Une chose est certaine : Daniel Cohn-Bendit ne laisse pas indifférent, et quoi que nous puissions dire de lui, chaque année au mois de mai, les médias occultent les presque 10 millions d’ouvriers et d’étudiants grévistes qui firent de mai 68 le plus grand conflit social de l’histoire, pour ne retenir qu’un seul nom : Cohn-Bendit.
Partant de ce constat, n’est-ce pas dès lors souhaitable, en rassemblant des éléments factuels, de comprendre pourquoi depuis tant de temps la presse accorde autant d’intérêt à Daniel Cohn-Bendit ? Comment, moins de 25 ans après la Libération, a-t-il pu devenir la figure de proue de la révolte étudiante ? De quelle manière parvient-il à rester crédible aujourd’hui, alors que si nous suivons ses déclarations, il semble toujours dire simultanément une chose et son contraire ? Pour essayer de répondre à ces questions, revenons sur quelques événements, médiatisés ou pas, qui ont marqué l’histoire de Daniel Cohn-Bendit.
Libéral pour bourgeois, libertaire pour bohème.
En 1999, Daniel Cohn-Bendit déclare être « libéral-libertaire » reprenant ainsi à son compte un concept créé en 1972 par le sociologue Michel Clouscard.
A partir du plan Marshall, Clouscard nous enseigne que le capitalisme a besoin d’éviter une crise de surproduction. Le capitalisme a également intérêt à contenir la menace communiste. Quant à Charles de Gaulle, il semble acquis que sa résistance au diktat américain ne fut pas du goût de tout le monde. L’émergence d’une nouvelle industrie (légère) voit apparaître un nouveau mode de consommation. La société des gadgets est née. En conséquence de quoi le capitalisme peut user d’une nouvelle arme (la séduction). Cette stratégie vise à liquider la question sociale et tuer dans l’oeuf le socialisme. Mais la consommation ce n’est pas pour toutes les strates de la population, remarque Michel Clouscard. La société libérale est répressive envers les producteurs (le prolétariat) et elle est permissive envers les consommateurs (la bourgeoisie). De ce fait la consommation des uns est le travail des autres.
Clouscard souligne ainsi l’importance de distinguer le mai 68 bourgeois et sociétal du mai 68 social des Accords de Grenelle. Il insiste sur le fait que contrairement aux apparences il y a des collusions d’intérêts entre les tenants du jouir sans entrave et les responsables de l’économie capitaliste. La consommation libidinale et ludique est réservée à une élite. En somme, la classe ouvrière doit, elle, se contenter de rêver. Cette nouvelle consommation qu’il faut dissocier des biens d’équipement (lave-linges, automobiles…) s’appuie sur une nouvelle morale qui fait que la liberté devient liberté d’entreprendre (liberté du patron). L’éthique, elle, en est réduite à une morale de l’avoir. La quête du sublime devient une affaire de goût. Cette remise en cause fait que les avancées révolutionnaires de 1789 sont balayées d’un revers de la main. Le « suivre les coutumes de son pays » de la morale provisoire de René Descartes, que l’on peut rapprocher du “discours parental” de De Gaulle, n’est également plus à l’ordre du jour. A présent le discours dominant est sociétal, progressivement les problèmes économiques et sociaux sont relégués au second plan. Les termes “lutte des classes” ou encore “prolétariat” ne font plus partie du vocabulaire de ce qu’il convient d’appeler la gauche mondaine, une néo-gauche qui petit à petit a fait de la classe ouvrière la classe fantôme.
Selon Clouscard, le capitalisme veut à l’évidence un comportement d’individualisation. Ce qui a pour effet immédiat l’atomisation du corps social et par conséquent la fin de la société traditionnelle. La sphère des médias, du divertissement et de l’audiovisuel va s’avérer être une formidable structure de rayonnement de la propagande libérale-libertaire. En se présentant “plus à gauche que la gauche”, la pseudo rébellion libérale-libertaire va effacer des consciences l’idée même de lutte des classes. Le prolétariat n’est plus le sujet de l’histoire. Le Contrat Social défini par Rousseau, dans lequel chacun renonce à sa liberté naturelle au profit de la liberté civile (l’intérêt général) est expédié aux oubliettes. Kant est lui qualifié par Clouscard de « Newton de la Morale ». Il sera amputé par la nouvelle intelligentsia de sa dimension morale et politique, très probablement parce que ce dernier développe l’idée que l’individu dans l’État doit abandonner sa liberté primaire, sauvage, pour accéder à un statut juridique. Sa liberté “d’être social” peut ainsi totalement s’accomplir, puisque celle-ci est issue de sa propre volonté législatrice. En bref, comprenons que le « jouir sans entraves » prôné par les partisans du libéralisme-libertaire est inconciliable avec l’impératif catégorique de la morale de Kant qui au contraire préconise : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité comme une fin, et jamais simplement comme un moyen ».
