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Alain Juppé au Conseil Constitutionnel : la Vème République dans tout son éclat

Quel triste sire ! D’ailleurs, l’a-t-on déjà vu rigoler un bon coup ? Il aura été le plus fidèle des Chiraquiens. Normal : comme son modèle, il n’aura cessé de fluctuer, de changer d’avis. Sur le capitalisme, le gaullisme, la place des femmes dans la politique, le mariage pour les homosexuels, l’islam, l’immigration, le Front national. Il a même voté Krivine en 1969, trouvant que Pompidou « manquait de punch ». Il s’est défini comme « catholique agnostique ». Lors de la guerre fratricide Chirac-Balladur, il s’est dit fidèle à Balladur tout en soutenant Chirac (ou l’inverse, quelle importance !). Va comprendre, Charles ! Il ne fut en vérité – contrairement à une proclamation bravache – jamais « droit dans se bottes ». Mais toujours, globalement, de droite, comme le sera son ralliement à Macron après avoir quitté une famille politique qui l’avait accompagné pendant des dizaines d’années.

Il vient d’intégrer le Conseil constitutionnel, nommé par Richard Ferrand, l’une des consciences noires du macronisme. Quoi qu’il en ait, ce Conseil n’est pas, comme il le laisse proclamer, une assemblée de “Sages ”. C’est l’ordonnateur des pratiques politiques de droite, et aujourd’hui le rempart ultime du capitalisme financier et de son idéologie. Normal qu’y jouent aujourd’hui un rôle prépondérant deux socialistes de droite, immenses privatiseurs, fossoyeurs de l’intérêt public : Laurent Fabius et Lionel Jospin. La plupart des membres du Conseil sont d’anciens hauts dirigeants politiques qui ne sauraient renier leurs couleurs quand ils sont nommés vers 60 ou 70 ans. C’est ainsi que lors des nationalisations dans les années 80, le Conseil a nettement penché en faveur des intérêts privés en exigeant de l’État de considérables compensations financières.

Contrairement à ce que serine Mélenchon, l’opposition droite-gauche existe toujours. La droite, celle de Macron ou de Wauquier, a pour objectif de donner toujours plus aux favorisés (ah, le CICE cher à Hollande !), de privatiser les services publics, d’affaiblir les protections sociales et les libertés individuelles ou collectives quitte à criminaliser l’action syndicale. Juppé, comme ses nouveaux collègues du Conseil constitutionnel, est là dans son bain préféré.

Nous voici donc avec un repris de justice (mais que faites-vous du droit à l’oubli, ben voyons…) dans la plus haute instance juridique de France. Il y respirera un air plus confiné mais plus serein que celui de sa (sic car Juppé est landais et non bordelais) bonne ville de Bordeaux où les Gilets jaunes ont semé quelques pagailles inadmissibles pour cet homme d’ordre. Juppé peut être considéré comme l’un des principaux responsables de ces jacqueries, lui qui a accompagné le désengagement de l’État sous Chirac pour privatiser encore et toujours et pour détruire l’État-Providence. Comme Chirac, Juppé se rallia aux idéologues d’extrême droite du type Longuet ou Madelin pour donner TF1 au privé et pour mettre en œuvre des réformes des retraites et de la sécurité sociale en opposition avec les principes nés à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. On notera qu’au moment précis où il organisait le chargement de la barque pour les retraités, il se dépêchait de prendre la sienne, tout à fait légalement, à 57 ans.

Ministre délégué au Budget auprès d’Édouard Balladur de 1986 à 1988, Juppé organise une baisse drastique de la fiscalité pour les riches, comme la suppression de l’impôt sur les grandes fortunes, le relèvement du seuil d’exonération de l’impôt sur le revenu et la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés de 50 à 42% (hé oui, il fut un temps, pas si éloigné que cela à échelle historique, où les sociétés payaient 50% d’impôts sur leurs bénéfices). Dans la foulée, Juppé abolit la taxe sur les frais généraux et adoucit un certain nombre de sanctions fiscales : la durée des vérifications par l’administration est réduite et la charge de la preuve n’incombe plus aux contribuables. Tout cela pour « donner du pouvoir d’achat aux ménages », on l’aura deviné.

Lorsque, de 1995 à 1997, Juppé dirige deux gouvernements, il fait d’abord djeuns, moderne. Il nomme douze femmes dans son gouvernement, que les médias, toujours férus de raccourcis accrocheurs et sexistes appelleront les « Jupettes » (La presse nomma également “ jupette ” le dispositif de prime à la casse mis en place par le gouvernement). Il profite d’un remaniement pour en virer huit après six mois d’exercice.

