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Qatar-Hamas, un an après : Hamad du Qatar en rade et le Hamas en panade

Paris – Un an après la visite de l’Émir du Qatar à Gaza, le 24 octobre 2012, Hamad du Qatar est en rade et le Hamas en panade.

Qualifiée d’« historique » [1] par la presse atlantiste et célébrée par les intellectuels organiques français et leurs affidés qatarologues comme « le triomphe du soft power » de la principauté pétrolière, cette visite a pris la dimension d’un effroyable gâchis. Un an après que sont donc devenus les protagonistes de cette mascarade (de l’arabe maskhara) au goût de sang et de cendres ?

I – Le Qatar, la poisse

En un an, Gaza a fait l’objet d’une sévère offensive israélienne en toute impunité, un mois après la visite de l’Émir, et, en réplique, le Hamas a remercié précisément les deux meilleurs alliés d’Israël dans la zone, le Qatar et surtout la Turquie, c’est-à-dire l’unique pays musulman, qui plus est sunnite, membre de l’Otan et meilleur allié d’Israël dans la zone, oubliant au passage de remercier ses anciens frères d’armes, les artisans de sa victoire, l’Iran, la Syrie et le Hezbollah libanais. L’Émir, lui, a été destitué par ses tuteurs américains par évacuation sanitaire ; Le chef néo-islamiste Mohamad Morsi dégagé sans ménagement du promontoire égyptien, levier de la conquête du pouvoir dans le Monde arabe, et embastillé ; L’homme du Qatar au Liban Ahmad Al Assir, le cheikh salafiste qui devait pointer la dague pétro-monarchique sur le flanc du Hezbollah et lui couper la voie du ravitaillement stratégique vers la zone frontalière libano-israélienne, s’est, lui, dissipé dans les ténèbres de la forfaiture, repris de justice du crime contre l’armée libanaise, et non de l’armée ennemie israélienne ; enfin dernier et non le moindre, le chef charismatique du Hamas Khaled Mecha’al, est captif de sa cage dorée, en session intensive de Body Building à Doha.

Le Qatar porte désormais la poisse et les accusations pleuvent comme à Gravelotte : Négrier des temps modernes à la suite de la mort de 44 forçats népalais sur les chantiers des stades du Mundial, esclavagiste du fait de sa rétention arbitraire de cinq footballeurs français, « otages » par fait du prince sans la moindre protestation officielle française. Soupçons de prévarication pour l’attribution de la coupe du Monde de football en 2020. Les qatarologues et leurs affidés, qui avaient saturé les ondes de leur pseudo science, se terrent subissant à leur tour, la loi d’airain de la bulle médiatico-politique française : « La loi des 3 L » Lécher, Lâcher, Lyncher. Plus dur est la chute d’un être porté aux nues par opportunisme mercantile.

Depuis le début du conflit de Syrie, le 16 mars 2011, une trentaine de personnalités de premier plan sont passés à la trappe de l’Histoire, l’Emir du Qatar et son premier ministre, pour leur piteuse prestation politique, de même que le noyau originel français, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé ainsi que leur faux nez au sein de l’opposition off-shore, les franco syriens Bourhane Ghalioune et Basma Kodmani, enfin le clan Tlass, particulièrement Manaf, l’héritier, pour la pitoyable prestation de la Brigade Al Farouk dans la bataille de Bab Amro, février 2012 et de ses dérives successives jusqu’au cannibalisme. L’officier libanais Wissam Al Hassan, la dague sécuritaire absolue du clan islamo atlantiste au Moyen orient, a, quant lui, été expédié ad patres, en représailles à la décapitation de la hiérarchie militaire syrienne, notamment Assef Chawkat, le beau-frère du président syrien Bachar Al-Assad. Un chiffre auquel il convient d’ajouter une vingtaine de journalistes, témoins de ce jeu de massacre qui aura généré plus de 100.000 morts en trente-trois mois de conflit, un million de réfugiés, autant de déplacés ainsi que des destructions de l’ordre de cent milliards de dollars.

Bête noire d’une bonne fraction de la communauté diplomatique internationale pour sa morgue et sa suffisance, le leadership du Qatar a pu servir de fusible en guise de solde de tout compte pour un épisode peu glorieux de la diplomatie occidentale en ce que son alliance avec la frange la plus obscurantiste de l’Islam contre des républiques à régime séculier a révélé au grand jour, aux yeux de l’opinion internationale, sa duplicité en même temps que son opportunisme. Le fusible Qatar pourrait ainsi apparaitre rétrospectivement comme un geste de bonne volonté à l’égard des autres protagonistes du conflit syrien, particulièrement le groupe BRICS, avec lequel le camp atlantiste se doit impérativement de procéder à une redistribution des cartes sur la scène internationale en vue de sa stabilisation, alors que les Etats-Unis opèrent un redéploiement vers le Pacifique, leur terrain de compétition majeur du XXI me siècle, avec leur grand rival chinois. Avec l’espoir de demander à la Russie un geste équivalent concernant le président syrien. Un renvoi dos à dos Khalifa-Bachar, un jeu à somme nulle… en somme, sauf pour ses victimes de ce jeu de massacre transrégional.

