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Fanon disait : « attention à l’émergence de gérants d’affaires de l’Occident dans les nouveaux pays indépendants »

« Bouteflika symbolise le gel de plusieurs tendances et ça ne permet pas de construire quoi que ce soit. »

Mohsen Abdelmoumen : Quelle est votre lecture de la situation géopolitique qui prévaut en Syrie en ce moment ?

Dr. Saïd Bouamama : La situation en Syrie est d’abord une situation d’échec de l’impérialisme. En réalité, ce qui se passe en Syrie a été une tentative de déstabiliser l’État syrien en appuyant des groupes djihadistes. On pense ce qu’on veut du régime de Bachar el Assad, mais il a rendu un grand service à l’humanité en arrêtant cette déstabilisation et cette tentative de balkaniser la Syrie. Parce qu’en réalité, il s’agit de balkanisation. Si l’on regarde toutes les dernières guerres, ce que j’appelle les nouvelles guerres coloniales, que reste-t-il ? L’Irak est coupé en morceaux, l’Afghanistan est un chaos complet, en Somalie c’est l’hécatombe, et le Soudan est coupé en deux. En réalité, il y a une telle concurrence aujourd’hui entre grandes puissances qu’il y a besoin, pour continuer à faire des profits, de déstabiliser les États qui peuvent être des États de résistance ou des États qui n’acceptent pas les règles qu’imposent un certain nombre de grands pays. C’est cela qui s’est passé en Syrie dont l’enjeu était d’abord la maîtrise de la région et l’accès à la géostratégie régionale, c’est-à-dire le contrôle des ressources pétrolières de la région.

Comment expliquez-vous que l’administration Trump menace de frapper les positions de l’armée syrienne, de l’Iran et de la Russie alors même que dans la réalité, ceux qui sont encerclés à Idlib sont pour la plupart des terroristes d’Al Nosra et de Daech ? Sauver Idlib, n’est-ce pas sauver al-Nosra et Daech ? Les USA veulent-ils sauver les soldats de l’impérialisme que sont al-Nosra et Daech ?

Je crois qu’il faut que l’on devienne lucide et que l’on cesse d’être naïf. Il n’y a pas de combat conséquent contre le terrorisme de la part des États-Unis. En réalité, ils le combattent quand ça les arrange et ils le soutiennent quand ça les arrange. Et ce n’est pas nouveau. Il faut se rappeler que les premières grandes avancées des groupes dits djihadistes, c’était en Afghanistan et que le prétexte pour les soutenir était de s’opposer à l’Union soviétique. Il ne faut pas oublier qu’à chaque fois que l’intérêt des États-Unis nécessite une déstabilisation, on laisse faire ces groupes. On ne les combat que quand l’intérêt des États-Unis est en cause, et donc il n’y a pas un combat conséquent et cohérent des États-Unis contre eux. Il y a un combat par moment, par morceaux et un soutien à d’autres moments. C’est important d’avoir en tête que les États-Unis ne connaissent pas de politique cohérente, ils ne connaissent que la politique de leur intérêt économique, quitte à détruire des pays et à provoquer le massacre des populations, et s’il faut pour cela soutenir des groupes terroristes, eh bien, ils le font. Malheureusement, ça a été fait avant la Syrie et si nous ne sommes pas capables de nous immuniser, cela se refera ailleurs.

J’ai interrogé Noam Chomsky il y a quelques années et il m’a dit textuellement que  la Syrie allait être divisée en plusieurs zones. On remarque actuellement un redéploiement US dans le nord de la Syrie. Ne pensez-vous pas qu’il y a un risque d’affrontement total, notamment entre les États-Unis et la Russie ?

En réalité, le projet des États-Unis, à l’étape où nous en sommes, s’inscrit dans un long processus qui est de déstabiliser tous les États qui ont une superficie économique, une superficie géographique et des richesses pétro-gazières ou de minerais stratégiques pour les balkaniser, pour les couper en plusieurs morceaux, parce que c’est plus simple de maintenir la domination dans le chaos. Et donc, on a eu un certain nombre de guerres auparavant. Avec la Syrie, c’est le même projet aujourd’hui, mais il y a d’autres pays et, en particulier, il y a la volonté de balkaniser l’Iran. N’oublions pas que les États-Unis n’ont pas renoncé à déstabiliser l’Iran. Seulement, l’Iran, en termes de rapport de forces, c’est une autre affaire et les États-Unis sont extrêmement prudents. La Russie a bien compris cela et a passé des accords. La Russie n’est pas naïve et elle a bien compris que si elle continuait à laisser faire cette balkanisation, même elle pourrait être balkanisée, c’est le grand projet des États-Unis – et donc la Russie a très bien compris que son intérêt était d’arrêter ce processus.

