Dans la balance…
Oui l’armée égyptienne est aussi une association d’individus contrôlant l’économie de tout le pays et aussi inféodée a ses sponsors US qui l’ont équipée et formée ; c’est inquiétant en effet… Autant que les salafistes ? Il faut le vivre de très loin pour oser l’affirmer…L’armée égyptienne, bien que composée de conscrits, n’est pas l’armée portugaise de la ‘révolution des œillets’, elle est déjà un état dans l’état, mais dépendant pour sa survie autant du maintien de ses privilèges par le régime dont elle facilitera la constitution que du soutien des Etats-Unis dont elle est matériellement et financièrement dépendante.
Oui une immense joie semble avoir traversé le peuple égyptien quand le président Morsi a annoncé sa démission et que les Frères Musulmans semblent faire profil bas, au moins temporairement… Est-ce un acquis démocratique ? Il faudrait avoir une vision bien simpliste pour l’affirmer…
Mais pourquoi ne pas faire confiance au peuple et pourquoi penser à sa place ?
– En février 2011 une partie de la population a considérée que l’armée était à ses côtés, avant de se faire réprimer plus tard et jusqu’aux affrontements de décembre de 2011. Puis, l’armée a semblé se mettre en réserve, laissant les Frères musulmans mener leur campagne électorale victorieuse. Morsi a été élu président démocratiquement en juin 2012 ; mais dès décembre 2012 les affrontements ont repris, la population protestait contre une constitution imposée à la suite d’un référendum où plus de 60 % de la population s’était abstenue.
– En suivant ce véritable coup d’Etat institutionnel, s’est construit depuis plusieurs mois, un mouvement autour d’une pétition : « Tamarod » (la rébellion). Elle a obtenu dit on plus de vingt millions de signatures, soit bien plus que les 14 millions de voix obtenues par Morsi lors des élections ! Est-ce à dire que nulle manipulation n’ait pu intervenir, y compris d’origine étrangère et particulièrement US ? Certainement pas, mais le peuple existe et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes semble bien, ici et maintenant, s’exprimer assez clairement.
– Il semble visible que les égyptiens n’ont jamais adhéré sincèrement et massivement au ‘programme’ des intégristes religieux. Pourtant ceux-ci, si on peut qualifier d’intégristes une part au moins des Frères musulmans, étaient en 2011 et 2012 les plus anciens opposants à la dictature inféodée à l’Occident et complice aussi d’Israël. Ne peut on se réjouir qu’ils aient perdu leur crédit ? Ne devons nous pas saluer la maturation rapide d’une opinion que la question sociale intéresse au premier chef, plus que le renforcement des lois islamistes dans la constitution ?
La question sociale reste au premier plan :
– Ici, 40 % de la population doit vivre avec moins de 1 $ par jour et le FMI exigeait, dans l’intérêt des seules banques occidentales, que le gouvernement instaure de nouvelles mesures d’austérité. Rien ne permet de discerner dans les premières déclarations du régime provisoire instauré par l’armée, une rupture certaine avec cette orientation ; c’est le peuple égyptien et lui seul qui en sera le meilleur juge.
– Le Président des Etats-Unis, Barak Obama, jusqu’à la semaine dernière soutenait le président libéral Morsi, en dépit de sa proximité avec les frères Musulmans ; demain il espérera et fera tout pour organiser une collusion entre l’armée et des partis jugés ’modérés’… Mais nul doute que le libéralisme restera au menu de la nouvelle constitution qui pourrait décevoir bien des espoirs.
– Il est vrai que les forces politiques organisées aptes à dénoncer l’emprise du capitalisme sur le présent et l’avenir du pays sont très minoritaires. Les héritiers du nassérisme qui défendait l’indépendance du pays et ses intérêts premiers, ne représentent plus qu’une force résiduelle, face aux élites conquises par l’idéologie libérale et les présumés avantages de la mondialisation économique soumise aux règles de l’OMC et du FMI…La désillusion à venir peut demain encore faciliter un retour de l’Islam le plus rigoureux, surtout si la corruption continue à ronger les nouvelles institutions.
Une victoire du peuple ? Une révolution des œillets égyptienne ? Ne soyons pas naïfs…
– La montée en lice de El Baradai, possible candidat ultérieur, ne garantit rien d’autre qu’une bonne relation entretenue avec l’Occident et son pouvoir hégémonique.
– La crise économique continuera à s’approfondir, avec des salafistes en embuscade, contre un Peuple qu’il ne faut pas ‘traiter de con’, comme le fait l’auteur de cet article de façon injurieuse… Un Peuple qu’il faut au contraire soutenir dans sa détermination pour renverser un ordre ancien, inféodé au capitalisme et à sa principale puissance, en outre alliée inconditionnelle du très présent et menaçant voisin de Tel Aviv…
La partie de billard qui se joue est à plusieurs bandes…D’autres enjeux que le devenir de la seule Egypte se décident ici, dans l’équilibre instable du grand moyen Orient.
– Si le peuple prend confiance en lui, tout est possible, ce n’est pas à nous d’ironiser ni postuler ni médire ni conseiller des recettes qui ne seraient qu’encouragement à la docilité et à la servitude prolongée…
– Il n’est pas impossible même, que cette contestation du régime des frères Musulmans issus de la première révolution fasse tache d’huile et serve de modèle à d’autres Peuples qui ont vu les mollahs détourner les premières colères populaires à leur profit.
Entre dictature et servitude religieuse, ce sont les Peuples eux-mêmes qui franchiront les étapes de leur émancipation.
Là bas, comme dans d’autres pays de la région, c’est une ‘Révolution permanente’ qui est en marche… Nul n’en connait l’issue…
Jacques Richaud 5 juillet 2013