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Un parlementaire européen répond à ma lettre ouverte : discussion

Début mars, je lançais une lettre ouverte critiquant une pitoyable résolution votée par le Parlement européen à propos des droits de l’homme en Chine (*). Si j’excepte un bref accusé de réception critique, un seul parlementaire européen a daigné réagir de façon argumentée, ce qui a donné lieu à un échange de courriels assez intéressant. N’ayant pas obtenu de sa part la permission de publier cette correspondance in extenso, je la reproduis ci-dessous en supprimant tout ce qui permettrait de l’identifier.

Réaction du parlementaire (14 mars 2018)

Cher Monsieur,

Il est de votre droit de juger pitoyable une proposition visant à protéger les défenseurs des droits de l’homme.
Pour ma part, je ne vais pas cesser de les défendre. Qu’ils soient en Palestine, au Tibet ou ailleurs.

La Chine est effectivement un grand pays et sa population mérite le plus grand respect. (...) j’ai eu l’occasion d’y aller à plusieurs reprises (...) je ne crois pas que l’on puisse considérer que la République populaire de Chine soit une démocratie assurant la liberté d’expression et de penser. Quelle qu’en soit la couleur, les totalitarismes doivent être combattus. Je continuerai donc. Et avec fierté.

Cordialement,

XX

Ma réponse (15 mars 2018)

Cher Monsieur,

Je vous remercie pour votre réponse, mais elle me laisse sur ma faim. Ma lettre ouverte portait sur des points précis et vous répondez par des généralités : d’où mon insatisfaction.

Partialité
Ma lettre ouverte ne niait pas que la Chine avait encore des progrès à faire concernant le respect des droits individuels (...). Elle dénonçait la myopie coupable des censeurs occidentaux qui assimilent démocratie à multipartisme et qui, dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, ne veulent retenir que les articles 16-21, relatifs aux droits individuels, et oublient les articles 22-26, relatifs aux droits collectifs (nourriture, éducation, santé), ceux précisément dans la réalisation desquels la Chine s’est spectaculairement illustrée.

Ignorance
Ma lettre ouverte ne niait pas qu’il pouvait y avoir en Chine, comme dans la plupart des pays y compris “démocratiques”, des procès politiques. Elle démontrait simplement que les cas de Wu Gan, Xie Yang, Lee Ming-che, Tashi Wangchuk et Choekyi, mis en avant par le Parlement européen étaient particulièrement mal choisis, car des agissements comparables aux leurs qui se seraient déroulés au Royaume-Uni, en France ou ailleurs, auraient également été passibles de sanctions judiciaires.

Confusion
Ma lettre ouverte ne niait pas les défis posés par la modernisation et le développement du Tibet. Elle stigmatisait la méconnaissance par le Parlement européen du statut du dalaï-lama et les risques de collusion entre l’Église et l’État (...)

À votre disposition si vous désirez poursuivre l’échange, je vous prie d’agréer, cher Monsieur, l’expression de ma meilleure considération.

André Lacroix

Le parlementaire précise sa position (21 mars 2018)

Monsieur,

Je peux comprendre votre insatisfaction quant à ma réponse. Mon intention n’est certainement pas d’entretenir une polémique stérile, mais d’apporter un minimum d’éclaircissements vis-à-vis des questions que vous me posez. La philosophie qui me guide est assez simple, aucune personne ne peut être menacée, emprisonnée, torturée ou mise à mort en raison de ses idées de sa religion, de sa philosophie ou de son orientation sexuelle. La règle que je me fixe, est de ne pas défendre les auteurs de crimes de sang.

Concernant la partialité, il vous est loisible de consulter mes différents votes et interventions sur le site du Parlement européen pour constater que j’adopte le même point de vue, quelques que soient les régimes incriminés/en cause. Les violations des droits humains en Chine, en Palestine, en Russie, en Turquie, en Hongrie ou dans tout autre pays doivent être combattues avec la même persévérance et véhémence. Je me refuse à opposer les droits individuels aux droits collectifs. Les deux doivent pouvoir aller de pair. L’amélioration des conditions matérielles ne peut jamais servir de justification à la négation des droits individuels pas plus que la protection des droits individuels ne peut être un obstacle aux droits collectifs.

