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Le goût du Tibet. Le dégoût d’une certaine "tibétologie"

Édité en 2017 par le Mercure de France, vient d’être mis sur le marché un livre de petit format (10 cm X 16 cm), de moins de 100 pages, intitulé "Le goût du Tibet", sous-titré "Les grands écrivains racontent le Pays des Neiges". Il est vendu au prix de 3,90 € comme supplément au N° 464 de la revue GEO d’octobre 2017.

Un programme prometteur

Il s’agit de 24 petits « textes choisis et présentés par Jean-Claude Perrier », regroupés en 5 chapitres :
- Aspects fondamentaux d’une civilisation et illustres dalaï-lamas
- Étonnants voyageurs
- Le Tibet des poètes
- Le Tibet aujourd’hui
- Trois pages d’histoire.

Programme sympathique et prometteur, sans aucun doute, mais, dès l’introduction ... « gaullienne » de Jean-Claude Perrier, intitulée « Vive le Tibet libre ! », on aura vite compris qu’il s’agit d’une œuvre de propagande.

Des récits de voyage peu représentatifs

Parmi les aventuriers célèbres qui ont eu accès au Tibet d’Ancien Régime, trouvent ici leur place le missionnaire lazariste Évariste Huc (mort en 1860) et les explorateurs Gabriel Bonvalot, Alexandra David-Néel, Ovché Narzounof et Jacques Bacot (tous nés peu après 1860). Plus près de nous, on peut aussi lire un reportage de la grande voyageuse Marie-José Lamothe décédée en 1998.

Deux questions :

- Primo : pourquoi, chez ces auteurs, avoir choisi tel passage plutôt que tel autre ? Ainsi, par exemple, pourquoi avoir retenu chez Huc ses considérations de peu d’intérêt sur la ... licorne plutôt que ses pages décrivant la cupidité des lamas ? Pourquoi, autre exemple, avoir retenu, chez Alexandra David-Néel, sa relation de la ... légende du roi Gesar, alors qu’on peut trouver chez elle beaucoup de textes extrêmement critiques à l’égard du lamaïsme, du 13e dalai-lama ou du système politico-social tibétain ?

- Secundo : les auteurs cités seraient-ils « les grands écrivains » que le sous-titre du recueil promet au lecteur ? Si l’Américain McGovern, le Japonais Kawaguchi, le Suédois Sven Hedin, le Russe Tsybikov, l’Allemand Ernst Schäfer, l’Italien Fosco Maraini, etc. ont été exclus de la sélection des « étonnants voyageurs », serait-ce en raison d’une mauvaise qualité littéraire ou pour une autre raison ?

Une mythologie aseptisée

Dans la mesure où la mythologie tibétaine, comme toute autre mythologie, constitue un récit donnant des clés pour comprendre une civilisation, on lira avec intérêt les contributions de Drukpa Kunley, le moine connu comme le « fou divin » (1455-1529), du 6e dalaï-lama Tsandyang Gyatso (1683-1706), du 7e dalaï-lama Gyalwa Kalzang Gyatso (1708-1757), de la nonne Pema Chödrön (née Deirdre Blomfield-Brown en 1936 à New York), ainsi que la relation, par l’auteur américain contemporain Mikel Dunham, des exploits fantastiques des « guerriers de Bouddha ».

Il importe de noter que ce storytelling, élaboré à coup de récits édifiants et de gestes épiques, a pour effet de masquer le fanatisme religieux, la cruauté et les penchants criminels des « guerriers de Bouddha » en chair et en os. Leur chef historique Gompo Tashi Andrugtsan fut un riche commerçant et... un ivrogne ; son neveu Wangdu Gyatotsang, plus tard chef de la base terroriste de Mustang au Népal et un des premiers Khampas formés par la CIA, fut un meurtrier qui, dès avant sa carrière terroriste, avait tué un garde du corps d’un chef local. Son prédécesseur comme chef des « résistants » au Mustang, nommé Baba Gen Yeshi, « ressemblait plus à un chef de tribu féodal qu’à un chef de partisans moderne », selon les dires d’un historien militaire américain, Joe Bageant, tandis que l’historien A. Tom Grunfeld le caractérise comme ayant été « analphabète, mais très intelligent et totalement dénué de scrupules ».

Une bouffée d’air poétique

Loin de ces djihadistes du lamaïsme, « Le Tibet des poètes » constitue sans doute la partie la plus originale et la moins problématique du Goût du Tibet.

À côté d’un poème du célèbre Milarépa, cet ascète qui aurait vécu au 11e siècle, on trouve des productions beaucoup plus récentes de poètes connus, liés de près ou de loin au Tibet, comme Victor Segalen (1878-1919) et Antonin Artaud (1896-1948) ou comme nos contemporains, le Tibétain Palden Gyal ou l’Ardennais André Velter.

S’il est vrai que le mystérieux Tibet, avec ses montagnes qui semblent toucher le ciel, constitue une source d’inspiration inépuisable, il ne faut pas oublier que - au même titre que les récits d’aventures et les fables mythologiques - la « géopoétique » (pour reprendre le concept développé par Kenneth White) participe à la fascination qu’un certain Tibet anhistorique continue d’exercer sur l’inconscient collectif occidental.

