Echec de l’islamisme politique, précarité économique, instabilité politique et insécurité caractérisent ce que vivent les peuples acteurs de ce qu’on a appelé le « Printemps arabe » qui semblent tout près du chaos, plus de deux ans après cette vague de soulèvement populaire contre l’autoritarisme et la misère sociale.
Pourtant absents lors des révoltes et révolutions populaires, les partis islamistes ont réussi l’exploit de se hisser au-devant de la scène politique et d’arriver au pouvoir, par les urnes, mais également, on ne le répétera pas assez, grâce à un soutien médiatique et financier extérieur. Ils sont contestés désormais pour mauvaise gestion et accusés d’être responsables de l’insécurité qui règne.
Précurseur des soulèvements des peuples de la région, la Tunisie craint, aujourd’hui, de voir le pays sombrer dans le chaos. L’assassinat politique ciblé du militant de gauche, Mohamed Brahmi, jeudi dernier, qui intervient six mois après l’assassinat de l’autre opposant de gauche, Chokri Belaid, en recourant à la même arme et au même mode opératoire, plonge le pays dans la peur d’un remake du scénario algérien des années 1990, comme l’indiquait hier Jamel Mslem, avocat et membre de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme. Alors que la grogne sociale n’a jamais cessé, le pouvoir, avec à sa tête, la parti islamiste, accusé d’avoir trahi les principes de la révolution de janvier et d’être responsable de l’insécurité qui règne dans le pays, se retrouve une nouvelle fois en mauvaise posture.
Comme après la mort de Chokri Belaïd, la mobilisation populaire a été grande, avec cette fois-ci, plus de détermination, en raison du ras-le-bol général face à une transition qui s’éternise, mais aussi de l’expérience égyptienne qui a vu les islamistes se faire éjecter du pouvoir. L’appel des quatre forces syndicales et de défense des droits de l’Homme, dont le rôle a été déterminant pendant la révolution de janvier, à leur tête l’Union générale des travailleurs tunisiens, a été largement suivi, tandis que pas mois de 43 députés ont suspendu leur activité au sein de la Constituante. Des rassemblements ont d’ailleurs eu lieu devant de la constituante pour appeler à sa dissolution, notamment après les appels du Front populaire et du Parti des travailleurs à la désobéissance civile et la dissolution du gouvernement, ce qui mènera, si cela venait à se concrétiser, à une autre période de transition. Menée par un gouvernement du Salut de technocrates, cette période devra permettre au pays de se doter enfin d’une Constitution et à organiser les prochaines élections, pour arriver enfin à répondre aux aspirations socioéconomiques des citoyens, principale raison derrière leur soulèvement.
Transitions violentes
Une transition un peu comme à l’Egyptienne ? Pas tout à fait. Le soir des funérailles de feu Brahmi, des manifestants partisans de la légitimité ont scandé « ici nous n’avons pas de Sissi, El Marzouki Raissi » ! El Sissi, c’est l’actuel homme fort de l’Egypte, le deuxième pays de la région à avoir connu le « Printemps arabe ». Deux ans après la chute de Moubarek, le paysage politique actuel ressemble affreusement à celui de son règne. Aidée par un important mouvement populaire, l’armée, qui n’a jamais réellement quitté le pouvoir, le reprend totalement en éjectant les islamistes, arrivés entre-temps à la tête du pays par les urnes. Alors que les violences depuis la chute de Mouabark sont régulières, le renversement de Morsi n’a pas arrangé les choses. Selon Human Rights Watch, près de 300 personnes auraient trouvé la mort dans des affrontements entres partisans et opposants de Morsi ou dans la confrontation des manifestants à l’armée, depuis le 3 juillet, dont 72 au Caire samedi parmi les partisans des Frères musulmans, qui ont réitéré leurs appels à rester mobilisés.
Dans le Sinaï, qui fait régulièrement face à des actions terroristes, ce sont plus de 10 personnes qui ont été tuées par les forces de sécurité ces dernières 48 h. Face à cette montée de la violence, l’armée menace de décréter l’Etat d’urgence. La transition censée être salutaire à la crise semble mal commencer !
Terrorisme, assassinats ciblés et violences sont également ce qui fait l’actualité en Libye où des manifestations ont eu lieu samedi à Benghazi contre les islamistes au pouvoir, accusés d’attiser l’instabilité dans le pays, au lendemain de plusieurs assassinats : celui du militant politique anti-islamiste, vendredi, et, dans la nuit, ceux de deux officiers de l’armée. La présence de milices lourdement armées par l’Otan dans la guerre contre Kadhafi n’arrange pas les choses. En Libye, on parle déjà de chaos. Seul pays à avoir su se ménager pour éviter d’être « atteint » par le « Printemps arabe » en engageant des réformes à temps, le Maroc, qui ne traverse pas de crise majeure aujourd’hui, bien que les islamistes, au pouvoir là aussi suite à des élections « arabprintanières », soient fortement contestés. Sept ministres ont ainsi présenté leur démission au chef du gouvernement islamiste pour protester contre la précarité qui augmente.
Mehdia Belkadi