La loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 (1) ne serait que mollement appliquée. Quelquefois, les organisations confessionnelles remettent en cause les programmes de l’Education Nationale. Les assauts répétés contre les enseignements d’histoire et de géographie s’ajoutent aux attaques à l’endroit des sciences jugées trop critiques.
De leurs côtés, les institutions d’Etat ne sont pas en reste. Ainsi, tous les dimanches matin, le service public propose un espace confessionnel à diverses religions ou philosophies déistes. Y-a-t-il de la place pour l’expression athée ou laïque ? En décembre 2007, le président de la République française, Nicolas Sarkozy, se faisait nommer, à Rome, « Chanoine honoraire de Latran ». Il s’en va prier, en la paroisse du Vatican, habillé du manteau de la République française. Le 11 février 2005 Jean Paul II n’affirmait-il pas aux évêques de France que la séparation Eglise-Etat avait été un événement « traumatisant » et « douloureux » (2) ? « Saint » Nicolas viendrait-il combler les espérances papales ? En juin 2012, c’est au tour de François Hollande de trottiner jusqu’au Vatican. Le président est donc aussi proto-chanoine de la cathédrale d’Embrun (Hautes-Alpes) ; chanoine honoraire de la cathédrale de Saint-Jean-de-Maurienne et proto-chanoine de la basilique Notre-Dame de Cléry (Loiret). En juin 2018, c’est le bon Emmanuel Macron qui se fait élire « premier et unique chanoine d’honneur de l’archi-basilique majeure de Saint-Jean-de-Latran ». « Mon émotion est réelle », avait-il déclaré. Quoi d’autres ? Par héritages des Rois de France les voilà encore : chanoines honoraires de Saint-Hilaire de Poitiers, Saint-Julien du Mans, Saint-Martin de Tours, Saint-Maurice d’Angers, Saint-Jean de Lyon, Saint-Étienne de Cahors et Saint-Germain des Prés, à Paris. Et-ce tout ? « Le président de la République française détient en théorie le privilège, quand le nonce apostolique à Paris est nommé cardinal, de lui remettre la barrette cardinalice » (3). Voilà une présidence de proto-chanoines metteur de barrettes.
En mars 2011, juste après les élections d’où se confortent les scores élevés du Front National, le parti de la majorité suggère un débat la laïcité. Après « l’identité nationale » et la « sécurité » l’U.M.P. tente de regagner les électeurs qui ont désertés leur base à travers un thème jugé racoleur. Ce même mois, six leaders religieux [catholiques, protestants, orthodoxes, juifs, musulmans, bouddhistes], s’invitent dans la polémique et publient dans de nombreux quotidiens une tribune où ils affirment la pertinence de la loi de 1905. « La laïcité est un des piliers de notre pacte républicain, un des supports de notre démocratie, un des fondements de notre vouloir vivre ensemble » (4) affirment-ils à l’unisson. Seraient-ils plus laïcs que le président de la République française lui-même ? La C.R.C.F . (5) appelle à l’apaisement et au rassemblement. Mais l’agitation gouvernementale se poursuit. L’ex-conseiller à l’Elysée chargé de la diversité Abderrahmane Dahmane se propose de distribuer des « étoiles vertes » en signe de protestation contre la stigmatisation des musulmans. Il qualifie le débat de « peste pour les musulmans » et Jean-François Copé de « néo-nazi ». François Fillon affirme qu’il ne participera pas aux échanges. Jean-François l’accuse de ne pas « jouer collectif ». Etienne Pinte s’en mêle, il appelle à la démission du secrétaire de l’U.M.P. Le président tente de faire tiers. Brûlant-brûlant. Le débat aura lieu.
De nombreux politiques, y compris de gauche socialiste, s’affichent en faveur du financement des lieux de cultes. Des français de confession musulmane réclament des mosquées. L’absence de formation des imans, les prêches en langues étrangères, tous ces événements les encouragent à soutenir les chemins obscurs des arrières mondes. Ceux qui ont participé à la privatisation des services publics veulent maintenant construire des lieux de cultes avec l’argent public. Est-ce le rôle de l’état que d’aider les communautés religieuses à pratiquer leurs religions ?
Le 6 novembre 2018, le Parti de Gauche s’inquiète de la position du gouvernement envers la loi de 1905. « Après les révélations du Journal du Dimanche, Nicole Belloubet a admis que le gouvernement allait remettre en cause les principes fondamentaux de la loi de 1905 en ouvrant de nouvelles formes de subvention des cultes. Sous prétexte de prendre en compte la religion musulmane, ce sont bien tous les cultes qui vont en bénéficier, ouvrant un nouveau détournement de l’argent public vers l’usage particulier des cultes. Emmanuel Macron donne ici un nouveau signe de son intention de revenir sur la neutralité de l’État. Le projet dévoilé par la presse comprend également une révision de la police des cultes, se traduisant par un traitement plus clément pour les atteintes à la loi commises par des cultes que par le fait de perturber un culte. Là encore le gouvernement entend acheter la paix des communautés religieuses. Le Parti de Gauche condamne ces atteintes à la laïcité : l’État ne doit reconnaître ni subventionner aucun culte. Il participera à toutes les initiatives visant à défendre la loi de 1905, loi de paix, de liberté et d’universalité » (6).
