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De sable et de feu : sous le péplum, la propagande

De sable et de feu, de Souheïl ben Barka, est un objet étonnant : film maroco-italien à gros budget (le plus gros investissement de l’histoire du cinéma marocain), il raconte l’histoire d’un Catalan, officier de la Couronne d’Espagne, Domingo Badia, chargé, vers 1800, de gagner la confiance de l’anglophile Sultan Moulay Slimane, sous le pseudonyme d’Ali Bey, de façon à fomenter, en sous-main, une révolte des tribus, et à le remplacer par un sultan acquis aux intérêts espagnols.

Pourquoi cet intérêt pour un Catalan inconnu au-delà de la Catalogne (il a une rue à Barcelone sous son pseudo d’Ali Bey) ? Derrière le film à grand spectacle, on pressent une entreprise de propagande, même si elle peut paraître, au début, nébuleuse.

Domingo Badia a beaucoup d’atouts en sa faveur : cet espion était aussi un savant, mathématicien et astronome, et un polyglotte, parlant en particulier l’arabe, qui adoptait avec aisance le costume et les manières arabo-musulmans. On pense bien sûr à un Lawrence d’Arabie catalano-marocain, qui poussait encore plus loin le mimétisme orientalisant, puisque, sous le nom d’Ali Bey el-Abbassi, il se faisait passer pour un prince syrien exilé. Il est en outre incarné par un acteur espagnol (Rodolfo Sancho) qui, avec l’aide de somptueux costumes, lui donne toute la prestance voulue. Badia traverse ainsi vingt ans d’histoire des plus agités, de 1798 à 1818 (on peut même assister au Dos de Mayo, immortalisé par le tableau de Goya), toujours possédé par le rêve de devenir sultan et même calife. A ce fil épique, s’ajoute un aspect de romance : à Londres, il tombe amoureux de Lady Hester Stanhope, nièce de William Pitt, elle aussi en proie à un rêve orientalisant, celui de devenir Reine de Palmyre.

Tout cela semble bien rocambolesque, mais, comme on y insiste dans le générique, tous ces faits et personnages ont bien existé. Malgré cela, ce film pourrait n’être qu’un péplum sans intérêt aujourd’hui. Mais pourquoi Mohamed VI se serait-il aussi investi dans le film (outre le financement apporté par le Maroc, le Roi a mis l’armée à la disposition du réalisateur : il a eu besoin de 30 000 figurants, notamment pour les fantasias et batailles) ; de plus, S. ben Barka ne se cache pas d’être un « ami du Roi » : « Nous avons la chance d’avoir un roi qui s’intéresse beaucoup au cinéma et à tous les arts, encore plus que son père », dit-il dans une interview pour Africultures.

La première réponse se trouve dans le portrait que le film fait du Sultan Moulay Slimane : c’est un sage, entouré de la vénération de ses proches et de ses sujets, bienveillant, et fin politicien à la fois ; il accueille Ali Bey comme un fils mais, quand on lui fait remarquer qu’on ne connaît rien de lui, il répond que le mystérieux prince est sous surveillance, et qu’il compte bien s’en servir à l’avantage du Maroc. C’est là que le film se heurte à une contradiction : il sollicite notre empathie à la fois pour le Sultan et pour celui qui se sert de sa confiance pour tenter de le renverser. Mais le film ne s’attache pas à analyser la personnalité des héros, et il se contente d’associer les deux personnages dans un même programme modernisateur : lutte contre les superstitions, grâce à la science européenne (toujours le coup de l’éclipse, déjà prévue par Tintin !), suppression de l’esclavage et reconnaissance de l’égalité de la femme... A ce stade, le film a déjà perdu beaucoup de sa crédibilité : cela sent trop la sempiternelle « ode à la tolérance » dont les médias créditent tous les films qui adoptent le point de vue européen . D’autant plus qu’en même temps (nationalisme marocain oblige ?), le Sultan ne fait pas mystère de son projet de Reconquête de l’Andalousie (pour qui roule donc le film ? Voudrait-il donner raison à la propagande anti-musulmane de la droite ?).
Mais le film ne se contente pas de donner une image idéalisée (par Slimane interposé) de Mohamed VI et de son père (le sinistre Hassan II). Car il est construit sur deux pôles : l’Islam tolérant au Maroc, l’Islam fanatique en Syrie. Il est donc temps de parler de Lady Stanhope, alias Meleki, qui s’est convertie à l’Islam et taillé un petit royaume en Syrie, et est devenue le chef d’une tribu druze, du côté de Palmyre : elle ne respire que châtiments et massacres, et incite ses guerriers à exterminer les tribus mécréantes voisines, et à lui rapporter un maximum de têtes coupées. L’allusion à Daesh semble évidente, Lady Stanhope apparaît comme une pasionaria jihadiste. Mais est-ce bien la cible visée ici ?

Lady Stanhope et ses guerriers sanguinaires représentent seuls le pôle syrien : on a l’impression que la Syrie du début XIXe n’est qu’un ramassis de tribus barbares (comme le Cambodge d’Apocalypse now, où l’homme blanc Kurtz n’a eu aucun mal non plus à se faire obéir et vénérer par une tribu). En outre, les Druzes, chez qui elle s’est installée, sont une branche chiite de l’Islam, comme les Alaouites dont fait partie Bachar el-Assad, qui est aujourd’hui soutenu par les Druzes Syriens.

Lady Stanhope semble donc préfigurer avec ses outrances la caricature que donnent les médias de Bachar el-Assad, « le-tyran-sanguinaire-qui-gaze-et-bombarde-son-peuple ». De sable et de feu sort d’ailleurs en même temps que Sama, un pseudo-documentaire anglais sur la bataille d’Alep, présentée comme un massacre gratuit perpétré par Bachar el-Assad, alors que l’Est de la ville était occupé par les jihadistes qui avaient pris la population en otage (l’empêchant d’utiliser les couloirs humanitaires ouverts par les troupes syro-russes) ; mais la pensée unique feint d’oublier que la Syrie est toujours en état de guerre, et que se battre n’est pas un acte sanguinaire de sa part, mais le seul moyen de se libérer. Ainsi, De sable et de feu pourrait bien apporter sa pierre à la propagande occidentale contre la Syrie.

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