Déclencheur du feu initial, la France atlantiste dans ses deux versions sarkozyste et hollandiste, dans ses deux variantes les plus capées, Alain Jupé et Laurent Fabius, de même que le Qatar et la Turquie auront sans doute à répondre de ce gâchis devant l’histoire.

II- Hamad de Qatar, sur les traces d’Ulysse d’Ithaque

Sur ce champ de ruines, Hamad de Qatar s’en est allé à la recherche de la « paix des cimetières » tant il est vrai que « la sagesse vient quand s’achève la route ». Fuyant le désastre qu’il a provoqué, s’inspirant sans doute involontairement de la règle cardinale de la philosophie grecque, Hamad Ben Khalifa Al Thani du Qatar, a ainsi élu domicile à l’automne 2013, dans le pays d’Ulysse et d’Homère [2], devenant citoyen d’honneur de l’ile d’Ithaque, en Grèce, le temple de la démocratie et du savoir occidental.

Acquisition prestigieuse, Ithaque est l’Ile dont Ulysse était le Roi, dont la légende rapporte qu’elle fut le lieu de résidence d’Homère, le célèbre auteur de l’Iliade et l’Odyssée, l’inspirateur de Platon, de Virgile et de Dante.

Le maire de l’île a accordé à Hamad du Qatar le titre de citoyen d’honneur de sa cité avec un passeport grec à la clé, dans un geste de gratitude dont il espère des retombées en termes d’investissements dans un pays sinistré par la grave crise économique et qui le conduit à vendre ses bijoux de famille. Pour la modeste somme de dix millions d’euros, autant dire une poignée de dollars, le Prince a d’ailleurs acquis une série de petites îles Ioniennes, dont cinq millions d’euros pour l’acquisition d’Ithaque et 3,9 millions pour trois îlots voisins. Pour sa quiétude.

Magnanime, il s’est d’ailleurs proposé d’édifier une canalisation pour raccorder l’Ile au réseau d’eau potable du continent. Forte de trois mille habitants, Ithaque fait partie de la constellation Iles Ioniennes : Zakynthos, Paxi, Leucade, Ithaque, Corfou, Céphalonie. D’après l’Odyssée d’Homère, Ulysse était roi d’Ithaque. En -31, a lieu la bataille navale d’Actium près de l’île de Leucade.

Pourquoi un tel choix ? L’ancien « Air and Field Marshall » de la campagne de Libye et de Syrie, en tandem avec deux pro-arabes patentés, Nicolas Sarkozy et le botuliste Bernard Henry Lévy, souhaite-il en faire un camp de repos pour les innombrables djihadistes qu’il a lancés aux quatre coins du Monde pour la satisfaction de sa vanité personnelle ? Se doter d’un poste d’observation pour la bataille navale que son impétuosité belliciste aurait immanquablement provoquée entre Les États-Unis et la Russie en Méditerranée ?

Désir de se faire oublier suite à son dégagement sans ménagement après sa piètre prestation de Syrie ? Ou besoin de se ressourcer aux sources de la philosophie et de la sagesse et de méditer sur la vanité de la Gloire ?

Dans la tourmente, le nouvel Émir, le Prince Tamim, a tenté de calmer le jeu, réservant son premier déplacement officiel à l’Arabie saoudite, en Aout 2013, le jour de la fête qui marque la fin du jeune de Ramadan, prenant prétexte de la Fête d’Al Adha, le 15 octobre 2013, pour téléphoner au nouveau président iranien Hassan Rouhani, lui formulant le vœu que les deux pays coopèrent « pour combattre le terrorisme et l’extrémisme ». Joignant le geste à l parole, en guise de sa bonne foi, il a ordonné la libération de neuf chiites libanais pris en otage en Syrie par des bandits de grand chemins, un groupuscule répondant au nom de la tempête du nord » et retenu en captivité pendant 17 mois afin de faire pression sur l’Iran et le Hezbollah. Pour un pays qui passe pour avoir été le parrain du djihadisme erratique du printemps arabe, un tel geste a retenti comme la marque d’un désaveu de son prédécesseur et géniteur.

