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Charlie Hebdo et la liberté bourgeoise d’expression

Rarement un concept n’a été aussi glorifié et exalté que la liberté d’expression. Président de la République, Gouvernement, Parlement et médias, dans une étrange communion, l’ont célébrée avec enthousiasme et exubérance. Et pendant que la classe dirigeante prétend défendre cette précieuse liberté, ses institutions répressives traquent, interpellent, jugent, condamnent et parfois emprisonnent tous ceux et toutes celles qui expriment une pensée différente ou tout simplement profèrent des mots vite interprétés comme faisant « l’apologie du terrorisme ». Un climat détestable règne aujourd’hui en France. Une forme de terrorisme intellectuel et de fascisation des esprits s’installe insidieusement au nom de la liberté d’expression.

«  Les idées dominantes d’une époque n’ont jamais été que les idées de la classe dominante » - Karl Marx

« Je continue de prendre pour modèle de référence le « Charlie » originel : le grand Charlie Chaplin qui ne s’est jamais moqué des pauvres » - Schlomo Sand

La classe dominante, sans vraiment le vouloir, présente sa liberté d’expression comme étant celle de toutes les autres classes sociales. Lorsqu’elle évoque la liberté d’expression, c’est à sa liberté qu’elle pense. Car elle est justement l’expression de ses propres intérêts. Ce qui est permis aux uns est interdit aux autres. Autrement comment peut-on expliquer cet acharnement à vouloir taire et étouffer tout ce qui se dresse, d’une manière ou d’une autre, contre la pensée dominante (voir le sort réservé aux syndicalistes, intellectuels contestataires, journalistes, humoristes, lanceurs d’alerte etc. etc. ). Les grands médias, qui ont une influence considérable sur l’opinion publique, sont concentrés entre les mains de puissants groupes industriels et financiers qui utilisent la liberté d’expression uniquement pour servir leurs intérêts économiques et idéologiques. La liberté d’expression reste un privilège de classe.

Est libre toute expression qui sert directement ou indirectement les intérêts dominants. Est suspecte, voire parfois criminelle, toute pensée différente. Même les enfants et les adolescents n’échappent pas à cette logique de suspicion et de répression (1). Leur parole spontanée heurte la vérité officielle. Il faut la condamner. Cette répression constitue par elle-même une éclatante négation de cette fameuse liberté bourgeoise d’expression.

Les idées autres que celles du pouvoir deviennent insupportables. Seule la liberté d’expression de la classe dominante doit régner : « L’école est en première ligne aussi pour répondre à une autre question car même là où il n’y a pas eu d’incidents il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves, et nous avons tous entendu les “oui je soutiens Charlie, mais…”, Les deux poids deux mesures. Pourquoi défendre la liberté d’expression ici et pas là ? Ces questions nous sont insupportables » déclarait une éminente représentante du Gouvernement (2). Donc plus de questionnements, plus d’interrogations, plus d’esprit critique, plus rien. Place au gavage et au dressage.

Beaucoup de professeurs travaillent aujourd’hui dans des conditions difficiles sous l’œil vigilant des parents d’élèves, de l’administration, de la police et des procureurs. Aucun professeur n’est à l’abri d’accusation, de dénonciation et autre délation.

Les citoyens ne doivent plus s’interroger sur le drame de Charlie Hebdo. Plus de questions sur les racines du terrorisme, sur le rôle des États-Unis, de la France, de l’Arabie Saoudite, du Qatar et de la Turquie dans la création de ces groupes armés qui sèment aujourd’hui la terreur un peu partout à travers la planète . Ils doivent seulement répéter ce que le pouvoir pense à leur place. C’est la seule liberté d’expression qu’on leur laisse.

Plus de questions non plus sur la société française qui produit et produira probablement encore des monstres. Car le questionnement, les interrogations et la recherche des causes complexes internes et externes du terrorisme peuvent mettre en exergue les liens étroits qui existent entre les bourgeoisies occidentales et le terrorisme. Les terroristes ne tombent pas du ciel comme la pluie. Ils sont le produit de leur société et de leurs conditions matérielles d’existence (3).

Pour la classe dirigeante, ces questions sont tout simplement « insupportables ». La bourgeoisie est donc incapable de supporter une véritable liberté d’expression. Elle adopte en permanence de nouvelles lois, de plus en plus répressives, pour protéger sa propre liberté d’expression et partant ses propres intérêts. Elle s’attaque directement non seulement aux actes, mais également aux opinions (nouvel article 421- 2-5 du code pénal). Ainsi l’emploi du terme « apologie » dans la loi du 13 novembre 2014 renvoie à un discours, un écrit ou une opinion qui fait l’éloge ou qui glorifie le terrorisme. La loi confond ici opinion, aussi choquante soit-elle, et acte. Un écrit justifiant le terrorisme est assimilable à un acte terroriste. Il s’agit donc d’une pénalisation du délit d’opinion, une restriction à la liberté d’expression comme l’envisage la Cour européenne des droits de l’homme (4).

