RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

T.P.P. : Le Terrible Plan Ploutocratique (Counterpunch)

(Allocution prononcée lors d’une manifestation organisée par le mouvement « Occupy Harrisonburg)

Je remercie Michæl Feikema et Doug Hendren, pour leur invitation. Comme la plupart d’entre vous, je ne passe pas ma vie à étudier les accords commerciaux, mais le Partenariat Trans-Pacifique (dont le sigle anglais est T.P.P.) est suffisamment inquiétant, pour m’avoir forcé à y consacrer un peu de temps, aussi j’espère que vous en ferez de même, que vous convaincrez vos voisins d’en faire de même, enfin que vous les convaincrez de convaincre leurs amis d’en faire de même – dès que possible.

Je passe le plus clair de mon temps à lire, et écrire, des livres qui ont pour sujets la guerre et la paix. Je suis en plein travail de rédaction d’un ouvrage qui réfléchit à la possibilité, et la nécessité, d’abolir la guerre, et le militarisme. Interrompre ce travail ne me réjouit guère. Mais si nous pensons que libre-échange et militarisme sont deux sujets distincts, nous nous racontons des histoires.

Thomas Friedman, le chroniqueur du New York Times, est un fervent admirateur des prétendus prodiges que la main invisible de l’économie de marché réalise, ce qui ne l’empêche pas de déclarer, « La main invisible du marché ne fonctionnera jamais sans un poing invisible. McDonald’s ne peut prospérer sans McDonnell Douglas, qui a conçu le F-15 de l’Armée de l’Air des États-Unis. Quant au poing invisible qui assure la sécurité dans le monde, afin qu’y prospèrent les technologies de la Silicon Valley, il porte à tour de rôle les noms d’Armée des États-Unis, Aviation des États-Unis, Marine des États-Unis, Corps de Marines des États-Unis ».

Bien sûr, ce poing n’a rien d’invisible. Il est prévu que le T.P.P. regroupe les États-Unis, le Canada, le Mexique, le Pérou, le Chili, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, Singapour, Brunei, la Malaisie, et le Vietnam, quant au Japon il devrait se joindre à eux dans le courant du mois, et même une fois le traité ratifié – s’il l’est – il demeurera susceptible de s’étendre à toute autre nation du Pacifique. L’Armée des États-Unis est en relation étroite avec les armées de toutes ces nations, dont elle encourage la militarisation, et maintient des troupes sur le territoire de la plupart d’entre elles. En ce moment, l’armée américaine renforce sa présence dans le Pacifique – même au Vietnam, où McDonald’s a également ouvert sa première franchise cette semaine. L’an dernier, au cours d’un débat, pendant la campagne présidentielle, le Président Obama présenta le T.P.P. comme un élément de la stratégie visant à faire contrepoids la Chine, tout en développant l’influence des États-Unis en Asie ; c’est ce même raisonnement qui sert à justifier la base navale de l’île Jeju, ainsi que toutes les autres formes d’intensification de la présence militaire autour des frontières de la Chine. Cette année, lors de son Discours sur l’État de l’Union, Obama a déclaré que le T.P.P., ainsi qu’un accord avec l’Union Européenne, étaient ses priorités pour l’année à venir.

C’est une évidence, la main qui rédige les accords commerciaux bénéficiant aux grandes entreprises, n’a rien de plus invisible que l’autre. Ces accords n’ont nullement pour but d’optimiser la compétition, en empêchant la constitution de monopoles. Ce sont des accords très longs, détaillés, qui prévoient la protection, et l’extension, de ces monopoles. Au lieu de faire confiance à la magie du marché, ce type d’accord obéit à l’influence des membres des groupes de pression. Tout comme la corruption du complexe militaro-industriel permet d’expliquer l’intensification de notre présence militaire dans le monde, en l’absence d’un ennemi de la nation – je veux dire, un ennemi qui soit une nation, non pas une poignée de criminels qu’il faudrait inculper, puis poursuivre en justice, sans les volatiliser, et avec eux toutes celles et tous ceux qui se trouvent à proximité – de même, donc, le fait que notre gouvernement soit devenu la propriété des grandes entreprises, permet d’expliquer ses politiques commerciales.

Ce qui reste invisible, en revanche, c’est le détail du texte de la proposition de traité T.P.P., tel qu’il a été négocié. Quelques 600 conseillers des grandes entreprises aident le gouvernement à l’écrire. Certains de ces conseillers proviennent d’entreprises aussi charitables, soucieuses de l’intérêt général, que celles connues sous les noms de Monsanto, Bank of America, Chevron, ou encore Exxon Mobil. Nous autres, sommes priés de rester à la porte. Le gouvernement recueille la moindre de nos communications, mais nous ne sommes pas autorisés à observer ce qui se fait en notre nom. Nous n’influençons pas le texte, nous n’avons pas le droit de le lire. Un, ou plusieurs, individus courageux, prêts à risquer une inculpation pour collusion avec l’ennemi (même s’il n’y a pas d’ennemi) ont porté à notre connaissance une partie de ce qui se trouve dans le T.P.P.