III- Khaled Mecha‘al du Hamas en body building à Doha

C’est cette oasis-là, que Khaled Mecha’al, le chef charismatique du Hamas, a choisi pour planter son quartier général, à Doha, à 35 km de la base d’Aydid du CentCom, la plus importante base américaine du tiers monde. Cas unique dans les annales des guerres de libération nationale que cette aberration mentale qui équivaut, dans l‘ordre symbolique à se placer sous la coupe de son bourreau, équivalant à l’implantation du QG du FLN algérien à proximité de Taverny, le PC de la force stratégique aérienne française, ou du Viêt-Cong vietnamien à Pearl Harbour, la plus importante base américaine de la zone Asie Pacifique.

Le paradis de Khaled Mecha’al est devenu un enfer. Guère mieux loti, politiquement parlant que son compère pétro-monarchique, le chef politique de l’unique mouvement de libération nationale sunnite du Monde arabe se morfond à Doha dans sa luxueuse résidence, devenue au fil du temps une résidence surveillée. Interdit de parole publique, dont les déplacements sont strictement limités au prétexte de sa sécurité. Oisif, alors que la zone est carbonisée par une guerre régionale d’une rare violence qui scellera le sort de la Palestine, il meuble son temps à faire de la gymnastique pour se maintenir en forme ou ne pas sombrer dans la déprime. Au terme de neuf mois d’un tel régime, il s’est finalement résolu à quitter Doha.

Sur fond de tension exacerbée entre le Hamas et l’Égypte post-Morsi à propos de Gaza, des contacts ont eu lieu sont entre le Hamas, l’Iran et le Hezbollah libanais. Mahmoud Zahhar, le ministre des affaires étrangères du Hamas, le plus fidèle allié du Hezbollah durant cette épreuve, s’est rendu en personne à Beyrouth pour panser les plaies, rencontrant en tête à tête Hassan Nasrallah six heures durant, lors de sa dernière escale dans la capitale libanaise. Prenant prétexte du décès de la mère du Général Qassem Souleymani, une délégation du Hamas s’est rendue, parallèlement, par l’entremise du Hezbollah, l’été 2013 à Téhéran, pour lui présenter ses condoléances et mener des pourparlers politiques avec le chef de la brigade Al Qods des pasdarans, le cauchemar des Occidentaux et un des grands artisans du retournement militaire en Syrie [3].

IV- La démission de Khaled Mecha’al : une mesure de salubrité publique

Pour atténuer sa responsabilité dans ses dérives, Hamas a fait valoir auprès des Iraniens et du Hezbollah que la décision de choisir Doha comme siège politique du Hamas a été prise par une minorité des membres du bureau politique : ceux qui se trouvaient ce jour-là à la réunion, c’est à dire 8 sur 18, soit moins de la moitié des membres, soutenant contre toute vraisemblance que les combattants du Hamas qui se sont engagés dans les combats de Syrie l’ont fait de leur propre initiative et non par ordre de leur commandement.

Drôle d’argutie pour un mouvement supposé vertébré idéologiquement et structuré militairement. La ficelle était grosse mais importait peu en la circonstance. Nécessité stratégique oblige : la paix des braves a été signée entre les anciens frères d’armes en ce que primait sur toute autre considération le regroupement des forces de la contestation exsangues après l’épisode syrien du printemps arabe.

Le Hamas se serait engagé à ne plus s’impliquer dans les conflits inter-arabes, se réservant exclusivement au combat pour la Palestine. Le différend Hamas Iran Hezbollah a été mis en sourdine et le mouvement palestinien placé en période d’observation dans l’attente des résultats de l’épreuve de force régionale. Damas a même accepté de lui accorder l’hospitalité, à nouveau, mais sous certaines conditions. L’Iran lui a conseillé d’ailleurs d’y retourner, s’engageant que le chemin de Damas ne soit un voyage à Canossa.

Autre possibilité : implanter le QG du Hamas à Beyrouth dans le giron du Hezbollah ou au Soudan, le choix par défaut, si toutefois ce pays, en proie à une guerre civile larvée, offrait de solides garanties de sécurité.

Le Hamas a pris par traitrise la Syrie, selon Bachar Al Assad

L’animosité de Bachar Al Assad demeure toutefois vive à l’égard du Hamas. « Le Hamas nous a pris par traitrise. Il a privilégié son appartenance à la confrérie des Frères musulmans à sa qualité de mouvement de libération », a déclaré le président syrien dans une interview au journal libanais Am Akhbar en date du 14 octobre 2013. « Le Hamas profère des mensonges quand ils clament qu’ils ont proposé leurs bons offices ou ont présenté des conseils pour calmer le jeu (…) Un beau jour ils sont venus me dire qu’ils se sont concertés avec Youssef Al Qaradawi, le Mufti du Qatar, qui leur a conseillé de quitter la Syrie », a ajouté le chef de l’état syrien, précisant que divers émissaires américains dans le passé lui avaient proposé de se débarrasser du Hamas de Syrie comme préalable à une normalisation avec les États-Unis et qu’il avait « refusé cette offre considérant Hamas comme un mouvement de résistance ». [4]

