La presse est dirigée par une mafia. La liberté de la presse est morte. Les journalistes et les gens ordinaires doivent se lever.
Introduction
Il y a quelques jours encore, j’étais journaliste à Newsweek. J’ai décidé de remettre ma démission parce que, essentiellement, on m’a donné un choix simple. D’une part, je pouvais continuer à travailler pour l’entreprise, rester dans ses bureaux londoniens chics et gagner un salaire stable uniquement si je m’en tenais à ce qui pouvait ou ne pouvait pas être publié et censurais des faits essentiels. J’avais aussi le choix de quitter l’entreprise et dire la vérité.
En fin de compte, la décision fut assez simple, même en sachant que son coût sera sensible. Je serai au chômage, j’aurai du mal à me financer et je ne trouverai probablement pas un autre emploi dans l’industrie qui me tient tant à cœur. Si j’ai un peu de chance, je serai dénigré en tant que complotiste, peut-être un apologiste d’Assad ou même un agent russe - la dernière insulte grotesque en vogue.
Bien que je sois citoyen britannique, l’ironie est que je suis à moitié arabe et à moitié russe. (message personnel à Bellingcat : Je serais heureux de répondre à toutes vos questions.)
C’est terriblement triste de voir des gens parfaitement loyaux qui ne veulent rien d’autre que le meilleur pour leur pays être étiquetés avec des accusations aussi grotesques. Prenons l’exemple de Tulsi Gabbard, ancienne combattante de la guerre en Irak et membre du Congrès hawaïen, qui a été la cible d’une torrent de boue pour s’être opposée à l’intervention des États-Unis en Syrie et pour s’être simplement opposée à Hillary Clinton, la politicienne la plus corrompue du Parti démocratique. Ces calomnies sont immatures pour une démocratie, mais en fait, je me réjouis de telles attaques.
Lorsque les faits présentés sont totalement ignorés et que les messagers eux-mêmes sont crucifiés de cette façon, cela indique aux personnes sensées qui sont en réalité les vrais auteurs des mensonges et où se trouve la vérité.
Cette vérité est ce qui compte le plus pour moi. C’est ce qui m’a d’abord poussé vers le journalisme alors que je travaillais dans l’industrie financière offshore de Jersey après avoir obtenu mon diplôme à Binghamton University’s School of Management dans le nord de New York. J’ai été tellement scandalisé lorsque j’ai réalisé que cette petite île idyllique que j’aimais et sur laquelle j’avais grandi depuis l’âge de neuf ans, une dépendance de la Couronne britannique à quinze milles des côtes françaises, était en fait une plaque tournante pour la fraude fiscale mondiale. Cette prise de conscience m’est venue alors qu’on disait aux Britanniques que l’austérité devait se poursuivre - le financement public des écoles, des hôpitaux, des services de police et de toutes sortes d’autres choses devait être réduit - pendant que le gouvernement "se remettait" après avoir renfloué les banques après le crash de 2008. Ce mensonge de l’austérité, je n’ai plus pu le supporter dès que j’ai compris que mon rôle administratif et terne faisait en fait partie de ce réseau mondial d’entreprises pour aider les multinationales, les hommes d’affaires, les politiciens et les membres de diverses familles royales à éviter de payer des milliards de dollars en impôts, le tout dans une infrastructure parfaitement légale dont le gouvernement était pleinement conscient mais dont il n’avait jamais parlé.
Dans ma naïveté, alors que je quittais cette industrie et que je commençais ma formation en journalisme, j’ai rédigé un article qui décrivait en détail une partie de cette corruption dans l’espoir de sensibiliser davantage le public à ces questions et dans l’espoir qu’elles ne se poursuivent plus - bien que je l’aie fait d’une manière qui me mettrait dans une situation embarrassante et complexe - mais à ma grande déception, mon article est passé inaperçu et le système demeure à peu près inchangé à ce jour. Néanmoins, depuis, je n’ai pas regretté une seule fois d’avoir dit la vérité, surtout pour mon propre bien-être mental : Je n’aurais pas pu me regarder dans un miroir si j’avais continué à participer dans ce que je savais être un mensonge. C’est la même force qui me pousse à écrire aujourd’hui.
Il y a aussi une autre force, plus profonde, qui me pousse à écrire. Depuis le moment où j’ai décidé de devenir journaliste et écrivain, bien que je soupçonne l’avoir su intrinsèquement bien avant, j’ai appris que la vérité est aussi le pilier le plus fondamental de cette société moderne que nous tenons si souvent pour acquis - une réalité qui ne nous est pas venue facilement et que nous devons être extrêmement attentifs à ne pas négliger. C’est pourquoi, lorsque les institutions journalistiques oublient ce pilier central, nous devrions tous être scandalisés parce que c’est notre destruction mutuelle qui vient ensuite. Ça peut ressembler à de l’hyperbole, mais je vous assure que ce n’est pas le cas. Lorsque l’histoire de nos origines est faussée, ou plus simplement notre vérité, les nouveaux mensonges s’empilent sur les anciens jusqu’à ce que notre connexion à la réalité devienne si incohérente que notre compréhension du monde finit par s’effondrer. L’échec du journalisme actuel, entre autres facteurs, est sans doute lié à la régression actuelle du monde occidental. En conséquence, nous sommes devenus les plus grands auteurs des crimes que nos démocraties ont été créées pour prévenir.
Bien sûr, pour ceux qui y prêtent attention, cet échec du journalisme grand public dont je parle n’a rien de nouveau. Elle dure depuis des décennies et n’était que trop évidente après le fiasco de la guerre en Irak. Les gouvernements des États-Unis et du Royaume-Uni, dirigés par des gens qui ne se souciaient guère d’autre chose que de leur gain personnel, ont dit à la population de leurs pays respectifs une ribambelle de mensonges et les médias, à quelques exceptions près, ont tout simplement suivi le mouvement.
