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Doit-on voter en 2017 si on est de gauche ?

Les médias dominants ont décrété de façon générale que l’année 2016 était une année pourrie, et ce, à cause des attentats, du Brexit, de la guerre en Syrie, de l’élection de Trump, etc. Ça m’a énervé un peu parce que, pour ma part, j’ai passé une super année, mais outre ça, déclarer comme ça qu’une année entière est pourrie, c’est franchement réducteur et limité à sa vision d’éditocrate bourgeois parisiens qui ne voient la marche du monde qu’à travers à un nombre limité d’événements.

Pour ma part, j’ai trouvé qu’en 2016 les choses ont commencé à bouger, du moins, un peu plus que les années précédentes. On a vu un vaste mouvement social contre la loi travail et l’expérience collective Nuit Debout en émerger, et on a aussi vu le Brexit au Royaume-Uni et l’élection de Donald Trump aux États-Unis. Je vois ces deux derniers événements d’un œil assez positif. Comment ? me demanderiez-vous. Parce qu’ils constituaient une rupture avec le centre mou consensuel qui gouvernait la majorité des pays occidentaux ces dernières décennies. Les élites de la petite bulle médiatico-sondagière étaient persuadées qu’Hillary Clinton allait gagner, et elles avaient réussies à m’entraîner dans la bulle avec elles. Le résultat a prouvé qu’elles étaient désormais hors de toute réalité factuelle et que leur pouvoir d’influence sur les événements étaient rompu.

Ces deux votes constituaient un changement du statu-quo. Alors oui, un changement par la droite extrême, avec tous les relents nauséabonds que ça avait : racisme, sexisme et repli sur soi. Et ça c’est parce que la gauche n’a pas su occuper le terrain de ce désarroi généralisé.

Beaucoup de gens à gauche, dans les milieux plus “militants” disons, croient, à raison, que la politique se joue bien au delà des élections. Elles se jouent dans les mouvement sociaux, dans les causes pour lesquelles on s’engage, dans les associations, dans les expériences communautaires, dans la façon de vivre et de consommer, etc. Bref, c’est une affaire du quotidien. Je souscris totalement à cette vision. Là où je ne suis plus d’accord, c’est quand on se met à penser que, puisque la politique est ailleurs, les élections n’ont plus aucun rôle à jouer dans la vie des gens (alors je bémole tout de suite en disant que toutes les élections ne se valent pas et qu’il faut les prendre au cas par cas. Par exemple, je comprends qu’on boycotte les élections européennes, puisque c’est pour élire un parlement qui ne peut pas proposer de lois, seulement valider celles d’une Commission européenne non-élue, et qui n’a donc aucun pouvoir effectif). Pire, si on vote, on ne fait que valider ce système qui nous oppresse. Voter aux prochaines élections seraient donc un truc sale, pas la “vraie” politique.

Mais qu’on le veuille ou non, la politique, dans la tête des gens, ça reste des encravattés qui sortent de l’ENA, qui savent manier la langue de bois et dont le discours est en dissonance totale avec les actes. Ça reste des gens qui s’étripent dans des débats télévisés sur des sujets périphériques comme l’Islam, le terrorisme et l’insécurité, et qui passent à côté des grands enjeux comme le travail, l’économie et le climat. Pour la majorité des gens, la politique, c’est ça. C’est l’élection présidentielle.

Alors je comprends très bien qu’on n’ait pas envie de se mouiller là-dedans, mais si on ne le fait pas, on se prive de l’exercice massif et collectif de politique qu’est le vote, et on compte sur la multiplications des actions groupusculaires, atomisée et individuelles pour changer les choses. Alors que je pose la question : est-ce que ce ne serait pas plus efficace de faire les deux ? De considérer toutes ces choses sur un même continuum ? Faire une manif le vendredi, récupérer dans les poubelles le samedi et aller voter le dimanche.

Dans ce cas, il faut se demander alors si voter aux élections ne serait pas contre-productif, comme ça a pu l’être. Or je pense que cette année, ce n’est pas le cas.

Tout d’abord parce que c’est la première fois dans la Ve république qu’un président sortant ne se représente pas, et c’est la première fois qu’un parti “de gouvernement” comme le PS est dans les choux. Pour le système médiatique, le PS ça a toujours été “la gauche”, mais ces cinq dernières années ont quand même mis à rude épreuve cette idée chez les sympathisants. Je ne sais pas comment on peut encore penser que le PS est de gauche après nous avoir sorti les crédits d’impôts aux entreprises (CICE), l’état d’urgence, la loi Macron, la déchéance de nationalité, la loi Travail, et j’en passe. Il était passé à droite depuis bien longtemps, mais ce n’est que maintenant qu’une grande partie de la population découvre le pot aux roses, si je puis dire. Si le PS est mort, que reste-t-il comme alternative ? Macron ? Bon. Le mec sort de l’ENA, est issu d’une banque, paie l’ISF, et a été ministre de l’économie de François Hollande. Faudrait vraiment être crédule pour croire que ce type ne va pas nous la faire à l’envers.

Lui, comme ceux à sa droite, ne propose que le prolongement du statu-quo : déréguler le marché du travail, abaisser la protection sociale et privatiser les services publics, conformément aux directives de l’Union Européenne, pour que les marchés aient la flexibilité nécessaire pour atteindre ce prophétique équilibre parfait entre l’offre et de la demande, ce qu’ils sont voués à accomplir par nature (et opération du Saint-Esprit). Et peu importe si cela accroît les inégalités et détruit l’environnement. C’est cette vision idéologique pure, le néo-libéralisme, qui est promue. Théorisée dans les années 70 et appliqué dans les années 80 jusqu’à aujourd’hui, elle a succédé au keynésianisme de l’après-guerre, et comme toutes les idéologies qui l’ont précédée, elle a fait son temps jusqu’à se révéler grossièrement inadéquate lors de la crise financière de 2008.

