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Il y a 100 ans : Pâques sanglantes

Le 24 avril 1916, le lundi de Pâques, alors que depuis près de deux ans l’Europe était plongée dans une guerre cruelle et fratricide, une poignée de travailleurs révolutionnaires et de combattants nationalistes unis se soulevaient dans la capitale irlandaise, occupant quelques bâtiments publics dont la Poste centrale d’où les chefs des insurgés allaient proclamer une République d’Irlande indépendante de la couronne britannique. Les insurgés tinrent tête toute une semaine à l’armée et à la marine britanniques.

S’ils restèrent isolés et ne purent entraîner à leur suite les masses ouvrières et paysannes opprimées d’Irlande, s’ils furent écrasés sous les bombes et les obus d’une des plus fortes armées impérialistes, les insurgés de Pâques 1916 n’en annonçaient pas moins la fin prochaine de la domination séculaire de la Grande-Bretagne sur l’Irlande et l’indépendance de la majeure partie du territoire de l’île. Ils ouvraient la première brèche dans l’Empire britannique.

La conquête de l’Irlande par l’Angleterre ne s’acheva qu’au XVIIe siècle. Elle consacra l’expropriation brutale des paysans irlandais au profit de grands propriétaires anglais. Saignée par des fermages exorbitants, la population pauvre des campagnes irlandaises connut les famines à répétition. Une des plus importantes, celle de 1847, fit au moins un million de morts et contraignit un million et demi d’Irlandais à l’émigration. Elle provoqua aussi un exode vers les villes qui virent leur population plus que doubler en une quarantaine d’années. Une classe ouvrière moderne se forma.

En 1913, pour s’opposer à l’agitation grandissante des travailleurs de Dublin qui entendaient imposer la reconnaissance de leur syndicat, les patrons locaux décidèrent de fermer les entreprises de la ville. Ce lock-out dura six mois. Maintes fois les travailleurs s’opposèrent physiquement à la police et aux nervis patronaux. C’est au cours de ces combats que se formaient, à l’initiative de militants syndicalistes et socialistes, une organisation d’auto-défense ouvrière, l’Irish Citizen Army. Les travailleurs furent vaincus mais ils gardèrent leurs organisations. Leurs dirigeants, comme le socialiste James Connolly, devinrent des leaders réputés et respectés. La classe ouvrière irlandaise apparut comme l’aile la plus déterminée du nationalisme irlandais, prête à se battre non seulement contre l’oppresseur britannique mais aussi contre l’oppression du capital, britannique et irlandais.

À l’éclatement de la Première Guerre mondiale, James Connolly et le Parti Républicain Socialiste Irlandais furent de la minorité qui, au sein de la Deuxième Internationale, restèrent fermement attachés à l’internationalisme. Pour Connolly, de même que « le socialiste d’un autre pays est mon concitoyen », guerre ou pas, le capitaliste de son pays demeurait « l’ennemi naturel ». Il défendit la nécessité d’un soulèvement populaire pour mettre fin à la guerre « qui ne cessera de brûler tant que le dernier trône et les derniers titres et obligations capitalistes n’auront pas brûlé » et de profiter du fait que l’oppresseur britannique était occupé en Europe.

Par crainte des réactions populaires, le gouvernement britannique avait renoncé à soumettre les jeunes Irlandais à la conscription militaire obligatoire. La rumeur selon laquelle le gouvernement pourrait revenir sur cette décision sembla réunir aux yeux de Connolly, et des jeunes militants nationalistes radicaux avec lesquels il s’était associé, les conditions favorables à une action révolutionnaire.

La milice nationaliste irlandaise des Irish Volonteers devait profiter des fêtes de Pâques pour effectuer des manœuvres d’entraînement. C’est en pensant ainsi forcer la main aux dirigeants nationalistes que les jeunes nationalistes qui y participaient décidèrent d’appeler à l’insurrection à cette occasion.

Avertis, les dirigeants annulèrent la plupart des manœuvres, isolant ainsi les nationalistes radicaux et les socialistes de Connolly organisés autour de l’Irish Citizen Army. Écrasés sous les yeux d’une population impuissante, les insurgés durent se rendre. Les principaux dirigeants, dont Connolly, furent fusillés.

Mais loin de marquer la fin du combat, cette répression fut en fait le début d’une lutte acharnée qui, à l’issue d’une guerre civile qui dura près de cinq ans, devait contraindre la Grande-Bretagne à accepter l’indépendance irlandaise, à l’exception des comtés à majorité protestante du nord-est qui formèrent l’Ulster.

Le seul tort de ces Irlandais, comme l’a dit Lénine, fut de s’être « insurgés dans un moment inopportun, alors que l’insurrection du prolétariat européen n’était pas encore mûre ». Mais en levant le drapeau de la rébellion, c’est cette insurrection qu’ils anticipaient.

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Daniel Mermet

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