En substance, Michel Clouscard suggère qu’à la vue de l’émergence du socialisme, le libéralisme-libertaire est une contre-révolution parfaite. Premièrement, la néo-féodalité qui s’incarne de facto dans le grand capital et la rente foncière, a poursuivi son entreprise de pourrissement via ses courroies de transmission que sont les médias. Deuxièmement, la nouvelle bourgeoisie qui s’incarne dans l’élite intellectuelle, l’élite entrepreneuriale et le star-système, a généré des stratégies de diversion pour garantir ses privilèges.
Par delà les apparences, que dit vraiment Cohn-Bendit ?
Eric Zemmour se présente comme conservateur. De ce fait il est pour Daniel Cohn-Bendit le faire-valoir idéal. La démagogie libérale-libertaire, fond de commerce de Daniel Cohn-Bendit, a l’avantage d’être orientée en direction de l’avenir. Zemmour se considère lui conservateur, et parfois bonapartiste ou encore gaullo-bonapartiste, des références résolument tournées vers le passé. A cette terminologie, Zemmour ajoute une forte dose d’obsessions identitaires. Rien de mieux pour Cohn-Bendit, qui peut ainsi à sa guise prétexter qu’il représente la pensée progressiste. L’accueil des migrants est en ce moment le sujet favori de Cohn-Bendit, un thème qu’il partage avec ses amis de la galaxie néocon, en particulier Bernard Kouchner, Raphaël Glucksmann et Romain Goupil, le cinéaste qui se sent libéral-libertaire, et qui “emmerde ceux que le terme effraie”. C’est que la pudeur n’a jamais été le point fort de ces derniers, qui ne l’oublions pas, furent les promoteurs des guerres qui ont embrasé une grande partie du Monde. Des guerres de déstabilisation à l’origine des nouvelles migrations. Dans un article antérieur, nous avions noté qu’une fois une campagne militaire terminée, le type de manipulation qui consiste à émouvoir un public le plus large possible peut s’apparenter à la phase 2 de la propagande de guerre. A ce stade de la désinformation, l’agresseur se fait passer pour un bienfaiteur désintéressé. Or Daniel Cohn-Bendit fut avec d’autres illustres va-t-en-guerre à l’origine de la pétition « Oui, il faut intervenir en Libye et vite !« . Aujourd’hui nous mesurons pleinement l’ampleur de la catastrophe “La Libye est devenue la plaque tournante d’un gigantesque trafic d’êtres humains”.
Face à Eric Zemmour (son meilleur ennemi) sur le plateau de “Zemmour & Naulleau”, Daniel Cohn-Bendit s’exclame « Moi je préfère l’humanitaire à l’arrogance de 1938 où on a laissé crever les juifs ». Le retour des années 30 est sa botte secrète, le coup imparable : que peut-on lui opposer quand sans le moindre scrupule il se transporte en 1938 pour sous-entendre qu’il est du bon côté de l’Histoire ? Il est en effet très simple de faire appel au point Godwin, qui permet, dans une discussion, d’assimiler l’adversaire au nazisme.
