♦ "Œdipe Roi" de Sophocle (Ve siècle avant JC)
Ce sont les tragédies grecques qui, les premières, se sont intéressées aux épidémies et leur ont donné une dimension littéraire. Mais aussi mythologique comme il était courant à l’époque.
Ainsi pour Sophocle, dans "Œdipe Roi", c’est la peste qui ravage Thèbes qui provoquera l’accomplissement de son destin.
Œdipe, a été élevé à Corinthe par des parents adoptifs. Roi de Thèbes il se découvre parricide et incestueux malgré lui. L’oracle de Delphes lui demande de chasser son père biologique de la ville afin de la sauver de "la souillure".
Dans l’œuvre de Sophocle, la peste n’est pas seulement le prétexte qui permet au destin d’Œdipe de se réaliser, c’est aussi une métaphore de la violence qui se répand dans la ville de façon contagieuse.
♦ "Les Animaux malades de la peste" de Jean de La Fontaine (XVIIe siècle)
Bien des siècles plus tard Jean de la Fontaine s’inspirera de la peste de Thèbes dans sa fable : "Un mal qui répand la terreur, Mal que le ciel en sa fureur, Inventa pour punir les crimes de la terre". "Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés"
Pour sauver son peuple de la peste le roi (le lion) propose de sacrifier "le plus coupable". C’est l’âne, le plus honnête, mais aussi le plus naïf, qui sera condamné car "on cria haro sur le baudet".
La Fontaine nous décrit ici un univers politique qui nous est familier, hélas, fait de mensonges et d’hypocrisie : "Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir" nous dit-il.
La peste est ici, non pas le vecteur du mal, mais le milieu même sur lequel elle peut se répandre.
♦ Le Masque de la mort rouge, d’Edgar Allan Poe (1842)
Traduit en français par Charles Baudelaire, un roman "gothique" qui se prête à de nombreuses interprétations.
Dans une abbaye fortifiée le prince s’est enfermé, avec mille de ses courtisans, afin de fuir l’épidémie foudroyante de la Mort Rouge, terrible fléau qui frappe le pays. Indifférents aux malheurs des populations frappées par la maladie, ils mènent alors une vie de plaisirs en toute sécurité.
Mais leur isolement n’est qu’illusion et ils finiront par être frappés eux aussi.
♦ La Peste écarlate, de Jack London (1912)
Un récit d’anticipation post apocalypse : suite à une épidémie, le monde est redevenu sauvage et presque tous les humains ont disparu. Les quelques individus épargnés ont recréé un semblant de société mais sans culture et sans passé et dirigé par des brutes.
Mais un espoir subsiste : un vieillard a entreposé dans une grotte des ouvrages, vestiges de la civilisation, afin qu’un jour l’esprit humain puisse renaître de ses cendres.
♦ Le théâtre et la peste, d’Antonin Artaud (1933)
Il introduit sa réflexion par une anecdote : le vice-roi de Sardaigne fait un rêve, quelques jours avant l’explosion de la grande peste à Marseille en 1720. Il rêve d’une épidémie qui détruirait toutes les structures de la société.
Pour Artaud : « Il y a dans le théâtre comme dans la peste quelque chose à la fois de victorieux et de vengeur. Cet incendie spontané que la peste allume où elle passe, on sent très bien qu’il n’est pas autre chose qu’une immense liquidation."
"De même que la peste, le théâtre est fait pour vider collectivement des abcès", pour guérir des crises, "par la mort ou la guérison" !
♦ La Peste, d’Albert Camus (1947)
Camus écrira une partie de son roman "La Peste" au Panelier, un hameau près du Chambon-sur-Lignon (42). Il y passe plusieurs mois en 1942/43 suite à une rechute de tuberculose. Il y sera sans doute témoin des nombreuses actions de sauvetage en faveur de familles et d’enfants juifs menées par les habitants.
Si l’histoire se déroule à Oran (Algérie) dans les années 40, l’épidémie de peste qui a lieu dans le roman est en fait une allégorie qui fait clairement référence à l’horreur des camps nazis.
Camus lui-même nous éclaire sur ses intentions :
« La Peste, dont j’ai voulu qu’elle se lise sur plusieurs portées, a cependant comme contenu évident la lutte de la résistance européenne contre le nazisme. La preuve en est que cet ennemi qui n’est pas nommé, tout le monde l’a reconnu, et dans tous les pays d’Europe. Ajoutons qu’un long passage de La Peste a été publié sous l’Occupation dans un recueil de Combat et que cette circonstance à elle seule justifierait la transposition que j’ai opérée. La Peste, dans un sens, est plus qu’une chronique de la résistance. Mais assurément, elle n’est pas moins. »
On retrouve dans le livre de Camus toutes les réactions humaines face à l’assaut du mal que les épidémies, comme les guerres, réveillent : ceux qui s’acharnent à combattre la maladie et à sauver des malades, ceux qui s’enfuient et ceux qui tirent profit de la situation.
Bref une excellente lecture que cette "chronique de la résistance".
♦ Le hussard sur le toit, de Jean Giono (1951)
Roman d’aventures avec chevauchées et coups d’épées. Un colonel de hussards traverse la Provence en proie à une épidémie de choléra.
La jeunesse et l’allégresse des deux héros contraste avec l’univers d’une humanité qui a perdu ses repères. La catastrophe de l’épidémie libère la peur, l’égoïsme et la rapacité.
Lors d’une interview, Giono explique lui-même : « Le choléra est un révélateur, un réacteur chimique qui met à nu les tempéraments les plus vils ou les plus nobles."