Janvier 2019, la présidence ouvre le débat sur la laïcité. Elle persiste. Elle suggère de réformer la loi de 1905 et de fournir subsides aux associations pour gérer leur lieu de culte. Elle veut réparer « les liens abîmés » entre la France et l’Eglise. Et Jean-Luc Mélenchon de préciser que les liens ne sont pas « abîmés » mais « rompus en 1905 ».
On le remarque, la laïcité s’invite toujours dans l’agora. Faut-il y voir de la part du parti de la majorité présidentielle une stratégie d’instrumentalisation du thème à des fins électoralistes ? Doit-on suspecter un énième rapprochement avec les thèses de l’extrême droite ? La manœuvre est-elle plus complexe ? Les critiques à l’endroit d’un des piliers du vivre ensemble seraient-elles conjoncturelles ou structurelles ? S’agit-il de préparer l’opinion à une modification de la loi de 1905 ?
Un petit détour par l’histoire s’impose.
ELEMENTS D’HISTOIRE
Combien l’histoire compte-t-elle de suppliciés qui sous la pression des dogmes ont été contraints de mettre leur devoir citoyen en réserve ? Impossible d’en constituer la liste et pourtant !
A Athènes, en 432 avant notre ère, le décret des Diopeithes prévoit des poursuites à l’endroit de ceux qui ne croient pas aux dieux reconnus par l’Etat. En 330, l’empereur Constantin fait exécuter les philosophes Nicagoras, Hermogènes, Sopatros, pour sorcellerie. Au XIIIème siècle, le combat contre « l’hérésie cathare » fait rage. La bulle pontificale Ad extirpanda d’Innocent IV, datée de 1252, justifie d’extirper des aveux par la question (7). Aux humiliations publiques s’accompagnent les flagellations, emprisonnements, tortures et bûchers à l’encontre de ceux qui choisissent une autre forme de foi. En 1546, l’imprimeur Etienne Dolet est brûlé à Paris aux motifs de ses opinions jugées hérétiques. Le 24 août 1572, près de 3000 protestants sont assassinés. Ce fanatisme religieux reste dans l’histoire sous le nom de saint Barthélémy. En 1619, le prêtre Vanini accusé de blasphème et d’athéisme, a la langue tranchée et est brûlé à Toulouse en place publique (8) . En 1632, Galilée est contraint de renier à genoux la rotation de la terre. En 1766, Jean-Baptiste Lefèvre dit le Chevalier de la Barre est décapité à l’âge de 20 ans pour ne pas s’être découvert au passage d’une procession.
Henri Pena-Ruiz fait la liste des intellectuels inscrits au catalogue des livres interdits - L’index librorum prohibitorum - : « Dante, Abélard, Descartes, Calvin, Diderot, Bayle, Bacon, Erasme, Galilée, La Fontaine, Lamartine, Kant, Montaigne, Malebranche, Lamennais, Montesquieu, Pascal, Spinoza, Voltaire, Rousseau, Hugo » (9). Le temps passant, la liste frise le ridicule.
Dès 1940, le maréchal Pétain juge l’école laïque responsable de la défaite (10). Pour quelles raisons saugrenues ? Parce qu’elle n’a pu insuffler aux futurs soldats l’esprit de sacrifice. Trop imprégnée des idéaux de la Révolution Française. Trop éloignée des thèses de l’Action française, sans doute. L’école laïque, gratuite et républicaine est trop forte d’intelligence au dépend des « qualités de cœur » et des offrandes divines. Dommageable, dit-il.
Sur l’arbre de la laïcité se projette en rafale le souffle des bigots. Le voit-on vaciller ?
Parfois s’oublie les principes fondamentaux. Parfois s’affirme la nécessité d’armer le peuple contre les rhétoriques bellicistes. Parfois, il apparaît nécessaire de protéger les églises contre elles-mêmes et des désordres sociaux qu’elles génèrent.
Pendant des siècles, de la Saint-Barthélemy à l’affaire Dreyfus, des invasions croisées aux tortures des hérétiques, du bannissement des juifs et des protestants aux musulmans jetés dans la Seine, de Calas à la Seconde Guerre mondiale, notre pays a été en proie à des tensions, des exclusions, des exactions, des déportations au nom de principes idéologiques, politiques et dont le soubassement religieux est omniprésent.
Alors qu’aujourd’hui encore, on peine à rendre soluble le catholicisme dans la laïcité, - combien d’exception à la loi persistent sur le territoire français ? -, d’autres dévots frappent à la porte. Ceux-là voudraient, la bouche pleine de tolérance, que l’Etat consacre ses deniers pour tous à créer des mosquées et autres édifices superfétatoires. Dénier le poids de l’islam en France. Non. Renier l’histoire chrétienne de France. Non pas. Une parenthèse somme toute. Mais en laïciser l’héritage (11), sûrement pas.
Aujourd’hui comme hier, il apparaît nécessaire au citoyen de promouvoir une laïcité parce qu’elle est le principe « organisateur » et « pacificateur » (12) de notre République. Selon l’article 2 de la Constitution de 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » (13). Vous avez dit laïc ? Voyons voir ce que recouvre le terme de laïcité ? Quels sont ses principes et ses exceptions ? Quelles propositions peuvent être mises en place ?
A suivre 2/3 et 3/3
Frédéric VIVAS
Août 2019, Toulouse.