Je me suis un peu occupé d’accords commerciaux d’entreprise, lorsque je travaillais comme attaché de presse pour « Dennis Kucinich Président », en 2004. En gros, mon travail consistait à répéter à tous les types de médias, qui voulaient bien m’écouter, que nous allions mettre fin aux guerres, créer une sécurité Sociale d’État, et abolir l’Accord de Libre-Échange Nord-Américain (N.A.F.T.A., en anglais). Mettre fin aux guerres, voici ce que nous allions faire avant tout. Je me souviens qu’au cours de la campagne 2008, une brochette de candidats à la Primaire du Parti Démocrate étaient alignés sur une scène, pour participer à un large débat, que des syndicats avaient organisé dans un stade de football. Kucinich déclara qu’il abolirait l’A.L.E.N.A./N.A.F.T.A., sortirait de l’O.M.C., et négocierait avec certaines nations des accords de commerce bilatéraux, qui laisseraient intactes les protections dont bénéficient les travailleurs, les consommateurs, l’environnement. Le volume des applaudissements, permettait de supposer que la majorité des personnes présentes l’approuvaient. Mais chacun des autres candidats refusa de s’engager à abroger l’A.L.E.N.A. À la place, chacun d’entre eux, Barack Obama compris, affirma qu’il renégocierait l’A.L.E.N.A., de façon à l’améliorer, par l’ajout de protections qui n’y figuraient pas. Bien entendu, la plupart d’entre eux ne furent pas élus. Celui qui le fut, semble avoir changé d’idée. Cela fait cinq ans que le T.P.P. se négocie.

Il y a un an et demi, certains d’entre nous vivaient sur Freedom Plaza, à Washington, un autre camp était installé à quelques pas, sur McPhearson Square, et le mouvement Occupy se propageait dans tout le pays, par l’intermédiaire des journaux et télévisions privés. Une Commission Sénatoriale tenait une audience, qui portait sur les nouveaux accords commerciaux d’entreprise, passés avec la Colombie, Panama, et la Corée. Après que les membres des groupes de pression eurent pris place, il restait quelques sièges pour le public, je pris l’un d’entre eux. Les sénateurs réfléchissaient à ce qu’ils pourraient mettre en œuvre, pour limiter les dégâts causés par ce qu’ils étaient sur le point d’approuver. Ils prévoyaient d’essayer d’aider ceux qu’ils allaient mettre au chômage, à trouver un emploi. J’ai pensé qu’il était de mon devoir de leur faire remarquer, qu’ils pouvaient tout simplement laisser tout le monde continuer à occuper son emploi actuel. J’espérais qu’ils parviendraient eux-mêmes à cette conclusion. Je ne voulais pas faire preuve d’impolitesse, en les interrompant. Mais cela me semblait un point suffisamment important. C’est pourquoi j’ai pris la parole. On m’a arrêté.

Puis, les sénateurs abordèrent le problème des tarifs douaniers, que la Corée et les États-Unis appliquent à la viande bovine. Dans l’assistance, une femme prit la parole pour demander la raison pour laquelle nous ne pouvions pas, simplement, laisser le bœuf coréen en Corée, et le bœuf américain, aux États-Unis, au lieu de faire traverser l’océan dans les deux sens, à des navires transportant du bœuf. On l’arrêta. On arrêta tous ceux qui tentèrent de dire quoi que ce soit. Au cours de la première année d’application de l’accord avec la Corée, les exportations américaines vers la Corée diminuèrent de 10%, pendant que le déficit commercial des États-Unis, par rapport à la Corée, augmentait de 37%. Il est probable qu’un nouvel accord parviendra au même genre de résultats.

