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Asia Time

La Dernière Bataille : Exit Oussama, entre Hekmatyar

Traduction par Jean Santerre

ASADABAD, Afghanistan oriental - Il est 7h am dans la trés sale et trés pauvre, Place du Martyr de cette ville dévastée dans le coeur de la province de Kunar. Le soleil brille déjà trés haut et le grand, impétueux spectacle anti-terroriste américain est dans la ville.

Et quel spectacle ! Neuf véhicules, qui vont des Humvees aux Toyota HiLux, personnalisés avec des mitrailleuses, portant bien six soldats chacun, tous construits pour mettre sérieusement le feu, prennent possession de la place. La ville entière observe. Un commando monte l’escalier délabré du balcon de l’Istiqlal - le seul hôtel de la ville dont les toilettes incroyablement sales sont parsemées de graffiti sur le nouveau jihad contre l’Amérique. Le commando -s’engage dans une opération de recherche-et-déstruction de deux "criminels", comme le disent les Pashtuns locaux : votre serviteur, correspondant de l’Asia Times Online et son compagnon, parlant Pashtoun, journaliste basé à Peshawar Majeed Baber.

Les Forces Spéciales sont relativement polies - mais fermes. Les documents d’identité sont vérifiés et les photos et les vidéo sont ensuite effacées - sous une vigilance sévère. La prochaine fois, les caméras seront confisquées. Bien que le processus entier soit totalement illégal, tout est justifié au nom des conditions de sécurité "tendue". Scott, un des soldats, est un peu plus affable que les autres. Ils partagent un même uniforme, et un regard fixe de psychopathe. Scott confirme officiellement - et il sera le seul à le faire- que la véritable mission est d’"attraper Hekmatyar", ancien Premier ministre Afghan et chef militaire moujahideen célèbre, Gulbuddin Hekmatyar, le leader du Hezb-i-Islami (le parti Islamique).

Scott explique que les films et les photos pourraient tomber en de mauvaises mains. "Ils pourraient voir combien nous sommes, ce que nous faisons." Comme si "ils" ne le savaient pas déjà . Quelques renseignements sont échangés et le théâtre repart à la recherche des méchants. Plus tard, la ville entière continuera à revenir pour demander, perplexe : "que vous disaient les Américains ? Avez-vous fait quelque chose qui ne va pas ?"

Ne vous y trompez pas. C’est parti. Un an après le 11 septembre, c’est le dernier front , l’ultime bataille , cruciale dans la nouvelle guerre Afghane - celle que les meilleurs connaisseurs de l’Afghanistan et du Pakistan ont prévu pendant des mois. A moins que la bataille ne commence à peine. Le fait est que maintenant entre 300 et 400 Forces Spéciales américaines - selon les évaluations différentes des commandants Pashtun locaux - sont maintenant basés dans Kunar à la poursuite du nouvellement promu numéro un du "mort ou mort", l’ennemi dans la guerre contre le terrorisme en Afghanistan : Hekmatyar,

Hekmatyar

le leader Pashtun et le seul Premier ministre dans l’histoire qui ait eu l’honneur douteux de bombarder sa propre capitale, Kaboul, dans le milieu des années 1992, causant la mort de prés de 25,000 personnes, jusqu’à ce que ses bases soient détruites par les Taliban au début de 1995.

Bien que la guerre contre le terrorisme coûte grossièrement 1 milliard de $US par jour, Oussama ben Laden n’a pas été trouvé. Ayman "le Chirurgien", Ayman Al-Zawahiri, le numéro deux d’Al-Qaeda , n’a pas été trouvé. Le Mullah Omar, chef supême des Taliban - qui a échappé aux bombardements des B-52 en novembre dernier à l’arrière d’une moto Honda 50cc - n’a pas été trouvé. Donc le nouveau croque-mitaine est Hekmatyar, qui regroupe ses forces pour son nouveau jihad afin de chasser des troupes étrangères de l’Afghanistan.

