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Vous avez dit laïcité ? Partie II/III : essai de définition et incidences

ESSAI DE DÉFINITION

La laïcité est pour Ferdinand Buisson (1) « un néologisme nécessaire ». Elle serait une exception française que nous serions les seuls à comprendre disent ses détracteurs. Il est des exceptions, comme des révolutions, dont on peut sans rougir soutenir les principes. Pour Jean-Michel Ducomte, c’est même « le résultat d’un combat engagé afin d’affranchir l’homme des contraintes du principe d’autorité ». (2) La laïcité vise à ne pas mettre de « bâillon à l’esprit humain » (3), selon le mot de Victor Hugo à propos de la loi Falloux.

Le terme est à la foi « un terme et un concept »(4). Du grec Laos, « commun, du peuple », il s’oppose à Klêrikos, le clerc. Il signifie « ce qui n’est pas ecclésiastique et appartient au monde profane »(5). D’une manière plus extensive, laïc désigne un peuple unit, indivisible. Pour Alain Rey, le terme de laïciser définit « les processus par lequel les institutions, dont l’enseignement, se sont dégagées, en France, de l’emprise de l’église ».

Pour Jean Jaurès, « Si aujourd’hui, il y a sur le sol de la République des milliers d’écoles où des millions d’enfants sont élevés dans les lumières de la morale naturelle, de la science et de la raison, si au sommet de l’organisation de l’enseignement il y a des universités qui ne sont soumises à la discipline et à la contrainte d’aucune formule de dogme, d’aucune formule de tyrannie, mais qui développent, en pleine liberté, l’action de la pensée et de la science, c’est à l’esprit de la Révolution que ces œuvres appartiennent, c’est de cet esprit qu’elles relèvent et la Révolution, là, n’a pas fait faillite »(6). Pour Jaurès, la laïcité est fille de la Révolution. En 1904, dans un article intitulé L’éducation de laïcité, il affirme même que « laïcité et démocratie sont indivisibles »(7) car la démocratie ne peut assurer son office que dans l’égalité des droits. Pour lui, « la Révolution a laïcisé la patrie » (8).

Si le 3 avril 1871, la Commune de Paris décrète dans son article 1er : « L’Église est séparée de l’État », c’est à la loi du 9 décembre 1905 que l’on doit cette séparation effective ainsi que le principe de libre exercice des cultes. Selon la loi, « Article 1 La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. Article 2 : La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes »(9).

Le 9 décembre 2005, à l’occasion du centenaire de la loi, les représentants de la franc-maçonnerie française (10) s’interrogeaient sur la notion de laïcité et produisent un document commun. « La Laïcité est représentée tantôt comme une philosophie, tantôt comme un pilier de la démocratie, tantôt comme une matrice, tantôt comme un principe de souveraineté, tantôt comme une valeur de la République, tantôt comme un idéal universalisé d’organisation et de justice ». Sans doute ses multiples acceptions ne sont-elles pas contradictoires. Les différentes obédiences maçonniques s’entendaient donc sur une définition commune. « La Laïcité, c’est le fondement de la République ; (...) c’est le socle de la liberté, de l’égalité et de la fraternité ; [elle] est au cœur du vivre ensemble dans la République ; On ne naît pas citoyen, on le devient ; On ne naît pas laïque, on le devient ; La Laïcité, c’est un outil d’émancipation ; (...), c’est une démarche de construction de soi permanente et exigeante ; (...) c’est un outil de la modernité ; [elle] garantit toutes les options philosophiques et religieuses hors toutes contraintes dogmatiques ; (...) c’est le droit à la différence sans différence des droits dans le respect de la personne et de sa dignité ; La Laïcité est l’état idéal d’une société fraternelle où peuvent s’épanouir librement dans l’égalité des chances toutes les différences humaines ; [elle] est une éthique, un humanisme critique, indissociable de la Démocratie ; [elle] n’est pas neutralité, toutes les opinions ne se valent pas ; [elle] n’est pas une opinion, c’est la liberté d’en avoir une ; (...) c’est un outil pour la paix – La Loi de 1905 a permis la paix sociale et religieuse ». Les différentes obédiences affirment la nécessitée de faire vivre la laïcité selon trois impératifs : « Liberté absolue de conscience - Respect de la liberté de culte - Affirmation que la spiritualité n’est pas uniquement religieuse ».

