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Chili : comment en est-on arrivé à ce point ?

La situation chilienne interroge aujourd’hui pour quiconque connaît le pays et sans doute, pour des millions de Chiliennes et de Chiliens. Non pas sur la situation économique que nous pouvons expliquer assez aisément, et nous y reviendrons, mais sur le rejet de la population à l’égard des Forces Armées et des Carabiniers quant aux multiples exactions dont il se sont rendus coupables dans les trois dernières semaines. Mais pour tenter de le comprendre, il faut se reporter un demi-siècle en arrière.

En 1970, Salvador Allende a été élu Président de la République avec 36,6% des voix contre 35,3% à son adversaire de droite Jorge Alessandri et 28,1% au candidat du parti Démocrate-Chrétien Radomiro Tomic qui, comme il s’y était engagé, a reconnu la légitimité de la victoire d’Allende devant le Congrès. L’ordre constitutionnel était ainsi respecté d’autant plus que, par la voix du Général René Schneider, les Forces Armées s’étaient engagées à respecter le scrutin démocratique malgré les pressions de la CIA et de Nixon. Il lui en coûtera la vie dans une opération menée par la CIA en octobre de la même année.

Il s’ensuit les multiples déstabilisations du régime menées par la CIA qui amèneront au Coup d’Etat de Pinochet le 11 septembre 1973. Il est à noter que ce n’est que la deuxième fois dans l’histoire du pays depuis la déclaration d’indépendance que l’armée intervient en violant la Constitution et l’ordre démocratique.

Alors que l’armée et les carabiniers s’étaient toujours comportés en garants de l’ordre républicain, il se déchaîne alors une frénésie de meurtres, disparitions, tortures, viols, convois de la mort, de multiples exactions auxquelles les Chiliens n’étaient pas coutumiers. La confiance entre le peuple et ses autorités est rompue et elle durera jusqu’à la fin de la dictature en 1990.

Durant cette longue période, les privatisations, l’intervention de Milton Friedman et ses Chicago Boys et l’enrichissement illicite des cadres de l’armée, notamment, s’est poursuivie entraînant la population vers une paupérisation chaque jour croissante.

La colère gronde à l’intérieur mais dans la peur de la répression, elle ne peut pas s’afficher ouvertement jusqu’aux concerts de casseroles qui ont précipité la chute de Pinochet avant le plébiscite de 1988.

Le retour à la « démocratie » avec Patricio Aylwin, qui, comme toute la démocratie-chrétienne, avait soutenu le Coup d’Etat, rétablit un certain climat de confiance entre les citoyens et ses forces de l’ordre qui, soudainement, sont redevenus respectueuses, implacables en cas de délit mais justes et surtout, incorruptibles. Tenter de soudoyer un carabinier, pour le commun des mortels, est le meilleur moyens d’aller droit en prison ce qui entraîne le respect de la population.

Il reste malgré tout des zones de conflit comme chez les Mapuches où la répression n’a jamais cessée, avant, pendant et après la dictature mais il s’agit d’un différend d’une autre nature qui concerne la culture, la langue, les traditions mais aussi l’appropriation des terres qu’ils considèrent, à juste titre, comme un vol.

Néanmoins, la constitution de 1980 de Pinochet est toujours en vigueur et les gouvernements qui se sont succédés n’ont pas pu, ou pas voulu, la modifier en profondeur et n’ont pas pris les mesures radicales qui permettaient d’améliorer considérablement la situation économique de la population. Le mécontentement aujourd’hui s’articule sur deux aspects : le changement constitutionnel qui mettrait un terme définitif à l’ère Pinochet et les réformes économiques en profondeur qui consisteraient en une re-nationalisation de ressources telles que le cuivre, le lithium et le besoin vital qui est l’eau, tout ceci étant passé aux mains d’intérêts privés.

Ces revendications légitimes ont reçu de la part de Piñera un accueil inacceptable puisqu’il a choisi de déclarer, textuellement, la guerre au peuple en entraînant derrière lui les carabiniers et l’armée en nomment un général au poste de ministre de la défense. La guerre a un ennemi puissant, donc le peuple, ce sont ses propres termes !