Un grand nombre de journalistes du monde entier sont réunis à Tora Bora pour "commémorer" le 11 septembre - espérant peut-être captuer une vidéo de Ben Laden dans une des cavernes innombrables dans lesquelles il est censé s’être caché avant l’évasion, bien avant que les troupes des Etats-unis n’arrivent. Alors que Asia Times Online essaye de confirmer des informations privilégiées selon lesquelles Hekmatyar se cache quelque part dans Kunar ; l’ancien leader mujahideen "le Professeur Abdul Rassoul Sayyaf" - rebaptisé par ses patrons arabes Abd al-Rabb al-Rasul Sayyaf - était à Kunar ; et Ben Laden et Al-Zawahiri étaient peut être ou peut être pas récemment dans Kunar.

Les Forces Spéciales américaines - logées dans un énorme batiment qui était une prison locale dans les faubourgs d’Asadabad - campent depuis la fin de juin ; au début, ils étaient moins d’une douzaine, maintenant ils sont des centaines, mais ils n’ont quand même pas trouvé ce qu’ils cherchent. La recherche de Hekmatyar, de Al-Qaeda, des partisans, d’indices au coeur des alliances toujours changeantes, de chemins d’évasion - est une énigme complexe. Il n’y qu’une façon de la faire - et c’est de croiser l’information offerte par tous les acteurs principaux. Et ce que nous trouvons c’est un réseau volatil de frictions politiques, militaires, tribales et religieuses.

En Hekmatyar l’Amérique a trouvé un adversaire formidable, tout comme les Soviets l’ont découvert à leur dépens durant leur aventure en Afghanistan dans les années 80. Il a publié une fatwa anti-américaine en juin et la semaine dernière il a reconfirmé un jihad contre "les envahisseurs américains" et "la persécution de Pashtuns". Son Hezb-i-Islami réalise maintenant le spectcle et Hekmatyar peut compter sur des centaines de commandants loyaux très expérimentés - comme Maulana Jalaluddin Haqqani, l’ancien commandant militaire numéro un des Taliban. Al-Qaeda collabore avec le Hezb-i-Islami, mais seulement en tant que soutien.

Le Hezb-i-Islami -composé à hauteur de 75% par des Pashtuns - est le plus révolutionnaire et le plus discipliné de toutes les partis Islamistes Afghans. Il ne ressemble en rien à cette vague de turbans errant dans des pick-up, comme l’étaient les Taliban. Le Hezb est une organisation moderne. Le recrutement et la promotion sont basés sur la compétence et le mérite - et pas sur les rôles sociaux ou sur la qualité de la récitation du Coran. Les leaders du Hezb ont tous été instruits en Afghanistan - pas dans des madrassas pakistanaises (écoles religieuses). Hekmatyar est un Islamiste radical. Pendant le jihad antisoviétique son parti était le favori absolu des réfugiés Afghans du Pakistan, où Islamabad a aidé le Hezb à contrôler 250 écoles - 43,500 étudiants y ont obtenu un diplôme. Ces étudiants sont le coeur de la nouvelle génération du parti et ils composent la plupart des soldats de la force militaire conventionnelle d’Hekmatyar, le Lashkar-i-Isar (l’Armée du Sacrifice).

Pendant le jihad antisoviétique, Hekmatyar a reçu des dizaines de millions de dollars de la Libye et de l’Irak. Et avant que Saddam Hussein n’envahisse le Koweït en 1990, les gouvernements Saoudiens et koweïtiens et les donateurs privés avaient fourni prés d’un milliard de dollars à Hekmatyar. Le Hezb était aussi l’enfant chéri de l’Intelligence Inter-services du Pakistan (ISI) et des musulmans conservateurs wahhabites de l’Arabie Saoudite. C’était aussi le favori des généraux pakistanais modérés et - cerise sur le gâteau - du service d’opérations du Service de renseignements Central des EU (CIA).

Cela a continué jusque vers la fin de 1989, quand l’administration de Bush senior s’est rendue compte que l’URSS s’effondrait - et que l’Afghanistan a perdu son importance stratégique. Quand la priorité était de "tuer du Russe" - selon le jargon brutal de cette époque - les EU ont donné libre cours à l’ISI pour distribuer l’argent comptant et les armes en Afghanistan, sans surveillance américaine. La part du lion allait toujours directement à Hekmatyar et Sayyaf.

