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Contrôles arbitraires et violences policières : la répression en temps de confinement

Depuis le début du confinement, les forces de l’ordre ont procédé à 8,2 millions de contrôle et 480 000 verbalisations. De nombreux témoins font état d’abus, de discriminations et de brutalités de la part des forces de l’ordre. Les organisations de défense des droits de l’Homme dénoncent des contrôles arbitraires et des violences policières. Tour d’horizon de la répression en ces temps confinés.

« J’ai senti que dans leur esprit, il y avait deux camps : les bons citoyens et les mauvais. » Mardi 17 mars au soir, Baptiste, ouvrier agricole, est contrôlé dans les rues désertes de Douarnenez alors qu’il se rend chez un ami pour récupérer un ordinateur, seul moyen de s’informer en ces temps confinés. Son tort ? Être sorti alors que le confinement vient juste d’être décrété le jour-même, depuis midi. Au cours du contrôle, Baptiste comprend que le PV signé ne fera pas nécessairement l’objet d’une amende. Cela dépendra du bon vouloir des agents. « On m’a dit que je prenais pour tous les Français qui ne respectaient pas les règles. » Chaque citoyen est désormais tenu de limiter ses déplacements et de se munir d’une attestation dérogatoire en cas de sortie de son lieu de confinement. Sous peine d’une amende forfaitaire [1].

Si la nécessité du confinement et du respect des gestes barrières lors des déplacements n’est, très largement, pas contestée, les témoignages d’abus de pouvoir, d’amendes pour des motifs absurdes, voire même de violences policières graves, se multiplient depuis le 17 mars. Une fois de plus, le ministère de l’Intérieur choisit la répression plutôt que la prévention. « Tout citoyen peut subir un contrôle d’identité sans même indice préalable d’infraction », déplore l’avocat Arié Alimi. Selon lui, nous assistons à une « inversion du paradigme de l’État de Droit » : « Tout citoyen dans la rue est un délinquant ou un contrevenant potentiel. » [2]

8,2 millions de contrôles, 480 000 verbalisations

« Vous me connaissez, je vais faire comprendre assez vite les consignes », avait tancé le préfet de police de Paris Didier Lallement. Gare à celles et ceux qui comptent se soustraire aux restrictions prises contre l’épidémie qui frappe le pays, et le monde ! Certaines villes ont pris des arrêtés locaux comme à Perpignan où un couvre-feu a été imposé. À Marseille ou Paris, des « drones parlants » surveillent certains quartiers et lancent leurs injonctions métalliques : « Rentrez chez vous ». La ville de Nantes privilégie des hélicoptères dernier cri à vision nocturne. Depuis le 7 avril, la capitale a aussi interdit les activités sportives individuelles entre 10h et 19h.

Trois semaines après le début du confinement, plus de 8,2 millions personnes ont été contrôlées par les 100 000 agents des forces de l’ordre déployées. Plus de 10 % de la population française ! Un demi-million ont reçu une contravention, a annoncé le Ministre de l’Intérieur qui avait traité d’« imbéciles » ceux qui dérogeaient au confinement. Quelques jours plus tôt, son gouvernement enjoignait les électeurs à se déplacer pour voter...

Les resquilleurs présumés sont contrôlés partout, y compris sur les plages désertées, les chemins de campagne ou en pleine forêt. Un nageur marseillais a été verbalisé. Tout comme une famille à la sortie de l’enterrement d’un de ses parents ou une agricultrice souhaitant nourrir ses animaux. Même des personnes sans domicile fixe auraient été sanctionnées en raison de leur « attitude virulente ».

« C’est absurde, je connais plus de gens verbalisés que de personnes atteintes du coronavirus », raille Sarah, dont le compagnon Kamel a reçu une amende pour sortie non motivée. Cette architecte de 35 ans a été verbalisée en sortant faire ses courses à Romainville (Seine-Saint-Denis). Elle avait oublié de signer et dater son attestation : « Voilà, j’ai dépensé 100 euros de courses et 135 euros d’amende. »

« Mais de quoi suis-je accusé ? »

Nombre des procès-verbaux dressés semblent être soumis à l’arbitraire. Sorti faire une activité physique individuelle, conformément à la loi, Élie est interpellé à 200 mètres de chez lui. Motif ? Il portait un jean au lieu d’une tenue de sport, témoigne-t-il dans une lettre de contestation au Procureur de la République [3]. Même situation kafkaïenne vécue par Christophe : alors qu’il sort faire du sport, il est sanctionné par une policière qui aperçoit dans son sac une baguette de pain achetée juste avant le contrôle. « Mais de quoi suis-je accusé ? », se demande Christophe sur le site Révolution Permanente.