Avant que la filière tchétchène n’entre dans le jeu ?

Exactement, et c’est pour cela qu’on a un soutien aussi fort de la Russie à la Syrie et que les accords avec l’Iran existent.

Les Russes considèrent la Syrie et l’Iran comme profondeur stratégique.

Exactement. C’est comme si c’était un front intérieur. Et les Russes ont raison. Chaque recul devant l’offensive de balkanisation, c’est, à terme, le danger de guerre avec la Russie qui augmente. Et à chaque fois qu’il y a un échec de ce projet de balkanisation, c’est le danger de guerre qui recule. Et aujourd’hui, la bonne nouvelle, c’est qu’ils n’ont pas réussi en Syrie. Et donc, cela les rend un petit peu plus prudents mais bien entendu, ils ne renoncent pas.

Ne pensez-vous pas que l’Algérie est une autre cible de l’impérialisme, notamment US et israélien ?

Bien entendu, elle est une cible et on peut même dire que si la Syrie avait été vaincue, l’Algérie serait le prochain pays ciblé. Il y a l’Iran et puis l’Algérie. Il n’y a pas des milliers d’autres pays qui ont cette surface géographique et cette profondeur économique, donc l’Algérie est sur la ligne de mire. D’ailleurs, il y a un monsieur qu’il faut écouter, même s’il est un idiot, c’est Bernard-Henri Lévy. Il vient souvent dévoiler les stratégies de l’impérialisme parce qu’il veut se pavaner. Ce monsieur a quand même déclaré publiquement que l’Algérie signifiait en réalité trois pays et qu’il fallait séparer le Sud, le Nord et la Kabylie, en trois pays. On voit bien que derrière cela, il y a des espaces, des endroits qu’on appelle des think tanks dans lesquels ils pensent à différents types de découpages et en Algérie, il y a effectivement un plan de découpage. Si les Algériens cessent d’être patriotes et de défendre l’intégrité du territoire, demain on nous trouvera des prétextes pour intervenir.

D’après vous, nos révolutions à nous, Algériens et Africains, sont-elles achevées ? Ne pensez-vous pas qu’il faut un deuxième souffle à nos révolutions pour parachever la lutte de nos ancêtres ?

C’est absolument nécessaire. D’abord, il ne faut pas culpabiliser. On vient de tellement loin. Il ne faut pas sous-estimer ce qu’a été la colonisation de l’Algérie et ce qu’a été l’esclavage pour les pays d’Afrique sub-saharienne. C’est-à-dire que pour se remettre d’un tel traumatisme, le travail est immense. Il ne faut pas se dire « on est nul », etc. Par contre, il est clair que le projet émancipateur qui a mené aux indépendances était un projet qui nécessitait d’aller beaucoup plus loin que ce qu’on a fait aujourd’hui. Des questions aussi importantes que les questions du développement économique, de la répartition des richesses, de l’implication du peuple dans les décisions, sont encore des tâches à venir et donc, oui, il y a besoin d’un second souffle. Nous savons aussi que les indépendances ont donné naissance à toute une série de parasites, de gens qui profitent de l’appareil d’État pour détourner la rente, etc. et donc il y a effectivement besoin que l’on recentre le processus sur ceux qui l’ont fait en réalité, ceux qui ont intérêt à mener l’Algérie à une indépendance réelle.

C’est-à-dire, si je vous comprends bien, les patriotes algériens sincères qui peuvent se trouver parmi les jeunes, au sein de la population et des forces vives saines de la nation ?