C’est quelque chose qui a monopolisé mon intérêt quand j’étais en formation pour devenir journaliste. Comment des centaines de journalistes réputés et bien intentionnés ont-ils pu se tromper à ce point ? J’ai lu de nombreux livres sur la question, de notamment Manufacturing Consent [La Fabrique du Consentement] de Noam Chomsky et The First Casualty de Philip Knightley’s aux travaux de Chris Hedges, l’ancien correspondant étranger du New York Times, lauréat du prix Pulitzer et qui fut viré du journal pour s’être opposé à cette guerre (je tiens à préciser que sur certains points, je suis en désaccord avec lui), mais je croyais néanmoins qu’on pouvait pratiquer un journalisme honnête. Cependant, rien de ce que j’ai lu n’était aussi malhonnête et trompeur que ce que je viens de vivre à Newsweek. Auparavant, je croyais qu’il n’y avait pas assez de journalistes qui remettaient suffisamment en question le discours du gouvernement. Je croyais qu’ils n’avaient pas examiné les faits avec suffisamment d’attention et qu’ils n’avaient pas relié les points comme une poignée d’autres l’avaient fait.
Non. Le problème est bien pire que ça.
Syrie
Au lendemain de la guerre en Irak et pendant que j’étudiais cet échec des médias depuis, j’étais bien sûr extrêmement conscient de la forte probabilité que le discours du gouvernement américain sur la Syrie était une tromperie. Pour commencer, il y a eu les déclarations faites par le général à la retraite quatre étoiles, le général Wesley Clark, à Amy Goodman de Democracy Now en 2007, quatre ans avant le début du conflit en Syrie. Ce qui suit vaut la peine d’être regardé dans son intégralité. [Ndt : le général annonce les pays cibles futurs des Etats-Unis]
Néanmoins, une fois que j’ai rejoint IBTimes UK en 2016, après avoir suivi une formation au sein de l’Association de la presse et travaillé au Hull Daily Mail (pour lequel je suis éternellement reconnaissant de m’avoir donné une excellente base pour commencer ma carrière), j’étais absolument convaincu que le journalisme n’était pas une profession où on pouvait balancer des affirmations non vérifiées. Moi-même, ou n’importe quel journaliste d’ailleurs, ne pouvions pas dire ouvertement que la nature du conflit syrien était basée sur un mensonge, quelle que soit la force avec laquelle nous le soupçonnions. Pour ce faire, il nous fallait des preuves inébranlables pour le prouver.
Au fil des ans, de bons journalistes ont documenté des preuves. Roula Khalaf, qui succédera bientôt à Lionel Barber en tant que rédacteur en chef du Financial Times, en a écrit un aux côtés d’Abigail Fielding-Smith en 2013. Il documente comment le Qatar a fourni des armes et financé l’opposition du gouvernement légitime de Bachar al-Assad à hauteur de 1 à 3 milliards de dollars dès le début du conflit, ce qui contredit les affirmations selon lesquelles il s’agissait d’une "révolution populaire" qui a tourné à la violence. Les images filmées par le photographe syrien Issa Touma dans un court métrage intitulé 9 Days From My Window in Aleppo ont montré de la même manière comment les djihadistes de la Brigade Al-Tawhid, financée par le Qatar, étaient présents dans les rues de la capitale syrienne dès le début de la guerre.
"Les combattants reviennent dans ma rue", dit Touma alors qu’il filme clandestinement de sa fenêtre. "Ils ont l’air différents. Ce sont des hommes lourdement armés et barbus. Je n’en avais juste entendu parler jusqu’à présent. Voici Liwa al-Tawhid. La télévision nationale les appelle des terroristes. La presse internationale les appelle des combattants de la liberté. Je me fiche de comment ils sont appelés, je refuse de choisir un camp. Mais c’est un mensonge de dire que la révolution a commencé pacifiquement partout. Au moins dans ma rue, Al Said Ali Street, ça a commencé avec des armes. Ça n’a pas du tout commencé paisiblement."
Seymour Hersh et Robert Fisk, deux vieux routards du métier, ont également malmené la version officielle du gouvernement américain, mais leur traitement par d’autres journalistes a été l’un des épisodes les plus honteux de l’histoire de la presse.
Hersh - qui a révélé le massacre de My Lai pendant la guerre du Vietnam, les bombardements clandestins au Cambodge, la torture à la prison d’Abou Ghraib, en plus de raconter au monde la véritable histoire de la mort d’Oussama Ben Laden - a été écarté du métier pour avoir rapporté un simple fait : le gouvernement Bachar al-Assad n’est pas le seul acteur ayant accès aux armes chimiques en Syrie. Après une attaque au sarin à Ghouta dans la banlieue de Damas, en 2013, il a été encore sali pour avoir signalé que Barack Obama avait caché d’importants renseignements militaires : les échantillons examinés à Porton Down, en Grande-Bretagne, ne correspondaient pas aux signatures chimiques du sarin conservé dans les arsenaux du gouvernement syrien.
Fisk, écrivant quelques jours avant l’escalade du conflit syrien, dans un article qui demandait aux Américains de réfléchir à ce qu’ils faisaient réellement au Moyen-Orient à l’approche du dixième anniversaire du 11 septembre, a également soulevé des questions importantes, mais lui aussi fut largement ignoré.
J’ai aussi fait de mon mieux pour documenter les preuves qui malmenaient le récit officiel. En 2016, j’ai écrit comment les autorités égyptiennes ont arrêté cinq personnes pour avoir prétendument filmé de la propagande mise en scène et censée provenir de Syrie. Bien que je n’aie pas connaissance de preuves suggérant que les deux sont liés et que je n’aie pas fait de telles affirmations, ces arrestations ont été révélées après que le Bureau of Investigative Journalism et le Sunday Times ont révélé qu’une société britannique de relations publiques, Bell Pottinger, travaillait avec la CIA, le Pentagone et le Conseil de sécurité nationale et avait reçu 540 millions de dollars pour créer une fausse propagande en Irak un mois auparavant.
