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Côte d’Ivoire : La Côte d’Ivoire au bord de l’implosion

Olivier Blamangin (Groupe Afrique ATTAC France)

La Côte d’Ivoire traverse aujourd’hui la plus profonde crise de son histoire post-coloniale. Depuis le début du " soulèvement ", dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, le conflit a fait des centaines de mort. Sur fond de discours xénophobe, on peut craindre que le pays ne s’enfonce dans une guerre civile, à l’image du Libéria, de la Bosnie, du Congo ou du Rwanda. La signature d’un cessez-le-feu, presque un mois après le début des événements, apporte quelques lueurs d’espoir. Le pire peut encore être évité.

L’effondrement du " miracle " ivoirien

Comment en est-on arrivé là  ? Comment le " miracle " ivoirien, symbole de stabilité politique et de la réussite économique des années 70 s’ est-il brisé si rapidement ? Pendant trente ans, Félix Houphouët-Boigny, baron de la françafrique, a tenu le pays d’une main de fer. A sa mort, en 1993, il laisse un pays exsangue : la dette extérieure atteint 11 milliards de $ ; chaque année, le pays rembourse près de 600 millions de $ aux institutions financières internationales, aux banques commerciales et aux Etats occidentaux. Entre 1984 et 1993, les prix du Cacao et du café, principales richesses du pays, ont été divisés respectivement par 4,5 et par 3. La crise économique est profonde, le pays gangrené par la corruption. Les plans d’ajustement structurels successifs -six depuis 1981 !- creusent encore davantage les inégalités. Comme partout, le terreau est favorable à la résurgence des démons du racisme et de la xénophobie.

Le successeur constitutionnel d’Houphouët-Boigny, Koman Bédié, Président de l’Assemblée nationale, n’a pas la carrure ni la légitimité du " Vieux ". Face à lui se dresse Alassane Ouattara, ancien Directeur général adjoint du FMI et dernier Premier ministre d’ Houphouët. Pour barrer la route à son rival, Koman Bédié invente le concept d’ivoirité : Ouattara est issu de l’ethnie Malinké, populations du Nord du pays qui vivent de part et d’autre de la frontière. On le soupçonne donc d’être Burkinabais, non ivoirien.

Ethnisme et xénophobies

La Côte d’Ivoire a connu, par le passé et notamment sous le règne d’ Houphouët-Boigny, des crises identitaires. Mais le concept d’ivoirité a été fabriqué de toute pièce par des élites politiques ivoirienne en quête de légitimité. Prête à tout pour garder ou conquérir le pouvoir, elles ont instrumentalisé l’ethnique, forgé un concept de pureté identitaire. Dans un pays traditionnellement de forte immigration et de fort métissage, le discours politique a victimisé les " Ivoiriens de souche " et fustigé " l’étranger ", accusé tout à la fois de détenir le pouvoir économique et de vouloir le pouvoir politique.

La propagande gouvernementale -mais aussi le Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbabo, alors dans l’opposition- s’est attelé à construire la division en mettant en cause l’" ivoirité douteuse " d’ une large partie de la population. Ces " Ivoiriens de circonstance " sont pourtant nés en Côte d’Ivoire et possède une carte d’identité ivoirienne. Mais ils ont le tord d’avoir un nom à consonance nordique (burkinabé, malienne, nigérienne). C’est un délit de patronyme. Progressivement, une équation simpliste s’est imposée comme une évidence : Outtara = militants RDR = gens du nord = musulmans = dioulas = étrangers. Le clivage entre " eux et nous " s’est installé durablement.

Comme au Rwanda ou en Bosnie, ces images n’ont rien de naturel, ce sont des constructions sociales, relayées par la classe politique et les médias de la haine. Elles vont se traduire dans la loi avec l’ adoption d’une nouvelle constitution, d’un code électoral qui impose que les candidats soit " ivoiriens de naissance et nés de père et de mère ivoiriens " ou encore l’adoption d’une loi agraire qui exclut de la propriété de la terre ceux qui ne sont pas considérés comme ivoiriens.