Absolument. Et la question de la jeunesse est bien entendu une question essentielle. Quand une partie de la jeunesse s’oriente vers les djihadistes, on ne peut pas faire comme si ce n’était pas important. Cela veut dire qu’on a échoué sur un certain nombre de choses et qu’il faut reprendre le combat. Vous savez, les jeunes veulent juste construire leur avenir. C’est quand l’avenir devient pas pensable, quand ils n’arrivent plus à l’imaginer, qu’ils s’orientent vers le passé et que des charlatans peuvent venir détourner leur colère légitime. Et donc, oui, il y a besoin de reprendre ce souffle et il y a besoin de retrouver la dynamique des deux premières décennies des indépendances. Rappelons-nous l’ambiance lorsque les jeunes sortaient diplômés de l’université dans les années 1974-1975. C’était plein d’espoir pour l’avenir, c’était l’idée de construire le pays, c’était l’idée de la réforme agraire et d’aller voir les paysans, etc. Il faut retrouver ce souffle-là qui a été perdu et qui a été aussi perdu parce que des parasites ont détourné le processus.

Ne pensez-vous pas qu’il y a un réel danger dû aux divers mouvements séparatistes en Algérie ? L’élite politique et économique ne devrait-elle pas faire son autocritique et rester attentive aux défis géopolitiques qui nous guettent ? L’Algérie peut-elle, selon vous, aller vers un changement positif graduel bien maîtrisé sans avoir peur ? Seconde question : La décennie rouge et noire ne nous a-t-elle pas vaccinés contre les terroristes islamistes ?

Sur la première question, oui, il y a de réels dangers avec les mouvements séparatistes qui restent cependant extrêmement minoritaires, y compris en Kabylie.

Et à Ghardaïa.

Oui. En réalité, une des raisons du développement de ces mouvements, c’est que nous avons été timides sur la question identitaire. Aujourd’hui, les choses se rattrapent, la langue amazigh est reconnue, etc. mais on a mis trop de temps à ça et quand une revendication juste n’est pas prise en compte, des charlatans peuvent venir récupérer la frustration. L’Algérie est pluriculturelle et plurilingue et c’est une richesse. Il n’y a aucune raison de considérer cela comme une faiblesse donc, il faut l’assumer pour couper l’herbe sous le pied à tous ceux qui voudrait instrumentaliser cette question.

Du côté des élites, il n’y a pas de secret, tous ceux qui sont attachés, quelles que soient leurs opinions politiques et économiques, à l’intégrité territoriale de l’Algérie et à une véritable indépendance, doivent avoir en tête que ça ne peut se faire que s’il y a un minimum de redistribution économique. C’est-à-dire que s’il n’y a pas de redistribution économique, si la pauvreté s’installe, si les gens sont dans la misère, les charlatans peuvent à nouveau venir instrumentaliser. C’est pour cela que notre jeunesse, même celle qui écoutait les charlatans, est d’abord une victime parce qu’en réalité, si elle avait pu penser son avenir, jamais elle n’aurait écouté ces voyous.

Vous parlez des années 1990. Aujourd’hui, quand on parle de la présence des Algériens chez Daech, ils sont très minoritaires par rapport aux autres peuples du Maghreb.

Absolument.

Comment analysez-vous cela ? N’avons-nous pas été vaccinés par la décennie rouge ?

Malheureusement, on n’est jamais totalement vacciné. Mais cela a développé des mécanismes de résistance réels et il faut savoir que des gens qui, au début, ont pu écouter les charlatans, se sont détournés quand ils ont vu en quoi consistait ce projet de société. Il y a eu des régions entières dans lesquelles des votes énormes sont allés en faveur des charlatans et qui aujourd’hui, ne veulent pas entendre parler de ces gens-là. Donc, on voit bien que c’était une expérience populaire et, oui, il y a des anticorps en Algérie, plus solides que dans d’autres pays, parce qu’il y a eu ce drame. On l’a payé cher. Mais attention, tant que les causes ne sont pas soignées, la maladie peut toujours revenir et on revient à la question précédente au sujet de la répartition des richesses économiques.

On évoque un cinquième mandat du Président Bouteflika. Ne pensez-vous pas que l’heure est venue d’accompagner un processus de renouvellement de toute la classe politique en Algérie, même au niveau de « l’opposition », parce que, pour moi, la crise n’est pas seulement au niveau du pouvoir, mais aussi au niveau de « l’opposition » ? Le cinquième mandat ne devrait-il pas être abandonné pour plutôt injecter du sang neuf en Algérie et vacciner le pays contre des risques divers tant internes qu’externes ? Ne devrait-on pas abandonner cette alternative d’un mandat supplémentaire de l’actuel président et aller vers un changement piloté – pourquoi pas – par l’armée qui reste la force la plus structurée en Algérie ? Quel est votre avis à ce sujet ?

