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Nous vaincrons le travail, vive le chômage !

Qu’on le veuille ou non, notre monde est condamné au chômage. Nombreux sont ceux qui – à droite comme à gauche – s’en effraient, mais cela devrait pourtant tous nous réjouir : car cela signifie que le progrès technique n’est pas mort, ce qui permet à l’homme d’espérer atteindre encore ce qui devrait être l’un de ses objectifs prioritaires, à savoir de se séparer, à terme, de la nécessité du travail dans nos sociétés.

Seulement le monde ne fonctionne plus, ne raisonne plus en terme de société, ni d’humain, ni même de progrès ou de besoin : nous en sommes arrivés à considérer le chômage comme une calamité, car le critère de référence universel est la rentabilité ; jusqu’aux décroissants qui raisonnent en termes économiques puisqu’ils veulent faire « mieux » avec « moins » (voir décroissance théorie économique bien trop sage).

Le paradoxe de cette situation réside dans le fait que le progrès technique favorise le chômage de masse et que le capitalisme favorise lui-même ce progrès (enfin jusqu’à il y a peu) ; mais aujourd’hui c’est que l’austérité engagée pour sauver le capitalisme conduit elle-aussi au chômage de masse, cette fois pour cause de « non-rentabilité ». Car si le capitalisme a besoin du travail de l’homme pour ses profits, il a également besoin du progrès technique, car les machines seront toujours, à terme en tous cas, plus rentables que l’être humain (24/24, 7 jours sur 7). Mais ce progrès technique, qui au départ était censé libérer les hommes de la contrainte du travail, est aujourd’hui un facteur de rentabilité privé qui s’oppose à l’économie « publique », en ce sens que les gains de productivité apportés par la technologie entraînent pour l’État un surplus de budget (les aides sociales : en 2009, plus de 30% du PIB, soit plus de 600 milliards) pour éponger les licenciements dus aux moindres besoins de main d’œuvre pour effectuer une même tâche (la « fameuse » privatisation des profits, socialisation des pertes). Mais comme aujourd’hui les investissements de production baissent -et qu’ils ne sont même pas compensés par l’obsolescence programmée (comment dans ces conditions la faire disparaître puisqu’elle contribue à « sauvegarder » l’emploi ?), nous arrivons à une situation « logique » d’un point de vue civilisationnel (il y a nécessairement besoin de moins en moins de travail), mais aberrant d’un point de vue économique (que l’on fasse de l’investissement ou de l’austérité, le chômage est en constante augmentation).

Sauf que nous les citoyens, nous sommes toujours contraints de subir ce qui devrait être une libération (le chômage, que le système capitaliste a transformé en fléau) car en dehors des prestations sociales seul l’argent que nous procure le travail nous permet de vivre – nous obligeant ainsi à trouver coûte que coûte cette denrée de plus en plus rare qu’est l’emploi : le résultat évident (enfin d’un point de vue capitaliste) est que le prix du travail (les salaires) est destiné à baisser au fur et à mesure que nous serons plus nombreux à vouloir en obtenir un. Et parallèlement les États se voient eux dans l’obligation – tout du moins s’ils se veulent démocratiques et ainsi éviter les contestations massives (des gens qui ne travaillent pas et n’ont aucun moyen de subsistance deviennent dangereux pour l’ordre public – en plus d’avoir du temps pour réfléchir à leur condition), de pourvoir au minimum vital. Et cela leur coûte cher, de plus en plus cher. A tel point qu’ils cherchent par tous les moyens de se soustraire à cette trop lourde dépense.

C’est ainsi que les pays dits « développés » en arrivent à des absurdités à la fois économiques et politiques comme celles que nous constatons aujourd’hui : ne pouvant décemment pas se résoudre à un changement de paradigme pourtant nécessaire et plutôt que d’engager des politiques de relance (déjà que nous gardons dans l’emploi de nombreux postes rendus inutiles dans de nombreuses administrations ou services publics pour ne pas augmenter le nombre de chômeurs), nos gouvernants préfèrent se soumettre à une politique d’austérité destinée à faire baisser le « coût du travail » (les salaires) ; évitant ainsi d’avoir à faire évoluer la technique qui accentuerait le chômage de masse. Déjà qu’il n’y a pas de travail pour tout le monde ! En définitive l’homme n’est un « outil » plus rentable que la machine que lorsqu’il travaille pour rien : l’esclavage est le seul idéal qui permet le plein emploi. A part peut-être la guerre ou une catastrophe naturelle de grande ampleur, une épidémie meurtrière ou que sais-je encore, la situation ne s’améliorera pas ; mais qui peut souhaiter ce genre « d’améliorations » ?