Le maire de Sanary-sur-Mer (Var), Ferdinand Bernhard (Modem) a pris un arrêté interdisant à ses administrés de s’éloigner à plus de 10 mètres de chez eux. Il leur interdit également de n’acheter qu’une seule baguette à la fois à la boulangerie, pour limiter leur sortie [4].

Verbalisée pour des paquets de gâteaux

Dans certains cas, la maréchaussée se transforme en inspectrice du contenu des caddies. Plusieurs personnes ont écopé d’une amende pour être sortis acheter des serviettes hygiéniques, des bouteilles de soda ou un journal. Les forces de l’ordre ont estimé qu’il ne s’agissait pas de produits de « première nécessité ». Le journaliste David Dufresne, qui travaille sur les violences et abus policiers, a reçu le courrier d’une dame ayant eu l’outrecuidance d’acheter des paquets des gâteaux [5]. Elle est interpellée dans l’enceinte d’un supermarché Leclerc par des gendarmes, alertés par un anonyme. Sanction : 135 euros. Ces derniers l’auraient sommé de ne pas revenir dans le magasin avant une semaine sous peine de doubler son amende.

Les policiers peuvent aussi s’improviser experts médicaux. À Toulouse, une travailleuse sociale nous raconte la contravention reçue par une demandeuse d’asile qu’elle accompagne. Sortie du périmètre autorisé pour trouver un magasin qui accepte les chèques-services, cette femme enceinte « à terme » a écopé de 135 euros pour avoir acheté un pack d’eau. Un déplacement « non conseillé à ce stade de grossesse », selon le gardien de la paix.

« Le policier est plus vecteur de maladie que moi »

Le blog « verbalisé (parce que) » répertorie ce genre de « PV arbitraires ou abusifs », à partir de coupures de presse ou de récits relevés sur le web. À croire que les forces de l’ordre punissent davantage le contournement ou l’adaptation des règles en vigueur plutôt que le risque réel de contamination. « Franchement, le policier est plus vecteur de la maladie que moi. Il a enlevé ses gants, m’a donné son stylo que tout le monde utilise », se désole Julien, sanctionné sur une plage, près de Douarnenez, « très isolée où il n’y avait aucun risque », lors d’une promenade avec sa compagne. En une semaine, Julien s’est depuis fait contrôler trois fois dans la ville.

Une jeune mère sortie faire ses courses, tasée et insultée

L’ambiance est encore plus tendue dans certains quartiers populaires, loin des plages et des promenades forestières. Les récits et vidéos de violences policières s’accumulent. Le 18 mars, un piéton est frappé à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine) d’un coup de pied par un policier qui tentait de le verbaliser pour défaut de papiers. Selon la préfecture, les policiers l’auraient ensuite aspergé de gaz lacrymogène pour ne pas être contaminés par ses postillons ! À Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne), des fonctionnaires assènent un coup de poing à un homme à terre. Scène similaire à Ivry-sur-Seine.

À Grigny (Essonne), des policiers en moto renversent un habitant. Les circonstances exactes ne sont pas déterminées. Ramatoulaye, jeune maman de 19 ans, s’est fait tirer dessus au taser par des agents, alors qu’elle revient de faire des courses pour nourrir son bébé, à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Emmenée au commissariat sans motif apparent, elle est traitée de « petite merde », selon le récit qu’elle livre au site Actu.fr. Relâchée une heure plus tard, elle aurait tenté de porter plainte mais, coronavirus oblige, toute démarche doit se faire en ligne. Coup de Taser aussi à Marseille contre deux hommes interpellés par trois agents.

« On a plus peur de la police que du coronavirus »

À Torcy (Seine-et-Marne), une vidéo filmée par un riverain et signalée par le journaliste Taha Bouhafs montre un homme à terre à l’entrée d’un immeuble entouré de policiers. L’homme, qu’on entend crier, subit visiblement une clé d’étranglement, geste d’interpellation mis en cause dans nombre de décès [6]. « Ils sont censés nous protéger d’une maladie respiratoire et ils tentent de nous asphyxier. On a plus peur de la police que du Coronavirus », lance la journaliste activiste Sihame Assbague, qui collecte toutes ces vidéos et témoignages via son compte Twitter. « Depuis le début, on reçoit énormément de vidéos, plusieurs dizaines, toujours des non-blancs et des pauvres », relève-t-elle.