Si l’on veut voir l’aspect positif des choses, le Congrès n’eut pas à subir d’interruptions. Si ma mémoire est bonne, les accusations furent suivies de peines de prison. Quatre d’entre nous, négocièrent un accord avec le tribunal, qui prévoyait l’interdiction d’accès à Capitol Hill, pour une durée de six mois, en échange de la promesse de ne pas faire de prison. Dans la salle d’audience adjacente, quelques amis furent reconnus coupables d’avoir pris la parole contre la torture, alors qu’un président quelconque de la Commission ne la leur avait pas donnée. Le même jour, à l’autre bout de la salle, on annonça à une autre camarade que son sursis était levé, pour avoir interrompu le Premier Ministre israélien Netanyahu qui parlait au Capitole, une punition infligée alors même que Netanyahu l’avait remerciée pour son intervention, et fanfaronnait en rappelant que son traitement aurait été bien pire en Iran – même si les voies de fait qu’elle eut à subir au Capitole, l’obligèrent à porter une minerve.
De nos jours, le Premier Amendement ne se porte guère mieux que le Quatrième. Je sais que certains parmi vous diront qu’on ne devrait jamais interrompre un orateur, quel qu’il soit. Cela me plairait-il, d’être interrompu ? Et cætera. Mais que nous ont dit du T.P.P. les médias privés, qui dominent notre système de communications, grâce à nos subventions ? À moins que nous puissions mettre sur pied un nombre suffisant de manifestations comme celle-ci, il faudra bien que quelqu’un interrompe quelqu’un d’autre, pour faire passer le mot.

Si je devais interrompre un Super Bowl, ou un discours sur l’état de l’Union, pour parler du T.P.P., c’est sans doute le fait qu’il invente la « nationnification » des entreprises, que je mentionnerais en premier. J’ai commencé à me concentrer sur ce point, après avoir interviewé Lacey Kohlmoos, de Public Citizen, dans mon émission de radio. C’est ExposeTheTPP.org qui abrite le site de Public Citizen. Une autre coalition a créé FlushTheTPP.org. CitizensTrade.org en abrite une autre. Enfin, les efforts transfrontaliers pour organiser la lutte contre le T.P.P. sont recensés à TPPxborder.org. Vous trouverez quasiment tout ce que j’ai à dire, et plus encore, sur ces sites. Vous pouvez vous inscrire, afin de vous engager dans les campagnes en cours, en fonction des évènements que ces sites signalent.

Nombreux sont ceux qui, parmi nous, ont entendu parler de la notion de personnification d’entreprise. Au cours des quarante dernières années, des tribunaux américains ont accordé à certaines entreprises les mêmes droits qu’aux individus, y compris celui de financer les élections. Lorsque j’utilise l’expression « nationnification d’entreprise », j’évoque le fait de conférer aux entreprises les mêmes droits qu’aux nations. Le T.P.P., dont Public Citizen a pu se procurer certains avant-projets, comprend 29 chapitres, dont cinq seulement – selon ce qu’en a compris Public Citizen – traitent des échanges commerciaux. Les autres abordent des sujets tels que la sécurité alimentaire, la liberté du net, les coûts des médicaments, les délocalisations, ou encore la régulation financière. Selon l’article VI de la Constitution des États-Unis, les traités sont – avec la Constitution elle-même – la loi suprême de ce pays. C’est pourquoi les lois des États-Unis devraient être mises en conformité avec les règlements du T.P.P.

Les États-Unis ont signé des traités qui interdisent la guerre, ou la torture. Certains traités sont destinés à devenir, non pas la loi suprême du pays, mais des suggestions qui peuvent éventuellement avoir leur utilité. Avec le T.P.P., il n’en irait pas de même. Que ce soit au niveau fédéral, municipal, ou à celui des états, nos administrations devraient obéir à ses injonctions. Dans le cas contraire, les entreprises pourraient les y obliger. Une entreprise pourrait traîner en justice (devant un tribunal spécial, en fait), le gouvernement des États-Unis, ou les gouvernements des autres nations, pour abroger certaines de leurs lois. C’est cela, la « nationnification d’entreprise ». Quelques avocats d’affaires pourraient plaider une cause, devant un tribunal composé de trois avocats d’affaires qui la jugeraient avant, et après, en avoir eux-mêmes plaidé quelques-unes du même genre. Ces trois avocats n’auraient pas d’électeurs auxquels rendre des comptes, ni aucune contrainte de jurisprudence. Il n’y aurait pas de procédure d’appel. Ils seraient habilités à octroyer aux entreprises n’importe quel montant d’indemnité, dont les contribuables devraient s’acquitter.

Ainsi, en imaginant que les États-Unis adoptent certaines politiques, en matière de sécurité sociale, d’environnement, de droit du travail, de régulation des banques ou du net, ou toute autre politique publique, et que quelques avocats d’affaires parviennent à convaincre trois de leurs homologues que ces politiques contreviennent au T.P.P., elles seront déclarées inapplicables, la loi sera révisée, et le trésor public sera condamné à verser une compensation aux entreprises auxquelles l’obligation de fournir une couverture sociale, ou de s’abstenir d’empoisonner un fleuve, ou que sais-je encore, aura porté préjudice. Nous ne connaissons pas tous les détails – j’aurai accès sous peu, à certains d’entre eux. En réalité, peu importe ce qu’ils nous apprendront, la structure du projet est, en elle-même, scandaleuse. D’ailleurs, il ne fait qu’étendre le domaine de ce qui s’expérimente déjà, dans le cadre d’accords commerciaux d’entreprise déjà en vigueur.