En tous cas, je suis complètement opposé à l’idée d’un cinquième mandat. Aujourd’hui, Bouteflika symbolise le gel de plusieurs tendances et ça ne permet pas de construire quoi que ce soit. Je pense aussi qu’il y a un décalage entre l’ensemble de la classe politique et la partie civile de la nation. Il faut réussir à faire émerger dans la classe politique tous ces jeunes militants syndicalistes, ces médecins, toute cette génération qui est née après, il faut passer le relais sur la base, toujours, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance économique. Il est temps qu’une nouvelle génération émerge.

Le président Bouteflika est très malade, très fatigué, et il devrait céder la place à quelqu’un d’autre. C’est du bon sens. Qu’en pensez-vous ?

Absolument. C’est une nécessité absolue et il faut aussi s’interroger sur l’image qu’on donne à notre propre peuple et aux autres peuples en maintenant à tout prix un président malade.

Dire qu’on est contre un cinquième mandat, ce n’est pas être antipatriotique ni antinational, au contraire, nous servons notre pays. Ne pensez-vous pas que ceux qui sont contre un cinquième mandat sont les vrais patriotes ?

Absolument. Je pense qu’être patriote aujourd’hui, c’est être contre le cinquième mandat. Bien sûr.

Il y a un pays dont on tue le peuple en toute légalité, c’est la Palestine. Ne pensez-vous pas qu’Israël, en plus d’être un État voyou, est en train d’engranger tous les bénéfices des problèmes liés aux différentes stratégies US pour balkaniser la région arabo-musulmane ?

Mais bien sûr. Pourquoi y a-t-il eu autant de soutien à la création d’Israël en tant qu’État et ensuite ? C’est tout simplement parce que cet État sert de tête de pont à toutes les interventions, à toutes les stratégies d’ingérence, etc. Et donc, il ne faut pas considérer le combat comme étant seulement entre Palestiniens et Israéliens. En réalité, en s’affrontant à Israël, les Palestiniens – et c’est pour cela que c’est une cause centrale dans le combat anticolonial et anti-impérialiste – s’affrontent à l’ensemble du camp impérialiste. Et Israël n’est pas isolé, parce que justement, il y a ce soutien-là. En réalité, imaginons que demain il y ait un État palestinien démocratique et laïque, où musulmans, chrétiens, les juifs et les athées vivent ensemble, la fin d’Israël signifierait que c’est toute la stratégie impérialiste qui a échoué. Israël est un outil des grandes puissances et profite bien entendu des stratégies impérialistes.

Que reste-t-il du message de Frantz Fanon ?

Malheureusement, le message de Fanon a été largement oublié. Fanon disait : « attention à l’émergence de gérants d’affaires de l’Occident dans les nouveaux pays indépendants », c’est-à-dire de gens qui vont faire le travail que faisait auparavant l’Occident avec son armée. Ça, ça a tendance à être oublié. Le message d’espoir, c’est que sur Frantz Fanon en particulier, on voit revenir son nom alors qu’il avait complètement disparu. Une nouvelle génération redécouvre Fanon, malheureusement après plusieurs décennies d’oubli, et on voit de plus en plus Fanon cité et de plus en plus de jeunes reprendre son image. Il y a un retour à Fanon et c’est une bonne nouvelle.

Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire votre livre « Manuel stratégique de l’Afrique » ?