Si l’accusation d’antisémitisme est parfois utilisée par Cohn-Bendit pour tenter de discréditer des adversaires politiques, son grand coeur reste pourtant de pierre dans des cas d’antisémitisme réellement avérés. Pour s’en convaincre, il suffit de prendre connaissance de ses analyses sur la situation en Ukraine. Nous pouvons constater que lorsqu’une extrême droite ouvertement antisémite est au service d’un pays allié à l’OTAN, elle semble poser beaucoup moins de problème à Dany. Comble de l’ironie : la seule chose qu’il sait nous dire sur le néo-fascisme en Ukraine tourne à la critique ciblée : « Mélenchon est scotché dans les années 30″ pour avoir écrit : « En Ukraine : un pouvoir putschiste aventurier, dans lequel les néonazis ont une influence tout à fait détestable (…) ». Des propos confortés par les faits. Nous avons vu ici que si les journaux britanniques en matière de politique étrangère sont globalement rangés derrière leur gouvernement, malgré tout ils relatent fréquemment le rôle majeur des bataillons ouvertement néo-nazis au service du nouveau pouvoir de Kiev. Pour preuve : The Guardian, The Telegraph, The Independent, The Sunday Times, BBC News. Des articles corroborés par Amnesty International qui dès septembre 2014 alertait les opinions publiques sur les crimes perpétrés par les troupes paramilitaires ukrainiennes.
Et ce deux poids – deux mesures est chez lui une véritable prérogative : en 2008, Robert Ménard fut à la pointe de la campagne anti-Jeux Olympiques de Pékin. Dans son sillage Daniel Cohn-Bendit appelait à boycotter l’ouverture des jeux chinois. Après tout, pourquoi pas nous dira-t-on puisqu’il s’agit des droits de l’homme. Seulement que faisait notre “droitdelhommiste” en 2005, le jour où il fut décidé qu’en 2012 les JO se dérouleraient à Londres alors que le criminel de guerre Tony Blair s’était engagé malgré des manifestations populaires massives, aux côtés d’un autre criminel de guerre nommé George W. Bush, dans la seconde guerre illégale d’Irak ?
Israël – Palestine : le contorsionniste
En 2010, Daniel Cohn-Bendit qualifiait le boycott d’Israël d’ »inutile », et d’ »erreur », à peine un an après l’opération “Plomb Durci” qui avait coûté la vie à 1330 Palestiniens dont près de 900 civils. Cela ne mérite-t-il pas d’examiner pourquoi et comment Daniel Cohn-Bendit se préoccupe du sort des Palestiniens ?
La même année, l’icône des indignés Stéphane Hessel avait été l’invité de la convention d’Europe Ecologie. Personnalité incontestable dans les milieux de gauche, Hessel sera élu personnalité de l’année 2011 par les lecteurs du Monde. 2010 est aussi l’année où Hessel écrivit “Indignez-vous !”. Dans ce petit essai l’ancien résistant s’indigne entre autre contre Israël qui bénéficie d’une impunité scandaleuse nous dit-il. Contrairement à Daniel Cohn-Bendit, Hessel appelait lui dès 2010 au boycott d’Israël.
D’autre part, en avril 2002 José Bové et ses compagnons de la Confédération paysanne furent expulsés d’Israël pour le simple motif d’avoir rendu visite au leader palestinien Yasser Arafat. Cet évènement atteste que José Bové et son organisation étaient alors réellement impliqués dans la cause palestinienne. Et en 2009 le leader paysan choisira d’être l’une des têtes de liste d’Europe Écologie, une formation politique fortement influencée par Daniel Cohn-Bendit, à qui beaucoup de militants reprocheront son manque d’opiniâtreté quand il s’agissait de dénoncer les crimes de l’État israélien.
Toujours dans cette période, les cadres de la gauche et donc de la gauche écologiste se préoccupaient ou semblaient se préoccuper de la question palestinienne. Ainsi Noël Mamère planta un olivier à Bègles, Manuel Valls en a fait de même à Evry, et au bout du compte une cinquantaine de villes participeront à l’initiative baptisée « un olivier pour la paix », tandis qu’en octobre 2010 une mission d’information française « Géopolitique de l’eau » présidée par le député socialiste Jean Glavany accusera Israël de priver les Palestiniens d’eau. Jean Glavany emploiera même le terme « apartheid » pour caractériser la façon dont sont gérées les ressources dont disposent les deux populations d’Israël et de la Palestine. Dans ce contexte où les gauches étaient plutôt sensibilisées à la cause palestinienne, en septembre 2011 au Parlement européen Daniel Cohn-Bendit plus théâtral que jamais condamnera à son tour la politique d’Israël. Mais ne voyez pas dans cette prestation un acte totalement honorable. Daniel Cohn-Bendit ne fera que réciter en hurlant le projet hypocrite de l’UE, prenant soin malgré tout de ne pas trop égratigner Israël, qui selon lui est une “grande démocratie”. Et le député européen sera bien sûr très élogieux envers Mahmoud Abbas, le président plus que contesté de l’Autorité palestinienne, devenu le protégé des Occidentaux depuis la disparition de Yasser Arafat.
