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Quel nouveau monde ?

Dans un article paru sur RT, le 21 décembre 1018, intitulé : « Comment Mao aurait-il analysé le mouvement des Gilets jaunes ?  », Slavoj Zizek estime qu’il s’agit d’une situation exceptionnelle qui exige une réponse exceptionnelle. Ce que Zizek préconise c’est, en fait, ce que Watzlawick appelle un changement de niveau même si, lui, Zizek, ne le nomme pas ainsi. Il en donne deux exemples. D’abord Ford dont il cite un commentaire sur la voiture qu’il avait construite : « Si j’avais demandé aux gens ce qu’ils voulaient, ils m’auraient dit un meilleur cheval pour tirer ma carriole » ; et Steve Jobs : « Quand on lui a demandé quelle était la part des consommateurs dans Apple, Jobs a répliqué : « Ce n’est pas à nos clients de dire ce qu’ils veulent… c’est à nous de leur montrer ce qu’ils veulent »

Et Slavoj Zizek conclut : « C’est comme cela que fonctionne un vrai maître. Il n’essaie pas de deviner ce que les gens veulent, il suit sa propre voie et c’est aux gens de décider si ce qu’il fait leur convient ou pas. En d’autres termes, sa force et son influence proviennent de sa fidélité à sa propre vision, de son refus des compromissions.

C’est exactement ce type de leader politique dont on aurait besoin aujourd’hui. Les manifestants en France veulent un meilleur cheval (plus fort et moins cher) – en l’occurrence, ironiquement, de l’essence moins chère pour leurs voitures.

Il faut leur donner une vision d’une société dans laquelle le prix de l’essence n’a plus d’importance, tout comme, lorsque la voiture est apparue, le prix de l’entretien d’un cheval n’en a plus eu.  »

Il existe des projets de société alternatifs au capitalisme, clé en main, où le prix de l’essence ne serait plus un problème, des projets élaborés dans le but d’éradiquer les trois I : l’Indigence, les Inégalités et l’Injustice* sociale, entre autres infamies. Mon préféré est celui de Bernard Friot que plusieurs associations promeuvent. Mais est-ce cela que les Gilets jaunes (et le peuple qui les soutient) veulent ? Ne préfèrent-ils pas la bâtir ensemble cette société soucieuse du bien commun ?

En tout cas, une chose est sure, les Gilets jaunes ont opéré un changement de niveau dans la lutte sociale. Cela faisait des années que les syndicats se heurtaient à la totale indifférence des pouvoirs publics en faisant toujours plus de la même chose. Les Gilets jaunes sont arrivés et ont changé la donne. Ils ont surpris tout le monde en adoptant une stratégie inattendue : les ronds-points, les Champs-Elysées, le leurre du RV au château de Versailles le 22/12/2018 pour finalement se retrouver à Montmartre, tout cela avec l’appui de 70% de la population, autant de coups de maître que le pouvoir n’est pas prêt à leur pardonner. Ils ont réussi à faire bouger les lignes. Le pouvoir est déstabilisé, mais loin d’être abattu. Le mouvement en a bien conscience puisqu’il reste sur les ronds-points et réclame le RIC. Réussira-t-il à fédérer assez de forces pour reprendre une partie du pouvoir que l’oligarchie nous a confisqué ? L’avenir nous le dira.

Le système capitaliste est récent dans l’histoire de l’humanité. Il est né à la Renaissance, et c’était un vrai changement de niveau par rapport au système féodal, basé sur la propriété de la terre et les liens de réciprocité. Le Moyen-Age est vilipendé et calomnié** depuis la Renaissance, mais la société médiévale était bien plus saine et plus humaine que la société capitaliste. J’aime aussi les sociétés antérieures à l’âge de fer, égalitaires et basées sur la coopération, le partage, la gratitude et le respect des autres et de la nature (chez les Navajos par exemple, être plus riches que les autres est mal vu, et être assoiffé de richesses est la marque de la sorcellerie).

Le passage du système médiéval au système capitaliste actuel a pris plusieurs siècles et a engendré un développement technique et industriel inouï. Les lois en faveur du capital et du libre-échange, qui rompaient avec l’ordre ancien, ont été votées progressivement. Sous la Monarchie le prix du pain était encore fixé par le roi. Louis XVI a voulu libéraliser le prix du pain, sous l’influence de ses conseillers bourgeois, mais il a dû reculer. Dès le début de la Révolution de 1789, les bourgeois l’ont fait. Ils ont aussi supprimé les corporations, comme tout ce qui protégeait le petit peuple et entravait le développement du capitalisme, etc.