Le 27 mars, aux Ulis, Sofiane sort de chez son père pour aller récupérer des affaires au domicile de sa mère avant d’aller travailler. Interpellé par un agent de la Brigade anti-criminalité (BAC), le salarié d’une plateforme Amazon a oublié son attestation. Il est plaqué au sol puis emmené sous un porche avant d’être frappé et insulté par les policiers qui l’encerclent, puis placé en garde à vue. Sa mère est verbalisée en l’emmenant soigner ses blessures à l’hôpital ! Une plainte a été déposée au parquet d’Évry pour violences aggravées. Un autre, Sofiene , est tabassé par des policiers à Strasbourg. Après avoir subi des insultes racistes, le jeune homme est placé en garde à vue pour possession de stupéfiants. Il ressort le nez fracturé et avec de multiples contusions. L’Inspection générale de la police nationale (IGPN) a été saisie.

Les balcons, observatoires des violences policières

Encore aux Ulis (Essonne), Yassine, 30 ans, témoigne de son tabassage par des gardiens de la paix. Alors qu’il sort de son immeuble acheter du pain avec son attestation, des policiers le ramènent dans le bâtiment sans lui signifier le motif. « Ils m’ont roué de coups, éclaté la tête à deux reprises contre le mur, ils m’ont mis un coup de crosse de flash-ball en pleine tête, ils m’ont mis une balayette », déclare-t-il, le visage tuméfié face caméra sur Instagram.

Le 4 avril, à Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), c’est une enfant de 5 ans qui est gravement blessée en marge d’un affrontement entre jeunes et forces de l’ordre. Accompagnant son père pour aller saluer de loin sa grand-mère, elle aurait reçu un tir de LBD (lanceur de balle de défense). Elle a été hospitalisée suite à une fracture du crâne. Les violences policières ne se sont pas arrêtées avec le confinement. « Je ne pense pas qu’il y en ait plus que d’habitude, juste plus de gens qui filment. Les balcons deviennent des observatoires des agissement des forces de l’ordre », note Sihame Assbague.

L’Observatoire parisien des libertés publiques – créé par les sections parisiennes de la Ligue des droits de l’Homme et du syndicat des avocats de France – réalise lui aussi un travail de vigilance vis-à-vis des méthodes employées par les forces de l’ordre. « La gravité de la situation ne saurait justifier des interventions illégitimes, discriminatoires ou disproportionnées de la police ou de la gendarmerie, dans le cadre des missions spécifiques qui leur sont actuellement dévolues », rappelle cet Observatoire, rappelant la nécessité de filmer les violences dont chacun peut être témoin. Sur ce sujet, le collectif Urgence notre police assassine a récemment créé une application qui enregistre la vidéo en direct sur un serveur sécurisé, dans le cas où le téléphone utilisé serait confisqué par les forces de l’ordre.

Prison pour « mise en danger de la vie d’autrui »

Face à la situation, plusieurs syndicats étudiants (Solidaires étudiant, Unef) et associations (Fidh, Human Rights Watch, LDH, Action droit des musulmans...) appellent le ministère de l’Intérieur « à veiller à ce que le maintien de l’ordre et les opérations de contrôle dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19 ne donnent pas lieu à des abus ». Le gouvernement a plutôt opté pour un durcissement des sanctions allant jusqu’à une peine de six mois de prison en cas de récidive dans l’irrespect de confinement. Contre l’avis de plusieurs parlementaires : « On passe de la contravention au délit, au-delà de toute proportionnalité », s’est inquiété le député centriste Charles de Courson (UDI).

Plusieurs personnes en ont déjà fait les frais. À Béthune (Pas-de-Calais), un homme a écopé en comparution immédiate d’une peine de six mois de prison ferme. Dans la Loire, un homme de 35 ans a été verbalisé à huit reprises puis condamné. Motif ? « Mise en danger de la vie d’autrui ». Un chef d’inculpation problématique aux yeux de certains juristes car la violation porteuse de risque nécessite de remplir plusieurs conditions, dont la manifestation délibérée d’exposer immédiatement autrui à un danger de mort ou de blessures. Ce qui n’est pas nécessairement le cas des personnes bravant l’injonction de rester chez soi. « Envoyer en prison des contrevenants (...) expose le condamné à une contamination en détention et risque aussi de propager le virus dans ces espaces clos », critique l’avocat Raphaël Kempf dans une tribune. L’avocat craint que ces lois d’exception édictées dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ne se transforment en droit commun et permanent.