Ce qui m’a poussé à écrire ce livre, ça a été la fatigue des guerres qui se succédaient. Et dans « guerres », je mets la décennie noire en Algérie jusqu’à l’intervention française au Mali. La question était « que se passe-t-il sur ce continent ? » et le besoin de répondre à toutes les théories qui nous étaient données, qui étaient des théories culturalistes, c’est-à-dire qu’on nous expliquait la guerre en Algérie comme une opposition entre des musulmans et des militaires, ailleurs on nous expliquait que c’était des tribus qui s’affrontaient. Tout cela me semblait complètement erroné par rapport aux réalités. Je suis donc allé regarder ce qu’il y avait de commun dans toutes ces guerres. J’avais bien entendu des intuitions et je suis tombé effectivement sur la confirmation de mes intuitions. Toutes ces guerres ont un point commun : l’enjeu économique. Que ce soit en Algérie, on ne peut pas ne pas avoir en tête les intérêts des grandes puissances pour le pétrole et le gaz algérien, que ça soit au Congo avec ces guerres qui n’en finissent pas, et la richesse du Congo. En réalité, le continent africain est le continent le plus riche et le continent où l’on fait encore aujourd’hui des découvertes de minerais et de pétrole dans la mer off shore, et c’est donc un enjeu énorme pour les grandes puissances et il y a des guerres pour contrôler les espaces de matières premières. En outre, la grande peur des pays occidentaux, c’était l’émergence de nouveaux pays comme la Chine, l’Inde ou le Brésil qui commercent avec les pays africains et qui commercent avec des règles plus égalitaires et avec moins de domination. Et, effectivement, c’est l’intérêt direct des grandes puissances impérialistes qui est en jeu. Quand l’Algérie passe un contrat avec la Chine pour la construction de routes, etc., vous imaginez que ceux qui avaient l’habitude de considérer l’Algérie comme leur marché, ne sont pas contents. Quand c’est le Congo qui passe un contrat, la Belgique ne peut pas être contente. Et donc, il y a ces deux facteurs qui se conjuguent et qui expliquent le drame africain, parce que c’est un vrai drame. D’Alger jusqu’au Congo, il y a eu des dizaines de guerres depuis les indépendances, et je n’ai parlé que des guerres depuis les indépendances, je n’ai pas parlé des guerres d’indépendance. Je me suis contenté de relater celles de 1960 jusqu’à aujourd’hui. Toutes ces guerres-là sont les mêmes.

Pourquoi avez-vous choisi les éditions Investing’action de notre ami Michel Collon ? D’autres éditeurs ont-ils refusé d’éditer votre livre ? Votre livre a-t-il dérangé ? Avez-vous été censuré ?

Non, je n’ai pas été censuré. Je n’ai même pas pensé à présenter ce livre à d’autres maisons d’édition pour la raison toute simple que je sais très bien où on en est aujourd’hui dans beaucoup de maisons d’édition sur les questions anti-impérialistes. Ce projet est né suite à un certain nombre d’articles que j’ai écrit sur l’actualité et où, en discutant avec Michel, il m’a dit : « Mais Saïd, tu ne te rends pas compte, tu nous as parlé de l’Algérie, tu nous as parlé du Congo, tu nous as parlé de ça et ça, quand est-ce que tu nous fais un ouvrage global ? » Voilà comment s’est fait ce livre. Très franchement, je ne vois pas de grandes maisons d’édition le reprendre aujourd’hui. C’est inimaginable dans le monde francophone. C’est différent dans d’autres pays, comme par exemple en Angleterre.

Ou aux États-Unis.

Oui, aux États-Unis, ce serait différent, mais dans le monde francophone, c’est clair que les maisons d’édition aujourd’hui sont fermées sur ces questions-là.

Qu’est-ce que l’intellectuel engagé, anti-impérialiste, que vous êtes peut dire aux résistants anti-impérialistes et antisionistes ?

Qu’il ne faut jamais, jamais, désespérer des peuples. Il y a des moments où l’on croit que les choses sont finies, il y a des moments où l’on se désespère de voir les échecs, mais en réalité, tant que l’oppression existe, la résistance existe et l’on est parfois surpris que deux ans après notre désespoir, eh bien, il y a une offensive dans un pays auquel on ne pensait pas du tout. Je pense que nous sommes sortis de la période de recul. Il ne faut pas sous-estimer ce qui s’est passé en Syrie qui est l’arrêt de ce processus de recul, il ne faut pas sous-estimer les résistances en Amérique Latine, au Venezuela, au Nicaragua, etc.