L’année suivante, après l’attaque présumée à l’arme chimique à Khan Sheikhoun, j’ai documenté l’intrigante histoire de Shajul Islam, le médecin britannique qui prétendait avoir soigné les victimes présumées et qui est apparu sur plusieurs chaînes de télévision dont NBC pour appuyer l’argument en faveur de représailles. Il dégoulinait d’héroïsme, mais on a oublié de signaler qu’il avait déjà été accusé de délits terroristes au Royaume-Uni et qu’il était en fait considéré comme un "djihadiste engagé" par le MI6. Il avait été emprisonné en 2013 pour l’enlèvement de deux photojournalistes occidentaux dans le nord de la Syrie et avait été radié du General Medical Council [l’Ordre des Médecins - NdT] britannique en 2016. La raison pour laquelle il a été libéré sans condamnation et autorisé à retourner en Syrie demeure un mystère pour moi.
J’ai également refusé de recycler les mêmes éléments de langage employés, par inadvertance ou non, par un certain nombre d’autres publications. Al-Qaïda et ses affiliés ont toujours été qualifiés de terroristes, à ma connaissance, alors pourquoi leur soudaine conversion en "rebelles" ou "rebelles modérés" pour les besoins de la Syrie ? Heureusement, la rédactrice en chef avec laquelle je travaillais le plus souvent à l’époque, Fiona Keating, faisait confiance à mes reportages et n’avait aucun problème à ce que j’utilise les termes plus appropriés de "combattants anti-Assad" ou "insurgés"- même si on pouvait dire que ce n’était pas assez précis.
Lorsque des autobus transportant des réfugiés civils espérant fuir les combats dans la province d’Idlib ont été attaqués avec des voitures piégées en avril 2017, tuant plus de 100 personnes, pour la plupart des femmes et des enfants, j’ai été déçu que le Guardian et la BBC continuent à utiliser ce mot infantile, mais ce n’était pas le langage que j’ai trouvé approprié dans mon rapport.
À peu près au même moment, à la lumière de l’attaque de Khan Sheikhoun, confronté à une liste sans cesse croissante d’irrégularités et de falsifications évidentes - comme des preuves croissantes que les Casques blancs ne sont pas ce qu’ils prétendent être, ou le ridicule fait que l’autorité de facto du monde occidental sur la Syrie était devenue Bana al-Abed âgée de 7 ans - J’ai écrit un article d’opinion qui n’a pas été jusqu’à qualifier le récit du conflit syrien de mensonge, mais qui a simplement plaidé pour des enquêtes indépendantes sur l’attaque présumée aux armes chimiques avant de plonger la tête première dans une guerre. Je croyais toujours que l’honnêteté l’emporterait.
Cet article a finalement été refusé par IBTimes - bien que je l’aie publié discrètement dans CounterPunch plus tard - mais le courriel de rejet que j’ai reçu du rédacteur en chef à l’époque est intéressant à lire.
J’ai été triste d’apprendre que demander une enquête indépendante sur une attaque à l’arme chimique était une "théorie incendiaire", mais j’ai dû passer à autre chose.
Cet été-là, j’ai été remercié ainsi qu’un certain nombre d’autres journalistes de la publication après que le modèle de journalisme de type Buzzfeed – qui s’appuie sur la chasse aux clicks - ait lourdement souffert à cause d’un nouvel algorithme Google et ait largement échoué : le nombre de pages vues a plongé et les éditeurs ne pouvaient apparemment pas comprendre, car nous ne faisions pas du vrai journalisme. Ayant été frustré par l’industrie, j’ai décidé de ne pas occuper un autre poste dans le journalisme et j’ai décidé de déménager en Europe continentale dans l’espoir de poursuivre mon autre passion - la littérature - avec l’aspiration de pouvoir écrire plus librement.
Puis en 2019, j’ai décidé de revenir au journalisme parce que je ressentais la pression d’avoir "un emploi d’adulte" et que je ne pouvais pas compter sur ma capacité à devenir romancier comme moyen de stabilité professionnelle à long terme. Ainsi, lorsque j’ai rejoint Newsweek en septembre, j’étais extrêmement reconnaissant de l’opportunité qui m’était offerte et je n’avais pas l’intention d’être controversé - le nombre d’emplois dans l’industrie semblait diminuer et, en outre, le conflit syrien semblait s’atténuer. Dès mon arrivée, la rédactrice en chef de Newsweek, Nancy Cooper, a mis l’accent sur le reportage original et j’en ai été encore plus satisfait. Je voulais entrer, ne pas faire de vagues et rebâtir ma réputation de journaliste.
Puis, le 6 octobre, le président Donald Trump et la machine militaire derrière lui ont jeté dans le désarroi mes espoirs de me tenir bien loin de la Syrie. Il a annoncé la décision de retirer les troupes américaines du pays et de donner le feu vert à l’invasion turque qui a suivi en l’espace de quelques jours. Étant donné ma compréhension de la situation, les rédacteurs en chef de Newsweek m’ont demandé d’écrire sur le sujet.
Quelques jours après le début de l’invasion turque en Syrie, la Turquie a été accusée d’avoir utilisé un produit chimique incendiaire, du phosphore blanc, dans une attaque contre Ras al-Ayn et, une fois de plus, après avoir présenté l’histoire, on m’a demandé de faire rapport sur ces allégations. Cela a donné lieu à uneenquête de suivi sur les raisons pour lesquelles l’utilisation de cette substance - un produit chimique auto-inflammable qui brûle à plus de 1000 degrés, causant des dommages dévastateurs aux victimes - était rarement considérée comme un crime de guerre en vertu des conventions pertinentes sur les armes et Nancy m’a félicité pour mon excellent travail journalistique.
C’est en enquêtant sur cette histoire que j’ai commencé à trouver de plus en plus de preuves que l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), organisme soutenu par l’ONU pour enquêter sur l’utilisation des armes chimiques, a publié un rapport truqué sur une attaque chimique présumée à Douma en avril 2018, au grand dam des enquêteurs qui avaient visité la scène. Une fois que Peter Hitchens du Mail on Sunday a publié son article contenant une lettre qui avait fait l’objet d’une fuite et qui avait été distribuée en interne par l’un des scientifiques mécontents de l’OIAC, j’ai cru qu’il y avait plus des preuves plus que suffisantes pour publier cet article dans Newsweek. Ces arguments ont été renforcés lorsque la lettre a été confirmée par Reuters et corroborée par l’ancien directeur général de l’OIAC, M. Jose Bustani.
