Le programme de la coalition a pour dessein d’en terminer avec la transition vers la démocratie et d’en finir avec les aspects les plus pesants de l’héritage de Pinochet, notamment en remplaçant la constitution de 1980. Même si les projets de réformes n’ont, en soi, rien d’une révolution, comme l’a signalé l’avocat Eduardo Contreras de passage à Paris, la création de la NM n’a pas laissé les secteurs réactionnaires indifférents. Les manœuvres pour empêcher la coalition d’aboutir ont été nombreuses et nous pensons qu’elles sont loin d’être complètement épuisées.
Alors que la NM était en train de se constituer, deux personnalités sont venues au Chili pour obtenir des appuis politiques. La fille du dissident cubain Oswaldo Payá, invitée par la DC, est venue demander de l’aide au gouvernement chilien pour une enquête sur le décès de son père [1]. Plus tard, le malheureux candidat à la présidence vénézuelienne, Henrique Capriles, a souhaité, sans succès, s’entretenir avec la candidate Bachelet [2]. Ces deux visiteurs, connus pour leurs liens avec les USA, ont sans trop de mal déclenché des polémiques entre la DC et d’autres partis de la NM, notamment les communistes. En effet on connaît les désaccords qui existent entre les partis de la NM par rapport à certains gouvernements progressistes d’Amérique Latine.
La droite locale ne s’est pas non plus privée d’intervenir. Elle a vigoureusement dénoncé l’appui apporté à la candidate Bachelet par les communistes qu’elle accuse d’être partisans « de la voie chaviste », ce qui constitue un péché majeur pour les idéologues du néo-libéralisme [3]. En effet, ceux-ci sont bien conscients que le danger le plus grave et sérieux pour le système néo-libéral chilien est la constitution d’une alliance politique large, dotée d’un programme réaliste destiné à démonter les bases de l’œuvre du dictateur Pinochet.
Et à l’intérieur même de la NM cette fois, ce sont les démocrates-chrétiens qui ont tenté l’opération, en reprochant au PCCh sa politique de lutte frontale, y compris armée, contre la dictature [4] et sa permanente solidarité avec la révolution cubaine. De même, ils se sont déclarés inquiets de la forte implantation du PCCh dans les mouvements sociaux en soulignant qu’une telle implication rendait impossible sa participation à un gouvernement [5].
Toutes ces manœuvres n’ont pas réussi à empêcher la constitution de la coalition qui a donc présenté sa candidate, mais elles se poursuivent néanmoins.
L’ultime tentative ne date que de quelques jours, lorsque Gutemberg Martínez, ex-responsable du Parti Démocrate Chrétien, a déclaré que « ce serait une erreur » de la Présidente Michelle Bachelet si elle incluait des ministres communistes dans son gouvernement [6]. Ses propos ont, par la suite, été relayés par Ricardo Israel, ex-candidat au poste de Président pour le Parti Régionaliste (PRI) qui obtint 0,57% des voix [7]. Celui-ci est même allé plus loin en préconisant la création d’une Fédération des Partis du Centre, composée de Rénovation Nationale (RN), de la DC et du PRI, ce qui aurait comme résultat l’éclatement de la coalition de centre gauche.
Ces dernières démarches ont reçu une avalanche de critiques des responsables de la NM, y compris de la propre DC [8]. Michelle Bachelet, quant à elle, a tenu à clarifier la situation en déclarant que la composition des futurs cabinets ministériels relevait « de la compétence exclusive de la présidente » [9]. Cette précision n’est ni inutile, ni, comme le prétendent certains analystes, « préoccupante » [10]. En effet, lors de son précédent mandat, le pouvoir décisionnel revenait à M. Velasco, son ministre du budget, lequel non seulement fixait la priorité, pour des raisons budgétaires, des mesures politiques mais en définissait aussi la pertinence [11]. Ce ne sera désormais plus le cas et le programme de la NM sera vraisemblablement respecté, n’en déplaise à certains.
En conséquence, une des tâches qui attend le nouveau gouvernement nous semble être la lutte contre le néo-libéralisme qui a aussi ses partisans à l’intérieur de la majorité.
Mais, il en existe une autre, celle de convaincre un secteur politique qui pour l’instant doute de sa volonté politique de changement, celui de l’extrême gauche. Dès le pacte électoral entre l’ancienne Concertation et le PCCh pour les municipales d’octobre 2012, les représentants de la gauche « révolutionnaire » avaient dénoncé la « trahison » des communistes et voulu se positionner comme avant-garde du mouvement politique et social. Le principal reproche qu’ils adressent aujourd’hui à la NM, qu’ils s’entêtent d’ailleurs à appeler Concertation [12], est que cette alliance va appliquer, malgré ses promesses, une politique néo-libérale. Et pour justifier ce rejet ils ne cessent de rappeler la politique de l’ancienne Concertation, en particulier sous le mandat de Michelle Bachelet, occultant que les partis qui composent la NM ne sont pas les mêmes que ceux de la coalition précédente. Dans l’histoire du Chili, on a vu que de nouvelles conditions politiques pouvaient favoriser des changements de position, ce que l’extrême gauche refuse de croire. Si on l’écoutait, il serait impossible d’expliquer comment certains des plus proches collaborateurs d’Allende avaient, en 1952, soutenu l’élection du général Carlos Ibañez del Campo, ex-dictateur des années 27-31 [13].
Pour conclure, nous pensons que la mise en œuvre concrète des mesures contenues dans le programme de la NM, prévues pour être appliquées dès la première année du mandat [14], serait un bon antidote contre l’indifférence citoyenne à la politique.
Aujourd’hui les attentes sont énormes, y compris chez ceux qui jusqu’ici s’étaient auto-exclus et qui persistent à ne pas reconnaître la portée de cette élection. On peut même imaginer que la disparition de la constitution pinochetiste ouvrira des perspectives de luttes, auxquelles seront certainement tentés de se joindre de nombreux chiliens pour, à terme, terrasser le néo-libéralisme.
J.C. Cartagena et N. Briatte