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{Le Monde} et ses blogueurs

Grandeur et décadence d’un journal au-dessus de tout soupçon

Les différents conflits sanglants qui ont éclos lors de cet interminable « printemps » arabe ont été accompagnés de propagande et de mensonges éhontés [1]. Comme pour toutes les guerres, bien sûr. Mais aussi étrange que cela puisse paraître, plus un pays se targue d’être démocratique, plus la propagande est flagrante et les ficelles un peu trop grosses. Il n’y a qu’à se remémorer les « dangereuses » fioles de Colin Powell ou les « chaudes » larmes de la fille de l’ambassadeur koweïtien à Washington.

Les « dangereuses » fioles de Colin Powell

Les « chaudes » larmes de la fille de l’ambassadeur koweïtien à Washington

Il y a cependant une autre forme de propagande, bien plus pernicieuse, qui prolifère en démocratie et qui s’administre à petites doses sous un enrobage facile à avaler. C’est celle distillée par certains propagandistes « embedded » dans des journaux de renom d’où ils tirent une visibilité, une respectabilité, voire la reconnaissance d’une certaine expertise. Une sorte de « commensalisme » journalistique, pourrait-on dire, pour autant que l’hébergé ne nuit pas à l’hôte.

Un exemple patent de cette situation est l’hébergement par le grand quotidien Le Monde du blog « Un œil sur la Syrie » d’un certain Ignace Leverrier, présenté comme ancien diplomate français et « spécialiste » de la Syrie [2].

Banderole du blog "Un œil sur la Syrie"

Un rapide survol de la toile et des médias sociaux montre que la majorité des lecteurs avertis se sont rapidement aperçu du manque de crédibilité de ce blog, tant les idées avancées par son auteur sont exclusivement orientées vers la défense du camp des anti-Bachar et ce, quelles que soient leurs mouvances. Un « spécialiste » de la Syrie ne devrait-il pas nuancer ses propos et proposer des analyses qui tiennent compte de tous les paramètres du conflit ?

Apparemment, ce n’est pas le cas de ce blogueur qui se fait appeler Ignace Leverrier alors que son vrai nom est Wladimir Glasman (Glas : verre en allemand). Il est vrai que de nombreux auteurs et journalistes écrivent sous des pseudonymes, mais ils sont connus et reconnus comme tels. Cependant, dans le cas d’un analyste politique qui disserte abondamment dans un journal qui a pignon sur rue, pourquoi aurait-il besoin de changer de nom ? C’est comme si Einstein avait publié ses fameux articles en physique sous le nom de Lapierre (Stein : pierre en allemand) et la comparaison avec ce savant s’arrête là.

Wladimir Glasman alias Ignace Leverrier

D’après les renseignements qu’il a lui-même publiés sur un média social, Glasman déclare qu’il a été bibliothécaire à l’Institut français des études arabes de Damas (1984-1988) puis conseiller au Ministère des affaires étrangères français (1988-2008) [3].

Par contre, à chaque fois que son nom est cité sur la toile, les épithètes fleurissent : ancien diplomate, universitaire, spécialiste du Moyen-Orient, diplomate arabisant, chercheur, spécialiste du monde arabe, etc. Et comme s’il voulait prouver à tout le monde (et probablement à lui-même) qu’il était réellement un « expert », Glasman publie une étrange et interminable liste de courriels provenant de personnes qui de le solliciter pour une entrevue et qui de lui demander de l’éclairer de sa science infuse [4].

Le parti pris de Glasman pour la rébellion syrienne peut se comprendre par ses relations pré« printanières » avec les membres de l’opposition syrienne vivant à l’étranger. Ainsi, on retrouve son nom et celui de Radwan Ziadeh, membre du Conseil national syrien (CNS) et activiste financé par l’administration étasunienne [5], dans les mêmes conférences de dénonciation du « régime syrien » [6] ou dans la liste des signataires d’une lettre adressée à Nicolas Sarkozy pour la libération d’un dissident syrien emprisonné à Damas [7].

