L’impôt est toujours un instrument au service d’objectifs politiques, notamment dans deux domaines : le financement d’investissements et de services publics ; la répartition de la richesse nationale produite. Sur ce dernier aspect, le transfert des revenus du travail vers le capital se poursuit et devrait s’accélérer (« Crédit d’impôt compétitivité emploi », hausse de la TVA prévue en janvier…).
La réduction des déficits publics – c’est-à-dire en réalité des dépenses publiques – n’est pas une contrainte temporaire avant retour à meilleure fortune. Elle constitue un choix structurant et permanent au centre du modèle de société autour duquel a été conçue et construite l’intégration européenne, depuis son origine.
Il en va de même pour l’autre volet budgétaire : l’utilisation des ressources. Privilégie-t-on l’organisation publique de la réponse aux besoins collectifs ? Ou bien fait-on la part belle aux individus-consommateurs, confrontés à l’offre privée et concurrentielle du marché ? Là encore, on connaît la réponse fondatrice du Traité de Rome, dans laquelle doivent s’inscrire obligatoirement les Etats membres.
Il est cependant un secteur qui échappe à la pression permanente exercée sur les dépenses nationales : la dîme due au budget communautaire. Au terme d’un interminable et grotesque feuilleton, les institutions bruxelloises viennent d’adopter ledit Cadre financier pluriannuel, qui détermine recettes et dépenses de l’UE pour la période 2014-2020. Les eurodéputés, et tout ce que l’eurosphère compte de fédéralistes, se sont certes lamentés de la réduction de l’enveloppe (960 milliards) par rapport à l’exercice précédent. Il reste que la France verra sa contribution nette augmenter. En 2014, Paris devra ainsi verser 20,1 milliards d’euros à Bruxelles, soit 8,6 milliards nets si l’on déduit les fonds re-transférés vers l’Hexagone. A comparer aux 6,4 milliards annuels qu’a coûtés l’Union européenne entre 2007 et 2013. Soit une hausse de 15 milliards sur sept ans de cette contribution nette. Un « prélèvement obligatoire » qui augmente donc de plus de 33%, mais dont nos libéraux parlent peu…
On sait que le budget européen transfère des fonds considérables notamment vers les Etats ayant adhéré en 2004 et 2007. Sont ainsi financés des zones d’activité en Pologne, des autoroutes en Roumanie, des projets d’aménagement pilotés par la classe politico-maffieuse en Bulgarie... On sait moins que les pays-candidats, comme la Turquie, héritent également d’importants fonds communautaires censés préparer leur adhésion. Et même les Etats pour lesquels cette perspective n’est pas à l’horizon bénéficient des largesses bruxelloises. Pour ne prendre qu’un exemple d’actualité, l’Ukraine aura ainsi bénéficié de 470 millions d’euros.
Reste l’ultime question, sans doute la plus explosive : qui décide des politiques budgétaires ? Une nouvelle étape vient d’être franchie en matière de transfert – en fait, d’expropriation – de souveraineté : pour la première fois cette année s’appliquent les dispositifs de « gouvernance européenne » aux termes desquels la Commission prend désormais la main sur les budgets nationaux. Un coup de force qui ne semble pas émouvoir les dirigeants de la CGT ou de la CFDT, par exemple.
Or récemment, un rapport préfectoral alertait Matignon sur « une société en proie à l’exaspération et à la colère » au sein de laquelle « de plus en plus, les revendications sont portées en dehors du cadre syndical, à travers des actions plus radicales ». Comme si de rien n’était, les « partenaires sociaux » se sont mis d’accord, le 13 novembre, sur « l’agenda social 2014 ».
Au moment même où, dans la rue, mais pas seulement, la colère commençait à gronder.
PIERRE LEVY
Éditorial paru dans l’édition du 28/11/13 du mensuel Bastille-République-Nations
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Pierre Lévy est par ailleurs l’auteur d’un roman politique d’anticipation dont une deuxième édition est parue avec une préface de Jacques Sapir : L’Insurrection