Il est juste de dire que pratiquement chaque tribu Pashtun ou clan avait ou a une branche ou une faction liée à Hekmatyar. il n’est pas étonnant que l’homme joue maintenant de manière trés habile la carte ethnique. Dans son discours enregistré récenmment, adressé aux populations pashtounes, depuis la ceinture Pashtun jusqu’à l’est du pays, il leur demande en rhéteur pourquoi seuls les Pashtuns sont bombardés, arrêtés ou tués par les Américains. Hekmatyar touche une corde sensible dans n’importe quel coeur Pashtun quand il dit que les Pashtuns ont été humiliés par les Américains fouillant dans leurs maisons sans avertissement, la confication de leurs armes et - péché impardonnable pour le Pashtunwali, le code de l’honneur tribal - la fouille physique de leurs femmes.

Les Pashtuns dans Kunar et Nangarhar sont convaincus que l’Alliance dominée par les Tajik-du Nord était derrière le meurtre d’Abdul Haji Qadir - le seul vice-président Pashtun dans le gouvernement du Président Hamid Karzai à Kaboul. Les portraits de Qadir sont omniprésents dans Nangarhar alors qu’on ne voit pas un seul portrait de Karzai. Karzai, bien que Pashtun, est largement méprisé en tant que marionnette américaine et otage des puissants ministres de l’Alliance du Nord, tels le commandant Mohammed Fahim, le Ministre de la Défense Nationale Afghan. Le propre service de sécurité de Karzai est totalement infiltré par des agents secrets expérimentés du Hezb-i-Islami. C’est probablement la raison pour laquelle Karzai compte maintenant sur des gardes du corps américains pour sa protection personnelle.

Haji Matheullah Khan Safi est le commandant principal de Kunar. En théorie, il travaille avec les Américains. Il dit qu’avant il parlait anglais - mais ajoute, emphatiquement, qu’"avec cette guerre j’ai tout oublié ". Selon lui, les Américains sont dans Kunar depuis au moins deux mois. "Quand ils sont arrivés ici, nous avions des problèmes avec des commandants locaux des différents checkposts. Maintenant c’est fini. La province est sous administration unique."

Haji Matheullah est le premier à raconter ce qui sera une histoire récurrente : comment un groupe d’Arabes de haut rang s’est échappé de Jalalabad après que la ville soit tombée aux mains de l’Alliance du Nord le 12 novembre. "Il y avait un batiment énorme plein d’Arabes. Le plus grand nombre s’est échappé vers Kunar." Les gens du Hezb-i-Islami ont aidé les Arabes. C’est le fait de Haji Roohullah (un Kunar wahhabite, une gloire montante, arrêté récemment et maintenant sous garde américaine à la base aérienne de Bagram dans les faubourgs de Kaboul) et Kashmir Khan (un haut commandant auprès de Hekmatyar que certains définissent comme un gangster). "Il y avait seulement neuf Arabes à l’époque. Mais l’un d’entre eux a été sévèrement blessé, il est mort et a été enterré près d’Asadabad. les huit autres sont arrivés à Daish et ensuite dans les vallées de Shigal. Il y avait au moins quatre personnes importantes parmi eux - peut-être Abu Zubaida." Zubaida, un stratège Al-Qaeda, fut postérieurement arrêté à Faisalabad, Pakistan, à la fin de mars.

Haji Matheullah ne peut pas ou ne désire pas confirmer une réunion maintenant célèbre dans le début du mois d’août entre Hekmatyar, Sayyaf et d’autres personnes clefs qui a eu lieu à Kunar. "Ce n’est pas facile pour Sayyaf d’entrer dans ce secteur. Mais chacun sait que leurs avis sont les même." Et, citant un proverbe Pashtun : "Si vous ne mangez pas l’oignon, vous ne sentez pas." Et ensuite il ajoute, "des activités dans ce secteur confirmeraient que Hekmatyar serait dans le nord-est des montagnes d’Asadabad." Quelques minutes plus tard, son discours subit une nopuvelle torsion : "si tous les gens pensent que Hekmatyar est dans Kunar, il peut bien être dans Kunar. Et si Hekmatyar est dans Kunar, Osama et Al-Zawahiri peuvent l’être aussi, parce qu’ils sont tous en contact."