La situation actuelle, en Occident, fait penser à la décadence romaine. Il y a de moins en moins de garde-fou, c’est la foire d’empoigne à tous les niveaux, les plus forts tirant leur épingle du jeu aux dépens des plus fragiles. Il ne s’agit pas seulement d’une révolution, c’est la fin d’un empire, l’Empire occidental, et d’un système, le système capitaliste. Il n’est plus possible de produire comme des malades, dans l’unique but de faire du profit, sans souci de l’environnement. Cela c’est fini. Tout le monde, en Occident a une conscience aigüe que la planète, notre lieu de vie, est menacée par la surexploitation dont elle fait l’objet. Et que ce qui nous pend au nez, c’est la fin de notre espèce, après que nous aurons détruit tout notre environnement, comme les habitants de l’île de Pâques. Il suffit de regarder le dernier film, très impressionnant, de Yann Arthus, Planète Océan, pour s’en convaincre.

On a cru un temps que le progrès technique allait tout résoudre, mais qui le croit encore ? On a cru, par ex, que la conquête de l’espace jouerait le rôle des grandes découvertes de la Renaissance qui ont favorisé le développement du capitalisme. Croit-on vraiment qu’on va réussi à vaincre la mort, la souffrance, la misère, la pollution, la pénurie de ressources, etc., etc., par le progrès technique ?

D’autres, comme le pape, en font une question de morale : ’L’homme est devenu avide et vorace. Avoir, amasser des choses semble pour beaucoup de personnes le sens de la vie. Une insatiable voracité traverse l’histoire humaine, jusqu’aux paradoxes d’aujourd’hui ; ainsi quelques-uns se livrent à des banquets tandis que beaucoup d’autres n’ont pas de pain pour vivre,’ a-t-il dit dans son allocution de Noël. Certes, l’homme a tendance à aspirer à davantage dans tous les domaines, ce qui en fait un créateur « à l’image de Dieu », mais toutes les sociétés spirituelles, où les gens sont capables de voir au-delà des apparences immédiates et de penser aux autres, ont lutté contre les aspects nocifs et destructeurs de cette caractéristique humaine. Sauf la nôtre qui, elle, adule les psychopathes prédateurs qui bâtissent leur richesse et leur pouvoir sur les guerres engendrées par la compétition et la haine de tous contre tous. C’est pourquoi beaucoup de gens trouvent cette société inhumaine pour ne pas dire diabolique.

Mais il n’est plus temps pour la morale, ni pour les solutions à deux balles de nos politiciens. Cela aussi tout le monde l’a bien compris. Il faut un véritable changement de niveau. D’où le soutien aux Gilets jaunes et aux initiatives de la société civile.

La conjoncture est favorable. Le système libéral sur lequel repose la puissance de l’oligarchie est en train de s’effondrer sous ses propres excès et sous le discrédit dont il fait l’objet, dans une alternance de crises (on en vit une en France en ce moment du type « le roi est nu » avec les Gilets jaunes) et de répits. Une révolution du type 1789 ne résoudrait rien, on le sait, 1789 a mis les bourgeois au pouvoir. Les Gilets jaunes ont raison de prendre leur temps pour réfléchir à des systèmes alternatifs qui remplaceront progressivement les institutions du capitalisme (le crédit, la propriété lucrative, le marché du travail, la mesure par unité de temps de travail). Il faut aborder tous les domaines de la vie publique en même temps : la gouvernance, l’économie, les relations internationales, les relations interpersonnelles. Tout est à revoir, car toute société a sa logique interne. Comment ? Ce sera aux populations d’en décider.

Taille et gouvernance

A mon sens les sociétés « à taille humaine » ancrées dans le respect des autres et de la nature, sont les plus heureuses et les plus équilibrées : la tribu autrefois, la commune chez nous, le canton en Suisse. Ces communautés doivent avoir une large autonomie. Les chefs doivent être élus temporairement, doivent être révocables et leur pouvoir doit être soigneusement encadré par les habitants (les chefs indiens étaient choisis pour le temps d’une guerre ; en temps de paix le conseil des Anciens prenait les décisions).

Les lois doivent être peu nombreuses et appliquées, avec comme objectif principal non pas de punir mais de prévenir et de réparer. Elles ne doivent jamais être rédigées ni votées par ceux qui en bénéficient.

La constitution doit être élaborée et votée par la population.

L’indépendance des pouvoirs (juridiques, médiatiques, exécutifs, constitutionnels) doit être entière. Les libertés (d’expression, de circulation, etc.) doivent être garanties.

On commence ces temps-ci à voir les populations se réapproprier la vie publique et réfléchir aux formes de sociétés possibles.

Economie

On commence aussi à voir des quantités de tentatives d’autogestion, comme les Scops par ex, qui tentent de s’approprier l’espace économique abandonné par le grand capital. Elles sont encore découragées et entravées par l’oligarchie mais plus pour longtemps. Et il y a aussi une volonté d’occuper l’espace physique (on campe sur les ronds-points en France, et aux EU les habitants cultivent les terrains vagues et autres friches des villes désertées par l’industrie).