Comme le rappelle ExposeTheTPP.org : « Des tribunaux ont d’ores et déjà condamné des gouvernements à payer plus de 3,5 milliards de dollars, pour des affaires opposant des investisseurs à un état, dans le cadre des accords en vigueur aux États-Unis. Cette somme comprend l’indemnisation d’embargos sur les déchets toxiques, de politiques cadastrales, de règlements en matière de sylviculture, et plus encore. Dans le seul cadre des accords qui s’appliquent aux États-Unis, le montant des demandes d’indemnisation en attente, est supérieur à 14,7 milliards de dollars. Même lorsque les gouvernements l’emportent, ils doivent souvent payer les frais de tribunaux, et de justice, dont le montant moyen s’élève à 8 millions de dollars par affaire. Le T.P.P. élargirait l’éventail des politiques que l’on peut attaquer en justice.

Les privilèges que le T.P.P. se propose d’accorder aux investisseurs étrangers confèreraient aux sociétés étrangères, des « droits » plus étendus que ceux dont bénéficient les sociétés nationales. Entre dans cette catégorie, le « droit » de ne pas voir un changement de politique d’un gouvernement, venir contrarier ses attentes. Des entreprises étrangères ont revendiqué des privilèges d’une telle radicalité, pour intenter des procès à l’état, au nom d’investisseurs qui reprochent à ce dernier toute une série de mesures en matière d’environnement, d’énergie, de santé publique, de déchets toxiques, de gestion de l’eau, de forage, ou dans d’autres domaines, non commerciaux, mesures qu’ils prétendent susceptibles de « réduire leurs bénéfices futurs attendus ».

Voici quelques exemples d’attaques en cours, lancées contre l’état par des investisseurs :

 Chevron, qui tente de fuir ses responsabilités dans la contamination de l’Amazonie Équatorienne par des déchets toxiques ;

 Phillip Morris, qui s’en prend aux règles d’étiquetage des paquets de cigarettes, en Australie ;

 Eli Lill, qui conteste la politique canadienne de brevets pharmaceutiques ;

 Enfin, des sociétés européennes, qui s’opposent l’augmentation du salaire minimum dans l’Égypte d’après la révolution, ou encore aux lois de discrimination positive dans l’Afrique du Sud d’après l’apartheid.

Les accords commerciaux d’entreprise comme le T.P.P. n’imposent pas quelque chose d’aussi dangereux que la « nationnification » d’entreprise, comme un prix à payer pour obtenir un bénéfice d’une autre nature. Ces accords n’offrent aucun avantage indiscutable, autre que des produits bon marché, de mauvaise qualité, que des travailleurs mal payés peuvent s’offrir. L’emploi sert à justifier la plupart des politiques publiques destructrices. Nous raserons cette forêt, c’est bon pour l’emploi. Nous accroîtrons nos forces armées, c’est bon pour l’emploi. Nous exploiterons des mines à charbon, c’est bon pour l’emploi. Nous aboutirons à une concentration des richesses, plus réduite encore qu’au Moyen-Âge, c’est bon pour l’emploi. Manque de chance, les accords commerciaux de ce type éliminent, ou tout du moins délocalisent, les emplois.

Avant l’A.L.E.N.A., il y avait environ 20 millions d’emplois manufacturiers aux États-Unis, 5 millions d’entre eux ont été détruits, à la suite notamment de la fermeture de 60000 usines. Les importations se sont envolées, tandis que la croissance des exportations ralentissait. Évidemment, des millions d’emplois du secteur tertiaire ont également été délocalisés. Ceux qui ont eu accès aux avant-projets du T.P.P. (certains chapitres sont disponibles en ligne), en parlent comme de « l’A.L.E.N.A. sous stéroïdes ». Il hypertrophie les politiques de l’A.L.E.N.A. Pour les sociétés qui délocalisent les emplois, le T.P.P. serait une source de profits exceptionnels, tout en réduisant leurs risques à néant. Au Vietnam, les salaires sont encore inférieurs à ceux pratiqués en Chine. En Chine, le salaire quotidien moyen s’élève à 4,11 dollars. Au Vietnam, il n’est que de 2, 75 dollars.