D’une façon générale, concernant le conflit israélo-palestinien, Daniel Cohn-Bendit déclarera en de nombreuses occasions “qu’Israël se trompe et doit faire le premier pas”, et « qu’il faut deux États« . Mais parler de deux États ne mange pas de pain. Alain Finkielkraut lui aussi nous parle bien de deux États. Tandis qu’à aucun moment Daniel Cohn-Bendit ne pointe les crimes israéliens récents. Il se contente pratiquement d’un 50/50 en glissant insidieusement des expressions telles que “terrorisme”, “tir de roquettes”, “tir de missiles” dans son discours lorsqu’il évoque l’insoumission des Palestiniens.
En octobre 2014, une info “illumine son humeur”, rapporte-t-il sur Europe 1. Ce jour là, il « félicite le président israélien Reuven Rivlin (un homme de droite très lié aux ultras orthodoxes colons) qui a osé aller à Kafr Qassem commémorer le massacre (56 morts) perpétré par l’armée israélienne en 1956 envers des civils arabes”. Mais Reuven Rivlin est Président de l’État d’Israël, et il est en fonction depuis le 24 juillet 2014. Or en 2015 Amnesty accuse Israël de « crimes de guerre » pour des exactions commises dans la bande de Gaza à l’été 2014 (opération Bordure Protectrice). Ainsi au début de la mandature de Reuven Rivlin, les 2200 Palestiniens tués rendent ipso facto ce président israélien co-responsable du crime. Et qu’a “osé dire” Daniel Cohn-Bendit sur un tel crime, à la fois factuel et précis ? Cette fois encore, rien.
Échanges cordiaux avec Finkielkraut
Compte tenu du fait qu’Eric Zemmour et Alain Finkielkraut partagent les mêmes obsessions identitaires, et qu’à l’écouter Daniel Cohn-Bendit ne supporte pas la xénophobie, comment expliquer le fait qu’il soit timoré, voire même complice avec Alain Finkielkraut alors qu’il est notablement virulent avec Eric Zemmour.
Pour illustrer notre propos, revenons sur Zemmour qui déclare : « L’Allemagne, elle gagnait quand il n’y avait que des dolichocéphales blonds. C’est comme ça. C’est peut-être le hasard« . Et dans un style similaire Finkielkraut qui affirme « l’équipe de France est aujourd’hui black-black-black, ce qui provoque des ricanements dans toute l’Europe.” Ces deux exemples démontrent que la radicalité de Finkielkraut n’a rien à envier à celle de Zemmour. A la différence de Finkielkraut, Zemmour voue un culte à la Russie de Poutine. Et ajoutons que Cohn-Bendit partage avec Finkielkraut un atlantisme exacerbé. Ce dernier va jusqu’à estimer que l’Amérique est un bouc émissaire à qui l’opinion publique reproche des fautes complètements infondées.
L’arme du faible : vociférer
Avec un débatteur de la qualité d’Emmanuel Todd, s’il veut faire illusion, Daniel Cohn-Bendit ne peut pas fonctionner comme avec Eric Zemmour. La technique du merle moqueur n’a pas beaucoup d’incidence sur l’éloquence de Todd. Cohn-Bendit n’a donc pas d’autre alternative que de pourrir le débat. Ainsi l’oiseau chanteur devient Dany l’acariâtre. En septembre 2017 sur France 2, notre roublard aura sans vergogne usé de ses combines habituelles quand il n’a pas la maîtrise des échanges. Globalement Todd reproche à l’Allemagne une volonté hégémonique. Manifestement sans trop de succès, Cohn-Bendit protestera par des jérémiades et des moqueries : « Tu es obsédé par l’Allemagne, tu radotes, c’est une maladie mentale, j’aurais pas dû venir, c’est toujours pareil, la prochaine fois (…) je vais m’en aller, ça ne change pas, ça va pas la tête, tu n’es pas Dieu le père.” L’un des intervenants finira par lui dire « Monsieur Cohn-Bendit vous me faites peur quand vous répondez à Emmanuel Todd. Vous le faites toujours en psychiatrisant ses désaccords ».
