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Intoxication médiatique. Le cas des vrais-faux exilés politiques cubains.


Lors du Forum social de Caracas, Salim Lamrani, s’appuyant sur l’exemple cubain qu’il a longuement étudié, s’est appliqué à montrer comment la presse alternative pouvait démonter les mensonges de la propagande états-unienne.

Encore faut-il mobiliser les compétences et les moyens pour effectuer les recherches comparatives nécessaires au replacement des faits dans leur
contexte.


8 février 2006


Les élites mondiales, grâce au contrôle qu’elles exercent sur les
transnationales de l’information, imposent à l’humanité une vision de la
réalité minutieusement régie par un cadre idéologique. Les barrières
doctrinales mises en place sont destinées à écarter toute pensée alternative
qui risquerait de remettre en cause le bien fondé de l’ordre mondial actuel.
Ainsi, le rôle des médias n’est pas de fournir une information objective aux
citoyens mais de défendre l’ordre politique, économique et social établi,
par divers moyens efficaces, tels que la propagande, la désinformation et la
censure.
Le rôle de la presse alternative est de constituer un rempart contre la
manipulation de la réalité. Il existe un cas d’école qui devrait être étudié
dans tous les centres de recherche sur la désinformation, car il a atteint
un niveau de sophistication inimaginable. Il s’agit de Cuba, qui constitue
un cas unique au vu de la différence abyssale entre la représentation
idéologique véhiculée par les médias occidentaux et la réalité du pays. L’intoxication
médiatique à l’encontre de la problématique cubaine est tellement efficace
qu’elle a même contaminé les secteurs les plus progressistes du monde
développé.


Le cas de l’émigration cubaine vers les États-Unis

Les exemples sont nombreux mais un seul suffit à démontrer l’ampleur de la
désinformation organisée par les médias internationaux. L’argument
migratoire est souvent utilisé pour stigmatiser le processus révolutionnaire cubain. Selon certains, le nombre « élevé » de Cubains qui ont émigré vers
les États-Unis est la preuve même du manque de légitimité du gouvernement de La Havane.

Ce postulat est assené par la plupart des médias internationaux sans qu’aucune
analyse du phénomène ne soit jugée nécessaire. Cela est d’autant plus
curieux que les statistiques de l’émigration cubaine vers les États-Unis
sont disponibles pour l’époque allant de 1820 à 2003, c’est-à -dire plus de
dix-huit décennies [1]. Pour quelles raisons alors, la presse internationale n’illustrerait-elle pas son adage concernant l’émigration cubaine par le
biais de chiffres précis comparant la période prérévolutionnaire à l’époque
actuelle ? Au nom de quel principe simplificateur, une comparaison entre les
phénomènes migratoires latino-américain et cubain ne serait-elle pas mise en
avant pour éclairer ce débat manifestement polémique ?

La presse internationale se garde bien d’analyser de manière minutieuse et
détaillée l’émigration cubaine vers les États-Unis. Elle craint sans doute,
à juste titre d’ailleurs, que les conclusions tirées à partir des données
fournies par les services d’immigration étasuniens contredisent, de façon la
plus implacable qui soit, son fameux postulat et dévoilent au grand jour le
caractère trompeur et idéologique de ce dernier.


Émigration massive avant 1959

Avant la déroute de Fulgencio Batista en 1959, Cuba émettait plus d’émigrants
vers les États-Unis que l’ensemble de l’Amérique centrale et l’ensemble de l’Amérique
du Sud réunies. De plus, l’àŽle des Caraïbes produisait largement plus d’émigration
que l’Afrique et l’Océanie réunis et dépassait de nombreux mastodontes
démographiques d’Asie tels que la Chine, l’Inde, l’Iran, la Turquie, le
Pakistan ou l’Indonésie.


Législation spéciale pour inciter l’émigration

En 1966, le Congrès étasunien a adopté la loi d’Ajustement cubain qui
octroie à n’importe quel citoyen cubain qui émigre légalement ou
illégalement le statut de résident permanent. Cette législation a pour
objectif d’inciter à l’émigration illégale afin d’utiliser celle-ci comme
arme politique contre le gouvernement cubain. A cette loi, il convient d’ajouter
la guerre économique brutale que les États-Unis appliquent contre Cuba
depuis 1960, qui affecte énormément la population et qui constitue un
facteur d’incitation à l’émigration.


1993 et la « période spéciale »

Il est important de s’arrêter sur l’année 1993. Cette date représente le
pire moment de la période spéciale. En effet, en 1991, date de l’effondrement
de l’Union soviétique, les Cubains ont encore pu bénéficier dans une
certaine mesure du commerce avec le bloc de l’Est. En 1992, les réserves
nationales ont permis à la population cubaine de surmonter les premières
difficultés. Mais en 1993, il ne restait plus rien.