Quitter le pays qui lui a offert l’hospitalité et se tenir à l’écart d’un conflit fratricide est un acte respectable en soi. Rallier les ennemis d’un pays dont on a été hôte pendant seize ans et contribuer indirectement à sa destruction et affaiblir du coup le camp de la résistance... Quel cauchemar interminable pour l’exilé de Doha. Quelle longue nuit noire de remords. Un point noir indélébile sur son parcours jusqu’à présent sans faute. Un mouvement de libération nationale qui renonce de facto à libérer son pays occupé pour privilégier un alignement sectaire, non sur sa religion, mais sur une école de pensée religieuse, cesse ipso facto d’être un mouvement de libération. Le choix de Doha bien que collectif a été, en dernier ressort, un choix personnel.

L’attribution à une société israélienne de la responsabilité de la sécurité du pèlerinage à La Mecque et à l’aéroport de Doubaï, le lieu même du meurtre du dirigeant militaire du Hamas Al Madbouh, devrait inciter Khaled Mecha’al à de salutaires médiations sur les intellectuels de la conviction et à l’inanité d’alliances de circonstances fondées exclusivement sur de considérations sectaires. La maison-mère G4S fournit non seulement des équipements de sécurité aux colons dans les territoires occupés palestiniens, mais participe aux interrogatoires musclés de détenus palestiniens dans plusieurs prisons israéliennes. Dans le monde arabe, elle emploierait 44 000 personnes dans 16 pays, notamment aux aéroports de Bagdad et de Dubaï. Outre l’intérêt financier de ces contrats, la filiale saoudienne de la société israélienne Al Majal G4S peut disposer des relevés d’identité de millions de pèlerins musulmans, y compris leur photo et leurs empreintes digitales.

La démission de Khaled Mecha’al serait une mesure de salubrité publique, conforme à l’éthique du commandement. La sanction d’un échec personnel, une décision conforme à l’honneur de l’homme, à la dignité de sa fonction, au prestige de son mouvement et à la crédibilité de son combat.

Chiites, donc nécessairement renégats pour une foultitude de paumés de l’Islam takfiriste, l’Iran et le Hezbollah n’ont jamais, eux, lâché la proie pour l’ombre. Jamais pris les vessies pour des lanternes. Jamais, eux, renié la Palestine.

De sa retraite d’Ithaque, il est à espérer que Hamad de Qatar tire profit des enseignements des fables de La Fontaine particulièrement de « La grenouille qui voulait se faire aussi grosse qu’un bœuf » et son compère d’infortune palestinien du « Corbeau et le renard » et que tous deux prennent note, avant qu’il ne soit trop tard, que « tout flatteur vit aux dépens de celui l’écoute. « Vanitas vanitatum omnia Vanitas »… « vanité des vanités tout est vanité ». Parole par laquelle l’Ecclésiaste (I, 2) enseigne que tout est illusion et déception ici-bas.

Triste fin pour le « Deus ex machina de la contre révolution arabe » le nouveau pâtre grec errant en quête de sa gloire d’antan et de Khaled Mecha’al, l’ombre du chef charismatique qu’il fut et qu’il pourra difficilement redevenir.

René Naba, Paris le 07.11.13.

»» Renenaba.com

Pour le lecteur arabophone le verbatim de l’information parue dans Arab Times, le 26 septembre, le plus important site arabophone des États Unis. Arab Times September 26 2013


[2Né en -800, Mort en -740 Poète grec du VIIIème siècle avant J.-C., Homère est traditionnellement représenté comme un vieil aveugle récitant ses poèmes à travers la Grèce Antique. Il serait l’auteur de l’Iliade et l’Odyssée ainsi que de nombreuses aventures épiques. Bien que beaucoup de mystères et de légendes entourent sa vie, ses textes restent présents dans la mémoire collective et son génie inspirera au fil des siècles bon nombre d’écrivains, tels que Platon, Virgile, ou encore Dante.


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Michael PARENTI
Analyste politique progressiste de tout premier plan aux États-Unis, Michael PARENTI, docteur en Sciences Politiques de l’Université de Yale, est un auteur et conférencier de renommée internationale. Il a publié plus de 250 articles et 17 livres. Ses écrits sont diffusés dans des périodiques populaires aussi bien que dans des revues savantes, et ses textes engagés l’ont été dans des journaux tels que le New York Times et le Los Angeles Times. Ses livres et ses conférences, informatives et (…)
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