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Emmanuel Macron présente ses voeux aux Français.

Une injonction au consentement (1)

Emmanuel Macron a été élu aux limites de ce qu’autorisent les principes de la démocratie incarnée dans la Constitution de la Vème République : par moins du quart des électeurs au premier tour [2] et par défaut au second face à Marine Le Pen [3]

Taillé à sa mesure, le costume du Général s’est révélé à l’évidence trop grand pour ses successeurs heureux néanmoins de jouir des pouvoirs qui leur ont été conférés (y compris ceux qui ont combattu sa Constitution), sans réussir à se placer à la hauteur de ce que ces pouvoirs exigeaient.

A peine plus d’an an après son arrivée à l’Elysée, rivalisant en cela avec ses deux précédents locataires, E. Macron bat des records d’impopularité.

Beaucoup de pouvoirs, beaucoup de promesses, très peu de résultats. Une détérioration continue de l’état de la France et des Français.

Des décennies d’abus de confiance.

Contesté ad hominem dans la rue, le président ne sait quelle attitude observer. Début décembre, il avait joué la carte de la commisération, de l’empathie et de la contrition.

Ses voeux de fin d’année, eux, se sont placés sous le signe de l’autorité, voire de l’autocratie. Son message, en substance, est aussi clair que péremptoire : « la réalité s’impose à nous et nous devons nous y soumettre. Je suis garant de cette soumission et je dispose des moyens constitutionnels pour qu’il en soit ainsi »

« L’ordre républicain, avertit-il péremptoire, sera assuré sans complaisance car j’attends de chacun ce respect indispensable à la vie en société. »

De la « réalité ».

Droit comme un « I », vertical comme le « Jupiter » d’un Olympe bricolé par des spin-doctors qui n’ont pas peur du ridicule, E. Macron a appelé lundi soir, à l’occasion des ses voeux pour 2019, les Français à accepter « la réalité ».

Sentencieux, il assène : « Depuis des années nous nous sommes installés dans un déni parfois flagrant de réalité : (...) Il faut que nous nous regardions tels que nous sommes et que nous acceptions en face les réalités ».

Le président français se trompe de République et se trompe d’histoire.

Au reste, cela n’est pas propre à la France.

Les peuples se sont toujours affranchis des contraintes de la « réalité » et des « lois naturelles » qui gouvernent leur asservissement. Ils se défont des professionnels qui prêchent le « réalisme » et le « pragmatisme » destiné à maintenir et à consolider un ordre garant de leur subordination.

« Le déni de réalité » n’est pas une tare, un fourvoiement qui les empêcheraient de « regarder la réalité en face ».

C’est la vertu cardinale des peuples libres. Une apparente déraison qui affranchit les hommes, par-delà l’objectivité des limites.

De la démocratie.

« Le peuple est souverain, il s’exprime lors des élections, il y choisit des représentants qui font la loi. Précisément parce que nous sommes un Etat de droit », exhorte le président.

Le président français fait là une lecture restrictive de la Constitution, en sa lettre et en son esprit.

La réduction de la démocratie à des procédures électorales revient à dire aux citoyens :

« Tous les cinq ans vous élisez vos représentants. Et, entre-temps, vous les laissez gouverner sans intervenir, sans les contredire, sans le contester. Libre à vous d’en choisir d’autres à l’issue de leur mandat. »

Dégrader le citoyen en électeur d’un tour de scrutin, un bulletin à la main, est une conception technocratique d’une démocratie dévoyée, transformée en spectacle tel qu’on peut l’observer dans de nombreux pays, tels les Etats-Unis, sous le contrôle de donneurs d’ordres occultes. Dans une succession à l’infini d’alternances sans alternatives.

Il faut plus qu’une urne pour légitimer un Président et une Assemblée.

Tous les régimes qui l’ont ignoré ont entraîné leur pays dans de très graves désordres.

Fustigeant les « porte-voix d’une foule haineuse », E. Macron fait mine de ne pas apercevoir :

1.- La profonde et croissante impopularité qui est la sienne, au point qu’il n’ose plus se mêler au public.

2.- Le soutien majoritaire que les « Gilets Jaunes », mouvement transpartisan insaisissable, échappant à toute manipulation, trouvent peu ou prou auprès des Français.

« Liberté, égalité, fraternité. »

Ce n’est pas un hasard, comme fréquemment dans l’histoire, que la contestation se soit dressée contre l’iniquité fiscale.

Une nation capable de lever l’impôt affiche souveraineté, puissance et promesse d’équité.

Et il ne peut y avoir de liberté sans justice.

L’impôt est par excellence la machine à corriger les inégalités et à instiller la paix dans le corps politique. Avec l’égalité en droit, l’ascenseur social libéral appuyé sur les transferts est garant de l’égalité sociale et économique des citoyens. C’est son avènement qui est à l’origine de la rupture avec l’Ancien Régime. Que faire d’une liberté sans équité et sans égalité ?

Or, moins d’un quart des recettes de l’Etat français est progressif.

