines qui a tenu lieu, jusqu’à présent, de modernité. Elle redonne du même coup une nouvelle modernité aux valeurs traditionnelle d’entraide et de solidarité, de respect des anciens, qui deviennent en elles-mêmes des armes de lutte contre l’épidémie. Elle révèle alors en même temps les points forts de certaines sociétés qui ont su conserver ces valeurs, les progrès faits par certains pays dans une synthèse entre valeurs de solidarité sociale et modernité, et un nouveau tableau du monde actuel et à venir.

On peut se demander s’il n’y aura pas, de plus en plus, deux orientations qui vont s’affronter, même indirectement, l’une qui subordonne la question économique à la question humaine et l’autre qui accorde la priorité à la question économique. On aurait alors là, au fond, tous les enjeux futurs de l’après Corona.

Djamel LABIDI

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Histoire et Mystifications. - Comment l’Histoire est fabriquée et enseignée...
Michael PARENTI
Analyste politique progressiste de tout premier plan aux États-Unis, Michael PARENTI, docteur en Sciences Politiques de l’Université de Yale, est un auteur et conférencier de renommée internationale. Il a publié plus de 250 articles et 17 livres. Ses écrits sont diffusés dans des périodiques populaires aussi bien que dans des revues savantes, et ses textes engagés l’ont été dans des journaux tels que le New York Times et le Los Angeles Times. Ses livres et ses conférences, informatives et (…)
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En transformant les violences de l’extrême droite vénézuélienne en "révolte populaire", en rhabillant en "combattants de la liberté" des jeunes issus des classes aisées et nostalgiques de l’apartheid des années 90, c’est d’abord contre les citoyens européens que l’uniformisation médiatique a sévi : la majorité des auditeurs, lecteurs et téléspectateurs ont accepté sans le savoir une agression visant à annuler le choix des électeurs et à renverser un gouvernement démocratiquement élu. Sans démocratisation en profondeur de la propriété des médias occidentaux, la prophétie orwellienne devient timide. L’Amérique Latine est assez forte et solidaire pour empêcher un coup d’État comme celui qui mit fin à l’Unité Populaire de Salvador Allende mais la coupure croissante de la population occidentale avec le monde risque un jour de se retourner contre elle-même.

Thierry Deronne, mars 2014

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