RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

Du 15M aux ’mareas’, une histoire populaire ponctuée de luttes

Alors que l’Espagne vit une crise humanitaire sans précédent, le mouvement social subit une répression constante d’un régime qui a peur du changement et protège ses intérêts. Le bipartisme PP/PSOE qui alternent au pouvoir depuis la fin de la dictature, est fort affaibli par une succession de luttes sociales victorieuses et l’irruption d’initiatives populaires qui mettent en pratique de nouvelles façons de faire de la politique. À n’en pas douter, l’Espagne entre dans une phase de mobilisation qui augure de possibles changements politiques importants.

Dans un contexte de recul des droits sociaux, de répression violente du régime sous un gouvernement aux ordres des institutions financières internationales (OCDE, Commission européenne, FMI...), grossit une lame de fond d’un peuple indigné réclamant le changement. L’alternance bipartiste où la démocratie se résume au bulletin de vote pour que fondamentalement rien ne change, constitue un fléau à détruire afin d’œuvrer à l’émancipation populaire capable de générer une démocratie réelle sous contrôle citoyen.

Les quelques victoires récentes qui s’accumulent au prix de luttes exemplaires provoquent l’espérance d’un changement possible et imminent encourageant l’engagement. Or la mobilisation sociale en effervescence est un processus de création, d’échange et de construction de pensées critiques porteuses de changements. En l’espace de 3 ans, l’Espagne est passée de l’indignation débouchant sur des revendications profondes d’ordre général à la mise en place de structures fédératrices et programmatiques permettant de les appliquer. Cette évolution s’est opérée par l’apprentissage d’une nouvelle façon de faire de la politique, une pratique inédite dans ses formes et sa force.

L’histoire sociale est ponctuée de luttes

Quelques mois après le mouvement indigné (communément appelé 15M en Espagne pour la date historique du début du mouvement, le 15 mai 2011 |1|), le PP gagnait l’élection présidentielle de décembre 2011 donnant l’occasion aux détracteurs du mouvement social de le délégitimer en le mettant au défi de réaliser le changement politique « légalement » par les urnes. Par la suite, les places publiques se sont vidées, l’affluence aux assemblées s’est réduite au minimum, il semblait que la vague 15M refluait. Beaucoup ont dit que le mouvement était « mort » sans être parvenu à ses fins. C’était sous-estimer un mouvement inter-générationnel d’une telle ampleur, un mouvement qui a généré un changement de conscience collective sur la place publique en Espagne et ailleurs dans le monde. L’adhésion à une réelle démocratie (le pouvoir au peuple) et à la défense des droits sociaux bafoués y a fait consensus. Même après l’occupation des places, le 15M n’a jamais totalement disparu. Il a certes perdu en visibilité mais s’est dissous dans une multitude d’initiatives collectives : médias alternatifs, marchés de troc, banques de temps, potagers collectifs, coopératives... Différentes coordinations se sont mises en place, pour le droit au logement, pour une constituante, contre la répression, pour la nationalisation des banques, la défense de l’eau, pour un Audit citoyen de la dette (PACD) |2| ... Des moments forts de mobilisations ont continué à ponctuer l’histoire sociale : en février 2012, le mouvement des collégiens de Lluis Vives (établissement central de Valencia), appelé aussi « printemps valencien », mobilise contre les coupes budgétaires dans l’éducation qui, durant tout l’hiver, les ont privés de chauffage dans les classes de cours |3| ; la marche noire, « Marcha Negra », qui a rassemblé des milliers de mineurs et leurs familles, venus à pied d’Asturie et León le 11 juillet 2012 devant le Ministère de l’Industrie à Madrid ; la manifestation du 25 septembre 2012, « Rodea el Congreso » organisée par la Coordination 25S ; La marche du 23 février 2013, 23F, date anniversaire de la tentative de coup d’État en 1981, dénonçant le coup d’État financier et les coupes budgétaires, etc.