Le T.P.P. tirerait les salaires américains vers le bas. Si nous utilisons, à titre indicatif, l’exemple de l’impact de l’A.L.E.N.A. sur le Mexique, en fin de compte on s’apercevra que le Vietnam ne tire, lui non plus, aucun bénéfice du T.P.P., surtout après qu’un autre pays aura décidé de payer ses travailleurs encore moins que le Vietnam ne paie les siens.

Le T.P.P. transférera également les emplois des fournisseurs du gouvernement américain, vers des entreprises étrangères, en raison de l’interdiction dont sera frappée toute politique obligeant à acheter américain. Quant à la possibilité offerte aux entreprises américaines de participer aux appels d’offres gouvernementaux, dans d’autres pays signataires, elle ne contrebalancera rien du tout. Dans chaque pays signataire, les compagnies étrangères auront moins de comptes à rendre à la population dont on dépense l’argent. L’interdiction frappera également le traitement préférentiel accordé aux entreprises qui s’engagent à ne pas exploiter leur main d’œuvre, à celles qui appartiennent à l’une des minorités, celles dont les propriétaires sont des femmes, ou qui sont à la pointe en matière d’environnement. Le T.P.P. ne se contente pas de transformer les entreprises en gouvernements, il transforme également les gouvernements en entreprises, en exigeant d’eux que la recherche du profit soit leur unique objectif - même si en fin de compte, ce sont les entreprises qui empochent ces profits.

Le T.P.P. n’en reste pas là. Quand on en vient à la sécurité alimentaire, au droit du travail, ainsi qu’à d’autres protections, du consommateur et de l’environnement par exemple, un accord comme celui-ci pourrait exiger de toutes les nations qu’elles imposent des normes élevées, pourquoi pas les normes les plus élevées au plan international, plus élevées que celles de la nation la plus avancée en ces domaines – après tout, l’accord pourrait fournir à tous un « terrain de jeu nivelé », et devrait être considéré comme l’occasion d’élever les normes, tous ensemble. Le T.P.P., si l’on se fie à son avant-projet, fait tout le contraire. Il exigerait des États-Unis qu’ils importent de la viande bovine, ou de la volaille, qui ne respecteraient aucune des normes de sécurité américaines. Toute règle américaine de sécurité alimentaire en matière de pesticides, d’étiquetage, ou d’additifs, plus contraignante que la norme internationale, pourrait être remise en cause, en tant que « barrière douanière illégale ». La Malaisie et le Vietnam sont de gros exportateurs de produits de mer. On a détecté un niveau élevé de pollution dans les produits vietnamiens (je ne me l’explique vraiment pas !). L’Agence Américaine des Produits Alimentaires et Médicamenteux (F.D.A, en anglais) ne contrôle, à l’heure actuelle que 1% des importations en produits de la mer. En l’état actuel des choses, la vie est très difficile, tout au long de la chaîne des travailleurs de la mer américains. La pollution qui résultera du transport international, par bateau, des ressources halieutiques, ne fera sans doute pas plus de miracles pour leur qualité future. N’allez pas imaginer qu’il nous suffira de consommer local, ou de « voter avec nos porte-monnaie ». Le T.P.P. imposera des restrictions à l’étiquetage des produits alimentaires, sur leur provenance, la présence d’O.G.M., l’assurance d’une pêche qui épargne les dauphins, etc … Vous ne saurez rien du lieu, ni des conditions de production, de votre nourriture, à moins de la cultiver vous-même, ou de l’acheter chez un voisin, qui l’aura cultivé. Sauf qu’en cas de promulgation du T.P.P., les petits paysans seront condamnés.

Une fois que nous serons tous bien malades, après avoir consommé de la nourriture T.P.P., attendez de voir ce qu’il réserve à la santé publique. Les entreprises, qui bénéficieront des mêmes droits que les nations, pourront frapper de nullité les brevets nationaux, ou la législation en vigueur sur les prix des médicaments. Les grandes compagnies pharmaceutiques, dont le monopole sur les médicaments, ainsi que sur les procédures chirurgicales, sera renforcé, pourront en augmenter les prix. Celles et ceux qui ont besoin de médicaments génériques bon marché, s’en verront refuser l’accès, et beaucoup mourront. Au moment du bilan, le T.P.P. se révèlera peut-être plus meurtrier que n’importe quelle guerre. Le T.P.P. constituerait une menace pour les clauses qui, dans les systèmes d’assurance maladie pour personnes âgées, ou indigentes, ou encore pour les anciens combattants, rendent les médicaments plus abordables. Les entreprises étrangères pourront également remettre en cause la législation sur les déchets toxiques, les plans locaux d’urbanisme, les cigarettes, l’alcool, la santé publique, l’environnement – tout ce qui, selon eux, pourrait réduire leurs bénéfices. L’A.L.E.N.A. ne va pas aussi loin que le T.P.P., mais de telles choses se produisent déjà dans le cadre qu’il a défini. ExposeTheTPP.org signale que : « À la suite d’une procédure investisseur contre état, le Canada a levé l’interdiction qui frappait un additif pour carburant, que les États-Unis interdisaient aussi, car on le soupçonnait d’être cancérigène. De plus, le Canada a payé 13 millions de dollars à la société, et publié une déclaration officielle certifiant que le produit chimique ne présentait aucun risque ».

