M. MOBO
Alors que le colonel Zida avait finalement cédé aux pressions internationales et confié la présidence du pays aux civils en la personne du diplomate et ancien représentant du Burkina Faso aux Nations Unis, Michel Kafango, on ne peut que déplorer de voir l'armée reprendre les commandes de manière si insidieuse et s'installer au gouvernement pour en tirer les ficelles. Une présence militaire au sommet de l'Etat qui suscite logiquement un certain malaise auprès de la communauté internationale et qui pourrait faire regretter la stabilité du régime de Compaoré, un régime valable sur bien des points selon Jean Yves Ollivier, spécialiste des relations diplomatiques en Afrique.
L’armée entend donc conserver son influence dans le jeu politique et cela était bien sûr prévisible. Les intenses tractations qui ont mené à la désignation du gouvernement le dimanche 23 novembre dernier ont vu les deux postes clés de la Défense et de l’Intérieur revenir à des militaires. Le lieutenant-colonel Issac Zida cumulera le poste de Premier ministre avec celui de ministre de la Défense, tandis que le président de la transition Michel Kafando occupera également le poste de ministre des Affaires étrangères.
Au total, quatre militaires figurent dans ce gouvernement intérimaire, en comptant le lieutenant-colonel Issac Zida. Le colonel Auguste Denise qarry, l’un des plus proches collaborateurs de Zida, a été nommé ministre de l’Administration territoriale et de la Sécurité, l’équivalent du ministère de l’Intérieur.
Une présence qui fait craindre forcement le basculement de ce gouvernement de transition vers une dictature militaire sans partage. Une situation encore hypothétique bien sûr mais qui pourrait être bien pire que les 27 ans de pouvoir du président déchu Blaise Compaoré et faire regretter la relative liberté dont jouissait le peuple il y encore quelques mois. Car sans évoquer les problèmes de chômage et de pauvreté qui ont motivé le rejet du président en place, le Burkina Faso se démarquait jusqu’à aujourd’hui par un système démocratique moderne au regard des autres Etats de la région du Sahel.
Comme le souligne dans ce sens Jean-Yves Ollivier, « sans être une démocratie modèle, le régime de Blaise Compaoré n’était pas non plus une oppression au quotidien. Il y avait une liberté de la presse enviable au Burkina Faso. Et pendant 27 ans, le pays a tourné, les gens ont paisiblement vaqué à leurs affaires et leurs enfants sont allés à l’école. Il faut avoir beaucoup de mépris pour "le citoyen de base" pour faire comme si ce n’était rien ».
Blaise Compaoré n’aura finalement pas su lâcher les reines du pouvoir pour organiser lui même sa propre succession dans des conditions pacifiques, évitant ainsi que la situation ne dégénère. Et si le peuple a finalement obtenu ce qu’il cherchait, il faut espérer désormais qu’il n’aura pas perdu au change et que Michel Kafango aura l’autorité nécessaire pour garantir des élections libres et transparentes.
"Maintenant, nous allons les juger sur les actes à venir, expliquait un jeune commerçant au micro de RFI. Ce n’est pas l’armée qui a la force, c’est le peuple". Un peuple qui pourrait bien tenter de se faire entendre une nouvelle fois si la situation venait à se radicaliser. Seul problème, face à l’armée, l’issue d’une nouvelle contestation pourrait bien être beaucoup plus violente.