Sur la forme, que faut-il retenir de la confrontation Cohn-Bendit / Todd qui fut au centre du débat ? Comme à son habitude Daniel Cohn-Bendit a réduit, insinué, caricaturé les paroles de son adversaire. Quant à Emmanuel Todd, même s’il est très difficile de vérifier le bien fondé de sa théorie, nous pouvons malgré tout dire qu’il se sera montré relativement didactique dans la manière d’exposer ses idées. Sur le fond, Emmanuel Todd dénonce les effets pervers du libéralisme qui est à la base de la structure européenne, alors que pour Daniel Cohn-Bendit, l’Europe fonctionne, mais pas assez bien, et à ce titre il défend la politique de l’actuel gouvernement Philippe. Ainsi, concernant la suppression de l’impôt sur la fortune, l’ex-leader de 68, incapable d’exposer ses idées clairement lorsqu’il s’agit “de fric”, s’est contenté d’une formule ambigüe : « Je ne suis ni pour ni contre, je suis dubitatif ».
En quoi Dany a-t-il marqué les écolos ?
Seulement 3 ans après l’union d’Europe-Écologie et des Verts aux élections européennes de 2009, Daniel Cohn-Bendit quitte officiellement ce parti le 7 décembre 2012. A ce moment là, les élections législatives de juin 2012 avaient permis à EELV d’emporter 17 sièges, suffisants pour constituer un groupe à l’Assemblée. En 2017, 1 seul député sera élu, finalement recruté par « La République en Marche ». A ce jour donc, il n’y a aucun député EELV à l’Assemblée Nationale. Fin 2012, deux ans seulement après la fondation d’EELV, Daniel Cohn-Bendit annonce qu’il n’en fait plus partie alors qu’il avait fait des pieds et des mains pour réunir (derrière lui) la quasi-totalité des forces qui constituaient jusqu’alors “l’écologie plurielle”. Le résultat final est sans équivoque : après avoir unifié les différents courants de l’écologie politique, il a phagocyté l’ensemble de la mouvance écologiste qui est devenue une pâle copie de son projet initial.
Et le désastre va même plus loin : les membres d’EELV ne sont-ils pas devenus les meilleurs soutiens des politiques européenne et étrangère de nos 3 derniers présidents ? Car nous retiendrons surtout que dans l’intervalle où Cohn-Bendit a fait main basse sur la mouvance écologiste, celle-ci a modifié progressivement sa ligne politique : tout d’abord revenons en 2005. A cette époque antérieure à EELV, Cohn-Bendit est coprésident du groupe Les Verts au Parlement européen. Ce poste ne l’a pas empêché de désavouer José Bové et la majorité des Verts, puisque il fit campagne pour le oui au traité (libéral) européen aux côtés des députés UMP Michel Barnier et UDF François Bayrou. En 2011 également, souvenons-nous : Eva Joly, future candidate EELV à la présidentielle, prendra parti en faveur d’une intervention en Libye dans la roue de MM. Sarkozy, Juppé et BHL, alors que quelques mois plus tard en 2012, le magazine de Canal Plus « Spécial investigation » révélera au travers de témoignages anonymisés de membres de nos services du Renseignement que la France a mené la guerre en Libye pour le pétrole et le gaz avec le soutien intéressé du Qatar. Enfin en 2016, le député européen EELV Yannick Jadot s’associe à Raphaël Glucksmann pour condamner la Syrie et la Russie. Selon eux « la communauté internationale regarde, hébétée, les bombardements de Poutine et Al-Assad sur la ville d’Alep« . En dehors du fait que les bombardements de la coalition occidentale sur Mossoul et Raqqa semblent avoir été au moins aussi meurtriers que les bombardements russes sur Alep, retenons que Jadot fait le choix d’un rapprochement avec un néoconservateur historique. En effet, Raphaël Glucksmann fut avec son père André membre du Cercle de l’Oratoire, un think-tank pro-américain, pro-Bush et cela va de soi pro-guerre en Irak. Une « guerre contre le terrorisme » artificielle, promue par les adeptes de la doctrine Bush qui occasionnera 1,3 million de morts dans trois pays : Irak, Afghanistan et Pakistan. Les associations à l’origine du rapport cité en lien parlent d’un « crime contre l’humanité proche du génocide ».
