Je souhaite m’attarder ici sur un mot utilisé par les journalistes lors des J.T. de France 2 et de France 3 : il s’agit du mot "opposition", qui sonne bizarrement à mes oreilles. Assez souvent ce terme intervient après l’annonce de mesures gouvernementales ou après des déclarations de membres du gouvernement. Et le journaliste de recueillir une déclaration de ces représentants de l’opposition, en qui j’ai eu la surprise de découvrir... Eric Ciotti ou Bruno Retailleau, tous les deux représentants du parti LR (Les Républicains), c’est-à-dire de la droite.
Remarque 1. Il est vrai qu’en dehors du Mouvement Démocrate et de l’UDI, qui soutiennent le gouvernement, le parti LR est effectivement le plus important groupe, à l’Assemblée Nationale, qui s’oppose à ce même gouvernement. Le parti LREM (celui du président) a 308 députés et le parti LR 112 députés (encore qu’en raison du scrutin majoritaire et du découpage des circonscriptions, ce nombre de députés ne reflète nullement le nombre de suffrages obtenus par chacun de ces partis, ni aux législatives ni aux présidentielles).
Remarque 2. On entend bien que le parti LR s’oppose au gouvernement, mais sur quoi s’oppose-t-il ? S’est-il opposé à l’actuelle réforme des retraites ? S’est-il opposé à la suppression de l’ISF ? S’est-il opposé au plafonnement des indemnités de licenciement ? Au changement des règles de licenciement ? A l’introduction subreptice des fonds de pension ? A la signature des grands traités TAFTA, CETA, TISA, et des traités équivalents avec la Corée, le Vietnam, Singapour, l’Amérique du Sud, etc. ? Certes, il a parfois élevé la voix... mais pour déplorer que le gouvernement ne favorise pas encore assez les patrons, les multinationales, les banques, les riches (voire les très riches).
Remarque 3. Le parti LR s’est-il opposé à la reconnaissance, par la France (et par une minorité de pays dans le monde) du putschiste Juan Guaido comme président du Venezuela ? S’est-il opposé aux menaces du gouvernement Trump à l’égard de la Corée du Nord ? Pas qu’on le sache. S’est-il opposé aux menaces du gouvernement Trump à l’égard du gouvernement iranien ? A-t-il protesté contre le manque d’énergie du gouvernement français à trouver des solutions pour aider le gouvernement iranien à contourner l’embargo américain ? A-t-il protesté contre la timidité du gouvernement français à s’élever contre la reconnaissance de Jérusalem, par Donald Trump, comme capitale d’Israël ? Ou contre cette même timidité à condamner l’approbation, par le même Trump, de l’annexion du plateau (syrien) du Golan par Israël ?
Remarque 4. Dans aucun des domaines de la politique économique et sociale, qui déterminent le partage des richesses entre les classes sociales, le parti LR ne s’est opposé à la privatisation, à la dérèglementation, aux mesures en faveur des riches, et il ne s’est pas davantage opposé à la précarisation des classes moyennes et populaires. Il ne s’est pas plus opposé au suivisme du gouvernement Macron envers les États-Unis.
Remarque 5. En qualifiant "d’opposition" le groupe L.R. du Parlement (Assemblée Nationale et Sénat), les journalistes de ces chaînes télévisées témoignent d’une conception formaliste, artificielle, superficielle de la vie politique. A partir du moment où les députés LR ne votent pas avec le gouvernement, ils sont considérés comme étant d’opposition, sans que ces journalistes s’interrogent sur la consistance de cette opposition. Or, comment le parti LR pourrait-il s’opposer au gouvernement d’Édouard Philippe alors que trois des plus importants ministres du gouvernement, et non des moindres (le premier ministre, le ministre de l’économie, le ministre des comptes publics) sont issus de ses rangs ? Alors que, sur les retraites, Édouard Philippe reprend le scénario de démolition des retraites de son maître Alain Juppé ? Alors que les médias de droite - Le Figaro, Le Point, Valeurs actuelles, L’Express...- lus par les parlementaires LR témoignent d’une animosité sans faille envers les grévistes...
Remarque 6. Cette conception de la vie politique est une conception molle, qui s’est propagée depuis la disparition des régimes dits "communistes" à la fin des années 1980 - et du début du règne idéologique de "l’extrême centre", qui regroupe les partis politiques "raisonnables", du P.S. au Modem et à L.R. et rejette dans les marges des réprouvés, les "extrêmes" (P.C. France Insoumise, Rassemblement National, voire groupes islamistes pour faire bon poids...), partis de gouvernement qui s’entendent sur l’essentiel, comme les Républicains et les Démocrates aux États-Unis, les Conservateurs et les Blairistes au Royaume-Uni, la CDU et le SPD en Allemagne, L.R. et (ce qui reste du) P.S. en France et ne s’opposent que sur des questions sociétales, qui ne mangent pas de pain...
Remarque 7. Plus qu’à une véritable opposition, fondée sur des antagonismes de classe, des convictions idéologiques ou philosophiques, le véritable positionnement de L.R. à l’égard de LREM (et du gouvernement) est plutôt celui d’une lutte de clans au sein d’une même classe, d’une même clientèle, d’une même caste pour se partager des pouvoirs, des postes et des prébendes. Certes, cette lutte peut être âpre, féroce, impitoyable, comme celle qu’on a vue, à l’UMP, entre Fillon, Copé, Sarkozy, Villepin ou Juppé, mais, sur l’essentiel tout le monde est d’accord.
Un militant LREM se vantait à mon épouse que son parti avait réuni un large éventail de sensibilités autour des mêmes valeurs, allant de la droite "modérée" à la gauche "modérée". Je ne sais ce qu’est une droite "modérée", mais la "gauche modérée" n’est-elle pas comme la "glace chaude", un oxymore ? Car, lorsqu’on est de gauche, saurait-on être "modéré" ?