Vous évoquez l’assimilation du multipartisme à la démocratie. J’ai du mal à imaginer qu’un système qui ne garantit pas le multipartisme puisse se revendiquer d’être démocratique. L’histoire, mais aussi l’actualité, nous montre les dérives inhérentes à ce type de système. Cependant, je suis convaincu que le multipartisme n’est pas suffisant pour caractériser un système démocratique. La démocratie ne s’arrête à la tenue d’élections libres, elle passe également par le développement de la démocratie économique et sociale et par le développement de mécanismes favorisant la participation des citoyens.

Quant aux risques de collusions entre l’Église et l’État, elles ne peuvent être niées. Ma conception de la laïcité est effectivement de garantir la séparation entre l’Église et l’État tout en garantissant, pour tout un chacun, le respect de ses convictions philosophiques et religieuses.

(...)

J’espère que ce courrier vous permettra, à l’avenir, de mieux cerner mes motivations.

Bien cordialement,
XX

Ma nouvelle réponse (23 mars 2018)

Cher Monsieur,

Je vous remercie sincèrement d’avoir pris la peine de m’envoyer une réponse argumentée à mon courriel du 15 mars.

Je ne peux évidemment qu’être d’accord avec vous lorsque vous déclarez qu’ « aucune personne ne peut être menacée, emprisonnée, torturée ou mise à mort en raison de ses idées, de sa religion, de sa philosophie ou de son orientation sexuelle. » Cela ne signifie pas qu’un État, quel qu’il soit, n’ait pas le droit de défendre son intégrité. Si MM. Wu Gan, Xie Yang et autres Tashi Wangchuk, présentés comme victimes de Pékin par le Parlement européen, avaient été, par exemple, des citoyens britanniques appelant à semer le désordre dans leur pays, ils auraient probablement subi le même sort que Jordan Blackshaw, 20 ans et Perry Sutcliffe-Keenan, 22 ans condamnés par le tribunal de Chester à passer quatre ans en prison pour incitation aux troubles via les réseaux sociaux, lors des émeutes qui ont sévi dans le pays en 2011 (1).

Vous écrivez : « Je me refuse à opposer les droits individuels aux droits collectifs. Les deux doivent pouvoir aller de pair. L’amélioration des conditions matérielles ne peuvent jamais servir de justification à la négation des droits individuels pas plus que la protection des droits individuels ne peut être un obstacle aux droits collectifs. » Cette profession d’équidistance se justifie sans doute au plan théorique et anhistorique, mais dans la réalité, sans respect des droits collectifs (nourriture, éducation, santé), on ne peut pas parler d’exercice des droits individuels ; mais l’inverse n’est pas vrai : on constate même que dans certains pays (Chine, Singapour, Corée du Sud, Rwanda), la mise entre parenthèses de certains droits individuels n’a pas empêché, au contraire, la réalisation des droits collectifs.

Tout ce que l’on peut espérer ‒ car les droits individuels sont évidemment respectables ‒, c’est que cette mise entre parenthèses, en Chine notamment, ne dure pas éternellement. Mais il faut comprendre que la Chine, qui reste fragile, a besoin de temps pour infléchir sa politique. Les dirigeants chinois n’ont pas la mémoire courte, ils se souviennent qu’il n’y a pas soixante ans, des dizaines de millions de leur concitoyens sont morts de faim ; ils n’ont pas non plus oublié comment, voici trente ans, la chute de l’URSS a entraîné la débâcle de l’État et même, sous Eltsine, un début de famine : ils ne sont pas prêts à renouveler ces expériences malheureuses. Ils connaissent aussi les forces centrifuges qui travaillent le pays, auxquelles ils sont fondés de ne pas donner libre cours. Plutôt que de chercher des puces à la Chine et de jouer les donneuses de leçons, l’Europe serait bien avisée de réfléchir aux conséquences apocalyptiques que provoquerait un éclatement de ce pays.