Les paradoxes de Dany
Selon les circonstances, les postures de Dany peuvent-être radicalement différentes. Pour clarifier notre propos, revenons sur François Hollande qui remit la Légion d’honneur au prince héritier d’Arabie saoudite Mohamed Ben Nayef, évincé depuis par un putsch au profit de Mohamed Ben Salmane, fils du Roi Salmane, dans un pays qui au nom de la charia inflige à sa population mais également à certains ressortissants étrangers des châtiments cruels, inhumains ou dégradants. Sur ce point précis et factuel, Dany est resté complètement silencieux. Il n’a rien dit non plus fin 2015 quand Hollande s’est rendu aux obsèques du roi Abdallah d’Arabie : « un homme d’Etat dont l’action a profondément marqué l’histoire de son pays et dont la vision d’une paix juste et durable au Moyen-Orient reste plus que jamais d’actualité », nous chante le communiqué indécent de l’Elysée. Réaffirmons une fois encore que l’Arabie saoudite, à la tête d’une coalition auto-proclamée, a lancé au Yémen depuis le 26 mars 2015 des attaques aériennes délibérées contre des civils, mais aussi inflige à ses prisonniers de guerre la torture, le meurtre ou les mauvais traitements.
Si M. Daniel Cohn-Bendit peut parler ici ou là d’une “dictature alliée à l’Occident”, cela reste toujours lapidaire, noyé dans un flot d’informations, et surtout il ne dénonce jamais les liens qui unissent les oligarques occidentaux aux dirigeants des pétromonarchies du Golfe. En revanche, il profite allègrement des supports que le monde médiatique lui offre (radios, journaux) pour tirer à boulets rouges sur les pays mis à l’index par les Etat-Unis en visant leurs soutiens. Et là, il n’y va pas “avec le dos de la cuillère”. « Cohn-Bendit attaque Mélenchon sur ses vacances passées avec Chavez« . A propos de Mélenchon toujours : « Va te faire voir et va tutoyer Castro ». Et Daniel Cohn-Bendit s’en prend à Ségolène Royal, présente à Cuba lors des funérailles de l’ancien président Fidel Castro.
Au printemps 2016, nous avons assisté en France à des mouvements d’opposition à la Loi Travail portée par la ministre Myriam El Khomri. Suite à une des manifestations, “29 policiers furent blessés dans de violents affrontements en marge de la manifestation”. Quelle aubaine pour Daniel Cohn-Bendit qui insidieusement profitera de l’occasion pour amalgamer le mot “crime” à l’acronyme “CGT”. Petit extrait de son discours confusionniste, tendancieux et indigeste : « On est pour ou contre les manifestations de la CGT, j’en n’ai rien à cirer ce matin. Ce que je veux dire, c’est que ceux qui manifestent encore après ce crime horrible, et qui disent ’tout le monde hait la police’, ils sont frappadingues ». Même s’il prend soin une fois encore de masquer son jeu, Daniel Cohn-Bendit a toujours été pour la déréglementation du droit du travail. Son astuce est de détourner l’attention avec par exemple cette déclaration ronflante “Le gouvernement a tout faux sur la loi El Khomri“. Mais dès que nous consultons la totalité de l’article, nous nous apercevons que pour lui la réforme vient trop tard, et qu’il faut négocier uniquement avec la CFDT. Et pour cause, la CGT qui compte plus d’adhérents que l’ensemble des partis politiques, est totalement méprisée par ce “grand démocrate“ soi-disant “de gauche”, qui est favorable au travail le dimanche et à la privatisation des services publics. Pour lui « Des services comme le téléphone, la poste, l’électricité n’ont pas de raison de rester dans les mains de l’État ». Dans les colonnes de Libération il déclarait déjà en 1999 : « Je suis persuadé que si on dit non à l’économie planifiée socialiste, on dit oui à l’économie de marché. Il n’y a rien entre les deux ».
Sous les pavés, Macron !