En somme, la laïcité est la garantie pour les citoyens de ne pas vivre sous le diktat d’une idéologie, de ne pas être dans l’obligation de se soumettre à des principes auxquels ils ne croient pas. Cette loi qui s’appuie sur des valeurs profondément républicaines à quelques incidences concrètes.

INCIDENCES DE LA LOI DE 1905

Pour qu’une société fasse société, il convient que ses membres adhèrent aux principes qui la fondent. C’est le principe de l’égalité des droits. Aucun citoyen n’est contraint de marcher aux pas du pouvoir spirituel. Il peut cheminer tête nue, s’exprimer contre le livre, sans craindre la sharia ou la lapidation. Parfois sans tiers laïc, la loi passe sous domination religieuse. Elle devient la loi du père et du grand-frère. La loi des hommes contre les femmes. Un foulard cache le regard. De ce point de vue, la laïcité est une émancipation.

Universalité contre communautarisme

Le principe d’universalité prévaut sur les dérives communautaristes (11). La laïcité favorise l’unification des différences au sein de la communauté nationale. La République n’est pas un construit de différents entre-soi, une accumulation de différences aux desseins incompatibles. Que l’on soit athée, agnostique, monothéiste, polythéiste, que l’on croit aux êtres les plus farfelus, aux choses les plus improbables, chacun a droit à l’exercice de sa liberté de conscience. « Je consens que ceux qui le veulent, meurent pour ce qu’ils croient être leur bien, pourvu qu’il me soit permis à moi de vivre pour la vérité », affirme Spinoza (12) . Les aides en direction des plus démunies ne sont plus uniquement conditionnées à la croyance. Nels Anderson montre dans sa Sociologie du sans-abri combien les soupes populaires distribuées par les missions de Chicago des années 1920 servaient « d’appât pour inciter les hommes à se convertir »(13) La laïcité n’est pas le contraire de la religion, elle s’élève « au-dessus de leurs particularismes »(14). Vue sous cet angle, la laïcité apparaît comme une sorte de transcendance.

Primat du droit public

Ainsi donc, le droit canon n’entre pas en collision avec le droit public. C’est ce dernier qui prime. En pays laïc, les mises à l’index, les fatwas et les hostilités aux motifs obscurément déistes ne sont pas constitutionnelles. Du reste, l’église catholique n’a plus à subir la charge des actes marquant la vie civile. C’est maintenant à l’état de reconnaître le mariage, d’éduquer son peuple, de soutenir les plus pauvres. L’expression « mariage à l’église » est une torsion de sens puisque légalement aucun mariage dans les lieux de culte n’est contractualisé. La République s’honorerait de la mise en place d’un rituel laïc républicain pour les trépassés. Il est temps de mettre en place la gratuité d’un service public destiné à honorer les citoyens défunts.

Subvention du culte

La subvention des cultes est prohibée à l’exception des édifices antérieurs à la loi, selon le principe de non-rétroactivité. Ce n’est pas parce que la religion catholique a été très présente au cours de l’histoire et que la religion musulmane s’affirme aujourd’hui que les citoyens ont des devoirs envers elles : l’argument de fait n’est pas un argument de droit. Sinon perdurerait encore dans la terre de France l’esclavage... Sinon le machisme serait justifiable au nom de la coutume. Les financements de la République valent pour tout le monde et pas uniquement pour ceux qui croient. La République est dans son essence, au service de l’intérêt général et non soumise au diktat des intérêts corporatistes, communautaires et/ou particuliers. Il est temps de remettre en cause le régime de concordat et d’arrêter la fumisterie des célébrations de Latran.