En vertu du T.P.P., les États-Unis pourraient augmenter leurs exportations de ce gaz qu’on dit naturel, ce qui signifiera encore plus de fracturation hydraulique. Quant aux lois qui protègent l’environnement, naturel autant qu’humain, dans les régions où se pratique la fracturation hydraulique, elles pourraient être contestées par des entreprises, en raison des limites qu’elles imposent aux bénéfices futurs. Les mêmes problèmes se posent, dans le cas des sables bitumineux. Déjà, à cause des accords commerciaux qui s ‘appliquent à l’heure actuelle, les gouvernements ont dû payer plus de 3 milliards de dollars à des entreprises étrangères, et les procédures intentées aux politiques environnementales, ou d’extraction des ressources naturelles comme le pétrole, le charbon, ou le gaz, sont à l’origine de 85% de cette somme. Cette dernière comprend l’indemnisation des sociétés américaines d’exploitation des ressources en énergie fossile, par les gouvernements du Mexique, et du Canada.

L’accoutumance des États-Unis à l’existence de lois secrètes, ne cesse de grandir. Par exemple, selon de nombreux membres du Congrès, la loi « P.A.T.R.I.O.T. », a été « réinterprétée » en secret, de sorte qu’aujourd’hui sa signification diffère radicalement – mais en pire – de celle du texte originel du projet de loi, pourtant déjà épouvantable. Le T.P.P. sera peut-être porté à la connaissance du public, divulgué petit à petit, mais il surpasse la loi « P.A.T.R.I.O.T. », dans toutes ses dimensions. Il réécrirait les lois. Il irait jusqu’à instaurer des lois, que le Congrès avait rejetées en toute connaissance de cause, au terme d’une procédure publique.

L’an dernier, S.O.P.A, ce projet de loi anti-piratage sur internet, qui était vendu comme une protection des droits d’auteur, fut en fin de compte rejeté, en raison du danger de censure du net dont il était porteur, après que le public, voire même quelques entreprises, eurent exercé de fortes pressions. Selon la Fondation pour une Frontière Électronique (E.F.F.), et l’Union Américaine pour les Libertés Civiles (A.C.L.U.), le T.P.P. ferait renaître S.O.P.A., loin des regards. Sauf, bien sûr, si nous commençons à regarder. Dans le cadre du T.P.P., les fournisseurs de service internet pourraient contrôler l’activité des utilisateurs, faire disparaître des contenus, ou encore faire en sorte que certaines personnes ne puissent accéder à certains contenus. On réserverait le même traitement, au téléchargement d’une chanson, qu’à une violation à grande échelle, et à but lucratif, de la législation sur les droits d’auteur. Le T.P.P. imposerait 120 années de protection, pour les contenus originaux des entreprises. Faire sauter les verrous numériques (non, je ne sais pas vraiment de quoi il s’agit), pour des raisons légitimes, par exemple en utilisant Linux, ou en permettant aux sourds d’accéder à une forme de sous-titrage utilisable par eux, ou aux aveugles d’accéder à des contenus commentés, pourrait être passible d’amendes.

Ensuite, vient le cas des lois, comme une régulation raisonnable de la Bourse, que nous rêvons de voir notre gouvernement promulguer, mais que le T.P.P. n’autoriserait pas. En vertu du T.P.P., un gouvernement ne pourrait interdire les dérivés toxiques, et autres « produits » financiers à risque, qui contribuèrent à l’effondrement de l’économie. Il ne pourrait être question de remettre en place un pare-feu entre les différents types d’institutions financières. La sénatrice Elizabeth Warren veut rétablir la loi Glass-Steagall qui, selon elle, avait permis d’éviter l’effondrement des économies pendant un demi-siècle, entre les années 30 et les années 80. Le T.P.P. l’interdirait. Un mouvement de grande ampleur, auquel je collabore, veut imposer une taxe « Robin des Bois », sur les transactions financières. Les gouvernements de certaines nations commencent à l’approuver. Le T.P.P. l’interdirait. Si notre gouvernement donne naissance au T.P.P., puis s’y conforme, on le sollicitera pour qu’il renfloue à nouveau les banques hors-la-loi. S’il lui donne naissance, sans s’y conformer, des tribunaux d’affaires lui feront payer les renflouements, sanctionneront son choix d’imposer des règles. Notre gouvernement s’inflige, à lui-même, ce genre de châtiment, parce qu’il est en panne. Les élections sont en panne. Les communications sont en panne. Plus personne ne contrôle la culture du secret. On persécute les lanceurs d’alertes. On institutionnalise la corruption. Les partis remplacent désormais les secteurs industriels. Enfin, une culture de la cupidité myope, et de la servilité, remplace aujourd’hui tout ce qui, de près ou de loin, pourrait évoquer la stature d’homme d’état.