Pas tous égaux face au confinement

Aveugles aux inégalités sociales, les mesures de restriction sanitaire sont encore plus dures dans les quartiers populaires, premiers touchées par les brutalités policières. Le premier jour de restriction, la Seine-Saint-Denis, l’un des départements les plus pauvres de France, concentrait déjà 10% des procès verbaux, selon Le Parisien. « Le gouvernement a oublié de dire qu’on ne se confine pas de la même manière dans un quartier pauvre qu’à Neuilly-sur Seine », rappelle Sihame Assbague.« Comment expliquer à des jeunes qu’il ne faut pas sortir alors qu’ils sont confinés avec leurs parents, souvent livreurs, femmes de ménage, exposés au risque de maladie, en première ligne pour rendre service à l’ensemble de la population ? ».

Cette dite « indiscipline » des banlieusards a ravivé les vieux réflexes xénophobes et anti-pauvres de l’extrême droite. Même état d’esprit chez certains fonctionnaires de sécurité, quand on lit les échanges d’un groupe de discussion Facebook rapportés par Médiapart.

Pourtant, les habitants « indisciplinés » s’adonnant au footing dans les quartiers bourgeois de la capitale ne subissent pas le même violence. Ni les 1,3 million de Franciliens partis retrouver leur famille ou s’isoler dans une maison secondaire, quitte à propager le virus dans des régions peu contaminées. Les employeurs qui privilégient le maintien de la production sans nécessairement respecter les mesures sanitaires minimales semblent également épargnés par les contrôles, comme cette usine d’un équipementier automobile dans l’Aisne. À l’inverse, les postiers des Hauts-de-Seine exerçant leur droit de retrait face au risque de contamination sur leur lieu de travail subissent un contrôle policier. Même sort pour les travailleurs n’ayant pas leur attestation complétée ou imprimée [7]. À l’image de ces soignants de Béthune (Pas-de-Calais), en première ligne face à l’épidémie, qui se sont plaints d’être arrêtés en allant prendre leur service à l’hôpital [8].

Des forces de l’ordre sans matériel de protection

Du côté des forces de l’ordre, 10 000 policiers et gendarmes seraient désormais confinés [9]. Parmi ceux mobilisés, de nombreux agents se disent indignés par l’irresponsabilité des citoyens et se plaignent d’être pris pour cible dans certains quartiers. Une policière a été blessée par un projectile lors d’un contrôle à Beauvais (Oise) [10]. Plusieurs syndicats de police ont menacé de cesser les contrôles s’ils ne recevaient pas de matériel de protection. Dans un témoignage publié par l’Association professionnelle de gendarmerie, un militaire anonyme atteint du Covid-19 dénonce un « scandale d’État » : « Je suis en colère d’avoir été contraint de contrôler des centaines d’automobilistes sans masque. C’est là que j’ai été contaminé, et combien de personnes ai-je pu contaminer à mon tour ? ». Ironie du sort, des gendarmes ont même verbalisé des policiers qui n’avaient pas d’attestation signée de leur employeur, c’est-à-dire l’État.

Dérive sécuritaire sous caution sanitaire

Pendant que l’État sanctionne le comportement individuel des citoyens, d’autres pointent la responsabilité des choix politiques dans la gestion de crise sanitaire, autrement plus dangereux pour la santé des Français que certaines soustractions aux mesures de confinement. « On assiste à un glissement progressif de la santé publique à la sûreté sanitaire, jusqu’à la sécurité intérieure », s’inquiète le sociologue de la santé Frédéric Pierru dans L’Humanité. Il propose une alternative préconisée par des médecins états-uniens : « Que la force publique se concentre sur la distribution de masques, de tests de dépistage et autres mesures de protection ».

Notes

[1] Le non-respect de ces règles est passible de 135 euros. Le montant est portée à 1500 euros en cas de récidive sous quinze jours. Quatre violations en un mois sont punies de 3750 euros.

[2] Lire ses explications sur twitter, à la suite de comparutions immédiates liées au non respect du confinement.

[3] A consulter ici, via Twitter.

[4] Lire cet article du site 20 Minutes.

[5] Lire ici, via twitter.

[6] Lire notre article sur le sujet.

[7] Le formulaire est depuis le 6 avril disponible en version numérique, téléchargeable sur smartphone.

[8] Lire cet article de La Voix du Nord.

[9] Lire cet article du Figaro.

[10] Lire cet article du Parisien.

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Je ne pense plus que les journalistes devraient bénéficier d’une immunité particulière lorsqu’ils se trompent à ce point, à chaque fois, et que des gens meurent dans le processus. Je préfère les appeler "combattants des médias" et je pense que c’est une description juste et précise du rôle qu’ils jouent dans les guerres aujourd’hui.

Sharmine Narwani

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