Nous parlons de la manière dont Hekmatyar - en usant le téléphone satellite, sur le service Pashtoun de la B.B.C. - a annoncé qu’il soutient un nouveau jihad contre les Américains, lancé dans Gardez et Khost, la province Paktia. "Êtes-vous sûrs qu’il s’agissait d’un téléphone satellite ou d’une cassette ?" Il passe ensuite à un mode belliqueux. "Nous avons fait le jihad il y a 20 ans contre les Russes, pour la stabilité du pays et pour l’Islam et ensuite nous avons donné Kaboul à ces gens - Hekmatyar, [Rashid] Dostum, [Burhanuddin] Rabbani , Sayyaf. Qu’ont-ils fait à Kaboul et au pays ? Ils ont détruit Kaboul, ils ont détruit le pays et maintenant ils le veulent de nouveau."

La situation dans Kunar est de plus en plus tendue. Il y a deux semaines, deux missiles ont frappé le batiment américain dans Asadabad. Haji Matheullah fait feu de tous bois et admet que des combattants, environ 500, se cachent probablement dans les montagnes. "Il faut 48 heures pour arriver là , en marchant. Nous avons entendu dire qu’ils ont acheté beaucoup de nouvelles armes, RPGs et des lanceurs de fusée." L’itinéraire qu’ils ont très probablement pris est celui de Nawaqui, un village à la frontière pakistanaise. Du côté Pakistanais se trouve la région dominée par le féroce Sufi Muhammad connu par son turban noir, qui a envoyé des milliers d’étudiants des madrassa dans un jihad contre les Américains en octobre dernier. la plupart ont été tués ou capturés et Sufi Muhammad croupit maintenant dans une prison pakistanaise.

Haji Matheullah note que les Américains dans Kunar n’ont pas d’hélicoptères. De toute façon, cela ne servirait à rien : "ces gens pourraient rester dans les montagnes pendant l’hiver entier. Ils ont fait des réserves de nourriture. Ils ont beaucoup d’argent. Ils ont l’appui du Pakistan, à travers la frontière. La seule voie pour les Américains est d’y aller à pied, par les montagnes et la jungle."

Kunar porte toujours beaucoup de sympathie au Wahhabisme. "Il y a vingt ans, les Arabes sont venus ici et ont commencé à aider les veuves, les orphelins, les gosses. Il y avait beaucoup d’argent. Quand les gens ont vu ce que nous appelons "le bât, le manteau et le coffre", ils se sont convertis au Wahhabisme. Les scheiks ont voulu étendre le Wahhabisme partout en Afghanistan, commençant par Kunar. C’est pour pour cette raison que la région a toujours entretenu beaucoup de relations avec les Arabes."

Ce que Matheullah Haji dit en réalité c’est que dans la communauté beaucoup de personnes soutienent Al-Qaeda. C’est pourquoi les gens dans Kunar ont été à ce point mis en fureur par l’arrestation de Haji Roohullah. Mais en même temps il dit aussi que "le peuple soutien les Américains, ils pensent qu’ils sont utiles". Les torsions et les tournures de conversation si Pashtounes sont maintenant trés épicées : "Les Afghans n’ont jamais aimé les envahisseurs étrangers." Et vient ensuite le coup de poing. "L’Afghanistan a des problèmes avec le Pakistan et la Chine. Les Américains veulent en finir avec l’influence des voisins sur l’Afghanistan. Ils [les Américains] ont créé un cauchemar pour nous. Quand ils auront créé la lumière, ils pourront partir."

Haji Amanullah est l’homme responsable de la sécurité d’Asadabad. Mais, significativement, il est toujours un commandant militaire du Hezb-i-Islami. Cette contradiction flagrante exige un sens de la diplomatie extrême. Son jugement de base sur la présence américaine est que "s’ils veulent rester longtemps, pour des raisons de sécurité et s’ils ne dérangent pas les gens, ils sont les bienvenus. Mais s’ils continuent à fouiller dans les maisons, effrayer les gens - le tempérament populaire ne les supportera pas plus de trois mois."

