RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

Au procès de Bradley Manning, Adrian Lamo raconte ses six jours de discussions avec l’accusé. (The Guardian)

Le hacker s’est retrouvé face à face avec le soldat américain qu’il a trahi au moment où le procès se focalise sur l’état d’esprit et les motivations de Manning.

Bradley Manning, le soldat accusé de la plus grande fuite du renseignement de l’histoire des Etats-Unis, s’est retrouvé face à face mardi avec l’homme qui l’a dénoncé aux autorités militaires.

Adrian Lamo, un ancien pirate informatique, a témoigné à la cour martiale de Manning, qu’il n’avait jamais rencontré mais dont la dénonciation aux agents du contre-espionnage a changé dramatiquement la vie.

L’avocat de la défense de Manning a contre-interrogé Lamo pour explorer les motivations et l’état d’esprit du soldat au moment où il a transmis une vaste quantité d’informations secrètes au site d’information WikiLeaks.

La cour a entendu que Manning a indiqué à Lamo qu’il avait décidé de fuir les informations comme une façon d’inciter un débat mondial et de disséminer la vérité.

Lamo a raconté qu’il avait eu une conversation en ligne avec Manning pendant six jours à partir du 20 mai 2010. Le soldat a d’abord pris contact avec lui via une adresse Gmail et une adresse électronique militaire, mais Lamo a suggéré de passer à un canal de messagerie AOL crypté pour garder leur conversation privée.

Lamo, vêtu de noir, une croix en argent autour du cou, a déclaré à la cour qu’il avait recoupé les mails de Manning, les chat AOL et la page Facebook pour vérifier son identité et statut militaire.

David Coombs, le principal avocat civil de Manning, a utilisé le contre-interrogatoire pour élucider l’état d’esprit du soldat au moment de la fuite. L’interrogatoire a fait l’objet d’échanges houleux avec les avocats de l’accusation qui se sont opposés à plusieurs reprises à sa soi-disante dérive.

Lamo a dit à Coombs que Manning avait indiqué au cours de leurs conversations qu’il savait que le témoin était un pirate compétent mais équivoque ("grey-hat hacker" https://fr.wikipedia.org/wiki/Grey_hat) – c’est-à-dire qu’il cassait les systèmes informatiques pour tester leur failles de sécurité ; qu’il était impliqué dans la cause LGBT ; et qu’il avait fait des dons à WikiLeaks. « Il vous a dit qu’il s’est adressé à vous comme quelqu’un qui peut le comprendre ? » a demandé Coombs.

« C’est exact », a répondu Lamo.

Lamo a confirmé à l’avocat de la défense qu’au moment de leurs conversations en ligne, Manning s’est présenté lui-même comme une loque émotionnelle en conflit avec son genre, qui sentait que sa vie était en train de s’effondrer et qui avait des pensées suicidaires. « Il vous a dit qu’il n’avait personne en qui il pouvait avoir confiance et qu’il avait besoin de beaucoup d’aide ; il s’est même excusé auprès de vous pour s’être laissé aller à dire ce qu’il avait sur le cœur du fait que vous étiez de complets étrangers ? ».

« Exact », répondit Lamo.

Dans son témoignage, Lamo a admis son passé de pirate. En 2004, il a plaidé coupable et a été condamné à six mois en résidence surveillée pour avoir cassé les systèmes informatiques du New York Times, de Microsoft et de Lexus Nexus.

Lamo a également déclaré à la cour qu’il avait été diagnostiqué pour avoir des problèmes de santé mentale, comprenant le syndrome d’Asperger, une dépression majeure et de l’anxiété générale. Il est sous traitement médical pour supporter ces conditions mais il a admis que la prise de drogues a affecté sa mémoire par moments ; il a précédemment déclaré aux médias qu’il a lutté contre son addiction aux analgésiques. Mais il a dit que sa mémoire n’était pas altérée à l’époque où il a engagé des conversations sur le Web avec Manning ou maintenant qu’il témoigne devant la cour.

Lamo est devenu une figure haïe (lien) des supporters de Manning et de WikiLeaks. Quand les nouvelles du témoignage de Lamo ont été annoncées, Twitter a résonné de mots le représentant comme une « racaille », un « mouchard » et pire.

Lors des audiences antérieures du pré-procès, la juge présidant l’affaire, la colonnelle Denise Lind, a statué que la défense n’a pas le droit de discuter des motifs du soldat pour avoir diffusé les fuites jusqu’au verdict. Un tel débat devra attendre le prononcé de la peine et Manning être reconnu coupable.

