Le projet de barrage qui devait être édifié à Sivens (Tarn) est suspendu après la mort d’un jeune manifestant, consécutive à un tir de grenade par les forces de gendarmerie.
Le décès d’un homme impose la retenue. Valide-t-il pour autant la cause que celui-ci entendait défendre ?
Le projet de barrage qui devait être édifié à Sivens (Tarn) est suspendu après la mort d’un jeune manifestant, consécutive à un tir de grenade par les forces de gendarmerie.
Le décès d’un homme impose la retenue. Valide-t-il pour autant la cause que celui-ci entendait défendre ?
Suffit-il désormais d’exciper d’un martyr pour gagner une bataille ? Et si, par malheur, les ouvriers de Florange ou de Good Year avaient déploré une victime dans leurs rangs, les pouvoirs publics eussent-ils organisé dare-dare le sauvetage de leurs usines respectives ?
On en doute, tant l’émotion médiatique semble à géométrie variable. Et tant pis pour les habitants pro-barrage qui ont défilé par milliers à Albi le 15 novembre. L’empathie ne paraît décidément pas analogue, selon que l’on défend l’environnement ou son outil de travail. Si les sanglots n’ont pas manqué pour Rémi Fraisse, on cherche en vain les larmes publiques quand un agriculteur, qui n’arrive plus à vivre de son labeur, met fin à ses jours. Ce qui se produit dans le pays une fois tous les deux jours. Ainsi va la France officielle de 2014 : on honore plus celui qui se consacre à la défense des renoncules que celui qui travaille à nourrir la population.
Le propos n’est ici nullement d’évaluer la pertinence de Sivens en particulier. Mais de pointer un constat : le barrage a vu se dresser contre lui les mêmes opposants que ceux qui tentent de faire capoter ici l’aéroport de Notre-Dame des Landes, là la ligne à grande vitesse entre Lyon et Turin, ou, en tous lieux, la prospection de gaz de schiste.
Chaque dossier en lui-même peut être bon ou mauvais, en fonction des besoins et du contexte. Mais tel n’est nullement le souci des militants environnementalistes (et l’on n’évoque pas ici les « casseurs » cagoulés) qui courent d’un bout à l’autre de l’Hexagone (voire viennent de plus loin), dès lors qu’une « zone humide », une fleur sauvage, ou une adorable bestiole sont à préserver. Et ils ne manquent jamais de solliciter l’appui de la Commission européenne. Cette dernière vient d’ailleurs obligeamment d’entamer une enquête sur place, et pourrait déclencher incessamment une procédure d’infraction contre la France, sur la base de deux directives de protection de l’environnement.
Précisément, le cri de ralliement des activistes est, dans tous les cas de figure : « on doit respecter et défendre la nature ». Le pire est qu’aujourd’hui, une telle assertion paraît raisonnable, voire « évidente ». Or elle signe en réalité la quintessence d’une formidable régression anthropologique. Ce « prière de laisser la nature dans l’état où vous l’avez trouvée » réfère à un « âge d’or » où l’homme aurait vécu « en harmonie avec la nature » ; ou bien appelle de ses vœux un tel horizon. C’est pourtant le propre des sociétés humaines que de relever les défis infinis de la connaissance, de la maîtrise, et de la transformation de la matière.
Au tamis des pressions idéologiques environnementales actuelles, quel grand projet d’équipement de ce dernier demi-siècle aurait pu être réalisé ? Ni les centrales nucléaires, évidemment, ni probablement aucun barrage hydroélectrique, ni aucune extraction minière, ni l’aéroport de Roissy, ni une ligne TGV… Depuis quelques semaines, la pression idéologique monte sous forme d’un véritable tir de barrage. Se multiplient ainsi articles, tribunes, reportages, documentaires et interviews qui nous le répètent à satiété : il nous faut vivre plus sobrement, plus lentement, et abandonner nos rêves criminels de croissance.
En réalité, même si les dirigeants nationaux et de l’UE continuent de jurer qu’ils vont œuvrer pour ranimer l’activité économique, ils savent pertinemment – parce qu’ils en sont responsables – que le système est devenu incapable de générer une croissance significative, et ne continue à enrichir les oligarques que par l’économie financière, prédatrice d’emplois industriels et agricoles.
Dès lors, ledit système secrète une idéologie qui tourne cette incapacité en ode à l’ascétisme (« l’être plutôt que l’avoir »), et, dans une ruse digne d’Orwell, nomme cette régression progrès. Cerise (bio) sur le gâteau, il fait scander cette admirable mélodie par ceux qui se croient ses adversaires.
Sidérurgistes de Florange et agriculteurs du Tarn pourront donc crever en paix : à l’air pur et en zone humide.
VANESSA IKONOMOFF, journaliste à BRN.
Source : BRN. Information et abonnements : www.brn-presse.fr