Mais son cadavre subsiste à travers le gris uniforme des partis de gouvernement, et leur épouvantail préféré, le FN, parti dont ils ont désespérément besoin pour faire voter les gens pour de mauvaises raisons (et au fond, ils se contenteraient même de l’avoir au pouvoir, puisque, comme eux, le FN ne changerait rien).

Pour tuer le zombie du néo-libéralisme en France, on peut commencer par un geste simple : faire la peau au PS, son servile promoteur et facilitateur depuis 3 décennies. Et pour ça, une solution à l’horizon court : voter Mélenchon aux présidentielles (et pour les candidats France Insoumise aux législatives, cela va de soi).

On peut ne pas apprécier la personnalité de Mélenchon, ne pas être d’accord sur tous les points de son programme, mais le fait est que c’est le seul candidat qui défende des valeurs historiques de gauche : augmentation des salaires, baisse du temps de travail, renforcement de la sécu, etc. avec le twist d’inscrire la transition écologique dans son programme, et pas sur le mode de la “croissance verte”, oxymore privilégié de l’oligarchie, mais une vraie remise en cause du productivisme et du consumérisme. C’est aussi le seul qui a pour objectif de prendre le pouvoir. Des partis comme Lutte Ouvrière, le NPA et Europe-Écologie y ont renoncé, mais se présentent toujours pour des raisons diverses, qu’il serait intéressant d’étudier, mais ce n’est pas mon sujet.

J’en vois qui se plaignent déjà, qui trouvent que c’est beaucoup trop incarné dans un espèce d’homme providentiel. Mais les institutions de la Ve république sont faites comme ça, centrées autour d’un seul homme inamovible pendant 5 ans. Ce que Mélenchon propose de changer dès qu’il entrerait en fonction. En plus, lui il connaît le système, puisqu’il en a fait parti, mais il en a été marginalisé depuis qu’il a quitté le PS, la preuve qu’il fait peur aux patrons. Il a un pied dedans et un pied en dehors du système, pour moi ça en fait le candidat idéal.

Mais va-t-il appliquer les mesures qu’il préconise ? Ça, j’en sais rien, mais lui n’a pas eu cinq ans de présidence pour faire exactement l’inverse de tout ce qu’il avait dit, donc on peut lui donner le bénéfice du doute.

Même s’il n’y a pas de garantie de résultat, voter Mélenchon en masse aura pour effet de le placer devant le PS, et donc devenir la première force de gauche du pays (je vous rappelle que Macron se déclare “ni de droite ni de gauche”… donc de droite, ai-je besoin de faire la démonstration ?). On aura ainsi une gauche “de gauche”, pour la première fois depuis 30 ans. Elle pourra occuper davantage l’espace médiatique et s’opposer efficacement à la droite, puisqu’elle n’a pas les mêmes idées qu’elle. Et ça c’est très important pour la bataille des consciences. Si l’on peut entendre des idées comme salaire à vie ou décroissance davantage sans qu’un chien de garde pouffe derrière son micro ou ne mentionne la dette, les gens vont se sentir beaucoup plus autorisés à les penser.

L’idée qu’il y a un rapport de force dans la société sera remise au goût du jour, chose niquée par le PS, alias la droite complexée (F. Lordon). Ce que Bernie Sanders aurait pu faire aux USA, si encore une fois l’oligarchie incarnée par Clinton n’avait pas tout fait pour conserver ses privilèges. C’est ce qui s’est presque passé en Espagne, avec Podemos qui talonne désormais le PSOE, et c’est ce qui s’est passé en Grèce avec Syriza, qui a fait chuter le PASOK à 4%, alors qu’ils étaient à la tête du pays. La remise au premier plan d’idées véritablement de gauche remotiverait les troupes un peu démoralisées de son camp, dont sa base ouvrière, qui s’est réfugiée depuis longtemps dans l’abstention. Je vois ça comme une début de remède face à la résignation, au défaitisme, au fatalisme et à la morosité qui traverse une partie de la population.

Certes, ce n’est pas ça qui va faire péter le capitalisme. Mais le capitalisme ne va pas péter du jour au lendemain. Ça peut durer encore longtemps, et certaines périodes historiques ne sont pas propices à cette lutte. Avant, il y avait le poids de l’URSS dans le rapport de force, mais depuis sa disparition en 1991, la capitalisme est désormais mondial, et la lutte se fait à l’intérieur du système. Alors pourquoi voter à des élections nationales puisque le problème est beaucoup plus large ? Parce que je pense qu’il faut un point de départ, une base d’où on peut se défendre qui ait une signification historique, dans laquelle beaucoup de gens se reconnaissent. Un État, par exemple.

Voter Mélenchon, c’est contribuer de façon minimale au changement du système, mais le faire advenir plus rapidement qui si on ne votait pas, parce qu’on se propulse déjà au niveau national. Cela ne va pas tout régler, mais “tout régler” est un horizon philosophique inatteignable. L’histoire ne va pas s’arrêter, les révolutions ont émaillé toutes les époques et toutes les régions du monde. Il y a eu et il y aura toujours des luttes de pouvoirs. Rien n’est joué d’avance. Tout ce qu’on peut faire, c’est fixer cet horizon et faire les pas dans la bonne direction.

Pour en apprendre plus sur Mélenchon et ce qu’il propose, je vous conseille sa chaîne YouTube. C’est à l’écart des grands médias, et on peut le voir plus calme et détendu, avec du temps pour expliquer ses idées.

Laurent Crevon
Écrivain, artiste numérique, développeur web
lcreation.fr

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