Début 2016, Daniel Cohn-Bendit avait décidé de rallier le camp d’Alain Juppé en vue de la présidentielle de 2017. Fin 2016, nouveau changement de cap avec pour alibi la lutte contre le Front National. Daniel Cohn-Bendit soutient finalement le banquier d’affaire Emmanuel Macron. Jusqu’alors Dany et ses amis nous faisaient le coup du “rassemblement républicain”, mais seulement à partir du second tour. A présent, face à la jeunesse du candidat des réseaux du patronat, il n’est pas question que son nouveau poulain coure le moindre risque, il doit à coup sûr passer l’obstacle du premier tour. Pour ce faire quoi de mieux que le Front National, qui à chaque nouvelle élection remplit à souhait son rôle de monstre utile ?
Évidemment, beaucoup voient dans le FN une menace sérieuse, et qu’au vu de ce risque potentiel, ils justifient la trajectoire sinueuse de Cohn-Bendit. Et il est vrai que concernant le FN, Dany est toujours très démonstratif voire même théâtral. Cependant, ne perdons pas de vue que dans le domaine de la lutte contre les extrêmes notre homme est plutôt du genre indigné sélectif. Il y a les extrêmes dont il parle beaucoup, et ceux dont il omet de parler, par exemple les nazis ukrainiens. Ce roublard trouve toujours de bonnes excuses (FN, Union européenne) pour flatter ou s’associer à la droite. Nous avons évoqué François Bayrou, Michel Barnier et Alain Juppé mais il y eu également Jean Claude Juncker ou encore Angela Merkel, chancelière du pays aux 17 % de pauvres.
C’est que la pratique du grand écart est une autre facette de notre écolo-tartuffe. Après s’être associé au militant altermondialiste José Bové à la fin des années 2000, “le faucheur de champs d’OGM”, le “champion anti-McDo” qui prônait à cette époque la désobéissance civile, nous retrouvons Daniel Cohn-Bendit quelques années plus tard en train de soutenir son nouveau jeune poulain Emmanuel Macron drivé par Jacques Attali, qui fut lui même employé par Nicolas Sarkozy comme Rapporteur de sa Commission sur la croissance économique. Son rapport allait servir de corpus idéologique au quinquennat de Nicolas Sarkozy. Est-ce bien utile ici de rappeler son orientation économique et sociale ? Macron a ainsi été propulsé à moins de 30 ans rapporteur adjoint de cette fameuse Commission Attali, sans que cela n’ait posé depuis le moindre problème éthique à notre Caméléon en chef. Ajoutons à cette aberration le commentaire récent du journal l‘Humanité, qui nous signalait que le jeune Macron ne se souciait nullement de l’enjeu climatique, alors que si nous en croyons ses dires, ce serait pourtant le leitmotiv de Daniel Cohn-Bendit, décidément passé maître dans l’art de l’enfumage.
Dis-moi qui tu fréquentes, je te dirai qui tu es
En peu de temps, Emmanuel Macron aura créé autour de lui un réseau de think-tanks qui ont pour point commun d’être soutenus par des groupes industriels cotés en bourse et favorables à la déréglementation économique. Certains de ces cercles d’influence favorables à Emmanuel Macron offrent à Daniel Cohn-Bendit depuis plusieurs années des tribunes régulières. C’est le cas notamment de Terra Nova (financé par Vivendi, Areva et d’autres) et de la Fondation Jean-Jaurès (financée par des fonds publics). Toujours “du côté du manche-Macron”, Daniel Cohn-Bendit et la totalité des membres de ces think-tanks partagent en commun un mépris viscéral des classes populaires. Ainsi, quelques mois avant son investiture, alors qu’il était ministre du gouvernement Valls II, notre nouveau président s’est fait connaître du grand public avec ses propos sur les employés des abattoirs Gad : « Il y a dans cette société (Gad), une majorité de femmes, il y en a qui sont pour beaucoup illettrées« . Dans un autre style, Daniel Cohn-Bendit lui, profère « Il faut arrêter de dire que le peuple a toujours raison« . Ce jour là Daniel Cohn-Bendit fut fortement contrarié par le résultat du Brexit. Il fustigea la décision des Anglais avec ce type d’arguments : « Quand un peuple vote pour l’extrême droite, quand un peuple vote pour le nazisme, il n’a pas raison, même si c’est le peuple !« . Ou encore : « Si le peuple veut la peine de mort, je suis contre le peuple« . Or primo, nous avons vu que l’extrême droite et partiellement le nazisme étaient désormais au pouvoir en Ukraine après un putsch cautionné par les élites européennes et états-uniennes. Secundo, après des présidents tels que Bill Clinton ou Barack Obama, qui sont des références pour les élites françaises, la peine de mort n’a pas été abolie aux États-Unis, pays où plus de 4% des condamnés à mort seraient innocents. Enfin tertio, “démocratie” ne veut pas dire que le peuple ou la majorité ont raison. La démocratie est simplement un système politique dans lequel la souveraineté émane du peuple. Les autres systèmes sont le pouvoir d’une minorité (oligarchie) et le pouvoir d’un seul (despotisme).