Luttes de pouvoir sur fond d’ivoirité

En distillant la peur et la haine de " l’autre ", l’" ivoirité " est une véritable bombe à retardement. Les successeurs de Bédié -le général Gueï, arrivé à la tête du pays à la faveur d’un coup d’état en décembre 1999 et Laurent Gbagbo, qui gagne les élections d’octobre 2000- reprendront à leur compte le concept. Il leur permet d’écarter Alassane Ouattara de la course à la présidentielle. Ce dernier va jouer sans complexe du ressentiment des " gens du nord " pour les rallier à son parti, le Rassemblement des républicains (RDR).
La poudrière ethnique est prête à exploser. Une première fois, en octobre 2000, au lendemain des élections présidentielles qui voient la victoire de Laurent Gbagbo face au général Gueï. Les partisans d’ Alassane Ouattara descendent dans les rues d’Abidjan pour réclamer un nouveau scrutin, leur leader n’ayant pas été autorisé à se présenter. La répression des forces de gendarmerie et des partisans du FPI est terrible : rafles ethnico-religieuses, exécutions sommaires, mosquées brûlées, tortures, etc. On découvrira, quelques jours plus tard, sur un terrain vague du quaptier populaire de Yopougon, un charnier où étaient entassés 57 cadavres. L’histoire se répète en décembre 2001, lorsque la Cour Suprême invalide à nouveau, au nom de " l’ivoirité ", la candidature d’Alassane Outtara à la députation. Les militants du RDR descendent à nouveau dans la rue et sont violemment réprimés. Nouvelles scènes de pogroms, d’assassinats, de viols et de tortures, de ratonnades au faciès et d’expulsions d’" étrangers ". En janvier 2001, de nouveaux troubles suivent une tentative de coup d’Etat " venues de l’étranger ". Des dizaines de milliers de Burkinabés fuient la Côte d’Ivoire.
Le jugement devant une cour militaire des gendarmes responsable du charnier de Yopougon, après des mois d’instruction, se termine le 3 août 2001 par un acquittement. En Côte d’Ivoire comme au Rwanda, l’ impunité alimente la spirale des violences...

" Mutins ", " rebelles " ou " envahisseurs " ?

Difficile de voir clair sur ce qui s’est effectivement passé dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002. Des soldats rebelles se sont attaqués à différentes cibles stratégiques de la capitale. Bien armés et disciplinés, ils ont rapidement conquis la moitié nord du pays, notamment les villes de Bouaké et Korhogo, tandis que les forces loyalistes reprenaient le contrôle d’Abidjan. Au passage, le général Gueï, dont tout porte à croire qu’il n’était pour rien dans l’affaire, est assassiné.

L’hypothèse d’une simple mutinerie d’une partie de l’armée, sous prétexte d’une démobilisation annoncée de certaines unités, ne résiste pas à l’analyse : les mutins ont à leur tête des officiers en fuite depuis la tentative de coup d’état de janvier 2001. Sans doute ces officiers putschistes ont-ils su exploiter le mécontentement bien réel au sein de certaines unités.
S’agit-il, comme l’avance le gouvernement et une partie de la presse ivoirienne, d’une agression extérieure, pilotée en sous-main par le président Burkinabé, Blaise Compaoré ? L’hypothèse -déjà avancée lors de la tentative de coup d’Etat de janvier 2001- est plausible mais non prouvée : de fait, les leaders de la rébellion, condamnés par contumace, avaient trouvé au Burkina Faso un refuge accueillant. Blaise Compaoré, fidèle soutien du criminel de guerre Charles Taylor au Libéria et plus que jamais impliqué dans les trafic d’armes et de diamant avec ce pays, ne portait guère Gbagbo dans son cour. Mais les " preuves " avancée par le pouvoir et les médias ivoiriens ne sont pour l’instant guère convaincantes. Une enquête internationale doit donc être menée rapidement pour confirmer ou infirmer " l’agression extérieure ". Quoi qu’il en soit, cela ne peut justifier les dérives xénophobes actuelles. L’argument est exploité par les médias de la haine pour stigmatiser à nouveau les " étrangers ", pour appeler à l’ expulsion massive des Burkinabés ou au " nettoyage " des quartiers, pour construire davantage le " nous " contre l’" autre ". Et les exactions de l’armée régulière, de la gendarmerie ou des milices du FPI de se multiplier dans les bidonvilles de la capitales ou de Baolé.

La responsabilité des mutins dans la crise actuelle est immense. En cherchant à renverser le pouvoir par les armes, ils ont mis à terre le fragile processus démocratique -élections législatives, municipales, départementales, ces deux dernières ayant été remportées par l’ opposition- et les efforts de réconciliation -mise en place en août dernier d’un gouvernement " d’union nationale ", incluant des ministres RDR et PDCI, en application des recommandations du Forum pour la réconciliation nationale d’automne 2001. Ils ont pris le risque du déclenchement d’une guerre civile et d’une crise régionale majeure. Cette responsabilité est évidente, elle ne peut légitimer les dérives xénophobes.

L’ancienne puissance coloniale dans le bourbier ivoirien

En vertu des accords de défense signés en avril 1961 avec Houphouët-Boigny, dans la plus pure tradition néo-coloniale, Paris dispose à demeure de plusieurs centaines d’hommes en Côte d’Ivoire. Des renforts ont été envoyés sur place, dès le début de la crise, pour permettre l’évacuation des ressortissants occidentaux installés à Bouaké et Korhogo. Depuis, les troupes françaises stationnent à proximité de Yamoussoukro, dernier point d’appui face à la zone contrôlée par les rebelles. Elles se déploient aujourd’hui pour contrôler le cessez-le-feu.

