Êtes-vous un impérialiste libéral ?
Les impérialistes libéraux sont comme les néoconservateurs mais en plus gentils : comme les néocons, ils sont persuadés que l’Amérique a le devoir de redresser les maux du monde, qu’ils soient d’ordre politique ou humanitaire ; et ils se confortent dans l’idée que les États-Unis peuvent décider de qui dirigera tel État, comme la Libye, la Syrie ou l’Afghanistan. Au contraire des néocons, les impérialistes libéraux acceptent et soutiennent les institutions internationales (comme l’ONU), et se sentent davantage concernés par les droits de l’homme que par le nationalisme aveugle ou la protection de la relation spéciale entre les États-Unis et Israël.
Et pourtant, tout comme les néocons, les impérialistes libéraux sont des promoteurs zélés de l’utilisation de la force de frappe américaine, y compris dans les situations où, de toute évidence, cela crée plus de mal que de bien. Cette étrange alliance entre leur idéalisme et l’idéologie néoconservatrice nous a valu une mauvaise politique étrangère au cours de la dernière décennie, en particulier les décisions d’intervenir militairement en Irak, ou dans la construction d’une nation en Afghanistan, et de continuer à vouloir donner le ton aujourd’hui en Syrie.
Il ne s’agit pas de dire que les États-Unis ne devraient jamais intervenir à l’étranger ni que sa puissance militaire ne devrait jamais se mettre au service de missions humanitaires (comme en Indonésie à la suite de tsunami ou de Haïti après le séisme dévastateur). Cependant, ils devraient le faire uniquement quand des intérêts nationaux vitaux sont en jeu, ou quand il est absolument certain que l’envoi de troupes ou d’aide américaine va améliorer les choses. En bref, les décisions d’intervention ne devraient être prises qu’après avoir subi un très haut niveau d’évaluation stratégique et après une confrontation pointue à la réalité du terrain, permettant de savoir ce que l’usage de la force produira en réalité.
Ainsi, alors que j’ai pu souvent adhérer à leurs arguments, je suis tenté d’envoyer à tous les impérialistes un proverbe brodé sur toile : “l’enfer est pavé de bonnes intentions”. Au moins, cet avertissement pourrait les aider à être un peu plus sceptiques sur la sagesse des conseils qu’ils professent. Mais je suis nul en couture, alors aujourd’hui j’offre plutôt mes “10 symptômes majeurs de la maladie de l’impérialisme libéral”.
1° Vous vous faites souvent l’avocat des Etats-Unis pour l’envoi de troupes, de drones, d’armes, de forces spéciales ou de raid aérien sur des pays que vous n’avez jamais visité, dont vous ne parlez pas la langue, et auxquels vous ne vous êtes jamais intéressé avant que les choses commencent à mal se passer là-bas.
2° Vous avez tendance à défendre l’obligation morale des Etats-Unis à “faire quelque chose” au lieu de rester à l’écart de querelles intestines dans des pays lointains. Dans la classe d’école mondiale qu’est devenue notre monde numérisé, vous pensez que rester spectateur – même à des dizaines de milliers de kilomètres – c’est être la brute de la classe. Alors il est rare que vous vous disiez “on devrait rester en dehors de ça”.
3° Vous pensez globalisation et vous parlez hmmm… globalisation. Vous êtes prompt à condamner les violations des droits de l’homme par les autres gouvernements, mais celles commises par les États-Unis (ex : torture, extraditions, assassinats ciblés, Guantánamo etc.) ou leurs alliés trouvent gré à vos yeux. Vous vous inquiétez en privé (et à raison) de ce que critiquer ces violations pourraient vous coûter un prochain job.
4° Vous êtes un promoteur zélé du droit international, sauf s’il se mêle de « Faire ce qu’il y a à Faire ». Ensuite vous insistez sur ses contraintes afin d’expliquer pourquoi les Etats-Unis n’ont pas à s’y soumettre “dans ce cas précis”.
5° Vous appartenez à la respectable cohorte de ceux qui chantent les louanges de l’engagement dans l’armée américaine, mais vous retiendriez probablement votre propre progéniture de faire une carrière militaire.
6° Bien que vous que vous ne connaissiez presque rien à l’histoire militaire, à la logistique, ni aux opérations militaires contemporaines, vous restez convaincu que la puissance militaire peut venir à bout d’objectifs politiques complexes à moindre coût.
7° On peut porter à votre crédit que vous avez de fortes sympathies pour qui s’oppose à un tyran. Malheureusement, vous avez tendance à ne pas essayer de savoir si des rebelles, des exilés, et autres opposants à leur régime ne sollicitent pas votre soutien en vous racontant ce qu’ils pensent que vous voulez entendre (deux mots : Ahmed Chalabi).
8° Vous êtes convaincu que le désir de liberté est bien ancré dans l’ADN humain et que la démocratie libérale à l’occidentale est la seule forme de gouvernement qui soit légitime. En conséquence, vous pensez que la démocratie peut triompher partout – y compris au sein de sociétés très divisées qui n’ont jamais été démocratiques – si des puissances étrangères lui fournissent suffisamment d’aide.
9° Vous respectez les arguments de ceux qui sont sceptiques à propos des interventions, mais en fait vous pensez secrètement qu’ils n’en n’ont rien à faire de sauver des vies humaines.
10° Vous pensez que, si les Etats Unis ne mettent pas fin à une crise humanitaire, leur crédibilité en tant qu’allié s’effondrera et leur autorité morale comme défenseur des droits de l’Homme sera ternie, même si aucun intérêt stratégique vital n’est en jeu.
Si vous présentez certains, voire l’ensemble de ces symptômes, deux choix s’offrent à vous. Première option : prenez les armes (littéralement) et arborez fièrement votre gout pour l’intervention militaire. Seconde option : admettez que vous avez été pris dans les filets des interventionnistes et cherchez de l’aide. Si vous choisissez la seconde, je vous recommande de commencer par lire “Forced to be free : why foreign-imposed regime change really leads to democratization” d’Alexander Downes et Jonathan Monten, de poursuivre avec “Little America : the war within the war for Afghanistan” de Rajiv Chandrasekaran et “We meant well : how I helped lose the battle for the hearts and minds of iraki people” de Peter Van Buren. Et si ce remède ne suffit pas, vous avez probablement besoin d’une cure de désintoxication.
Stephen Walt / ForeignPolicy
paru sur Foreign Policy