Le chef de la sécurité confirme qu’au début de juillet Hekmatyar a visité Kunar et est ensuite allé dans le nord au Nuristan. Il était en contact avec des commandants locaux, "mais les gels dans Kunar lui ont dit qu’ils ne pouvaient pas assurer sa sécurité. Il pourrait être dans le Xinjiang [ Chine occidentale]." Mais c’est extrêmement peu probable car Beijing - ultra-sensible en ce qui concerne la région Uighour Musulmanne de la Chine occidentale - le saurait tout de suite. Encore une fois, d’une manière indirecte trés Pashtoune, Haji Amanullah implique finalement que Hekmatyar est vivant- et dans la région.

A son avis les Wahhabis de Kunar "ont obtenu beaucoup d’aide des Arabes et de Oussama. Ils ont toujours beaucoup d’argent. Mais ils n’ont pas plus de 10,000 partisans." Haji Roohullah, selon lui, recevait et reçoit toujours de l’argent de l’ISI du Pakistan.

L’histoire de l’évasion arabe de Jalalabad reçoit une torsion nouvelle, savoureuse, dans la version de Haji Amanullah. "J’ai vu neuf Arabes à l’époque. Le commandant Saburlal les a arrêtés - et ensuite il les a aidé à s’échapper. Ils ont laissé leurs véhicules et l’argent." Saburlal a été aussi arrêté il y a quelques jours et il est maintenant sous la garde américaine à la base aérienne de Bagram.

Raiz Khan Mushwani n’a que 18 ans. Avec sa beauté de garçon et son sourire désarmant, il pourrait être une idole dans un groupe ou une série de télévision de Hollywood. Mais il est le fils de Malik Zarin - le commandant principal numéro un de Kunar (donc on suppose que Haji Matheullah est en fait le numéro deux). Malik Zarin passe la plupart de son temps à des réunions cruciales à Kaboul. Son fils reste dans Asadabad. Raiz dit que "plus de 20 personnes" travaillent étroitement avec les Américains. Et lui, à seulement 18 ans, est leur commandant.

Carte de l’Afghanistan

Raiz est heureux que "les Américains apportent la paix". Les Américains, dit-il, "choisissent leurs propres informateurs", "ils un locuteur américain parlant Pashtoune , un soldat de l’armée de l’air nommé Kay" et ils ne payent pas directement pour l’information, "seulement pour les frais". Le moral américain, selon Raiz, est "bon, il n’y a aucune tension". Leur commandant est "le Capitaine Ryan, qui est venu de Bagram". Raiz pense que les Américains resteront longtemps. Ils n’ont "aucun hélicoptère ou réservoir, mais il y a une plate-forme pour hélicoptères dans le batiment". En fait, chaque nuit l’activité est fiévreuse, pendant trois heures- sous la surveillance des drônes.

Raiz confirme que la mission est d’attraper Hekmatyar. Sans surprise, il ne sait pas où se trouve Ben Laden. "Parfois, à titre de plaisanterie, les Américains me demandent si je sais quelque chose." Tout le monde à Asadabad raconte comment lors d’une mission de patrouille dans l’ultra-sensible Pech Dara, il y a un mois et demi, quatre hommes ont été tués par les Américains juste parce qu’ils portaient une Kalashnikov. Un autre cas mortel de malentendu culturel. Raiz insiste sur le fait que "les Américains ont reconnu leur erreur".

Graduellement, dans le puzzle de Kunar, apparaît la figure cruciale d’un autre commandant, Khan Jan. Khan Jan est un commandant Hezb-i-Islami distingué, aussi bien que le maire d’Asadabad. Les Américains ont essayé de l’arrêter, ils ont fait un raid sur sa maison et, selon certains, ils ont même tirés dessus. Ils pensent qu’il rencontre régulièrement Hekmatyar, admet Raiz . "Khan Jan bénéficie de l’appui populaire dans le secteur." En parlant à Raiz, nous apprenons finalement que Khan Jan lui-même est dans le même batiment que nous. Il est venu pour rencontrer Malik Zarin - ou Raiz - pour se plaindre de la tactique américaine trés maladroite. Mais Raiz ne veut pas le rencontrer. Il appartient à la tribu Mushwani, tandis que Khan Jan est de la tribu Salarzai. L’hostilité tribale est mortelle - particulièrement maintenant qu’une des tribus a été choisie pour travailler étroitement avec les Américains. Raiz admet, "Il est clair qu’il y a un mouvement parmi les gens pour se battre contre les Américains." Mais "le jihad est fini", dit le fils du commandant militaire le plus puissant de Kunar - au moins maintenant.