Il faudra reprendre le pouvoir au Capital dans la production. Il faudra encadrer l’investissement public et interdire l’accumulation du capital. Les citoyens décideront comment.

Le problème du chômage et des inégalités peut être résolu par un salaire minimum garanti à vie pour tous avec une faible échelle des salaires et la gratuité de la santé, des services et du logement.

L’exploitation des ressources devra être soutenable et toutes les formes de prédations durement sanctionnées.

Relations internationales

Les gens sont lassés des guerres d’agression meurtrières et coûteuses qui ne profitent qu’à l’industrie de l’armement. Il faut privilégier la paix et le compromis à travers la diplomatie. La défense du pays doit être repensée.

Les relations commerciales et les protections douanières doivent été réévaluées en fonction des intérêts de la communauté de vie, à l’échelle qui sera décidée.

C’est un autre grand chantier.

Valeurs et éducation

Les vertus populaires traditionnelles doivent être pratiquées (et pas seulement enseignées) dans la communauté, au premier rang desquelles la modération (le chemin du milieu bouddhiste) et le respect de la nature et des autres. Dans de petites communautés de vie, il est plus facile de bien élever les enfants et de prévenir les débordements. Les délinquants doivent être réhabilités.

Il faut repenser complètement l’éducation des enfants. L’école publique n’est pas adaptée aux besoins des enfants et a pour principale fonction de les endoctriner, d’en faire des consommateurs dociles, au lieu de leur ouvrir l’esprit. Il y a moyen de faire autrement mais les méthodes Montessori, Freinet et tant d’autres méthodes créatives et efficaces, qui rendent les enfants heureux d’apprendre, ont été ignorées ou rejetées par les pouvoirs publics.

Il y a du boulot.

Conclusion

Un nouveau monde est-il en gestation sous l’ancien ? Peut-on déceler, sous le chaos et le désordre engendrés par la panique, la démesure et la cupidité, les prémices d’une autre manière de vivre qui sera très différente de l’actuelle par nécessité (une planète finie dans un monde fini) et par effet de balancier (l’humanité à tendance à aller d’un extrême à l’autre, d’où l’importance de l’enseignement de la modération) ?

Je crois que oui ; on voit partout poindre des pistes, surgir des tentatives, et naître des expériences. Des ouvrages les compilent. De plus en plus de gens s’interrogent, protestent, veulent cesser cette course en avant consumériste qui nous mène dans le mur mais ne savent pas comment. Ils ne veulent pas disparaître mais ils ne savent pas comment arrête la machine infernale. Il est vrai que jusqu’ici les structures oligarchiques militarisées résistent fermement. Mais les Gilets jaunes ont ouvert une brèche ! Engouffrons-nous dedans !

Il n’y a plus de nouveau monde à découvrir sur terre ou dans l’espace, c’est de notre vieux monde que nous devons faire un nouveau monde, un monde où chacun pourra partager les richesses produites et le pouvoir, en toute justice. C’est possible car cela a existé dans certains groupes humains, à certaines époques. Et de toute façon sans idéal, on ne va nulle part.

Dominique Muselet

27 décembre 2018

*Avez-vous noté que ces trois maux/mots sont du féminin ? Cela vient nous rappeler que ce sont les femmes qui ont le plus de difficultés, malgré des décennies de féminisme (à quoi il a bien pu servir, on se le demande ?). Et qu’ils commencent par un I, un petit bâton bien symbolique, celui qu’Eric Drouet avait dans son sac, un bâton de 30 cm qui a servi de prétexte à son arrestation ? Un I bien droit, droit comme ceux qui se relèvent malgré les coups des puissants.

**La plupart des sorcières soi-disant brûlées par l’Inquisition catholique du moyen âge, l’ont été, en fait, par les protestants de la Renaissance. Et tout est à l’avenant !

URL de cet article 34301
   
Georges Séguy. Résister, de Mauthausen à Mai 68.
Bernard GENSANE
Il n’a jamais été le chouchou des médias. Trop syndicaliste, trop communiste, trop intransigeant à leur goût. Et puis, on ne connaissait même pas l’adresse de son coiffeur ! Seulement, à sept ans, il participe à sa première grève pour obtenir la libération de son professeur qui a pris part aux manifestations antifascistes de Février 34. Huit ans plus tard, à l’âge de quinze ans, il rejoint les rangs de la Résistance comme agent de liaison. Lui et les siens organisent de nombreuses évasions (…)
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Avant les missiles, ils lancent des narratives. Avant les bombes, ils larguent des idées. Avant l’invasion, la propagande. Avant le massacre, la manipulation. La ligne de front de tout mouvement anti-guerre est le combat contre les opérations psychologiques des médias de masse.

Caitlin Johnstone

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