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"Qui sait que la bourse de Paris est aujourd’hui dans un hangar dans la banlieue de Londres ?"

Alexandre Laumonier est éditeur. Il a repris des recherches en anthropologie et c’est dans ce cadre qu’il s’est intéressé au trading haute fréquence. Il s’intéresse aux rapports entre les humains et ces algorithmes, ces robots qui sont derrière plus de 70% des transactions dans les marchés américains. Des intelligences artificielles capables de réagir à la milliseconde près, pour acheter ou vendre et même ruser pour tromper les machines des concurrents.

Dans son ouvrage à paraitre le 14 février : « 6 » [1] aux éditions Zones Sensibles, il explique en se glissant dans le code d’un algorithme baptisé Sniper, comment et pourquoi l’homme a créé des machines qui aujourd’hui le dépassent.

Pierric Marissal : Pouvez-vous nous parler de votre démarche : approcher le trading haute fréquence par l’anthropologie

Alexandre Laumonier : J’ai repris des études d’anthropologies il y a quelques années, pour m’intéresser aux tables de connaissances, c’est-à-dire à la manière dont, tout au long de l’histoire et dans leur quotidien, les hommes organisent leurs connaissances en tables (comptables, mathématiques, etc.). Et de fil en aiguille je suis arrivé aux data center et aux transactions à haute fréquence.
C’est un point de rencontre fascinant entre l’humain et le non-humain : comment met-on de l’intelligence dans un algorithme et comment celui-ci nous échappe ?
Et puis je me suis aperçu qu’il n’y avait aucun livre qui expliquait de manière assez simple ce qu’était un marché financier au 21ème siècle.
Qui sait que les marchés sont privés ?
Que la bourse de Paris, désormais intégrée dans Euronext, est dans un hangar dans la banlieue de Londres ?
Qu’à Wall Street il n’y a que des bureaux et que les échanges boursiers se font en fait dans le New Jersey ?
Je me suis alors plongé dans cet univers intellectuellement fascinant.

Ce qui est intéressant, c’est qu’à l’origine l’homme a voulu utiliser la machine pour rendre les échanges sur les marchés plus transparents. Éviter les secrets entre les humains. Et que rapidement, la technique a rendu les échanges encore plus opaques. Et avec les plateformes d’échanges privées (dark pools) et l’opacité des produits financiers (CDO ou CDS), vraiment personne ne peut plus rien maîtriser.
L’homme a été dépassé par la machine, et il ne reviendra pas en arrière. Ou alors ce serait une première dans l’histoire de l’humanité.

Vous évoquez dans votre livre le « flash Krash » de Knight Capital. Un évènement emblématique du trading haute fréquence. Pouvez-vous nous expliquer ce qui s’est passé ?

Alexandre Laumonier : Ce jour là, j’ai suivi en direct, dès l’ouverture des marchés américains, ce qui s’est passé.
L’inquiétude est née tout de suite. Dès les 5 premières minutes après l’ouverture de WallStreet, les cotations étaient « bizarres », Twitter commençait à s’affoler. Un algorithme s’était mis à acheter à prix très hauts et à revendre à prix très bas. L’inverse exact de ce qu’il faudrait faire selon toute logique, et la machine perd très vite de l’argent.
Mais pendant plusieurs minutes, les observateurs hésitent. Est-ce une stratégie ? Une autre intelligence artificielle passe-t-elle derrière pour ramasser des profits ?
Knight Capital a mis 40 minutes à se rendre compte que cet algorithme était le sien, et jouait avec des vrais dollars au New York Stock Exchange [2] alors qu’à l’origine, c’était un simple algorithme de test, sur son propre système.
Le krash serait donc le fait d’un robot qui s’est échappé, problème reconnu à demi-mot par ses auteurs.
Résultat : Knight Capital a coulé et s’est fait vite renflouer par… Goldman Sachs. Mais les régulateurs n’ont pris aucune mesure depuis, on fait juste du « management de crise ».

Ne croyez-vous pas que le Trading haute Fréquence mène tout droite à sa propre fin ? Les investissements nécessaires, en matériel, en infrastructure, en énergie sont énormes et réservent cette activité à quelques rares gros groupes. Et les coûts engendrés ainsi que les profits réalisés par transaction sont de plus en plus faibles. L’économiste Paul Jorion n’hésite pas à prédire l’explosion des bourses, en se basant sur la « baisse tendancielle du taux de profit » de Mar x.

Alexandre Laumonier
 : Je ne mets aucune option sur le futur !
Tout cela est complètement déconnecté du réel, mais pour l’instant ça tient.
Selon les opérateurs de marchés, les transactions à haute fréquence auraient l’intérêt d’apporter de la liquidité. Mais on voit bien qu’il y a des problèmes.
Fin 2012, un algorithme a fait 4 % de toutes les cotations, prenant plus de 10 % de toute la bande passante et donc ralentissant tout le monde. C’est énorme, et on ne sait toujours pas d’où vient cet algorithme monstrueux.
Un signe clair du problème est qu’aux États-Unis, de plus en plus d’entreprises se détournent des marchés pour se financer. Ce pourquoi même les marchés existent à l’origine. Donc tout cela n’a pas de beaucoup de sens, mais je me garderais bien de spéculer sur l’avenir, on n’a jamais vu l’humanité revenir en arrière, sur un progrès technique.

Une éventuelle taxe sur les transactions financières pourrait-elle réguler le trading haute fréquence ?

Alexandre Laumonier :
Taxer les transactions financières, c’est une vieille idée qui n’a jamais eu la moindre réalité.
Imposer un délai entre deux opérations, je pense que cela n’a pas vraiment de sens, c’est un problème philosophique que de limiter le temps.
Par exemple la SEC [3] a imposé certaines règles, comme le fait de maintenir une position pendant un certain laps de temps. Quel est l’intérêt ? Taxer les annulations d’ordres serait certainement le plus utile (un sujet dont je discute avec l’ONG de Bruxelles Finance Watch) car près de 95 % des ordres d’achats des traders-robots à haute fréquence sont annulés en quelques millisecondes. Taxer les annulations d’ordres serait réellement dissuasif et permettrait de ralentir un peu le jeu, même si ce n’est là que 0,01% des décisions à prendre pour limiter cette montée en puissance de la face obscure des marchés.

Propos recueillis par Pierric Marissal

»» L’Humanité.fr
  • Le Data Center de 400 000 m² qui abrite la bourse de New York (NYSE) et Euronext à MahWah, dans le New Jersey : image

[2ndlr : la perte estimée est de 440 millions de dollars minimum

[3ndlr : communément appelé gendarme des marchés financiers, mais qui ne sert objectivement pas à grand-chose


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