Bien que j’ai déjà eu des projets d’articles rejetés, ou que j’ai du censurer mon langage pour ne pas faire de vagues, c’était là une vérité qu’il fallait dire. Je n’étais pas prêt à reculer.
Soyons clairs : il est prouvé qu’un organisme des Nations Unies - dont la juridiction a été établie après que le monde a accepté de ne jamais répéter les horreurs de la Première Guerre mondiale et de la Seconde Guerre mondiale, comme les forces allemandes tirant plus de 150 tonnes de chlore gazeux sur les troupes coloniales françaises à Ypres - est en train d’être instrumentalisé pour justifier une guerre.
Après que les experts de l’OIAC eurent trouvé des traces de chlore lors de leur visite à Douma – à savoir pas plus que les niveaux de chlore normalement présents dans l’atmosphère - ou qu’ils eurent soulevé des inquiétudes quant au fait que les bidons avaient pu être altérés ou déplacés, chose reflétée dans leurs rapports originaux, ils ont protesté car cette information n’avait pas été mentionnée dans le rapport final diffusé aux médias du monde. Au lieu de cela, le libellé final disait que du chlore avait été "probablement" utilisé et la machine de guerre a poursuit son chemin.
Il ne s’agit pas d’une "théorie du complot", comme Newsweek l’a malheureusement écrit dans une déclaration à Fox News - il est intéressant de noter que c’est le seul média grand public qui a couvert ma démission. De vrais scientifiques de l’OIAC ont rencontré de vrais journalistes et expliqué la chronologie des événements. Ils ont fourni des documents internes qui prouvaient ces allégations - des documents qui ont ensuite été confirmés par Reuters. C’est tout ce que je voulais vous dire.
Entre-temps, les scientifiques de l’OIAC ont été empêchés d’enquêter sur l’utilisation alléguée de phosphore blanc par la Turquie. Cette politisation flagrante d’un organe neutre ouvre la voie à la répétition des mêmes horreurs que nous avons vécues dans ces deux guerres dévastatrices.
C’est inacceptable et j’ai démissionné quand on m’a interdit d’en parler.
Censure de Newsweek : Chronologie des événements
J’ai pris connaissance de l’article de Mail on Sunday le lundi 25 novembre, et c’est alors que j’en ai parlé avec Alfred Joyner, le producteur exécutif mondial de Newsweek, qui avait été mon principal point de contact pour présenter des articles.
À la suite d’une conversation avec Alfred, il m’a demandé d’écrire une note de présentation à son intention et à celle du rédacteur en chef des affaires étrangères de Newsweek, Dimi Reider, sur le système de messagerie interne de l’entreprise. Ce qui suit est un copier-coller de cette présentation, avec les échanges qui ont suivi pendant quelques jours.
Lorsque je suis retourné au bureau le jeudi 28 novembre, j’ai eu une conversation avec Dimi, mais à ma grande déception, il n’a répondu à aucune de mes protestations contre le fait que l’article ne puisse être publié. Il a fait la fameuse blague sur l’ancien politicien soviétique Leonid Brejnev, une blague qu’il m’avait déjà faite quelques semaines auparavant, et après m’avoir écouté défendre mon idée d’article pendant plusieurs minutes, tout ce qu’il avait à dire était : "Je suis désolé, mais j’ai peur que ce soit un non."
Le lendemain matin, me sentant incroyablement frustré, j’ai écrit un courriel à Nancy et au directeur du service numérique de Newsweek et chef du bureau de Londres, Laura Davis, pour exprimer mes préoccupations.
Plusieurs jours stressants se sont écoulés sans que je n’aie de nouvelles de Laura ou de Nancy, mais entre-temps, alors que j’essayais de continuer du mieux que je pouvais dans mon rôle quotidien de reporter, j’ai remarqué comment un rédacteur de la rubrique divertissement du nom de Tufayel Ahmed a commencé à s’en prendre à la plupart des articles que j’écrivais
D’après mon expérience avec les rédacteurs en chef dans le passé, si jamais un problème survenait avec un article, nous avions une conversation parfaitement civile, je faisais les ajustements nécessaires et l’article était publié sans autre problème. Ce n’était pas le cas avec Tufayel.
Au début, quand il m’a envoyé des critiques longues, trop critiques et souvent hostiles sur des articles que j’avais écrits, j’ai envisagé de lui demander de se rendre dans une salle de réunion pour lui demander si je n’avais pas par inadvertance fait quelque chose pour l’offenser. Comme je venais d’un milieu journalistique où les erreurs dans les articles nécessitaient des excuses embarrassantes imprimées dans le journal le lendemain, et que j’avais la conviction que les rédacteurs en chef étaient vos meilleurs amis et devraient toujours être à vos côtés, je me suis toujours fait un devoir de ne pas commettre d’erreurs et j’ai été souvent félicité pour cela au cours de ma carrière.
Par exemple, lorsque j’étais au Hull Daily Mail, considéré comme l’un des meilleurs journaux régionaux du Royaume-Uni, je ne me souviens pas d’une seule correction apportée à un seul de mes articles. Et ce malgré la couverture de procès pour meurtre, d’affaires de viol et de nombreuses autres affaires sensibles.
A la veille du référendum sur le Brexit, alors que j’étais encore stagiaire en journalisme, j’avais acquis une telle réputation pour mon exactitude journalistique et mes compétences en matière d’attention aux détails que j’ai même été chargé à moi tout seul de réviser et de publier les textes de deux journalistes politiques sur le site Web de la publication, tout en gérant le blog en direct, tous les médias sociaux et mes propres articles sur les développements nationaux lorsque les résultats ont été publiés. Le lendemain matin, après une courte sieste, le rédacteur en chef a été tellement impressionné par mes efforts que l’on m’a demandé de mener les entrevues avec les dirigeants locaux de chaque parti politique, bien que j’étais l’un des journalistes les plus jeunes de l’équipe.