Mais Coombs a saisi le contre-interrogatoire comme une opportunité de présenter à la cour les explications contemporaines de Manning à Lamo pour lesquelles il s’est embarqué dans une fuite officielle si massive. « Il vous a dit qu’il était le genre de personne qui serait toujours à la recherche de la vérité ? ».

« C’était quelque chose que je pouvais apprécier », dit Lamo.

Lamo a souscrit en vertu de cette ligne de questionnement que Manning lui avait dit dans les chats qu’il croyait que les câbles du département d’Etat ont révélé « comment les pays du premier monde ont exploité les pays du tiers-monde ».

Partout où il y a un poste d’ambassadeur américain, un scandale diplomatique serait découvert par les câbles, dit Manning. L’information divulguerait aussi les nombreuses victimes en Irak.

« Il vous a dit qu’il était important que l’information sorte. Que si elle sort, cela pourrait réellement changer quelque chose », dit Coombs.

L’avocat de la défense a poursuivi, citant des éléments des conversations sur Internet entre Manning et Lamo : « Il ne croyait plus qu’il y avait des bons et des méchants, seulement une pléthore d’Etats agissant dans leurs seuls intérêts. Il pensait qu’il était peut-être trop idéaliste. Il vous a dit qu’en fonction de ce qu’il a vu, il ne pouvait pas garder l’information. Il a dit qu’il se sentait relié à tout le monde, qu’on était tous une famille éloignée. Et il a dit qu’il s’en souciait.

« Il s’est qualifié lui-même d’humaniste et a dit qu’il avait des plaques d’indentification où il avait écrit le mot « humaniste » au verso. Manning vous a dit que nous étions tous humains et que nous nous tuons nous-mêmes et que personne ne semble s’en préoccuper. Il vous a dit qu’il était gêné que personne n’a semblé s’en préoccuper, que l’apathie était de loin pire que la participation active. Il vous a dit qu’il préférait une vérité douloureuse à une fantaisie bienheureuse ».

A chaque intervention, Lamo a répondu : « Oui ».

« A un moment donné, vous avez demandé quelle était la finalité de son jeu », dit Coombs.

« Oui », répondit Lamo.

« Et il vous a dit : Espérons des débats au niveau mondial. Il vous a dit que votre réaction sur la vidéo Apache lui avait donné un immense espoir. Il voulait que les gens voient la vérité. Il vous a dit que les gens changeraient réellement s’ils voyaient les informations. Il vous a dit aussi que, a-t-il reconnu, il pourrait bien être jeune, naïf et stupide ».

« Oui », répondit Lamo.

A la fin de ce contre-interrogatoire, Coombs a demandé à Lamo si le soldat n’avait rien dit au cours des six jours des discussions en ligne qui ait indiqué qu’il voulait nuire aux Etats-Unis, dénigrer le drapeau américain ou aider l’ennemi.
« Pas en ces termes, non », dit Lamo.

Le commandant Ashden Fein, l’avocat qui dirige l’accusation, a poursuivi en demandant à Lamo si Manning avait admis dans leurs échanges connaître Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks. Lamo a déclaré que le soldat avait admis cela, ainsi qu’avoir violé les règles militaires en fuitant des centaines de milliers de documents classifiés
.
Ed Pilkington à Fort Meade

Traduction : Romane.

SOURCE http://www.guardian.co.uk/world/2013/jun/04/adrian-lamo-testifies-bradley-manning

URL de cet article 20978
   
Même Thème
La traque des lanceurs d’alerte
Stéphanie Gibaud
Préface de Julian Assange Les lanceurs d’alerte défrayent l’actualité depuis une dizaine d’années. Edward Snowden, Chelsea Manning et Julian Assange sont révélateurs des méthodes utilisées pour faire craquer ceux qui ont le courage de parler des dysfonctionnements et des dérives de notre société. Pourtant, ces héros sont devenus des parias. Leur vie est un enfer. Snowden est réfugié en Russie, Assange dans une ambassade, Manning était en prison, Stéphanie Gibaud et bien d’autres sont (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

Un écrivain doit désormais être un homme d’action... Un homme qui a consacré un an de sa vie aux grèves dans la métallurgie, ou aux chômeurs, ou aux problèmes du racisme, ou qui n’a pas perdu son temps. Un homme qui sait où est sa place. Si vous survivez à une telle expérience, ce que vous raconterez ensuite sera la vérité, la nécessité et la réalité, et perdurera.

Martha Gellhorn, 1935

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.