À Cuba

À Cuba, oui. Tout cela indique une chose : depuis la chute de l’Union soviétique, c’était de recul en recul, les peuples perdaient, perdaient, perdaient. Et là, il y a un coup d’arrêt. Bien sûr, on a tellement reculé qu’on a du mal à y voir clair. Mais si on cumule tout cela, si en plus on regarde les luttes dans tous les pays, on voit une jeunesse qui se mobilise, etc. Donc, oui, à court terme, à un an ou deux ans, il n’y a pas de changement immédiat, mais on voit que les peuples commencent à tirer la leçon de cette période de vingt-cinq ans de recul. Et aujourd’hui, on a des points d’arrêt. Par exemple, ils ont éliminé Gbagbo, mais regardez le nombre de manifestants demandant que Gbagbo revienne. C’était inimaginable il y a quelques années. Et donc, on voit bien qu’il y a quelque chose qui bouge dans l’anti-impérialisme et je pense qu’on entre dans une nouvelle séquence de mobilisation. Ça, c’est pour les pays du sud. Pour ici, à nous d’être à la hauteur et de réussir à faire connaître ces luttes qui vont se développer.

Ne pensez-vous pas qu’il faut un front mondial anti-impérialiste et antisioniste qui sera déterminant dans les luttes à venir ?

Mon livre précédent, juste avant le dernier, est un livre qui s’appelle « La Tricontinentale : les peuples du Tiers-Monde à l’assaut du ciel ». Pourquoi j’ai écrit ce livre ? Parce que la Tricontinentale, la conférence tricontinentale à Cuba en 1965-1966, était le moment dans lequel il y a eu une unité de l’Afrique, de l’Asie, et de l’Amérique Latine, et qu’en même temps, tous les mouvements progressistes d’Europe étaient en soutien à la Tricontinentale. C’était le moment où on était le plus loin, je pense, dans ce mouvement. Si j’ai écrit ce livre, c’est parce que je pense qu’il est temps qu’on retrouve ce genre de dynamique.

Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen

 

Qui est le Dr. Saïd Bouamama ?

Saïd Bouamama est un sociologue, militant associatif et politique algérien résidant en France. Docteur en socio-économie, il a écrit principalement sur les thèmes liés à l’immigration, comme les discriminations et le racisme. Comptant parmi les fondateurs du mouvement des Indigènes de la République, il est également affilié à la CGT (Confédération générale du travail), l’un des porte-parole du Comité de soutien aux sans-papiers de Lille, et membre de la Coordination communiste.

Membre de l’association Intervention Formation Action Recherche (IFAR), il y est chargé de recherche et de la formation de travailleurs sociaux. Il est également membre de P.H.A.R.E. (Praxis Histoire Action-Recherche Éducation Populaire pour l’Égalité), organisme d’intervention sociologique qu’il a cofondé.

Il est parmi les fondateurs et animateurs du Front uni des immigrations et des quartiers populaires créé en 2012 à la suite de deux rassemblements nationaux : le Forum social des quartiers populaires et les Rencontres nationales des luttes de l’immigration.

Il s’est engagé pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah à plusieurs reprises.

Il a écrit de nombreux livres, dont : Dictionnaire des dominations de sexe, de race, de classe, Collectif Manouchian : Saïd Bouamama, Jessy Cormont, Yvon Fotia, Édition Syllepse, 2012 ; Femmes des quartiers populaires, en résistance contre les discriminations, des femmes de Blanc-Mesnil avec Saïd Bouamama & Zouina Meddour, Le Temps des Cerises, 2013 ; Figures de la révolution africaine. De Kenyatta à Sankara, La Découverte, 2014 ; La Tricontinentale. Les peuples du tiers-monde à l’assaut du ciel, CETIM et Syllepse, 2016 ; Manuel stratégique de l’Afrique Investing’Action, 2018.

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Thomas Frank. Pourquoi les pauvres votent à droite ? Marseille : Agone, 2008.
Bernard GENSANE
Rien que pour la préface de Serge Halimi (quel mec, cet Halimi !), ce livre vaut le déplacement. Le titre d’origine est " Qu’est-ce qui cloche avec le Kansas ? Comment les Conservateurs ont gagné le coeur de l’Amérique. " Ceci pour dire que nous sommes en présence d’un fort volume qui dissèque les réflexes politiques, non pas des pauvres en général, mais uniquement de ceux du Kansas, dont l’auteur est originaire. Cela dit, dans sa préface, Halimi a eu pleinement raison d’élargir (…)
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"Les Etat-Unis eux-mêmes, par leur tendance croissante à agir de manière unilatérale et sans respect pour les préoccupations d’autrui, sont devenus un état voyou."

Robert MacNamara
secrétaire à la défense étatsunien de 1961 à 1968
paru dans l’International Herald Tribune, 26 juin 2000.

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