De plus, dans près de 1 000 articles publiés pour IBTimes UK, je ne me souviens que d’un seul incident où un article a nécessité une correction. Un groupe de pression israélien - pardonnez-moi d’être incapable de me rappeler lequel - s’est opposé à mon utilisation du mot "colonies" et a demandé qu’il soit remplacé par "unités de colonies". Il s’agissait d’une demande raisonnable et l’article a été mis à jour pour en tenir compte sans autre incident.
Je ne dis pas ces choses pour me jeter des fleurs. Je les dis parce que j’étais profondément attristé et troublé. Parce que lorsque j’ai finalement reçu une réponse de Laura au sujet de l’histoire de l’OIAC le 5 décembre, six jours après mon premier courriel et après des tentatives répétées de lui parler en personne, un seul paragraphe était consacré à la lettre qui avait fuitée et le reste du courriel s’en prenait à ma qualité de journaliste.
Elle dressait la liste de tous les cas où Tufayel m’avait critiqué, en déformant injustement mes actions, en plus d’énumérer une véritable erreur que j’avais commise dans le cadre de mes reportages quotidiens - quelque chose qui n’avait rien d’étonnant alors que chaque jour je devais écrire quatre articles, souvent sur des sujets complexes, parfois sans expérience préalable en la matière. Néanmoins, même pour cet article, j’avais pris des mesures immédiates pour la résoudre et m’étais excusé auprès des rédacteurs en chef à l’époque, le courriel de Laura déformait sérieusement les faits.
C’est à ce moment que j’ai su sans l’ombre d’un doute ce que j’avais déjà ressenti : il n’y avait aucune raison valable pour que cette histoire de l’OIAC ne soit pas publiée. Elle était tout simplement censurée. On m’attaquait pour avoir résisté à la censure.
Comme je n’ai rien à cacher, je publierai la réponse de Laura dans son intégralité.
Vous lirez ma réponse complète en temps voulu, mais d’abord, quelques commentaires supplémentaires sur les critiques de Laura.
Rédacteurs pris à défaut
Ma première "indiscrétion" est assez simple à aborder. Je crois - quoique je dois avouer que je n’en suis pas certain, puisque l’information n’a jamais été publiée - que l’article auquel Laura fait référence est celui-ci. Quoi qu’il en soit, voici les événements qui ont suivi.
En 2018, confirmant le précédent reportage de Hersh, l’ancien ministre de la Défense Jim Mattis a annoncé que le Pentagone n’avait aucune preuve à l’appui des allégations selon lesquelles le gouvernement syrien aurait utilisé du sarin à Ghouta, comme le rapporte ici Associated Press. Comme Newsweek n’a pas rapporté ce fait (d’autres preuves de censure ?), j’ai fait un lien vers un article d’opinion sur notre site Web qui traitait de ce rapport. La première ligne de cette article renvoie à celui d’AP. Quand Tufayel m’a demandé pourquoi j’ai fait ça, j’ai expliqué que j’essayais simplement d’établir un lien vers des références sur notre site Web, lui expliquant que la source était AP - ironiquement, j’essayais d’aider Newsweek à attirer plus de clics. L’information qui fut finalement retirée de mon article ne manquait pas de source.
Le deuxième point mentionné par Laura - la seule occasion sur 156 articles écrits pendant mes deux mois à Newsweek où un article a nécessité une correction - soulève un autre problème sérieux à la publication : les rédacteurs en chef disent aux journalistes ce qu’ils doivent écrire.
Cet article m’a été assigné par Alfred sur le système de messagerie interne de Newsweek, comme il est courant pour les éditeurs de le faire, et je me suis senti obligé de rapporter l’histoire, même si j’avais des inquiétudes et ce n’est pas une que j’aurais personnellement choisi de faire. J’ai fait part de ces préoccupations auprès d’Alfred – qui a une expérience en montage vidéo, et non en journalisme - mais au lieu de laisser tomber l’histoire, on a proposé un nouvel angle et un nouveau titre a également été fourni. Sentant que je ne pouvais plus défier son autorité sans être impoli, j’ai fait de mon mieux, mais en le faisant, j’ai fait deux erreurs : Premièrement, j’ai négligé de solliciter les commentaires de deux des cinq parties concernées (en pensant que Facebook, que j’ai contacté, ferait des commentaires au nom des autres). Deuxièmement, j’ai signalé à tort que Mark Zuckerburg avait fait don d’une partie des fonds plutôt que Chan Zuckerberg Initiative.
Lorsque la porte-parole de Facebook a répondu à ma demande, elle m’a simplement dirigé vers les tweets des autres personnes et m’a demandé si je pouvais les mettre à jour en conséquence. Les tweets n’ont pas critiqué nos reportages, mais les reportages originaux faits par Popular Information, la source qui m’a été assignée par Alfred pour fonder mes reportages.
Une fois que j’ai eu connaissance de leurs déclarations (qui reflétaient les préoccupations initiales que j’avais au sujet de l’article), j’ai immédiatement alerté Alfred et j’ai fait de mon mieux pour y remédier. La critique de Laura a également négligé de mentionner que le sous-rédacteur en chef de Newsweek - que je ne nommerai pas, car il a été l’un des rares rédacteurs à me traiter correctement - était celui qui a lu l’article et il n’a eu aucun problème à le publier.
Cette pratique qui consiste à dire aux journalistes ce qu’ils doivent écrire, sous quel angle et avec les titres déjà assignés est complètement tordue et provoque de nombreux problèmes. Comment les journalistes peuvent-ils trouver de véritables développements dignes d’intérêt si ce qu’il faut écrire a déjà été écrit pour eux ?
J’ai parlé de ce problème à plusieurs journalistes de Newsweek avant mon départ et ils partageaient les mêmes préoccupations. C’est exactement le même problème qui a conduit au licenciement de Jessica Kwong une semaine avant ma démission.