Il ne serait pas surprenant de découvrir que l’année 1993 ait été synonyme d’émigration
massive vers les États-Unis, au vu des conditions économiques et
géopolitiques auxquelles Cuba a dû faire face. Mais, contrairement à toute
attente, il n’en a rien été. En effet, Cuba n’a émis que 13 666 émigrants en
1993 contre 17 156 pour le Canada, 17 241 pour la Jamaïque, 26 818 pour le
Salvador - soit deux fois plus -, 45 420 pour la République dominicaine -
soit trois fois plus -, et 126 561 pour le Mexique, soit près de dix fois
plus. Ainsi, en 1993, Cuba n’a occupé que le sixième rang des nations
américaines émettrices d’émigrants.


1994 et la vague des « balseros »

Quant à 1994, la date est importante dans la mesure où elle a été marquée
par la grande vague de « balseros », nom donné aux Cubains essayant d’émigrer
à bord d’embarcation de fortune (balsa = radeau). Ces évènements ont été
extrêmement médiatisés et politisés par la presse internationale qui donnait
l’impression que l’ensemble de la population cubaine cherchait à quitter l’àŽle. Quelle a été la réalité ?

En 1994, Cuba n’a enregistré 14 727 départs derrière le Canada avec 16 068
départs, le Salvador avec 17 644 sorties, la République dominicaine avec 51
189 émigrants - soit trois fois plus - et le Mexique avec 111 398 sorties. Cuba ne se situait qu’en cinquième position des pays américains en terme d’émission
migratoire vers les États-Unis.


L’émigration actuelle

Il est intéressant d’effectuer un bilan migratoire en utilisant les
dernières statistiques. En 2003, Cuba a ainsi seulement été à l’origine de 9 304 émigrations vers le Voisin du Nord. La Perle des Caraïbe n’occupait en
2003 que le dixième rang sur le continent américain en terme d’émigration,
derrière le Pérou (9 444), le Canada (11 446), Haïti (12 314), la Jamaïque
(13 384), le Guatemala (14 415), la Colombie (14 777), la République
dominicaine (26 205), le Salvador (28 296) et le Mexique (115 864). Ainsi, Cuba est passé du second rang en 1959 au dixième rang en 2003.


Politisation de la problématique migratoire

Curieusement, la problématique migratoire n’a jamais été politisée pour les
autres nations. Par exemple, pour l’année 2003, le Salvador, un pays qui compte une population deux fois inférieure (5, 75 millions d’habitants) à 
celle de Cuba (11 millions), a émis trois fois plus d’émigrants vers les
États-Unis que Cuba. Cependant, personne n’a jamais utilisé ce facteur pour
qualifier le régime politique du Salvador de régime totalitaire. De la même
manière, la République dominicaine a enregistré trois fois plus de départs vers le Voisin anglophone que Cuba, alors qu’elle ne compte que 8,5 millions
d’habitants. La Jamaïque qui compte à peine 2,6 millions d’habitants, c’est-à -dire
une population 4 fois inférieure à celle de Cuba, a été à l’origine de plus
de sorties vers les États-Unis que Cuba. Haïti, dont la population s’élève à peine à 6,8 millions d’habitants, soit près de deux fois moins que celle de
Cuba, a produit plus d’émigration vers les États-Unis que la plus grande àŽle
des Caraïbes. De plus, ces pays ne disposent d’aucune loi d’ajustement et ne
souffrent pas de sanctions économiques. Pourtant, personne n’a jamais osé
utiliser un tel argument pour qualifier les autorités des pays en question
de régimes dictatoriaux.

Le constat est donc simple : l’argument migratoire n’est pas valable pour
désigner Cuba comme un pays que ses habitants voudraient fuir. Mais lorsqu’il
est quand même utilisé par la presse occidentale, force est de constater que
cet argument vise à la stigmatisation idéologique du pays.

Salim Lamrani

[Intervention lors du Forum social mondial de Caracas le 27 janvier 2006 sur le rôle de la presse alternative dans la préservation de la mémoire.]


Salim Lamrani, chercheur français à l’université Denis-Diderot (Paris VII), spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis. Dernier ouvrage publié : Washington contre Cuba : un demi-siècle de terrorisme et l’affaire des Cinq, Le Temps des Cerises éd.

- Publié sur Réseau Voltaire :
www.voltairenet.org/article135299.html

- Transmis par CSP


Cuba en ligne de mire, par Noam Chomsky.


Sur John Lennon, Cuba et les années 60, par José Perez.

Cuba : cible obsessionnelle de l’administration Bush, par Salim Lamrani.

Le prix Nobel Günter Grass se joint à l’appel pour la libération des Cinq cubains emprisonnés aux USA.


Réponse aux mensonges de Reporters sans frontières, par Salim Lamrani.

Les Etats-Unis et la « dissidence » cubaine, par Salim Lamrani.





- Peinture : Margari
margari@wanadoo.fr..



[1Toutes les données concernant l’émigration cubaine et mondiale de 1820 à 
2003 sont tirées de Office of Immigration Statistics, « 2003 Yearbook of
Immigration Statistics », U.S. Department of Homeland Security, septembre
2004, pp. 12-14.


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