En 1995, le “ Plan Juppé ” de réforme (sic) de la sécurité sociale prévoit, entre autres, un allongement de la durée de cotisation de 37,5 annuités à 40 pour les salariés de la fonction publique, des sanctions contre les médecins trop prescripteurs, une diminution des médicaments remboursables et l’imposition des allocations familiales versées aux familles avec enfants les plus démunies, une augmentation des cotisations maladie pour les chômeurs. Il s’agit de respecter les critères de Maastricht. Mais oui, bien sûr ! Ce plan suscite une mobilisation exceptionnelle malgré le soutien de la CFDT. Des grèves dures le font céder sur l’extension des mesures décidées par Balladur en 1993 concernant l’alignement des régimes publics sur le secteur privé.

Avant Jospin, Juppé sera un grand privatiseur : Péchiney, Usinor, la Banque française du commerce extérieur, la Compagnie générale maritime, les Assurances générales de France. Ces bijoux de famille sont vendus pour 40 milliards de francs. Mais l’envol du bel échassier landais va être plombé par quelques scandales typiques de la Chiraquie. En janvier 1993, Juppé, premier ministre, donne l’ordre aux services du logement de la ville de Paris de diminuer de 1 000 francs le loyer de son fils, logé dans un appartement de la ville. Il fait par ailleurs réaliser dans cet appartement pour près de 400 000 francs de travaux. Bien que le délit d’ingérence soit constitué, la Justice ne poursuit pas. Lui-même était devenu locataire, pour un loyer très bas, d’un appartement de 189 m2 rue Jacob. Il avait fait réaliser, aux frais des contribuables, des travaux pour un million de francs. Suite au ramdam occasionné par ces magouilles, et bien que « droit dans ses bottes », il eût quitté le logement. Une plainte avait été déposée par Arnaud Montebourg et une association de contribuables. Le procureur de la République avait considéré que le délit de prise illégale d’intérêts était établi mais le procureur général près la cour d’appel, Jean-François Burgelin, magistrat marqué nettement à droite qui voudra plus tard supprimer les juges d’instruction, affirma que l’infraction n’était pas constituée.

Le futur “ Sage ” n’en resta pas là. En 1999, il est mis en examen pour « abus de confiance, recel d’abus de biens sociaux, et prise illégale d’intérêt » pour des faits commis en tant que secrétaire général du RPR et maire adjoint de Paris aux finances, de 1983 à 1995. La Justice le considère comme la cheville ouvrière d’un système de financement d’emplois au sein du RPR financés par la ville de Paris. Le 30 janvier 2004, Juppé est condamné par le tribunal de Nanterre à 18 mois de prison avec sursis et dix ans d’inéligibilité, ce qui n’est pas rien. La présidente du tribunal exige l’inscription de cette condamnation à son casier judiciaire. Un appel immédiat suspend l’application de la peine. Plus clémente, la cour d’appel de Versailles réduit la condamnation à 14 mois de prison avec sursis et un an d’inéligibilité alors que le parquet avait préconisé deux ans. Pour ce faire (Wikipédia), la cour d’appel : « déroge à une loi votée en 1995 par la majorité RPR-UDF ayant conduit à une lourde condamnation d’Alain Juppé en première instance : de façon inédite, la cour d’appel n’applique pas cette automaticité légale et fixe elle-même la durée de l’inéligibilité en faisant usage de l’article 432-17 du code pénal relatif aux peines complémentaires. Elle indique notamment : « Il est regrettable qu’au moment où le législateur prenait conscience de la nécessité de mettre fin à des pratiques délictueuses qui existaient à l’occasion du financement des partis politiques, M. Juppé n’ait pas appliqué à son propre parti les règles qu’il avait votées au Parlement. Il est également regrettable que M. Juppé, dont les qualités intellectuelles sont unanimement reconnues, n’ait pas cru devoir assumer devant la justice l’ensemble de ses responsabilités pénales et ait maintenu la négation de faits avérés. Toutefois, M. Juppé s’est consacré pendant de nombreuses années au service de l’État, n’a tiré aucun enrichissement personnel de ces infractions commises au bénéfice de l’ensemble des membres de son parti, dont il ne doit pas être le bouc émissaire. »

Mais Alain Juppé se sent indispensable, partout et tout le temps. En 2005, il tente d’occuper un poste à l’université du Québec à Montréal, comme l’avait fait avant lui Philippe Séguin. Le personnel et les étudiants s’y opposent. Il parvient néanmoins à intégrer pour un an l’École nationale d’administration publique de la ville malgré l’opposition de 34 professeurs d’université du Québec et d’Ottawa qui, s’étonnant que l’on puisse recruter un homme politique condamné à une peine de prison, avaient publié une lettre ouverte dans Le Devoir : “ Quand l’éthique fout le camp ”.

On dira, à juste titre, que Juppé a beaucoup fait pour la ville de Bordeaux. Mais avec la nomination au Conseil constitutionnel, nous ne sommes pas dans le domaine de la voirie et des ravalements de façade. Nous sommes dans celui des grands principes, de l’éthique, comme disaient les Canadiens.

Cette nomination est un geste particulièrement habile : Juppé est le débiteur du banquier éborgneur qui l’a absout.

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