Antonio, lecteur, du GS, écrit – et je suis plutôt d’accord avec lui – « Je ne suis pas pour l’ouverture d’un débat sur les corridas ». Pour moi, le débat est clos depuis ce jour de mon adolescence où j’ai été traîné de force à une corrida où officiait El Cordobés, fou et génial en tant que torero, happé par le franquisme, contrairement à Manolete ou Luis Miguel Dominguin. El Cordobés venait d’un milieu très modeste (son père était un ouvrier républicain), les deux autres de familles relativement aisées. Le front renversé dont je reparlerai plus bas.
Par cette démarche nullement « morale » mais politique, je souhaitais interroger, dans les colonnes du Grand Soir qui est, rappelons-le, un “ Site d’Information ”, une liste de signataires. Contrairement à ce que dit un lecteur, nous ne sommes pas en présence d’un « attelage de “ célébrités ” hétérogènes et inconnues ». Ces personnalités sont connues, au minimum dans leur chapelle. Á commencer par Dupont-Moretti, cet avocat qui sauve plus volontiers des humains coupables que des animaux innocents.
J’ai été également interpellé par le fait qu’une bonne minorité de ces esthètes étaient de gauche, comme par exemple Ernest Pignon-Ernest, ancien membre du parti communiste, cégétiste, mélenchoniste ayant appelé à voter pour la liste Brossat lors des dernières élections européennes. Mais, après tout, Picasso assista à de nombreux massacres de taureaux avant de les sublimer sur la toile ou en des sculptures.
Lorsque j’avais une douzaine d’années, je ne m’intéressais guère aux langues. En revanche, je connaissais bien l’abattoir d’Hénin-Liétard où m’emmenait de temps en temps le père d’un copain, boucher de son état. J’y ai assisté, il y a une soixantaine d’années donc, à des scènes insoutenables. Quand je parvenais à demander pourquoi une telle sauvagerie existait, on me répondait – sans tout de même aller jusqu’à évoquer une démarche artistique – qu’on ne pouvait pas faire autrement. De fait, l’horreur était dans le mot : dans un abattoir, on « abat ». L’anglais va encore plus loin avec slaughterhouse : le verbe to slaughter charrie des notions de massacre, de tuerie, de carnage. L’allemand est bien aussi, avec Schlachthof (même origine anglo-saxonne que slaughter), qui évoque des concepts de combat, de bataille, de guerre. Le simple fait de prononcer correctement schlacht vous arrache la gueule, alors que slaughter est presque doux. Quant à la langue espagnole, elle dit tout avec matadero.
Les combats sont parfois menés à front renversé. Je me souviens comme si c’était hier des premières prises de parole, vers 1960, de Brigitte Bardot, alors au faîte de sa gloire, contre la violence infligée aux animaux. D’être déjà bien à droite ne l’empêchait pas de prêcher dans le désert, tout en laissant entendre au public complètement incrédule que ce combat était plus important que sa carrière d’actrice. Je me souviens également très bien des réactions du bon peuple du genre « occupe-toi de tes fesses », « Brigitte, sois belle et tais-toi ». Dans sa lutte, Bardot fut toujours soutenue par Delon et Belmondo. Comme quoi…
Cela dit, Anne Clergue (la fille de Lucien), Charles Berling, Bartabas (qui préfère ses chevaux aux taureaux et aux intermittents du spectacle), François Marthouret, Philippe Caubère, ça fait tout de même mal aux seins, comme on disait quand j’étais gosse.