Mohammed al-Abdallah, Hillary Clinton, Radwan Ziyadeh, Marah al-Biqa’i

Le 24 juillet 2013, Glasman a été l’un des initiateurs d’une lettre demandant à François Hollande de prendre des mesures contre « le régime despotique et mafieux de Bachar El-Assad » en mettant en place une zone d’exclusion aérienne et en aidant militairement les « brigades de l’Armée libre indépendantes des groupes islamistes radicaux » [8]. Parmi les premiers signataires de cette lettre, on pouvait lire les noms de Bourhan Ghalioun et de Basma Kodmani respectivement premier président et ancienne porte-parole du CNS.

Basma Kodmani, Alain Juppé et Bourhan Ghalioun (10 octobre 2011)

Pour compléter le portrait, citons René Naba : « Le dispositif politico-médiatique français pour la bataille de Syrie présentait la configuration suivante : trois franco syriens, – drôle de direction constituée par trois binationaux, Bourhan Ghalioun, premier président de l’opposition offshore, sa porte-parole Basma Kodmani, la sœur de cette dernière, Hala, chargée dans un premier temps de la rubrique Syrie au Journal Libération. Deux français émargeant sur le budget de l’État français, Ignace Leverrier de son vrai nom Wladimir Glasman, ancien diplomate français en poste à Damas dans la décennie 1980, et Jean Pierre Filiu, ancien diplomate recyclé dans l’enseignement, blogueur attitré du journal en ligne Rue 89, membre du groupe du Nouvel observateur. Cinq faux nez de l’administration française.

En tandem avec Nabil Ennasri, Ignace Leverrier a effectué une tournée de sensibilisation sur la Syrie dans la zone périurbaine de Paris, en décembre 2011. Les deux compères tiennent des blogs propagatoires au sein du journal Le Monde, chargés d’amplifier les thèses de la doxa officielle française, couvrant de gloire et d’éloges les « combattants de la liberté » jusqu’au désastre du cannibalisme djihadiste, de la prédation sexuelle des dignitaires du golfe à l’assaut des pubères syriennes et des déboires de l’opposition offshore pétromonarchique » [9].

Il n’y a pas que les articles qui attirent l’attention dans le blog de Glasman. La banderole l’ornant présente, elle aussi, un indéniable intérêt. En effet, elle montre un logo très connu par les militants du monde entier : le poing fermé. Ce poing a été popularisé par les Serbes d’Otpor, puis est devenu le symbole des révolutions colorées. Plus récemment, ce logo a été repris par tous les militants du « printemps » arabe [10].

Ce logo a été décoré avec le drapeau de la rébellion syrienne, prouvant par ce fait que le blog n’était autre qu’une tribune de l’opposition anti-Bachar. Et tout cela, sous le toit douillet et réconfortant du fameux journal Le Monde.

Logo du blog "Un œil sur la Syrie"
Logo d’Otpor

D’ailleurs, les titres des derniers articles de « l’ancien diplomate » sont éloquents à ce sujet : « Syrie. Le Président de la Coalition nationale demande à l’ONU de soutenir une solution politique » (26 septembre 2013), « Syrie. La Coalition Nationale dénonce les agissements de l’État Islamique d’Irak et du Levant » (24 septembre 2013), « Syrie. Mise au point du président de la Coalition Nationale » (23 septembre 2013), « Syrie. La Coalition Nationale demande de « mettre fin à la catastrophe humanitaire dans la Ghouta et les quartiers sud de Damas » (23 septembre 2013), etc. À se demander si Glasman n’est pas le porte-parole de la Coalition nationale et Le Monde son organe de presse [11] !

Même dans les articles aux titres non explicites, Glasman arrive à placer, dans leur intégralité, des communiqués de la Coalition nationale [12].

Glasman n’aime pas trop qu’on le contredise. Il s’attaque à tous ceux qui ne partagent pas ses opinions et ne s’en prend pas uniquement à leurs idées, mais émet aussi des jugements de valeur sur leurs personnes [13].

Dans un récent article sur le « djihad ennikah » (le djihad du sexe) en Syrie, il a balayé du revers de la main toutes les informations qui tendent à prouver que cette pratique existe dans les rangs rebelles. Pour Glasman, « vous allez être déçus : le "djihad du sexe" en Syrie n’a jamais existé ! » [14]. À ses yeux, tout n’est qu’un vaste complot pour discréditer les « valeureux » guerriers qu’il est censé protéger. Et, pour cela, il fait fi des déclarations du ministre tunisien de l’intérieur [15], des journalistes d’Echourouk [16], de ceux de CounterPunch [17], de la télévision tunisienne [18], du syndicat des imams tunisiens [19], etc. Non, pour lui, tous ceux qui ne sont pas dans son camp allaient être déçus, comme si ces derniers pouvaient trouver un quelconque plaisir dans le malheur d’autrui.