Mais au-delà de l’aspect judiciaire, c’est la dimension politique et idéologique qui intéresse la bourgeoisie. Il s’agit à travers la lutte contre le terrorisme de créer un climat, un sentiment d’union nationale permettant et facilitant non seulement de nouvelles attaques contre les libertés individuelles dont la liberté d’expression mais également l’application de politiques d’austérité qui ravagent aujourd’hui la France. Cet état d’esprit, basé sur l’exploitation de l’émotion, de la colère et de l’indignation suscitées par le drame de Charlie Hebdo, doit se prolonger le plus longtemps possible tellement il sert les intérêts de la classe dirigeante. « L’esprit du mois de janvier 2015, c’est l’unité de la République(...) Cet esprit-là, je dois le prolonger » disait le chef de l’État (5).

La liberté d’expression est une arme idéologique redoutable entre les mains de la bourgeoisie qui lui permet de mieux combattre celle des autres. Elle l’utilise pour marginaliser et réduire ses adversaires au silence tout en se présentant, paradoxalement, comme la grande protectrice de cette précieuse liberté. En définitive, la liberté d’expression est le reflet de cette lutte des classes qui déchire la société capitaliste.

Miguel Antonio

»» http://www.belaali.com/2015/03/charlie-hebdo-et-la-liberte-bourgeoise-...

(1) http://www.franceinfo.fr/emission/france-info-numerique/2014-2015/apol...

Voir également http://www.laprovence.com/article/edition-arles/3246613/chateaurenard-...

(2) http://www.najat-vallaud-belkacem.com/2015/01/14/najat-vallaud-belkace...

(3) Même si le profil type du terroriste ou du djihadiste n’existe pas, il n’en demeure pas moins que les raisons profondes des terroristes français sont à chercher dans les conditions mêmes qui les ont vus naître et grandir. Il ne s’agit pas ici de justifier les horreurs et les crimes commis par ces terroristes et les souffrances qu’ils ont infligé aux familles des victimes, mais seulement d’évoquer très rapidement les situations économiques et sociales que subissent une partie des jeunes des classes populaires.

Quelle a été par exemple l’enfance des frères Kouachi ? Misérable ! Absence du père et une mère qui se prostituait pour pouvoir élever ses enfants. Abandonnée à son triste sort, elle a mis un terme à sa vie. Il ne s’agit là que d’un exemple parmi tant d’autres tellement la situation faite aux enfants des travailleurs immigrés par la classe dominante est insupportable. Parqués dans des ghettos entourant les grandes métropoles industrielles, ils subissent plus que les autres catégories de la population toute sorte de violence, d’humiliation, de rejet et de mépris. Leur religion est caricaturée au sens propre et figuré par une partie des médias et par des intellectuels au service de l’ordre établi. La laïcité est souvent utilisée comme une arme contre l’Islam et les musulmans de France. Le monde politique et médiatique leur est hermétiquement fermé. La liste des jeunes, morts dans les commissariats ou lors des interpellations est, hélas, trop longue. Échec scolaire, discriminations massives à l’embauche et au logement, insultes des hommes politiques (sauvageons, voyous, racaille, Kärcher, Casseurs... ), contrôles au faciès ont convaincu ces damnés de la terre qu’ils ne font pas partie de la communauté nationale. http://www.ville.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_onzus_2011.pdf voir également : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/11...

Rejetés, frustrés et désespérés, une petite minorité de ces jeunes tombent facilement dans les griffes des recruteurs professionnels qui les arrachent littéralement à leur milieu et à leur famille. Contre les humiliations accumulées, le djihad est vécu comme une revanche violente contre une République qui les a vus naître sur son sol, mais qui les a rejetés.

La propagande intense développée par les bourgeoisies occidentales contre le régime de Bachar a largement contribué au départ de ces jeunes pour la Syrie avec la complicité de la Turquie. Le soutien indéfectible des gouvernements occidentaux à l’État d’Israël et la destruction de l’Afghanistan, de l’Irak, de la Libye et aujourd’hui de la Syrie avec l’aide des groupes terroristes qu’ils ont créés sont vus par ces jeunes non pas comme des calculs et des manœuvres de l’impérialisme pour servir ses intérêts économiques et stratégiques, mais comme une guerre de l’occident contre l’Islam et les musulmans.

(4) http://www.vigo-avocats.com/media/article/s6/id566/cff8e3f8340f9c9dc69...

(5) http://www.elysee.fr/conferences-de-presse/article/5e-conference-de-pr...


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