Les Français ont subi un sévère transfert de fiscalité public-privé qui s’est ajouté à la collectivisation des pertes enregistrées par le système bancaire lors de la crise financière de 2008.

De plus, une des premières mesures de la réforme des impôts prélevés à la source est la privatisation de leur levée, privilège jusque-là réservé à la seule puissance publique.

La tactique (dilatoire) que propose le président à ses concitoyens ne trompe personne. D’un côté débattre et bavarder, de l’autre l’affirmation orthogonale d’un cap inamovible.

Les semaines et mois qui viennent diront ce qu’il en est de l’état et de la stabilité de la France, dans un monde où est érodé plus de deux siècles de progrès social et économique.

Et cela commencera par la découverte par les contribuables de leur fiche de paie à la fin de ce mois de janvier. Epreuve redoutable à laquelle se prépare un pouvoir qui est remis en cause à la vitesse à laquelle il a précipité son pays dans un rapide train de « réformes » dont les Français ont peu à peu pris conscience de ce qu’elles impliquaient.

Et annonce de surcroît continuer au même rythme sur des sujets socialement explosifs.

Le calcul de E. Macron est transparent, le même que celui de ses prédécesseurs depuis F. Mitterrand. Tant que son seul adversaire sérieux demeure le Rassemblement National (RN, ex-Front National), sa réélection est assurée au second tour.

Ce calcul est à courte vue.

La politique menée aujourd’hui est suicidaire : les uns après les autres, les pays de l’Union connaissent un déplacement de leur centre de gravité politique vers la droite extrême. [4] Certains n’hésitent plus à comparer l’état actuel de l’Europe à ce qu’il en fut entre les deux guerres.

En 2017 déjà, Marine Le Pen était arrivée en tête dans 19 000 communes sur 36 000.

Sur la base des sondages qui confirment, les uns après les autres, l’audience croissante de ce parti, comment demeurer arc-bouté sur des règles constitutionnelles qui continueraient à exclure un mouvement politique en tête des scrutins sans mettre en péril la stabilité du corps social et des institutions ?

Après avoir écarté Florian Philippot, le RN, désormais favorable à l’Union, esquisse sans relâche (malgré les limites de l’accord trouvé avec Nicolas Dupont-Aignan) de nouvelles alliances avec la droite pour enfin devenir fréquentable. L’« endiguement » actuel montre des signes de fragilité et si une configuration à l’italienne ne semble pas envisageable en France, une reconstruction de la droite avec le RN à l’autrichienne n’est pas inimaginable.

En Amérique Latine les militaires d’extrême droite n’improvisent plus de coups d’Etat. Ils parviennent au pouvoir par les urnes, comme aujourd’hui au Brésil. Cela, à la totale satisfaction de la Maison Blanche et des transnationales pressées de reprendre l’exploitation intensive des richesses du continent, comme au bon vieux temps de la Doctrine Monroe.

On peut, en ces circonstances, se demander si le Président français et ses conseillers ne jouent pas aux apprentis sorciers, ne se trompent pas de stratégie et ne semblent pas le cul-de-sac dans lequel ils persistent à engager leur pays. Avec un illusoire espoir d’usure in fine des mouvements sociaux contestataires.

« On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré. » Albert Einstein.

Abdelhak BENELHADJ  

[1] Cf. Chomsky Noam, Herman Edward (2002) : La fabrication du consentement. De la propagande médiatique en démocratie. Trad. Ed. Contre-feu Agone 2009, 669 p.

[2] 24.01% des suffrages exprimés et seulement 18.2% des inscrits.

[3] 56% contre 44 pour son adversaire, avec un taux de participation record de 38% des inscrits. Cela donne à E. Macron les deux tiers d’une Assemblée (350/577) disposée à voter ses lois.

[4] Avec un constat sans appel : un Européen sur quatre vote « populiste » en 2018. Soit 25% de la population de toute l’Union contre 7% il y a 20 ans (Le Point, mardi 20 novembre 2018).

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Depuis 1974 en France, à l’époque du serpent monétaire européen, l’État - et c’est pareil dans les autres pays européens - s’est interdit à lui-même d’emprunter auprès de sa banque centrale et il s’est donc lui-même privé de la création monétaire. Donc, l’État (c’est-à -dire nous tous !) s’oblige à emprunter auprès d’acteurs privés, à qui il doit donc payer des intérêts, et cela rend évidemment tout beaucoup plus cher.

On ne l’a dit pas clairement : on a dit qu’il y avait désormais interdiction d’emprunter à la Banque centrale, ce qui n’est pas honnête, pas clair, et ne permet pas aux gens de comprendre. Si l’article 104, disait « Les États ne peuvent plus créer la monnaie, maintenant ils doivent l’emprunter auprès des acteurs privés en leur payant un intérêt ruineux qui rend tous les investissements publics hors de prix mais qui fait aussi le grand bonheur des riches rentiers », il y aurait eu une révolution.

Ce hold-up scandaleux coûte à la France environ 80 milliards par an et nous ruine année après année. Ce sujet devrait être au coeur de tout. Au lieu de cela, personne n’en parle.

Etienne Chouard

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