Le complot s’épaissit. Ahmadullah est le cousin d’un personnage crucial, la Superstar Wahhabi Haji Roohullah. Il reconnaît que Haji Matheullah et Malik Zarin ont "de bonnes relations avec les Américains". Mais il ajoute rapidement, "Zarin crée des problèmes parce qu’il a visé Haji Roohullah et sa tribu." Il souligne que "les gens de partout à Kunar exigent la sortie de Haji Roohullah parce qu’il s’est battu contre les Taliban et a repris le secteur. Les Américains doivent nous dire quelles charges ils ont contre lui."

En novembre dernier, Ahmadullah se battait contre les Taliban à côté de Hazrat Ali - avec le commandant préféré des Américain dans la province de Nangarhar. Après qu’il soit venu dans le secteur, Haji Roohullah l’a appelé : il a eu besoin de gens pour reprendre Asadabad. Ahmadullah confirme que les commandants Sabarlal et Khan Najinuddin, parmi d’autres, ont repris Asadabad "sous la surveillance de Haji Roohullah" et ils ont gouverné le secteur depuis. Mais maintenant Haji Roohullah et Sabarlal ont été arrêttés par les Américains.

Ahmadullah est un témoin oculaire de l’évasion massive de Taliban en novembre dernier. "Les Taliban ont traversés le Pakistan par Marawara" - la direction de l’agence Bajaur dans les secteurs tribaux pakistanais. Hazrat Rahman était un autre de ces commandants qui à ce moment, dans le Marawara, ont soutenu les Taliban. Ahmadullah a vu arriver 48 camions transportant au moins 12 hommes chacun, un mélange d’Arabes et Taliban : "Hazrat Rahman a pris toutes leurs armes et les a aidé à s’évader." Est alors venu un autre convoi de Pakistanais Taliban, qui a aussi profité des services de Rahman.

Ahmadullah critique avec acharnement "ces gens qui collaborent avec les Américains" - sous entendu Haji Matheullah et, surtout, Malik Zarin : il laisse entendre que l’arrestation de Roohullah est le fait d’un jeu de pouvoir entre les commandants de tribus différentes. Ahmadullah souligne aussi que "nous sommes les ennemis idéologiques des Arabes parce qu’ils ont tué notre leader en 1992, Maulvi Jamil Rahman Salafi." Le portrait de Salafi est visible dans la plupart des commerces d’Asadabad. Un certain Abdullah, un Egyptien, est allé à l’agence Bajaur et a tué Salafi dans une mosquée en 1992 parce qu’il était contre le prosélytisme des Arabes dans la région.

Ahmadullah ajoute une torsion extrêmement ironique au discours sur la présence américaine dans Kunar. Il dit que cinq membres des forces spéciales Britanniques, pas des Américains, sont arrivés en premier à Kunar, il y a un peu plus deux mois. Ils sont venus escortés rien moins que par Roohullah et son cousin germain Haji Wali Ullah, le président du World Relief Committee, une organisation non-gouvernementale arabe trés active dans la région.

Personnellement, Ahmadullah prétend "ne pas savoir si Hekmatyar est ici". Mais il suppose que Hekmatyar et Kashmir Khan travaillent ensemble. Kashmir Khan "a disparu" il y a un mois et reste l’un des commandants supérieurs d’Hekmatyar.