Une tunisienne raconte son expérience du "djihad ennikah" en Syrie (Télévision tunisienne)

M. Glasman doit comprendre, une fois pour toutes, que dans le journalisme et l’analyse politique, l’important n’est pas de savoir si les rebelles sont des « gentils » et les pro-Bachar des « méchants » (ou l’inverse). Le plus important consiste à chercher la vérité avec des arguments valables et pertinents afin de pouvoir offrir aux lecteurs une information juste, honnête et non partisane. Le chercheur qu’il se vante d’être doit savoir que dans ce genre de conflit, il n’y a ni noir, ni blanc, mais juste des nuances de gris.

Évidemment, comme le blog « Un œil sur la Syrie » est « cautionné » par Le Monde, la conclusion de cet article a été reprise par plusieurs médias « mainstream » comme s’il s’agissait de la démonstration d’un théorème mathématique.

Il y a quelques semaines, le journaliste Hervé Kempf démissionna du journal Le Monde (après quinze années de bons et loyaux services) tout en dénonçant la censure qui y règne. Le Monde, disait-il « est devenu un média comme les autres qui, comme les autres, est aux mains des capitalistes ». Et si ces gens investissent dans les médias, ce n’est pas pour le plaisir et la liberté de la presse, même s’ils peuvent avoir un sincère intérêt intellectuel pour les médias, mais aussi pour influencer » [20].

En laissant partir des « Kempf » et en gardant des « Glasman », Le Monde confirme qu’il n’est plus ce qu’il était sur le plan du professionnalisme et de l’éthique journalistiques. Car laisser partir des « Kempf » et garder des « Glasman », c’est un peu comme remplacer les abeilles ouvrières d’une ruche par de vulgaires guêpes.
Et ce, au grand détriment des lecteurs assidus du journal Le Monde.

Ahmed Bensaada, Montréal, le 6 octobre 2013

»» ahmedbensaada.com

[1Ahmed Bensaada, « Le « printemps arabe » et les médias : maljournalisme, mensonges et mauvaise foi », Le Quotidien d’Oran, 22 septembre 2011

[2Ignace Leverrier, « Un œil sur la Syrie »

[3LinkedIn, « Wladimir Glasman »

[5Ahmed Bensaada, « Syrie : le dandy et les faucons » Reporters, 15 septembre 2013

[6Voir, par exemple, Science Po Monde Arabe, « La Syrie et les droits de l’homme : bilan des dix ans de pouvoir de Bachar Al-Assad », 10 juin 2010

[8Le Nouvel Obs, « SYRIE. Une lettre ouverte au Président de la République », 24 juillet 2013

[10Ahmed Bensaada, Arabesque américaine : Le rôle des États-Unis dans les révoltes de la rue arabe, Éditions Michel Brûlé, Montréal (2011), Éditions Synergie, Alger (2012), chap.1.

[11Un œil sur la Syrie, « Archives de l’auteur »

[12Ignace Leverrier, « Vous allez être déçus : le « djihad du sexe » en Syrie n’a jamais existé ! », Un œil sur la Syrie, 29 septembre 2013

[13Voir la première note qui suit l’article suivant : Ignace Leverrier, « Un nouveau rapport sur la Syrie… partiel, partial et « fabriqué » », Un œil sur la Syrie, 16 février 2013

[14Voir référence 12

[15AFP, « Des Tunisiennes partiraient en Syrie pour le "djihad du sexe" », Le Monde, 20 septembre 2013

[16El Habib El Missaoui, « Le retour des victimes du « djihad ennikah », Alchourouk, 22 septembre 2013.

[17Reem Haddad, « Sex and the Syrian Revolution », CounterPunch, 17 juillet 2013

[18Youtube, « Une tunisienne raconte son expérience du djihad ennikah en Syrie », vidéo publiée le 25 mai 2013

[19Zohra Abid, « Tunisie : Le « jihad nikah » oppose les imams au gouvernement », Kapitalis, 25 septembre 2013


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