De l’indignation au pouvoir (partie 2)
Injustice et corruption
Pour l’année 2013, le Conseil général du pouvoir judiciaire (CGPJ) relève 1 661 affaires en cours dans différents tribunaux espagnols pour des crimes liés à la corruption. |1| Dans un contexte d’enchaînement ininterrompu de scandales, le PP croule sous les affaires de corruption. En établir la liste ici serait fastidieux. Mentionnons toutefois le cas de l’ex député du PP, Rafael Blasco, condamné en mai dernier à huit ans de prison pour malversation, délits de corruption, trafic d’influence, contrefaçon et détournement de fonds publics. Entre 6 et 9 millions d’euros de l’Aide publique au développement, initialement destinés à des projets de développement parmi lesquels un hôpital en Haïti après le tremblement de terre de 2010 |2| ou des projets d’extraction d’eau au Nicaragua, ont été détournés. Par exemple, sur 1,8 million d’euros de projets au Nicaragua, seulement 43 000 euros sont arrivés à destination. Le reste, a entre autre servi à l’achat d’appartements à Valencia pour une valeur d’environ 1 million d’euros. Citons, par ailleurs, l’affaire de l’architecte valencien Calatrava qui a surfacturé des projets urbanistiques, tel le projet avorté de trois gratte-ciel pour lequel Calatrava a tout de même reçu 15 millions d’euros. Enfin, on ne peut éviter la macro affaire Gurtel de financement occulte du PP dans laquelle plus de 150 personnes sont accusées et dont seul l’ex trésorier du PP Luis Bárcenas est en prison. L’organisation de la visite du Pape en 2006 à Valence qui a été l’occasion de détournement de fonds publics importants est directement liée à l’affaire Gurtel et l’Opus Dei.
Le 9 septembre, le député PP au Parlement valencien David Serra, accusé dans l’affaire Gurtel, sera le neuvième parlementaire impliqué dans des cas de corruption à quitter son poste. Il en reste encore deux exerçant leur fonction dans les rangs du PP à Valence. |3| Capitale de la corruption, Valence n’est pas seule et sans toutefois atteindre le niveau de délabrement du PP, certes difficile à rivaliser, les autres partis ne sont pas épargnés. Citons par exemple, le cas emblématique de l’ex-président de Catalogne entre 1980 y 2003, Jordi Pujol i Soley du parti Convergencia y Unión (CiU) qui a confessé avoir dissimulé au Trésor Public durant 34 ans ses comptes dans les paradis fiscaux en Andorre et en Suisse. Enfin, l’affaire en cours des cartes bancaires de Caja Madrid devrait occasionner des dégâts importants auprès de banquiers et politiques : 86 administrateurs et dirigeants de Caja Madrid, dont l’ancien dirigeant du FMI Rodrigo Rato, sont sous le coup d’une enquête pour avoir ainsi dépensé plus de 15 millions d’euros non déclarés, à des fins personnelles. Le chef de cabinet du ministère du budget, José María Buenaventura, un des bénéficiaires, a déjà démissionné début octobre après avoir pris connaissance du scandale... à suivre.
Chaises musicales. Les banquiers et PDG sont nos ministres et vice-versa
Partout en Europe, la connivence entre le pouvoir et le secteur bancaire capitaliste est omniprésente. Mario Draghi, ancien responsable de Goldman Sachs et consacré "personnalité de l’année" par le Financial Times en 2012 |4| , préside la Banque centrale européenne (BCE). En France, le nouveau ministre de l’économie et l’un des inspirateurs des coupes budgétaire de 50 milliards d’euros, Emmanuel Macron, est un ancien gérant à la Banque Rotschild. Il était ainsi devenu millionnaire en menant à bien en 2012 le rachat par Nestlé d’une filiale de Pfizer avant de devenir quelques semaines plus tard le Secrétaire général adjoint de l’Élysée et conseiller du président de la République sur les questions économiques et financières. |5|
Dans le même registre en Espagne, avant de devenir ministre de l’économie, De Guindos a été conseiller de Lehman Brothers jusqu’à sa faillite. Miguel Arias Cañete, ancien ministre (PP) de l’agriculture sous les gouvernements d’Aznar et Rajoy, fervent défenseur du fracking et en lien étroit avec l’industrie pétrolière, a été désigné au poste de commissaire européen en charge de l’Action pour le Climat et la Politique énergétique au sein de la Commission européenne pilotée par le très libéral Jean-Claude Juncker. Sous pression et largement soupçonné de conflit d’intérêt, il s’est alors décidé à vendre les actions qu’il détenait de deux entreprises qu’il présidait, Petrolífera Dúcar SL et Petrologis Canaris SL pour une valeur qu’il estimait lui-même en 2011 à plus de 320 000 euros. |6| Mais les affaires restent entre de bonnes mains puisque son fils, Miguel Arias Domecq, siège toujours au Conseil d’administration de Ducar depuis le 7 octobre 2013.
Certains regretteront le décès du réactionnaire Emilio Botín de la banque Santander survenue le 10 septembre sous les hommages larmoyants des médias. Quoi de plus naturel quand on sait, par exemple, que Santander est actionnaire du groupe Prisa, lui-même propriétaire du journal El País – et du quotidien français Le Monde. Mais nous sommes beaucoup plus nombreux à regretter l’arrivée de sa fille Ana Patricia Botín pour lui succéder. Cet épisode constitue un nouvel exemple du travail de désinformation effectué par les médias commerciaux qui, sans le vouloir, alimentent l’audience de médias alternatifs vers lesquels se tournent de plus en plus de citoyens en quête d’impartialité dans le traitement de l’information. Même l’ex président de l’organe de supervision des marchés boursiers (la Comisión Nacional del Mercado de Valores, CNMV) Manuel Conthe, a reconnu une presse aux ordres : « ...la presse espagnole a réalisé une couverture informative et élogieuse sur le banquier décédé tant excessive et servile que cela m’a paru "bananier" et incompatible avec l’idée d’une presse libre ». Il précise : « À quelques honorables exceptions près, la presse est dominée par de grands groupes d’entreprises et leurs bureaux de communication. Je l’avais déjà senti et manifesté quand j’étais président de la CNMV et, alors même que certains professionnels le niaient avec colère, cela reste une vérité incontournable. » |7|
Jérôme Duval
Partie 1 : http://www.legrandsoir.info/un-contexte-propice-a-l-indignation.html