Celui qui préside Le puzzle de Kunar est le gouverneur de la province Sayed Muhamad Yusuf. Mais il n’est pas de Kunar : il est de la province mitoyenne de Laghman. Il a été nommé par le gouvernement central de Hamid Karzai et passe l’essentiel de son temps de demander aux villageois de soutenir Kaboul - une tâche peu enviable, dans la mesure où les maisons Pashtounes font l’objet de manière permanente de raid réalisés pas des soldats américains obtus. Il insiste pour que "toute la nation se range derrière le gouvernement de Karzai". Les assassinats récents à Kaboul et la tentative de meurtre contre Karzai dans Kandahar sont écartés au titre que c’est "normal". "Le président [John F.] Kennedy a été assassiné, le Général Zia [ul-Haq du Pakistan] a été tué."

Une longue barbe blanche déguise le caractère d’acier de Yusuf, un ancien commandant du jihad dans les années 80. Le gouverneur joue un jeu diplomatique trés habile, essayant d’accommoder la colère des populations locales contre les méthodes américaines, les demandes des Américains eux-mêmes et les intérêts contradictoires des puissants commandants mis sur la touche. Il insiste : "tous les gens ici en ont assez de la guerre. Il n’y a aucune chance pour qu’il y ait une bataille à Kunar."

Le gouverneur pense que les Américains sont venus "sous le drapeau de l’ONU pour pacifier la terre des Afghans. Kunar est trop sensible, une province de frontière, la situation géographique est trop importante". Il ne pense pas que Hekmatyar, Ben Laden ou Al-Qaeda soient dans Kunar. Il dit "qu’il n’y a que 5% de chances pour que" Hekmatyar et quelques Arabes soient dans la province. Il n’a pas entendu parler de témoins oculaires : "l’endroit idéal pour eux serait le Nuristan." C’est une enclave montagneuse énorme entre Laghman et Kunar, au nord-ouest d’Asadabad.

Le gouverneur reconnaît le choc culturel fascinant entre la culture enthousiaste et naïve de l’Amérique et la culture Pashtoune. "J’ai demandé, pourquoi agissez vous ainsi ? Ils ont dit parce que nous recevons des informations urgentes, nous ne voulons pas perdre de temps. Mais ils ne vérifient rien. J’étais dans une jirga [réunion] et j’ai dit aux gens : les Américains viennent dans vos villages à cause de vos informateurs. Et ils donnent de mauvaises informations." Ainsi comment les Américains réunissent-ils les renseignements ? "Ils nous demandent parfois. Mais la plupart du temps ils le font tout seuls. Quelques adolescents leur ont dit qu’ils avaient vu Hekmatyar dans Dangan. Les Américains y sont allés et y sont restés la nuit entière. Ils sont entrés dans une maison, ils n’ont vu que des femmes et des gosses." Il nie que les Américains aient armé des commandants de l’Afghanistan oriental, bien que "ils aient armés des commandants à Kandahar".

Et ensuite, à l’occasion d’un dérapage, le mot crucial, "invasion", apparaît. "Les Taliban étaient Afghans, mais ils faisaient toujours des erreurs. C’est à cause d’eux que nous sommes confrontés à cette invasion." Si même le gouverneur ultra-diplomatique commet un lapsus freudien de cette nature, dans les rues poussiéreuses et les maisons de thé d’Asadabad les colversations se répandent au sujet "de l’invasion".

Ghulam Ullah, le chef des services éducatifs dans la province, avertit d’une voix douce : "Nous tous pensons que les Américains sont venus ici avec l’appui de l’ONU. Nous ne les regardons pas comme des envahisseurs. Mais nous n’acceptons pas de dirigeants Américains pour ce pays."

Ces propos résument la moitié de la perception populaire à Kunar. L’autre moitié est déjà impliquée - subrepticement pour le moment - dans un jihad anti-américain [1]

A lire bientôt :

Partie 2 : les forces spéciales, des gens ordinaires

Article original sur Asia time : EXCLUSIF : The last battle. Part 1 : Exit Osama, enter Hekmatyar


[1Aux dernières nouvelles "Le leader du groupe islamiste le plus radical, affirme que les Afgans sont fatigués d’un gouvernement central qui n’au aucun pouvoir hors de Kaboul et qui a permis aux étrangers et aux outsiders de diriger la politique afghane. Abdurrab Rasul Sayyaf a suggéré dans une interview que les forces occidentales, qui ont d’aprés lui presque achevé leur mission s’agissant d’abattre le régime Taliban et les combattants de l’organisation de Oussama Ben Laden, Al Qaeda, devraient partir trés vite." (...)