Donc on arrête d’investir, et ce même si de nombreux emplois ne sont pas pourvus (les métiers les plus pénibles ou considérés comme tels, ou tout simplement déconsidérés). Que peut-on faire pour tous ces gens ? On les indemnise un moment, et puis après ? Soit ils acceptent « n’importe quoi » (et on obtient ainsi de mauvais employés), soit ils vont au secours populaire, soit ils partent grossir les rangs des « émigrés », soit ils luttent contre le système qui ne les satisfait plus. Mais quoi qu’il en soit la situation n’est pas tenable à long terme, car même si tous acceptaient les travaux pénibles il en resterait un paquet sur le carreau.

Du coup on veut se séparer de cette charge, sans pour autant laisser les miséreux sans lien, sans dépendance avec l’État. C’est bien pour cela qu’on préfère leur faire creuser des trous qu’ils reboucheront plutôt que de les laisser sans activité ; et même si pour cela on doit recourir à la contrainte comme au travail gratuit ou même aux camps de travail (comme c’est parait-il prévu en Grèce – je n’ai pas trouvé autre chose, du moins en Français). Car ce à quoi nous ne pensons pas assez, c’est que lorsqu’un individu sort du cadre de l’assistance ou solidarité comme on voudra, il devient un anonyme sur lequel le pouvoir étatique n’a plus d’emprise. En quelque sorte il rentre dans la clandestinité et sort de la dépendance vis à vis de l’État ; et cela devient un danger potentiel pour le maintien de l’ordre public – en même temps qu’une preuve de l’incapacité de l’État à faire correspondre son modèle politique à la réalité sociale, comme on le voit ces derniers temps en Espagne ou en Grèce avec l’augmentation du travail au noir et la généralisation du « système D ».

On est même arrivés à un tel point de saturation – il faut se rendre compte de cet incroyable non-sens – que l’on préfère enterrer des innovations (même rentables d’un point de vue économique ou social caisses automatiques, informatisation) que d’avoir à supprimer encore des postes. Ne sachant plus que faire pour stopper les déficits on va jusqu’à couper les crédits de recherche et de développement, sans se rendre compte que nous sommes tous entrainés dans une spirale infernale qui nous conduira de toutes les manières au même résultat : il faudra bien un jour régler le problème du travail et de sa nécessaire obsolescence et admettre une bonne fois pour toutes que le temps du travail est révolu. Et que si nous voulons éviter les dérives autoritaires inhérentes au capitalisme nous devrons changer de paradigme.

Car si au lieu de nous inquiéter pour les retraites ou le chômage nous nous inquiétions pour notre bien-être ou notre santé, nous comprendrions très vite qu’il nous faut tout d’abord faire des enfants (et oui plutôt que de devoir travailler plus et plus longtemps pour mourir plus jeune sans avoir d’autre emploi que ce que le gouvernement nous autorise ou nous impose, nous n’avons qu’à faire des enfants !), car eux-seuls seront les garants de nos vieux jours, en plus de la promesse qu’ils représentent pour le futur.

Si nous cessions de viser la rentabilité nous comprendrions que le futur de l’homme est de se séparer de la contrainte du travail plutôt que de la désirer, avec des durées hebdomadaires allant sans cesse se réduisant, pour avoir plus de loisirs : « notre société sera une société de loisirs ou ne sera pas », disait un professeur d’économie que j’ai connu. Il avait raison : nous sommes condamnés à travailler de moins en moins. Pourquoi ne pas en faire un objectif avouable et positif , et se réjouir que même le cynisme et le calcul des capitalistes ne suffit pas à empêcher cette inéluctabilité ? Pour mettre en conformité les aspirations humaines avec la réalité sociale d’une société avancée et positive, nous devons changer les règles du jeu (voir) ; de toutes les manières les riches s’ennuient, tandis que les pauvres aimeraient bien s’ennuyer un peu plus, alors… Et même si nous devons tous « travailler » (on remplacera alors ce terme par un autre) pour notre propre bien -et celui des autres- nous devrions partager ce travail entre tous et dans des conditions équivalentes pour satisfaire chacun.

Et qu’on puisse un jour enfin crier tous ensemble « nous vaincrons le travail, vive le chômage » !

http://calebirri.unblog.fr

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