Quel est le mandat militaire de ces soldats ? Le gouvernement français n’est guère explicite sur ce point. Ont-ils Bloqué l’avancée des troupes rebelles comme le prétendent les portes parole des mutins ? Apportent-ils un soutien logistique aux forces gouvernementales en vertu des accords de défense, comme le demande le président ivoirien ? Au contraire, apportent-ils un soutien implicite aux forces rebelles comme le soutien la presse du FPI ?

Les intérêts de la France sont dans ce conflit tellement contradictoires que les intentions de l’ancienne puissance coloniale n ’apparaissent pas clairement. Laurent Gbagbo a fait preuve, depuis son accession au pouvoir, d’une indépendance certaine, susceptible de contrarier nombre d’intérêts économiques hexagonaux. Très proche du Parti socialiste français, il n’est pas particulièrement apprécié dans les cercles chiraquien de la françafrique. De là à penser que la France ne soit pas totalement étrangère aux récents événements...

Pour autant, Paris a tout à perdre à une déstabilisation régionale que ne manquerait pas de provoquer une guerre civile ivoirienne ou une sécession du nord du pays. Et Alassane Ouattara, considéré par une partie des réseaux françafricains comme " l’homme des américains ", n’ est généralement guère apprécié des stratèges parisiens, formatés par le vieux " complexe de Fachoda ". Ils lui préfèrent souvent Koman Bédié...

Que faire avant qu’il ne soit trop tard ?

Nous ne pouvons accepter le lent glissement de la Côte d’Ivoire, à l’ image du Libéria, de la Bosnie ou du Rwanda. Il n’existe pas, en Côte d’Ivoire, un " nord musulman " et un " Sud chrétien et animiste ". Les ethnies et religions y sont tant imbriquées, la propagande raciste a tant pénétré les esprits qu’une guerre civile ou une sécession du nord du pays se traduirait par des massacres et des déplacements de populations à grande échelle. Les pays de la région ne pourraient faire face à des renvois massifs d’" étranger " sans être eux-mêmes profondément déstabilisés.

Nous ne pouvons rester silencieux face à certaines organisations et à certains médias ivoiriens ouvertement xénophobes qui soufflent sur le brasier, accusant pêle-mêle les " étrangers ", les partis d’ opposition, les médias occidentaux et les pays limitrophes, de s’ attaquer au pays.

La confusion qui entoure la crise ivoirienne engendre un terrible sentiment d’impuissance. Il est pourtant possible de proposer quelques pistes d’action et de positionnement pour le mouvement citoyen :

1. En premier lieu, le refus de la banalisation de l’ethnisme et de l ’" ivoirité ", la condamnation de tous discours xénophobes et le soutien aux forces sociales et aux médias qui refusent et combattent le repli identitaire.

2. Soutenir tout ce qui va dans le sens d’une reprise et d’un approfondissement du processus de réconciliation qui doit rassembler, au-delà des partis politiques, l’ensemble des acteurs sociaux (associations, syndicats, etc.).

3. Pas plus en Afrique qu’en Irak, il n’est acceptable qu’une puissance militaire s’érige en gendarme sans un mandat des Nations unies. Le passif politique et militaire de la France en Afrique est suffisamment lourd pour les peuples ne puissent plus lui accorder leur confiance. Le conseil de sécurité doit rapidement être saisi du projet d’intervention d’une force régionale ou internationale d’ interposition, de sécurisation des frontières et de protection des populations -et en premier lieu des populations étrangères ou considérées comme tel. Une mission d’enquête des Nations Unies doit rapidement confirmer ou infirmer l’hypothèse de " l’agression extérieur ".

4. L’Europe peut jouer, directement ou indirectement, un rôle dans la mise en ouvre de cette force internationale. Elle doit surtout mettre en ouvre un soutien massif en accompagnement d’un retour à l’état de droit et d’une relance du processus de réconciliation nationale : respect et protection des minorités, reconstruction des quartiers détruits, réformes législatives garantissant notamment de droit à la terre pour celles et ceux qui la travaillent, condamnation des discours xénophobes, etc.

5. La lutte contre l’impunité est une priorité dans la reconstruction d’un pays libre, démocratique et tolérant. Une commission internationale d’enquête devra faire la lumière sur les violations des droits de l’homme de ces dernières années. Les auteurs de ces exactions doivent être jugés.

6. La communauté internationale doit créer les conditions d’un redémarrage économique du pays et donc les conditions d’une réconciliation durable par l’annulation de la dette extérieure et l’ augmentation de l’aide publique au développement, conditionnée à l’ arrêt des discours xénophobes tenus par des personnalités publiques ou les médias officiels.

Article repris depuis le site du CADTM - Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde


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