Ce qui interpelle aujourd’hui est la violence et la cruauté avec lesquelles les forces de l’ordre répriment, non seulement les manifestations mais agressent de simples citoyens qui n’ont pas l’heur de leur plaire. Et pourtant, ce ne sont pas les mêmes qu’il y a presque 50 ans !

Gaz lacrymogènes et tirs de LBD à bout portant, disparitions, viols, meurtres, vols, intimidations, incendies volontaires et calculés, manipulations de l’opinion ! La quantité impressionnante de vidéos amateurs en est la démonstration évidente. Mais comment en sont-ils arrivés à ce point ?

C’est la question que je me pose et, sans doute avec moi beaucoup de Chiliennes et de Chiliens. Comment est-ce possible que des institutions respectées puissent, du jour au lendemain, perdre le contrôle et se livrer à des actes de barbarie de cette nature ?

Cela reste pour moi une énigme à ce jour mais il est certain que la population ne retrouvera pas de si tôt la confiance qu’elle avait dans les forces institutionnelles et la pseudo-démocratie qu’on leur a imposé à travers les personnalités politiques traditionnelles et à laquelle ils ont cru.

Les nombreuses plaintes déposées pour atteinte aux Droits de l’Homme auront-elles un écho devant la justice ? Les organismes internationaux, l’ONU avec Bachelet vont-ils enfin réagir ? Rien n’est moins sûr.

Il n’empêche que les soupçons de torture au métro Baquedano, entre autres, sont bien réelles, que les incendies dans le métro n’ont pas pu être opérés par des manifestants puisque ce qui a servi à les démarrer ne se trouve pas dans le commerce et est uniquement en possession des forces de l’ordre. Il devient difficile de se déplacer en métro et les incendies se sont multipliés envers les pharmacies, les restaurants populaires ou les petits commerces, ce qui exaspère la population. Si une manifestation totalement pacifique est autorisée jusqu’à 19h, les carabiniers sont prêts à procéder à la dispersion à 19h05 avec force gaz lacrymogènes et canons à eau. Au-delà de cette répression féroce, la population peine à s’alimenter. Les prix explosent et les produits alimentaires de première nécessité et les plus populaires comme le pain et le lait ou les fruits et légumes deviennent inabordables. Les beaux quartiers de l’est de la capitale sont, bien entendu, épargnés et c’est comme si l’on vivait dans un autre monde ou à une autre époque.

Plutôt que d’apaiser les esprits, chercher un retour au calme et tandis que 14 carabiniers sont accusés de torture, Piñera envoie une nouvelle fois, ce soir même, mercredi 6 novembre, ses mercenaires cagoulés à l’assaut des manifestants. Le métro est fermé. Le siège de la UDI (droite pinochetiste) est pris d’assaut.

Piñera continue de nier l’évidence et toute responsabilité au nom du maintien de l’ordre et professe des mensonges continuels dans les médias complaisants mais personne n’est dupe. Oser prétendre que les forces de l’ordre n’ont commis aucune faute ou exaction et, qui plus est, déclarer qu’il était partie prenante lors des manifestations est un conte auquel personne ne peut croire !

Pour l’instant, je cherche à comprendre, j’ai mal à mon Chili et je pleure.

Piñera menteur, voleur, assassin, imposteur, démission et nouvelle constitution !

¡ Piñera mentiroso, ladrón, asesino,impostor, dimisión y nueva constitución !

URL de cet article 35393
   
Roger Faligot. La rose et l’edelweiss. Ces ados qui combattaient le nazisme, 1933-1945. Paris : La Découverte, 2009.
Bernard GENSANE
Les guerres exacerbent, révèlent. La Deuxième Guerre mondiale fut, à bien des égards, un ensemble de guerres civiles. Les guerres civiles exacerbent et révèlent atrocement. Ceux qui militent, qui défendent des causes, tombent toujours du côté où ils penchent. Ainsi, le 11 novembre 1940, des lycées parisiens font le coup de poing avec des jeunes fascistes et saccagent les locaux de leur mouvement, Jeune Front et la Garde française. Quelques mois plus tôt, les nervis de Jeune Front avaient (…)
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On l’appelle le "Rêve Américain" parce qu’il faut être endormi pour y croire.

George Carlin

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