Kwong, que je ne connais pas, a écrit un article intitulé « Comment Trump passe-t-il Thanksgiving ? En tweetant, en jouant au golf et plus », la veille de la journée en question, il s’est avéré que Trump avait fait une visite surprise en Afghanistan. Aucun journaliste n’aurait écrit cet article de son plein gré - c’était seulement parce que les rédacteurs en chef étaient en croisade infatigable pour attirer des clics.
En fin de compte, elle a été congédiée parce qu’elle ne s’est pas adressée à la Maison-Blanche pour obtenir des commentaires, même si toutes les informations provenaient du programme officiel du président.
Son courriel aurait supposément être rédigé ainsi : "Cher bureau de presse, J’écris un article qui n’est d’aucune utilité publique, mais qui critiquera le président pour ce qu’il a choisi de faire pendant son temps libre à Thanksgiving. Pouvez-vous faire une déclaration dans les plus brefs délais ?" Bon sang, quelles que soient vos opinions sur le Président Trump, que faisaient la plupart de gens le jour de Thanksgiving ?
Plus épouvantable encore, lors d’une réunion d’équipe entre les bureaux de New York et de Londres après le licenciement, au cours de laquelle les "leçons à tirer" ont été longuement discutées, l’éditeur en question a tenté de faire une blague dans ce sens : "Ne vous inquiétez pas les gars ! J’ai retenu la leçon ! Je serai ravi d’éditer l’histoire "Que fait Trump le jour de Noël ?" Le silence a suivi. Vous auriez dû voir les visages des journalistes dans la salle.
Une dernière note sur le contenu du courriel de Laura, car le reste est abordé dans ma réponse.
Oui, j’ai effectué des ajustements et j’ai republié quelques articles. Les journalistes sont autorisés à le faire s’ils remarquent de petites erreurs - comme une faute d’orthographe ou de grammaire, par exemple - mais je n’ai pas procédé à une réécriture comme le prétend le courriel. Et oui. Pour ce qui est du phosphore blanc, j’ai remis en question le jugement d’un rédacteur en chef. Celui de Nancy en fait.
Après la publication de l’article, elle a modifié le titre pour qu’il attire davantage l’attention, mais la grammaire employée le rendait insensé et soi-dit en passant elle ne respectait pas non plus le style maison de Newsweek. (Elle a écrit "US" et non "U.S.") Je ne voulais pas qu’un article sur lequel j’avais passé trois semaines à travailler soit ruiné à cause d’une négligence. Qu’y a-t-il de mal à cela ? Pour votre information : Je suis toujours insatisfait du titre de l’article tel qu’il est.
Maintenant, avant de revenir à ma réponse et à ma démission finale, il y avait plusieurs autres choses importantes à aborder.
La députée Ilhan Omar est-elle une espionne qatarie ?
Le samedi 30 novembre, un jour après avoir envoyé mon premier courriel à Laura et Nancy, je travaillais le week-end et il y avait eu un changement dans le personnel : Tufayel devait être le rédacteur en chef pour la journée. Il n’y avait rien d’inhabituel dans tout cela, mais ce qui m’a paru étrange, c’est qu’on m’a immédiatement assigné une histoire au sujet d’une candidate au Congrès relativement inconnue qui avait été virée de Twitter pour avoir twitté quelque chose concernant Ilhan Omar, députée démocrate du Minnesota, et des allégations selon lesquelles elle était une espionne.
La nature de l’histoire n’était pas étrange en soi, mais semblait seulement étrange à cause de la réfutation antérieure de Dimi de mon article de l’OIAC.
"Il ne s’agit pas seulement de la Syrie", a-t-il écrit. "Cela faisait partie de ma réticence à reprendre cette histoire bizarre qui circule depuis hier à propos d’Ilhan Omar, une espionne qatarie. Pas un seul site américain sérieux ne l’a repéré, ce qui confirme mon intuition que c’est des conneries."
À l’époque, ne connaissant pas l’histoire, j’ai pensé que c’était assez juste - cela semblait être une affirmation ridicule. En fait, quand j’ai vu cette ligne écrite dans la réfutation de Dimi, cela m’a mis encore plus en colère : pourquoi mon histoire prouvable sur l’existence d’une lettre (vérifiée par Reuters !!!!) était-elle salie en étant comparée à cette histoire d’espionne ?
Quoi qu’il en soit, quand Tufayel m’a confié l’histoire, j’ai fait de mon mieux pour être professionnel et j’ai fait ce que j’ai toujours fait : J’ai rassemblé autant de ressources que j’ai pu trouver sur le sujet en question et j’ai commencé à faire des recherches et à vérifier les faits. C’est alors que j’ai été choqué de découvrir ce reportage sur Ilhan dans Al Arabiya.
La publication avait mis le main sur une déposition légale de 233 pages, faite devant un tribunal de district américain, par un homme d’affaires canadien né au Koweït du nom d’Alan Bender. Il a témoigné contre le frère de l’émir qatarien, Cheikh Khalid bin Hamad al-Thani, après qu’al-Thani eut été accusé d’avoir ordonné à son garde du corps américain de tuer deux personnes et après avoir détenu son infirmier américain comme prisonnier. Dans cette déposition, Bender prétendait avoir des liens étroits entre les responsables qatariens - probablement la raison pour laquelle on lui a demandé de témoigner - et c’est là qu’il a fait les allégations d’espionnage d’Ilhan.
Maintenant, je n’ai pas d’autres preuves à l’appui des affirmations d’Alan Bender - je serai le premier à admettre que je sais très peu de choses sur la politique qatarie - mais la déposition d’un homme d’affaires bien branché devant un tribunal américain n’a certainement pas justifié l’intuition de Dimi, "c’est des conneries", sans apporter de preuves. Si les affirmations d’Alan Bender sont fausses et qu’il ment sous serment, il doit en répondre. J’ai soudain réalisé que c’était un test.
Est-ce que j’allais comprendre le message et faire mon rapport en accord avec les ordres de la direction ? Ou est-ce que je continuerais à rapporter des détails parfaitement publiables dans l’intérêt public ?