Laïcisation de l’enseignement

La loi de 1905 nous invite à penser que les institutions ecclésiales, spirituelles, confessionnelles ont une place secondaire au regard des institutions, en matière d’éducation, de culture, de santé... Ce n’est pas à l’église de construire les programmes d’histoire. Les instituteurs n’ont plus à posséder un certificat d’instruction religieuse (15). L’instruction civique doit remplacer l’instruction religieuse partout où prime cette dernière. France peut former les hommes au lieu de leurs forger l’âme. L’Église doit être placée hors de l’État, c’est sa place. Pour Jean Jaurès, l’on ne doit pas inféoder l’enseignement au pouvoir religieux. Laïcité et progrès social sont indissolubles.

Contre les dérives sectaires

Aujourd’hui, si l’on pense à l’interdiction de l’avortement, au mariage gay, de la pilule, au refus de soin, aux prescriptions les plus absurdes telles que l’interdiction de transfusion sanguine, à l’injonction de ne pas se soumettre à un examen gynécologique, la loi de séparation n’apparait pas comme un luxe c’est comme une nécessité. Une nécessité vitale. Aujourd’hui encore, les décisions de justice font le lit d’une jurisprudence qui peut apparaître comme liberticide.

Liberté de conscience

En République laïque l’option spirituelle est choisie et privée. « Je veux l’église chez elle et l’Etat chez lui » disait Victor Hugo en 1850. Pour elle, lieu de vérités avérées ou de fadaises, l’espace de l’intime. Pour lui, l’État garant des différences, l’espace collectif. C’est le principe de la liberté de conscience, de l’égalité des cultes, de la fraternité du vivre ensemble. Ici se lit la soustraction de l’espace publique du choix confessionnel. « La Laïcité n’est pas une opinion, c’est la liberté d’en avoir une. C’est la liberté de croire et de ne pas croire » (16). Les athées ont la possibilité de se mouvoir dans un espace public qui n’est pas phagocyté par les croyants et les croyances. Actuellement, selon les instituts de sondages, plus de la moitié des français affirment ne pas croire en un Dieu. Pour les autres, les dieux auxquels ils croient ne se ressemblent guère. Leurs croyances différent, leurs référents aussi, leurs dogmes et leurs rituels. Qu’ils s’arrangent comme ils l’entendent avec la diversité de leur divin pourvu qu’il soit permis de vivre, d’en rire, d’en faire critique.

La neutralité laïque

L’idéal laïc tente d’atteindre la neutralité. Neuter, veut dire ni l’un, ni l’autre. Ceux qui m’opposeront que cet article apparaît à leurs yeux comme peu respectueux des principes laïques, remarqueront sans doute combien il l’est dans son essence. Laïque ne veut pas dire que les opinions divergentes ne doivent pas s’exprimer. Il ne s’agit pas d’opposer à la vérité un relativisme mollasson. Il s’agit d’opposer à l’immobilité théocratique qui fétichise les dogmes la mise en mouvement des opinions plurielles. On aurait tort de croire que la laïcité met un frein à la prégnance du religieux dans les actes, dans les consciences. La neutralité laïque vaut pour les administrations publiques, l’école, l’hôpital, les ministères, bref pour les Institutions. C’est la République qui doit être laïque. Les citoyens ont le droit de croire. Les citoyens sont libres d’exercer comme bon leur semble leurs opinions. On aurait tort de penser à l’image de Michel Onfray que la laïcité porterait comme principe : « tous les discours se valent » (17). Il s’agit là encore, d’une de ces multiples caricatures dont il est coutumier (18). Au pays de la laïcité, le vrai n’égale le faux, la magie la science, l’erreur la vérité.