Ainsi que l’indiquait le tract appelant à cette manifestation, le T.P.P. :

 Empêchera toute régulation véritable de la Bourse
 Transformera des carrières bien rémunérées, en travail dans des ateliers de main d’œuvre exploitée
 Détruira les fermes familiales
 Accélérera le réchauffement climatique, au nom du profit
 Maintiendra le peuple dans une ignorance totale
 Placera les droits des entreprises au-dessus de notre souveraineté nationale
 Réduira à néant notre capacité à venir en aide aux économies locales
 S’attaquera aux fondements de la démocratie, qu’il affaiblira, chez nous comme à l’étranger

Le Président Obama veut faire ratifier le T.P.P. en procédure accélérée. Cette semaine, des groupes d’industriels ont passé leur temps à exiger que le Congrès approuve cette procédure. Les accords commerciaux d’entreprise ne font pas partie des traités pour lesquels la majorité des deux-tiers est requise au Sénat. Au lieu de cela, une majorité simple, obtenue dans les deux chambres, suffit à les faire adopter. Si le Congrès autorise la procédure accélérée, cela signifiera que ce machin ne pourra être amendé. Qu’il ne sera pas question d’utiliser l’obstruction parlementaire. Il faudra se contenter de le voter en l’état, avec ses articles les plus épouvantables, dans le même lot que ceux qui sont juste un peu effrayants. La majorité des membres du Congrès n’avaient pas eu le temps de lire la loi « P.A.T.R.I.O.T. » avant de la voter, quant au public, comme il se doit, on ne lui avait pas montré le texte. Le Congrès, lui non plus, n’a pas encore pu lire celui du T.P.P. Dans le texte de l’avant-projet, figurent même trois chapitres dont personne n’a réussi à divulguer les titres.

L’Autorité de Promotion du Libre-Échange (T.P.A., en anglais) est arrivée au terme de son mandat en 2007, et le Congrès s’est opposé à son renouvellement. Insister pour que le Congrès continue de s’y opposer, pourrait constituer l’un des aspects d’une vaste campagne, qui aurait pour but de convaincre le Congrès de prendre son rôle au sérieux, mais qui pourrait également chercher à obtenir l’abrogation de l’Autorisation de Recourir aux Forces Armées (A.U.M.F.), qui date de 2001, et qui n’a servi qu’à transmettre les pouvoirs de guerre au Président. Même sans cela, enrayer la procédure accélérée, reviendrait à favoriser le blocage du T.P.P. Par contre, rien ne s’opposerait à la signature d’accords commerciaux honnêtes, qui ne craignent pas la lumière du jour. Depuis 1974, plus de 500 accords commerciaux ont été conclus, mais la procédure accélérée n’a servi à faire adopter, que 16 des pires d’entre eux.

Lorsqu’il était candidat, Obama affirmait qu’il remplacerait la procédure accélérée, et s’assurerait que le Congrès remplisse une fonction essentielle d’expertise en matière d’accords commerciaux. Aujourd’hui, il réclame la procédure accélérée. S’il l’obtient, les moindres détails du T.P.P., y compris les plus barbares, entreront probablement en vigueur.
Nous pouvons bloquer le T.P.P. Depuis le vote de l’A.L.E.N.A., d’autres l’ont été, dont le projet de Zone de Libre-Échange des Amériques (F.T.A.A.), que des manifestations de grande ampleur ont permis de faire avorter. Dans le cas de la F.T.A.A., les documents qui servaient de base aux négociations, avaient été rendus publics. Pas cette fois. Cela dit, FlushTheTPP.org nous offre ces paroles d’encouragement :

« Depuis la « Bataille de Seattle », l’Organisation du Commerce International a éprouvé les pires difficultés pour respecter son plan de route, comme on a pu le constater lors de l’échec des négociations, dites du « cycle de Doha », qui se déroulent sous son égide. Nous avons bloqué également la Zone de Libre- Échange des Amériques, ou encore l’Accord Multilatéral sur l’Investissement. Sans parler des 14 autres accords commerciaux d’entreprise, dont une opposition populaire de grande ampleur a empêché la conclusion. Ces nouvelles sont porteuses d’espoir et, ensemble, nous pouvons aussi bloquer le T.P.P., ce qui constituerait une victoire éclatante du peuple, sur le pouvoir des entreprises transnationales ! ».