Par ailleurs, ont émergé les « marées » (« Mareas » en espagnol) dont les manifestations sont reconnaissables par la couleur vestimentaire des manifestants : marée blanche pour les secteurs en lutte dans la santé connue pour sa lutte emblématique contre la privatisation de six hôpitaux à Madrid, verte pour l’éducation, rouge pour la science, bleue pour la défense de l’eau, noire pour la défense des conditions de travail des fonctionnaires et contre les coupes budgétaires ou encore violette pour le droit des femmes. Dès lors le mouvement social s’est structuré autour de revendications sectorielles. Il ne manquait plus qu’à unir ces forces puis les inciter à prendre le pouvoir...

L’effet Gamonal et les Marches de la dignité

En ce début d’année 2014, Gamonal, un quartier populaire de Burgos qui compte plus de 25 % de chômeurs, a réussi à stopper un projet urbanistique engageant des dépenses de plus de 8 millions d’euros pour la construction d’un boulevard et un parking payant. L’abandon du projet urbanistique imposé à un quartier aux besoins sociaux gigantesques est une victoire importante du mouvement social qui a été répercutée dans tout le pays contre le défaitisme ambiant, comme un antécédent de victoire possible. Cette lutte a considérablement motivé le mouvement social en démontrant qu’il pouvait gagner, du moins localement. On parle de « l’effet Gamonal » pour signifier son potentiel effet de contagion. Dès lors l’espoir ressuscité encourage la mobilisation. Le slogan « si se puede ! » (oui c’est possible !), devenu célèbre suite aux victoires de la PAH |4| pour empêcher les expulsions de logement de près de 1200 personnes, s’est généralisé au sein de tous les rassemblements et luttes sociales du pays. Un nouveau pas de l’histoire des luttes sociales venait d’être franchi. En novembre 2014, de nouvelles mobilisations ont lieu à nouveau à Burgos, cette fois-ci convoquées par l’Assemblée contre la spéculation pour l’arrêt du projet de restauration des arènes engageant un budget de 5,6 millions d’euros.

Par la suite, de grandes mobilisations fédérant toutes ces marées humaines ont fait irruption, comme celles des Marches de la dignité réclamant du pain, du travail, un toit et la dignité (“pan, trabajo, techo y dignidad”) qui a réuni près d’un million de personnes venues de tout le territoire à Madrid le 22 mars 2014 |5|. Celles-ci ont constitué un succès de mobilisation radicale, d’implication territoriale étendue et unitaire via un processus venu d’en bas. C’est sans aucun doute une évolution qualitative importante et la coordination des Marches compte bien poursuivre les mobilisations notamment du 24 au 29 novembre 2014, par des actions et manifestations.

Jérôme Duval

»» http://cadtm.org/Du-15M-aux-mareas-une-histoire

Notes

|1| L’appellation « mouvement indigné » est venue des médias insinuant une relation directe avec le livre de Stéphane Hessel, Indignez-vous.

|2| Plataforma Auditoría Ciudadana de la Deuda, PACD. http://auditoriaciudadana.net/

|3| Grisleda Pinero, Jérôme Duval, Espagne. Le mouvement social exige des comptes, 14 avril 2012. http://cadtm.org/Espagne-Le-mouvement-social-exige

|4| Coordination des affectés par l’hypothèque, PAH : http://afectadosporlahipoteca.com/

|5| Marchas de la dignidad : http://marchasdeladignidadmadrid.wordpress.com/ et Jérôme Duval, Les Marches de la Dignité convergent sur Madrid, http://cadtm.org/Les-Marches-de-la-Dignite


URL de cet article 27383
   
Même Thème
30 ans d’Humanité, ce que je n’ai pas eu le temps de vous dire
Michel TAUPIN
Quel plaisir de lire José Fort ! Je pose le livre sur mon bureau. Je ferme les yeux. Je viens de l’avaler d’une traite. Comme je le trouve trop court, je décide de le relire. Même à la seconde lecture, il est captivant. Cette fois, j’imagine ce qu’aurait été ce bouquin illustré par son compère Georges Wolinski comme c’était prévu. Ç’aurait été tout simplement génial. Des tarés fanatiques ne l’ont pas permis. La bêtise a fait la peau de l’intelligence et de l’élégance. De l’élégance, José (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

Aussi longtemps qu’on ne le prend pas au sérieux, celui qui dit la vérité peut survivre dans une démocratie.

Nicolás Gómez Dávila
philosophe colombien

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.