L’instruction religieuse relève de la famille et l’instruction morale et civique de l’école affirmait Jules Ferry (19). Pour lui, il convenait de distinguer le domaine des croyances libres et variables et le domaine des connaissances, communes et indispensables. Là, il ne s’agit pas, sous prétextes de neutralité, de promouvoir l’insignifiance. Que l’homme se leurre, s’embourbe dans les faussetés, c’est son affaire. Charge à l’État de former ses citoyens. Charge à la République de garder le cap laïc dans la tourmente des illusions.

En 1910, Jean Jaurès cite Proudhon, qu’il qualifie de « grand libéral » et de « grand socialiste ». Allons, quoi donc ? « Proudhon l’a dit avec force : l’enfant a le droit d’être éclairé par tous les rayons qui viennent de tous les côtés de l’horizon, et la fonction de l’Etat, c’est d’empêcher l’interception d’une partie de ces rayons » (20)

Une place pour l’autre

Pour Henri Pena-Ruiz, « La république laïque ne dit pas à ceux qu’elle intègre « renoncez à votre culture pour vous soumettre à une autre culture », mais « soyez bienvenus dans un pays où la laïcité s’efforce de tenir à distance toute idéologie particulière, religieuse ou athée, qui voudrait s’imposer à vous » (21). Mais ces raisons me conduisent à penser que la loi de 1905 est donc un pilier du pacte républicain. Certains y voient même un des éléments constitutifs de la République même.

Vous avez dit laïcs ? Mais n’y a-t-il pas des exceptions aux pays de Voltaire et de Rousseau ?

A suivre 3/3

1. Il participe à promouvoir, avec Jules Ferry, la laïcisation de l’enseignement.
2. Jean-Michel Ducomte, La Laïcité, Paris, Milan, 2001.
3. Selon le mot de Victor Hugo à propos de la loi Falloux de 1850.
4. Jean-Michel Ducomte, La Laïcité, Paris, Milan, 2001.
5. Alain Rey (sous la dir. de), Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Robert, 2004.
6. Jean Jaurès, « L’état laïc enseignant » (1904), in Rallumer tous les soleils, Paris, Omnibus, 2006.
7. Jean Jaurès, « L’éducation de laïcité » (1904), in Rallumer tous les soleils, Paris, Omnibus, 2006.
8. Jean Jaurès, « Pour la laïque » (1910), in Rallumer tous les soleils, Paris, Omnibus, 2006.
9. Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État.
10. Grand Orient de France, Fédération Française du Droit Humain, Grande Loge de France, Grande Loge Traditionnelle et Symbolique Opéra, Grande Loge Féminine de France, Loge Nationale Française, Grande Loge Féminine Memphis Misraïm, Grande Loge Mixte Universelle, Grande Loge Mixte de France.
11. Henri Pena-Ruiz, Qu’est-ce que la laïcité ?, Paris, Gallimard, 2003.
12. B. Mercier, site internet « Spinoza et nous ».
13. Nels Anderson, Le Hobo, sociologie du sans-abri, Paris, Mathan, 1993.
14. Henri Pena-Ruiz, Qu’est-ce que la laïcité ?, Paris, Gallimard, 2003.
15. Conformément à l’abrogation de la loi du 8 avril 1824.
16. Collectif, La Maçonnerie française, Les chantiers de la laïcité, 9 décembre 2005.
17. Michel Onfray, Traité d’athéologie, Paris, Grasset, 2005.
18. Michel Onfray, Le crépuscule d’une idole, l’affabulation freudienne, Paris, Grasset, 2010.
19. Jules Ferry, Lettre aux instituteurs, 17 novembre 1883.
20. Jean Jaurès, « Pour la laïque » (1910), in Rallumer tous les soleils, Paris, Omnibus, 2006.
21. Henri Pena-Ruiz, Qu’est-ce que la laïcité ?, Paris, Gallimard, 2003.


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