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Grèce : une première victoire mais il faut rester sur ses gardes !

Lundi 17 juin, la justice grecque a suspendu la décision d’Antonis Samaras, leader de Nouvelle Démocratie (ND) - principale composante du gouvernement de coalition au pouvoir en Grèce, de fermer la radio-télévision publique (ERT). Elle ordonne la reprise de sa programmation jusqu’à la décision définitive qui aura lieu fin septembre. C’est sans doute une première victoire des masses depuis le début de la crise en 2010 contre une attaque brutale du gouvernement et une défaite importante pour Samaras et ND. Cependant, cela ne veut pas dire qu’il faut relâcher la pression contre les plans du gouvernement, du patronat et de la Troïka. Non seulement la survie de l’ERT n’est pas encore assurée, mais d’autres attaques, non moins brutales, continuent à menacer les conditions de vie des travailleurs, de la jeunesse et des couches populaires.

Une situation difficile à tenir

Cette défaite pour ND avait en quelque sorte déjà commencé à se profiler dès mardi soir, après l’annonce de la fermeture de l’ERT par Samaras, lorsque des milliers de personnes se sont mobilisées devant le siège de l’ERT. Ensuite, les centrales syndicales avaient appelé à une grève générale de 24h, les salariés de l’ERT avaient occupé l’immeuble et une grève de solidarité de cinq jours a été déclenchée dans les médias privés. A cette pression populaire il faut ajouter celle, très hypocrites, d’institutions internationales et de responsables politiques européens, ainsi que celle de ses partenaires de gouvernement (PASOK et DIMAR -Gauche Démocratique) qui s’étaient opposés à la fermeture de l’ERT.

Ainsi, ND était dans une situation très compliquée. Samaras pouvait difficilement tenir. C’est pourquoi il avait commencé à lâcher du lest vendredi en proposant une réouverture (très partielle, certes) de l’ERT. Durant le week-end, ni DIMAR ni le PASOK n’ont accepté cette alternative car ils voyaient une opportunité d’apparaitre en opposition à ND et d’essayer de décoller un peu dans les sondages. Cependant, en adoptant cette posture ils jouaient avec le feu car ils menaçaient de faire éclater la coalition et de provoquer un appel à des élections anticipées, ce qu’aucun parti au pouvoir ne veut.

L’autre risque pour le gouvernement était une capitulation trop ouverte de ND, ce qui l’affaiblirait trop fortement, sans pour autant renforcer forcément les autres composantes de la coalition. Autrement dit, le gouvernement dans son ensemble pouvait sortir affaibli de cette crise.

Dans ce contexte, le fait que le Conseil d’Etat ait annulé la décision de Samaras est certes une défaite pour lui, mais en quelque sorte c’est une « défaite honorable » dans le sens où il n’a pas été obligé de capituler ouvertement. Au contraire, il peut même faire semblant de rester ferme dans sa position tout en « respectant les décisions de la Justice ». On peut dire que la décision de la Justice grecque a peut-être permis aussi bien à ND qu’à ses partenaires de gagner un peu de temps. Combien ? Là est toute la question.

De la « radicalité » patronale

La fermeture de l’ERT était un pari très risqué, mais nécessaire pour la bourgeoisie. Ainsi, le journal conservateur Kathimerini regrette ce matin, dans un article d’opinion, qu’après trois ans et demi de crise « le système politique [ait] échoué dans la simple tâche de se mettre d’accord sur la fermeture d’au moins une entité étatique. On déterre des arguments juridiques pour empêcher une telle chose de se produire, en s’appuyant sur le fait que le cadre constitutionnel et juridique, conçu par le système politique lui-même, laisse peu de place pour des changements radicaux (…) Certes, la fermeture de l’ERT a été effectuée de la pire façon possible du point de vue de son effet sur l’opinion publique et de sa symbolique politique. Mais le problème est encore plus évident. Quelqu’un doit rompre le tabou et prendre la décision de restructurer au moins un service public » [1].

Autrement dit, le gouvernement devait essayer d’être plus « radical » (notons que dimanche Merkel a apporté son soutien à Samaras dans ses « efforts de réforme »). Mais là, il est en train de le perdre son pari. Cela pourra même lui coûter un remaniement ministériel (un peu plus favorable au PASOK et à DIMAR ?). Certains parlent même du remplacement de Samaras, dans le but d’éviter des élections anticipées. En ce sens, mercredi 19 juin se tiendra une autre réunion entre les trois partenaires de la coalition au pouvoir pour essayer d’arriver à un accord sur la question de la restructuration de l’ERT.

Il faut noter également qu’hier, alors que les trois partenaires de la coalition se réunissaient, Syriza tenait un important meeting devant le Parlement. Tsipras parlait de Samaras comme d’un homme « politiquement fini ». Il est probable qu’il y ait un saut dans le soutien électoral à Syriza après ce faux pas du gouvernement. Alors que jusqu’à présent la relative stabilité politique des derniers mois avait permis d’appliquer des attaques en règle contre les masses et à Samaras d’être tête à tête avec Tsipras dans les sondages, on pourrait être maintenant dans un moment charnière. Il faudra voir aussi comment Aube Dorée essayera de tirer son épingle du jeu. Sans sous-estimer leur poussée électorale provoquée par la crise profonde de la société grecque, nous devons souligner le fait qu’eux aussi ont fait un faux pas : en soutenant la mesure de Samaras dès le début, ils ont révélé au grand jour leur caractère de classe.

La lutte doit continuer !

Évidemment la lutte n’est pas finie. Non seulement Samaras maintient sa volonté de fermer l’ERT, mais il pourrait même arriver à un compromis pourri avec le PASOK et DIMAR qui sont eux aussi pour « l’épuration » de l’ERT et plus en général pour la suppression de 15.000 emplois dans la fonction publique. En outre, la décision de Justice ne fait que suspendre la fermeture de l’ERT, mais ne remet pas (encore) en cause le projet de licenciement massif dans la radio-télévision publique. Il ne faut également pas écarter la possibilité de coups médiatiques pour renverser un peu l’opinion publique : Samaras menaçait hier de révéler les résultats d’une enquête sur la corruption à l’ERT, ce qui donnerait soi-disant de la « légitimité » à la fermeture de celle-ci ou au moins à sa restructuration drastique. Cette manœuvre ne serait cependant pas sans risques, car son parti a lui aussi participé à la corruption dans l’ERT.

Enfin, il faut aussi prendre en compte l’effet que cette victoire partielle peut avoir sur le moral des travailleurs et des masses pour les luttes à venir. Cette défaite du gouvernement se produit après une grande vague de solidarité populaire, une grève générale décrétée très rapidement (même si limitée à 24h comme la bureaucratie syndicale sait si bien le faire), une grève de solidarité des journalistes de cinq jours et surtout une occupation des locaux où les travailleuses et travailleurs de l’ERT ont continué à transmettre, défiant ainsi le gouvernement. Ce n’est donc pas le moment de relâcher la pression, il faut au contraire profiter de ce recul de Samaras pour aller de l’avant face l’ensemble des attaques contre les travailleurs et les couches populaires.

Philippe Alcoy

18/6/2013.

»» http://www.ccr4.org/Grece-une-premi...

[1Ekathimerini.com, « Not dodging the tough decisions », 18/6/2013.


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