Une histoire mythifiée

Toutefois, quand il s’agit d’Histoire, on ne peut plus se contenter de métaphores ni de fables, ce que fait pourtant allègrement la célèbre tibétologue Claude Levenson (1938-2010) dont la grille d’analyse se révèle faussée par l’admiration inconditionnelle qu’elle n’a cessé de vouer au dalaï-lama après être tombée sous son charme en 1981. Il faut lire ou relire, à ce propos, l’article éclairant d’Albert Ettinger, L’étrange « Tibet » de Mme Levenson (www.tibetdoc.org, → Politique → Médiatisation).

Exemple, parmi bien d’autres, de cette incroyable croyance : dans le récit qu’elle fait du départ pour l’exil du dalaï-lama le 17 mars 1959, Claude Levenson écrit en toutes lettres : « En fait, cette nuit-là, consulté en catastrophe, l’oracle d’État a ordonné un départ immédiat et indiqué le chemin à suivre » (p. 78).

Ainsi, toute la préparation et l’organisation de cette fuite :

  • en 1950, le transfert du trésor du Potala dans les caves du maharadja du Sikkim),
  • en 1951, la promesse écrite de l’Ambassadeur des États-Unis en Inde de fournir au dalaï-lama argent et aide militaire en cas de départ,
  • à partir de 1956, le soutien de la CIA aux insurgés khampas,
  • en 1959, la participation de cette CIA à l’exfiltration du dalaï-lama, tous ces faits aujourd’hui dûment documentés se résument, pour Mme Levenson, à l’accomplissement d’un ... oracle.

Mais de qui se moque-t-on ? C’est du roman. Du roman pseudo-historique, du même niveau que ceux de l’avocat-romancier américain Eliot Pattison (pp. 88 et ss.), lequel, par le truchement de son « héros » Shan, se complaît à broder sur le « génocide culturel méthodique » dont souffrirait le Tibet.

Bravade et mépris

Le lecteur informé ne manquera pas de trouver inappropriée, et même choquante, la publication, pp. 20-26, de deux textes de Sogyal Rinpoché, ce célèbre gourou tibétain, fondateur des centres Rigpa, dont même le dalaï-lama a dû se désolidariser en raison de ses comportements aberrants (www.tibetdoc.org → Religion → Bouddhisme dans le monde).

Le livre de Marion Dapsance Les dévots du bouddhisme dénonçant les dérives de Sogyal Rinpoché a paru en juillet 2016. Le Goût du Tibet ayant été imprimé en septembre 2017, les éditions « Mercure de France » ont eu plus d’un an pour être informées du caractère sulfureux du personnage.

Si elles ont décidé malgré tout de lui donner une fois de plus la parole comme si de rien n’était, ce ne peut être qu’une manifestation de bravade et de mépris pour toutes les victimes des comportements sectaires de certaines chapelles du bouddhisme tibétain en vogue dans nos pays.

Une introduction bête et méchante

Revenons pour terminer à l’introduction signée par Jean-Claude Perrier. Parmi le recopiage de sempiternels à-peu-près, contrevérités, erreurs historiques et autres procès d’intentions qu’on retrouve régulièrement dans les écrits alignés sur Dharamsala, contentons-nous de relever une bêtise de taille et une accusation innommable.

Page 9, il écrit : « Il y aura bientôt au Tibet huit Han pour un Tibétain. » Quand on sait que, dans l’ensemble du « Grand Tibet », les Han ne représentent qu’environ 32% de la population et que, dans la RAT (Région autonome du Tibet), ils ne sont que 7%, on mesure l’énormité de la bêtise : en matière de délire démographique, voilà les scribouillards les plus agressifs du « Free Tibet » battus à plate couture !

Mais il y a pire : « Ainsi, écrit M. Perrier, dès 1949 et la proclamation de la République populaire de Chine, Mao se lança dans une offensive de reconquête des ‘frontières naturelles’ de son pays, théorie du Lebensraum qui avait déjà fait ses preuves dans l’Allemagne nazie » (p. 8).

Première remarque : avant d’être ravalé au rang de protectorat britannique entre 1904 et 1950, le Tibet n’avait jamais cessé pendant des siècles, avec un lien plus ou moins étroit selon les époques, d’être une province de l’empire chinois (comme en attestent les travaux des historiens sérieux).

Deuxième remarque : la référence au nazisme est particulièrement déplacée et abjecte, surtout quand on connaît le rôle des dirigeants tibétains durant la 2e guerre mondiale et les amitiés durables de l’actuel dalaï-lama avec des dignitaires nazis (*).

Dès qu’il s’agit du Tibet, une certaine intelligentsia française a décidément tendance à devenir inintelligente jusqu’à devoir utiliser, en guise d’argument, la référence au point Godwin. Dire que Jean-Claude Perrier a posé par deux fois sa candidature à ... l’Académie française ! Heureusement, sans succès.

André Lacroix


(*) pour plus de détails sur la question, on lira avec intérêt sur le site www.tibetdoc.org :

- la recension du livre de Gilles van Grasdorff sur des SS au pays des dalaï-lamas

- un article sur les mauvaises fréquentations du dalaï-lama ,

- une critique des soi-disant clichés tibétains

AJOUT DU GS :

Sur l’effroyable régime de 14 dalaï lama, sur l’ignorance du peuple voulue, sur la cruelle dictature des moines et des aristocrates, sur les liens du dalaï lama actuel avec la CIA, sur l’esclavage et les "dettes héréditaires", deux fléaux immédiatement abolis par Pékin après la fuite du dalaï lama, voir le livre de Maxime Vivas : "Dalaï lama pas si zen" 2011, éditions Max Milo.

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