Sur FlushTheTPP.org vous trouverez une carte, qui recense les actions en cours à travers le pays, et qui vous permet d’en initier. Les groupes sont encouragés à organiser les « Mardis du T.P.P. », dédiés à des manifestations, pédagogiques, de résistance non-violente. En Août, on peut espérer que les membres du Congrès seront dans leurs circonscriptions, et les sénateurs dans leurs états. Nous devons les harceler, faire pression sur eux, obtenir avec eux des rendez-vous, des entretiens, les pousser dans leurs retranchements, manifester devant chez eux, jusqu’à ce qu’ils acceptent de rendre le T.P.P. public, et de mettre la procédure accélérée en échec. Ron Kirk, l’ancien représentant américain au commerce, a déclaré que, si l’on portait le contenu de l’accord à la connaissance du public, son impopularité empêcherait qu’il soit signé.

La campagne Backbone, relayée sur le site BackboneCampaign.org, propose des idées intéressantes, pour la confection de pancartes, de banderoles, de pantins. Ils vont jusqu’à monter des camps d’entraînement, où ils enseignent des choses comme la planification des actions, l’utilisation du son et de la lumière, des chansons, de la danse, les manifestations-éclair, le théâtre de guérilla, la collecte de fonds, la construction et le déploiement de banderoles géantes – ou encore l’utilisation de montgolfières, de barrages routiers, de la descente en rappel, etc … Je vous conseille d’entrer en contact avec eux, ou de produire des efforts du même type.

L’opposition au T.P.P. pourrait servir de catalyseur pour la résurgence de Occupy Harrisonburg, ou Occupy Partout. Il va falloir nous organiser, nous allons devoir occuper. Il nous faut continuer à faire sortir l’argent des grandes banques. Il faut que nous fassions avancer les idées de coopératives ouvrières, de délégation de pouvoir aux communautés. Il nous faut devenir indépendants du parti politique scandaleusement corrompu que nous sommes censés haïr, comme du parti politique scandaleusement corrompu que nous sommes censés aimer. Nous devons cesser d‘applaudir lorsque le président Obama prononce des discours qui contredisent les politiques qu’il met lui-même en œuvre. Je n’ai pas le souvenir que nous ayons exigé du président Bush, ne serait-ce qu’une fois, qu’il fasse un discours. Il nous fallait toujours quelque chose de plus substantif.

Les lieux où l’on peut s’engager :
http://ExposeTheTPP.org
http://FlushTheTPP.org
http://CitizensTrade.org
http://TPPxborder.org

Sur RootsAction.org également, là où je travaille, vous trouverez une page sur laquelle 20000 personnes ont déjà envoyé des mails au Congrès et au président, pour s’opposer au T.P.P., vous devriez en faire de même. Faites vous entendre.

Cet accord de libre-échange n’est pas libre, n’a rien à voir avec un échange, et n’a pas notre accord, un point c’est tout !

David Swanson

22 JUILLET 2013

David Swanson est l’auteur de War Is a Lie ; il habite en Virginie

http://www.counterpunch.org/2013/07/22/the-terrible-plutocratic-plan/

Traduction : http://echoes.over-blog.com/le-terrible-plan-ploutocratique

»» http://echoes.over-blog.com/le-terrible-plan-ploutocratique
URL de cet article 21814
   
Histoire de ta bêtise
François Bégaudeau
PREFACE D’abord comme il se doit j’ai pensé à ma gueule. Quand en novembre les Gilets jaunes sont apparus pile au moment où Histoire de ta bêtise venait de partir à l’imprimerie, j’ai d’abord craint pour le livre. J’ai croisé deux fois les doigts : une première fois pour que ce mouvement capote vite et ne change rien à la carte politique que le livre parcourt ; une second fois pour que, tant qu’à durer, il n’aille pas jusqu’à dégager Macron et sa garde macronienne. Pas avant le 23 janvier (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

"Ce n’est pas de Wikileaks que les Etats-Unis ont peur. Ce n’est pas de Julian Assange qu’ils ont peur. Qu’importe ce que je sais ? Qu’importe ce que Wikileaks sait ? Ce qui importe, c’est ce que VOUS savez." — Julian Assange

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.