"Les remarques de Syyaf constituent les premières indications publiques du fait que Sayyaf commence à en avoir assez d’être rejeté de la nouvelle coalition qui dirige l’Afghanistan. Il semble aussi accroître ses efforts pour influencer les évenements à travers ses discours et et ses contacts disent les officiels occidentaux (...)"

C’est dans ce même contexte qu’on commence à parler de dissenssions croissantes entre les différents corps d’armée américains présents sur le front afghan tant leurs modes d’actions sont différents. les Forces Spéciales américaines se disent en effet frustrées, d’aprés un article de Newsweek. "Briser des portes et fouiller des femmes, disent-ils n’est pas une manière de gagner les coeurs et les esprits des Afghans. Le 19 août, les commandants américains, [sous pression de Donald Rumsfeld et de ceux qui ne comprennent pas qu’on n’ait toujours pas attrappé Ben Laden] ont effet envoyé 600 hommes férus d’actions du troisième bataillon de la 82éme Airborne Division. Ces derniers ont chargé dans Zormat et dans la zone de Shahikot. "Ces gars étaient fous" dit un membre des Forces Spéciales qui y était. "On ne pouvait pas croire qu’ils étaient entrain d’agir de la sorte. Chaque fois que nous regardions ils étaient entrain de faire une connerie. On était un peu entrain de dire ’bon dieu’ regarde ça ! peux-tu y croire ?" Un autre explique : Ils agissaient comme si Ben Laden se cachait derrière chaque porte. Ce n’était pas une bonne manière de se comporter avec des civils".

Toujours dans le même article, (...) "les villageois ne cachent pas leur mécontentement. Dans le village de Marzak, plusieurs témoins disent que les troupes du 82éme bataillon ont jeté à terre un homme un peu simplet, l’ont menotté et ont pris plusieurs photos d’eux-même pointant un pistolet sur sa tête. Sadiqi, l’administrateur du bureau de Zormat a été noyé sous les plaintes au sujet des actions de certaines de ces unités du 82. "ils brisent les portes, rentrent dans les maisons, terrifient tout le monde, frappent les gens, les maltraitent" dit Sadiqi. Il ajoute que les villageois demandent : "pourquoi les américains viennent-ils ici et fouillent-ils nos femmes ? Nous ne voulons pas de ce type de gouvernement ! "

(...) "Comme le font aussi remarquer des Berets verts, le mal a été fait. Quand on lui dit que des opérations comme Mountain Sweep, [dont le but est de réunir des informations sur Al Qaeda], sont en projet, un membre des Forces spéciales réplique : "c’est fini. On pourrait tout aussi bien rentrer chez nous, parce que nous n’y arriverons jamais comme ça."(...)

C’est toujours dans ce même contexte que Douglas Feith, sous secrétaire pour la politique de défense en visite à Kaboul, a annoncé que quoiqu’il arrive par ailleurs dans le cours de la guerre contre le terrorisme, son gouvernement maintiendra son engagement en Afganistan.

Une explosion a d’ailleurs endommagé un bloc d’appartements prés de l’ambassade des Etats-unis dans la capitale Afghane. Deux personnes ont été blessées et l’onde de choc a brisé les vitres de l’immeuble.

L’explosion a eu lieu peu aprés 21 heures (16h30 GMT) et à 500 metres de l’ambassade américaine. C’est arrivé durant la visite du sous secrétaire pour la politique de défense américain, Douglas Feith." Ces Afghans ne respectent rien.


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Ces villes gérées par l’extrême-droite.
(L’article est suivi d’un « Complément » : « Le FN et les droits des travailleurs » avec une belle photo du beau château des Le Pen). LGS Des électeurs : « On va voter Front National. Ce sont les seuls qu’on n’a jamais essayés ». Faux ! Sans aller chercher dans un passé lointain, voyons comment le FN a géré les villes que les électeurs français lui ont confiées ces dernières années pour en faire ce qu’il appelait fièrement « des laboratoires du FN ». Arrêtons-nous à ce qu’il advint à Vitrolles, (...)
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