Le sacre de l’enfant-roi
Pour fêter les résultats du premier tour de l’élection présidentielle, Daniel Cohn-Bendit fut l’invité d’Emmanuel Macron dans une brasserie parisienne. En acceptant de participer avec quelques personnalités du Tout-Paris à une soirée “bling-bling » organisée de surcroît par le nouveau “président des riches”, Daniel Cohn-Bendit venait de franchir un nouveau palier. Lui qui habituellement a l’art et la manière de faire passer ses injonctions pour des lois universelles, ne peut plus dire que son choix politique est circonstanciel à l’histoire. L’excuse du “je vote pour lui à cause de Le Pen” ne tient plus. Bref, ce soir là Daniel Cohn-Bendit a implicitement admis qu’il était macronien avec tout ce que cela implique.
Ainsi, au côté d’Emmanuel Macron et Daniel Cohn-Bendit, nous constatons sans trop de surprise la présence éminemment symbolique de Stéphane Bern, l’animateur pro-monarchies qui profite de la télévision publique pour nous vendre une fable qui glorifie les nobles. Ce dernier est même devenu après l’élection de Macron « Monsieur Patrimoine ». Indéniablement séduit par les symboles de puissance royale, en 2017 Emmanuel Macron a fêté ses 40 ans à Chambord. Après tout, le nouveau président Macron s’inscrit dans une certaine logique puisqu’il avait commencé sa campagne électorale chez Philippe de Villiers, la tête de gondole de l’anti-républicanisme. Et quelques mois auparavant n’avait-il pas déclaré : « il manque un roi à la France » ? Après ces déclarations, comprenons que “La République en Marche”, le parti d’Emmanuel Macron, aurait du s’appeler “La Contre-Révolution en Marche”, tant les convergences entre le pôle vieille France ravivé par Emmanuel Macron, et notre illustre représentant de l’idéologie libérale-libertaire sont nombreuses.
Conclusion
Dès l’après mai 68, Michel Clouscard attire notre attention sur le véritable rôle des nouveaux faiseurs d’opinion. Selon lui, ils sont les idéologues d’une doctrine anti-révolutionnaire qu’il qualifie de libérale-libertaire. Par son style libertaire et ses idées franchement libérales Daniel Cohn-Bendit est assurément la figure emblématique de la contre-révolution bourgeoise. Si l’indélicatesse est son principal attribut, un examen de ses états de service nous indique qu’il est inutile de rechercher chez lui une quelconque traîtrise. Daniel Cohn-Bendit est tout simplement devenu ce qu’il a toujours été : un bourgeois astucieux et élitiste soucieux de conserver ses privilèges. Quelle que soit la couleur de son maquillage, le mépris des classes populaires est une constante dans son parcours politique. Par conséquent, il n’a jamais supporté les structures politiques (syndicats et partis) qui à travers l’histoire des luttes sociales ont participé à l’émancipation de la classe ouvrière. Sa version des droits de l’homme n’est qu’un vulgaire détournement qui a pour objectif la justification des guerres que mène l’Occident pour des intérêts à la fois économiques et géostratégiques. Enfin, il est européiste car l’Europe au demeurant atlantiste, est totalement assujettie aux puissances de l’argent. Ainsi, toujours du bon côté du rapport de force, il est l’homme que les médias consultent pour tout et n’importe quoi. Une position qui lui a sans nul doute permis de contribuer à l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, un nouveau Président qui illustre parfaitement le “mix” entre le libéralisme – libertaire et la nostalgie de l’ancien régime.
ANTICONS - Observatoire du néo-conservatisme