Vous écrivez à juste titre que « la protection des droits individuels ne peut être un obstacle aux droits collectifs ». C’est pourtant ce qui se passe sur une grande échelle dans nos démocraties (et, jusqu’à la caricature, aux États-Unis), où l’on voit les droits individuels d’une toute petite minorité s’opposer aux droits collectifs d’une écrasante (mais écrasée) majorité... En tant que citoyen européen, je suis terriblement déçu par une UE prisonnière de ses fidélités atlantistes et par les indignations à géométrie variable dont fait preuve le Parlement européen, ayant très largement intériorisé la doxa néolibérale. Comme le dit le spécialiste luxembourgeois Albert Ettinger, « Au cours des années, un nombre considérable de résolutions critiquant des ‘violations des droits de l’homme’ en Chine et en particulier au Tibet ont été adoptées par les parlementaires. Mais ces résolutions en disent peut-être plus sur la vision du monde de la majorité des parlementaires européens que sur l’état des droits de l’homme au Tibet et en Chine » (2).

S’ils n’avaient été à ce point ignorants de la « question tibétaine », les Parlementaires européens auraient dû au moins faire semblant de prendre au sérieux la démission du dalaï-lama de ses fonctions politiques et cesser de lui attribuer un rôle auquel il prétend avoir renoncé. Par une espèce de lapsus freudien (« thémocratique »), les Parlementaires européens avouaient ainsi faire peu de cas de la séparation de l’Église et de l’État (3). D’où mon inquiétude de certaines dérives anti-laïques qui se font jour ici et là en Europe et dont je me réjouis que vous la partagiez.

Je me réjouis aussi du ton de votre message. J’ai aussi apprécié cette phrase : « (...) je suis convaincu que le multipartisme n’est pas suffisant pour caractériser un système démocratique. » Mais j’aimerais que cette conviction soit plus largement partagée : elle permettrait ainsi de ne pas fermer les yeux sur les terribles violations des droits humains qui se passent dans des pays connaissant le multipartisme comme, par exemple, l’Inde, « la plus grande démocratie du monde » ou Israël, « la seule démocratie du Moyen Orient ».

Cela dit, soyez bien persuadé que je ne suis pas un admirateur inconditionnel de tout ce qui se fait en Chine, comme en témoigne mon analyse sans concession de la censure constatée dans la traduction chinoise officielle des mémoires du Tibétain Tashi Tsering (4).

Ayant, grâce à votre courrier, mieux cerné vos motivations, j’espère qu’il en sera de même de votre côté quant aux justifications de ma lettre ouverte.

Je vous prie d’agréer, cher Monsieur, l’expression de ma meilleure considération.

André Lacroix

N.B. Pas de suite à ce jour

(*) https://www.legrandsoir.info/lettre-ouverte-aux-parlementaires-europeens-auteurs-d-une-pitoyable-resolution.html
(1) D’autres exemples de sanctions similaires en Europe sont donnés dans http://tibetdoc.org/index.php/politique/geopolitique/440-le-parlement-europeen-et-les-droits-de-l-homme-au-tibet-2e-partie-ignorance-ou-mauvaise-foi
(2) Pour d’autres précisions, lire http://tibetdoc.org/index.php/politique/geopolitique/439-le-parlement-europeen-et-les-droits-de-l-homme-au-tibet-1ere-partie-deux-poids-deux-mesures
(3) http://tibetdoc.org/index.php/politique/geopolitique/438-les-parlementaires-europeens-ne-prennent-pas-le-dalai-lama-au-serieux
(4) http://tibetdoc.org/index.php/politique/chine-en-general/299-a-propos-de-l-autobiographie-de-tashi-tsering-censure-et-soft-power-en-chine

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Journaliste, écrivain, professeur d’université, médecin, essayiste, économiste, énarque, chercheur en philosophie, membre du CNRS, ancien ambassadeur, collaborateur de l’ONU, ex-responsable du département international de la CGT, ancien référent littéraire d’ATTAC, directeur adjoint d’un Institut de recherche sur le développement mondial, attaché à un ministère des Affaires étrangères, animateur d’une émission de radio, animateur d’une chaîne de télévision, ils sont dix-sept intellectuels, (…)
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