Bien sûr, il est possible que l’article m’ait été assigné par simple hasard, mais ce qui s’est passé après que j’ai soumis mon projet d’article à Tufayel pour édition était révélateur. Le projet que j’ai soumis était le suivant.
Tous les journalistes raisonnables, je l’espère, ne trouveront rien à redire à mon reportage. Malgré cela, à la suite de la soumission de mon projet, toutes les références à Alan Bender ont été effacées de mon article, de même que le lien vers l’article d’Al Arabiya. Tout ce qui restait des informations dignes d’intérêt que j’ai fournies à ce sujet, ce sont les mots "revendications sans fondement".
Comment Tufayel était-il si certain que les allégations étaient sans fondement ? Avait-il des informations contraires à ce qu’Alan Bender a dit ? Ou y avait-il une autre justification journalistique pour retirer de l’information fournie par un tribunal, bien que j’aie clairement indiqué qu’il n’y avait pas d’autres preuves à l’appui de ces allégations ? Y avait-il une bonne raison ? Je ne pense pas, si ce n’est qu’il pourrait être profondément préjudiciable si les allégations se révélaient vraies, et que les ordres de la direction avaient été de supprimer tout ce qu’Alan Bender avait dit, comme c’était le cas pour la plupart des médias aux États-Unis.
Curieusement, Nancy a par la suite modifié de nouveau l’article, changeant cette fois le mot "sans fondement" en "non vérifié" - adoucissant le langage, j’imagine, afin de ne pas attirer inutilement l’attention sur lui.
Ceci est illustré par les journaux du système de gestion de contenu (CMS) qui enregistrent toutes les modifications apportées.
Contrôle externe du récit médiatique
Pendant que tout cela se passait et que j’attendais une réponse de Laura, j’ai commencé à avoir de fortes suspicions que quelque chose n’allait pas chez Dimi, le soi-disant rédacteur des affaires étrangères. Tout d’abord, il a rarement fait de la révision sur des sujets d’affaires étrangères. Pour tout dire, il faisait rarement des révisions.
Newsweek dispose d’un système dans lequel les journalistes collent le lien CMS pertinent des projets d’articles prêts à être édités dans un canal "à publier" du système de messagerie interne et les éditeurs parcourent la liste en reprenant les articles que les journalistes ont déposés. Une fois qu’ils ont été examinés et validés, les éditeurs les déposent dans un autre canal appelé "articles_publiés" pour que tout le monde puisse les voir.
J’ai pris l’habitude d’examiner cette liste de près - il était utile de savoir ce que d’autres journalistes avaient déposé afin de pouvoir établir des liens avec leurs articles et aussi pour m’assurer que les articles ne faisaient pas doublon. Pendant les deux mois que j’ai passés à Newsweek, je n’ai vu Dimi poster dans le canal "articles_publiés" qu’une poignée de fois. C’est étrange, car la plupart des éditeurs publient plusieurs articles par jour. Au lieu de cela, ses contributions les plus actives au système de messagerie ont été des tweets amusants ou des articles dans la rubrique "général". Malheureusement, je n’ai pas de preuves matérielles à l’appui, mais les journalistes avec lesquels j’ai travaillé savent que c’est vrai.
Les seules fois où Dimi a semblé être impliqué, c’est quand une histoire pouvait être controversée. Il a travaillé à mon enquête sur le phosphore blanc, a pris la décision de ne rien publier au sujet des allégations originales sur Ilhan et a rejeté mes tentatives de publier les fuites de l’OIAC.
Alors que je travaillais sur cette histoire de phosphore blanc, avant que je ne sois pleinement conscient de ses antécédents, il m’a raconté comment il avait cofondé +972 Magazine, une publication israélienne libérale qui a commencé par couvrir la guerre de Gaza en 2008-2009. J’ai jeté un coup d’œil à son curriculum vitae et j’ai été honoré de travailler avec un journaliste d’affaires étrangères aussi accompli. J’avais vraiment espéré construire une relation plus étroite avec lui.
C’est la raison pour laquelle j’ai été si déconcerté quand il a catégoriquement refusé de publier les révélations de l’OIAC. N’importe quel rédacteur en chef digne de ce nom ne verrait-il pas l’importance ? Bien sûr, j’ai compris que les implications d’un tel article seraient importantes et difficiles à rapporter - c’était la meilleure preuve à ce jour des mensonges sur la Syrie - mais la plupart des gens informés pouvaient certainement le voir venir ? D’autres preuves s’accumulaient de jour en jour.
Mais non. Comme les messages précédents l’ont montré, il n’y avait aucun désir de rapporter ces révélations, peu importe à quel point les preuves semblaient solides. Dimi était tout simplement heureux de s’en remettre à Bellingcat, une organisation manifestement douteuse comme d’autres ont pris le temps de s’en occuper, comme ici et ici, au lieu de permettre aux journalistes qui sont plus que capables de faire leur propre recherche de faire leur travail.
C’est cette prise de conscience qui m’a fait commencer à interroger Dimi. Quand j’ai creusé encore, c’était la pièce manquante.
Dimi a travaillé au Conseil européen des relations extérieures de 2013 à 2016 - l’organisation sœur du groupe de réflexion le plus répandu, le Council on Foreign Relations (CFR). Certains se demandent peut-être pourquoi c’est important, mais le groupe de lobbying - le plus grand et le plus puissant aux États-Unis - est surnommé "le think-tank de Wall Street" pour une raison, comme l’explique le livre de Laurence H. Shoup du même titre.
Pour comprendre l’influence de l’organisme, il convient de noter que dix des onze principaux responsables de la politique étrangère de George H. W. Bush en étaient membres, tout comme l’ancien président lui-même. Bill Clinton, également membre, a engagé 15 décideurs politiques étrangers membres de la CFR sur un total de 17. George W. Bush a engagé 14 membres de la CFR en tant que principaux responsables de la politique étrangère, et Barack Obama en avait 12, auxquels s’ajoutent cinq autres qui occupaient des postes en politique intérieure.
Son homologue européen est également très influent, comme le montre ce graphique de son site Web sur les membres actuels.
Il convient également de noter que le président actuel du CFR est David Rubenstein, co-fondateur et président exécutif du groupe Carlyle - le même groupe Carlyle qui se décrivait auparavant comme le "premier investisseur en capital-investissement dans les industries aérospatiales et militaires", jusqu’à ce qu’il décide probablement que ce n’était pas une bonne chose que de se targuer des profits de guerre qu’il faisait dans ces industries, mais que les investissements qu’il avait faits dans ces industries demeurent.
C’est le même groupe Carlyle qui a accueilli le frère d’Oussama ben Laden en tant qu’invité d’honneur de l’assemblée annuelle des investisseurs du groupe à Washington D.C. le jour même de la chute des Twin Towers. George H. W. Bush, conseiller informel de Carlyle, était également présent.
En outre, l’un des produits d’exportation les plus notoires du CFR était l’ancien secrétaire d’État Henry Kissinger - un homme que Christopher Hitchens a décrit comme le plus grand criminel de guerre américain de tous les temps. Sa longue liste de crimes contre l’humanité est interminable.
Jeffrey Epstein a également été membre de 1995 à 2009 et dans le cadre d’une campagne de relations publiques, la CFR a récemment annoncé sa décision de faire un don de 350 000 $ pour aider à lutter contre les victimes de la traite sexuelle, montant équivalent aux dons reçus de lui. C’est peut-être évident à dire, mais l’histoire d’Epstein en est une autre qui n’est pas suffisamment étudiée par les médias.
Pour ceux qui veulent en savoir plus sur l’influence de la CRF au fil des ans, il y a plus dans ce document publié dans la revue de science politique Reviews in American History.
Mais qu’en est-il de l’influence du think tank sur le journalisme ?
Je ne sais pas si ce que je vais rapporter ici est connu du reste de l’industrie, mais ce que j’ai découvert en faisant des recherches sur ce sujet est inacceptable pour moi.
J’ai appris qu’en plus d’un grand nombre de journalistes éminents membres, j’ai découvert que le CFR offre des bourses aux journalistes qui viennent travailler aux côtés de ses nombreux représentants du Département d’État et du Département de la défense. La liste des boursiers historiques comprend les meilleurs journalistes et rédacteurs en chef du New York Times, du Washington Post, du Wall Street Journal et de CNN, entre autres, sans oublier les journalistes de Newsweek.
Le membre le plus éminent de la CFR à rejoindre les rangs de Newsweek était Fareed Zakaria. Après des séjours à Yale et Harvard, à l’âge de 28 ans, Zakaria est devenu rédacteur en chef de Foreign Affairs, la propre publication interne du CFR. De là, il est devenu rédacteur en chef de Newsweek International en 2000, avant de devenir rédacteur en chef de Time Magazine en 2010.
Quand l’analyste du renseignement de la CIA Kenneth Pollack a écrit un livre intitulé The Threatening Storm : The Case for Invading Iraq, Zakaria a fait l’éloge de ce travail et a décrit Pollack comme "l’un des plus grands experts mondiaux de l’Irak".
Les chroniques de Zakaria dans Newsweek avant la guerre sont également intéressantes à lire. "Passons aux choses sérieuses avec l’Irak", peut-on lire dans un titre dès 2001. "Il est temps de s’attaquer aux détesteurs de l’Amérique", poursuit un autre. D’autres disent : « Il est temps de faire comme papa » et « Envahissez l’Irak, mais venez avec des amis. » Je pourrais continuer.
Il est intéressant de noter qu’une fois la guerre déclenchée en 2003, Foreign Affairs - où Zakaria écrit encore aujourd’hui - a été classée au premier rang par le cabinet de recherche Erdos and Morgan comme la société qui a le mieux réussi à influencer l’opinion publique. Il a obtenu cette distinction en 2005 et de nouveau en 2006. Les résultats pour les autres années ne sont pas connus.
En parcourant LinkedIn et Twitter, de nombreuses personnes citées comme journalistes ont emprunté le même chemin que Zakaria. Ils obtiennent des diplômes de "diplomatie" financés par le département d’État dans des universités prestigieuses, comme Harvard, Yale, Georgetown et Johns Hopkins, ou à la School of Oriental and African Studies (SOAS) de Londres, avant de s’attaquer à des publications ou à des groupes de réflexion financés par le CFR ou par Open Society Foundation. Une fois leur obéissance incontestée démontrée, ils s’infiltrent lentement dans les organisations classiques ou les Affaires étrangères.
Il est également apparu que c’est la même voie que Dimi a empruntée. Le plus important bailleur de fonds du magazine 972 est le Rockefeller Brother’s Fund, dont le président et directeur exécutif, Stephen Heintz, est membre de la CFR. En plus de son travail avec l’ECFR, Dimi est également inscrit comme associé de recherche à la SOAS.
Ce conflit d’intérêts est peut-être connu des autres journalistes du métier, mais je le répète : c’est inacceptable pour moi.
Le gouvernement américain, dans une alliance sordide avec ceux qui profitent le plus de la guerre, étend ses tentacules dans toutes les parties des médias - des imposteurs, avec des liens avec le Département d’État américain, siègent dans les salles de rédaction partout dans le monde. Les rédacteurs en chef, sans lien apparent avec le club du membre, n’ont rien fait pour résister. Ensemble, ils filtrent ce qui peut ou ne peut pas être publié. Les histoires gênantes sont complètement bloquées. En conséquence, le journalisme est en train de mourir rapidement. L’Amérique régresse par manque de vérité.
Les Afghanistan Papers, publiés cette semaine par le Washington Post, en apportent d’autres preuves. La désinformation, le gaspillage de milliards de dollars et la mort de deux mille Américains - et qui sait combien d’autres Afghans. Les journaux ont publié d’innombrables articles sur cet échec total, mais aucun ne vous dira à quel point ils sont responsables. Les mêmes erreurs se répètent. La situation s’aggrave. Les vrais journalistes et les gens ordinaires doivent reprendre le journalisme.
Voici ma lettre de démission à Newsweek.
Tareq Haddad
Traduction "dire que je suis surpris serait exagéré" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles