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L’histoire des "escadrons de la mort" guatémaltèques (Consortiumnews).

Note du traducteur :

A vrai dire, c’est la deuxième fois que je m’attaque à la traduction de ce texte. La première fois, je n’ai pas pu continuer et j’ai tout supprimé. La douleur des souvenirs étaient trop forte. Le souvenir de ces années où le massacre abominable battait son plein dans un silence médiatique quasi général. Le souvenir du visage de Ronald Reagan ricanant d’une overdose de "sympathie".

Pendant ce temps, les journaux de référence lâchaient leurs chiens contre les Sandinistes et consacraient quatre pleines pages à des élucubrations sur de pseudos charniers.

Pendant ce temps, des "reportages" sur de prétendus destructions d’églises par les sandinistes - où l’on voyait un arbre pousser au milieux des "ruines de ce matin", etc...

Pendant ce temps, le "dissident" Valladarès souffrait de "tortures" dans les prisons cubains et un gros bouquin sortait en librairie à Paris. Finalement, comme toujours, on s’est aperçu que Valladares était un simulateur et que c’était un coup monté.

C’était il y a 20-25 ans. 20-25 ans plus tard, le fils spirituel de Reagan accède à la Maison Blanche avec un gros paquet de types qui bossaient déjà pour Ronald.

Ca ne vous dit rien ?

Alors j’ai finalement décidé de reprendre cette traduction, ne serait-ce que par respect des victimes.

Mais avant, un petit détour s’impose. Voici en gros ce que la presse occidentale à l’époque avait à nous dire sur les droits de l’homme dans la région :

Valladares, vous savez, "le poète dissident", arrêté en décembre 1960, en pleine campagne terroriste, pour avoir posé des bombes. A sa sortie de prison en 1982, pratiquement tous les médias titrent à l’époque (et croient encore) à la "libération d’un poète dissident". Et oui, entre ses bombes et sa sortie de prison, Valladares est devenu "poète". D’ailleurs on le surnomme le "poète emprisonné de Castro" ( sous-entendu qu’il a été emprisonné pour ses poèmes, bien sûr ).

Armando Valladares co-signataire, avec le français Pierre Golendorf, du livre "Prisonnier de Castro" (1979).

A la fin de son séjour en prison, il se fait passer pour paralytique ("causé par les tortures"). [ Pierre Golendorf, cherchant à faire un parallèle avec l’inculpation du général Pinochet, porte plainte à Paris en 1999 contre Fidel Castro pour "crimes contre l’humanité" ]. Valladares sort de sa cellule en fauteuil roulant mais il arrive à Madrid debout. Entre le décollage de l’avion de La Havane et son atterrissage à Madrid il avait guéri. Et il ne s’est plus jamais assis dans un fauteuil roulant et qui plus est, n’a plus jamais trouvé l’inspiration pour écrire un poème. Auteur, entre autres énormités, d’un documentaire - diffusé sur la chaîne française M6 - où des dissidents expliquent leurs conditions de détention à Cuba : "les murs étaient couverts de glace" (sic). Un autre, de dos, "les enfants cubains ont faim. Ils ne mangent jamais de la langouste" (re-sic).

En 88-89, les Etats-Unis lui accordent la nationalité américaine et il devient le représentant des Etats-Unis à l’ONU à la Commission des Droits de l’Homme. Hyper-réactionnaire et mythomane."Les médias embouchent la trompette des droits de la personne. Ils ont sacré l’ex-policier sous Batista et contre-révolutionnaire (poseur de bombes) Armando Valladares poète dissident." ( Claude Morin, Mai 1995.
www.fas.umontreal.ca/HST/U/morin/pub/Cubdesinf.htm )

Bien avant la guerre du Golfe, les "intellos" européens trouvent le moyen de se faire manipuler dans les largeurs pour un "poète emprisonné". La manipulation est telle qu’on peut lire (pris au hasard du bêtisier) : Yves Montand, lors d’une interview :

"Castro garde son ami intime [valladarès est devenu même intime] Valladarès en prison depuis plus de 20 ans maintenant. On l’a torturé et on lui a brisé les jambes. Valladarès a écrit un livre admirable, tragique, que j’exhorte les jeunes du Québec à lire. Il s’agit de Prisonnier de Castro. Ce livre a été introduit en France grâce à Monsieur Golendorf, un ami du cinéaste Chris Marker et de moi-même. Monsieur Golendorf a été trois ans [18 mois selon d’autres sources] durant dans les prisons castristes. Ce sont des documents authentiques, écrits de la main du prisonnier Valladarès lui-même.
Il nous explique comment on torture, et comment on fait de la dissection sur des êtres humains (sic) à Cuba. Il nous dit où cela a lieu précisément. C’est affolant quand même de lire ça. J’ai eu du mal à l’admettre. " dans Interview de Yves Montand
http://agora.qc.ca/reftext.nsf/Documents/Montand
La_petite_histoire_dune_grande_rencontre_par_S_Masse
(Ce lien est actuellement désactivé pour cause de maintenance du site)


Noam Chomsky analyse la chose :

(début chomsky)


Une Perception Sélective

(...) En Mai 1986, les mémoires de l’ex-prisonnier Cubain, Armando Valladares, sont publiées. Elles sont rapidement devenues un succès de librairie. Les média ont décrit ses révelations comme "le compte-rendu définitif d’un vaste système de torture et de prison par lequel Castro punit et se débarrasse de l’opposition politique." "Profonde et inoubliable histoire" sur "les prisons bestiaux", des tortures inhumaines et un rapport sur la violence d’Etat sous le règne d’un des meurtriers à grand échelle de ce siècle. Dans ce livre nous apprenons "qu’il [Castro] a crée une nouvelle forme de despotisme qui a institutionnalisé la torture comme un mécanisme de contrôle social" dans "cet enfer qu’était Cuba dans lequel vivait Valladares."

Ca c’est la version du Washington Post et du New York Times dans plusieurs articles. Castro était décrit comme un "gangster dictatorial". Ses atrocités était révélées dans ce livre avec une telle conviction que " seul le plus inconscient et le plus insensible des intellectuels occidentaux prendrait la défense de ce tyran", a dit le Washington Post.

Souvenez-vous, il s’agit d’une histoire vécue par un seul homme. Admettons que tout ceci soit vrai. Evitons de poser des questions sur ce qui est arrivé à un seul homme qui affirme avoir été torturé. Lors d’une cérémonie à la Maison Blanche en commémoration de la journée des Droits de l’Homme, il fût cité par Ronald Reagan pour son courage lorsqu’il subissait les horreurs et le sadisme du tyran sanguinaire Cubain. [Valladares] fut ensuite nommé
comme représentant des Etats-Unis à la Commission des Droits de l’Homme des Nations-Unies, où il a pu être vu en train d’aider les gouvernements Salvadoriens et Guatémaltèques à se défendre contre des accusations d’atrocités si grandes qu’elles font passer les siennes d’événements plutôt mineurs. C’est comme ça.

C’était en Mai 1986. Et c’est intéressant parce que ça en dit long sur la manière de "produire du consentement" [manufacturing consent]. Le même mois, les survivants d’un groupe de défense des Droits de l’Homme au Salvador - les dirigeants avaient été tués - furent arrêtés et torturés, y compris Herbert Anaya, le directeur. Ils furent envoyés dans une prison - La Esperanza (l’Espoir). En prison, ils ont continué leur travail de défense des droits de l’homme. Ils étaient avocats, alors ils ont pris des témoignages. Il y avait 432 prisonniers dans cette prison. Et ils ont obtenu 430 témoignages signés qui décrivaient, sous serment, les tortures subies : tortures à l’électricité et autres atrocités, y compris, dans un cas, la
torture par un officier de l’armée des Etats-Unis en uniforme, qui est décrit en détail.

Ceci constitue un témoignage exceptionnellement exhaustif et explicite, probablement le seul qui décrive si bien ce qui se passe dans une chambre de torture. Ce rapport de 160 pages de témoignages sous serment de prisonniers a réussi à sortir de la prison, avec une cassette vidéo montrant les gens en train de témoigner. Il fut distribué par l’organisation Marin County Interfaith Task Force. La presse a refusé d’en parler. La télévision a refusé de la diffuser. Il y avait un article dans le journal local de Marin County, le San Francisco Examiner, et c’est tout je crois Personne n’en voulait. C’était une époque où il y avait bien plus que "quelques intellectuels occidentaux inconscients et insensibles" en train de chanter les louanges de Jose Napoleon Duarte et de Ronald Reagan. Il n’y a pas eu d’hommages rendus à Anaya. Il n’a pas été invité à la journée des Droits de l’Homme. Il n’a été nommé à rien. Il fût libéré lors d’un échange de prisonniers et ensuite assassiné, apparemment par les forces de sécurité soutenus par les Etats-Unis. Il n’y a eu que très peu d’informations à ce sujet. Le presse ne s’est jamais posée la question de savoir si la publication des atrocités - au lieu de les censurer - ne lui aurait pas sauvé la vie.

Ceci est révélateur sur la manière que fonctionne un bon système qui produit du consentement. En comparaison des révélations de Herbert Anaya au Salvador, les mémoires de Valladares n’étaient qu’un petit pois à coté d’une montagne. Mais le but avait été atteint.
(www.thirdworldtraveler.com/Media/MediaControl_Chomsky.html )

(fin de Chomsky)


Bah. C’était juste un petit coup de colère comme ça en passant.
Merci de votre patience.

Viktor

L’histoire des "escadrons de la mort" guatémaltèques

Par Robert Parry

Consortiumnews, 11 janvier2005

Bien que de nombreux gouvernements latino-américains se soient livrés aux sombre pratiques des "disparitions" et des "escadrons de la mort", l’histoire des opérations au Guatemala est peut-être la mieux documentée, notamment parce que l’administration Clinton a déclassifié de nombreux documents à la fin des années 90.

Selon ces documents, les escadrons de la mort guatémaltèques sont nés au milieu des années 60 dans le cadre d’une formation antiterroriste dispensée par le conseiller en sécurité étasunien John Longon. Au mois de janvier 1966, Longon rédigea un rapport à ses supérieurs sur les aspects à la fois officiels et clandestins de sa stratégie antiterroriste.

Pour ce qui est des aspects clandestins, Longon insista pour qu’une "cellule soit immédiatement mise sur pied" pour la coordination des renseignements relatifs aux questions de sécurité. Selon le rapport de Longon, "une salle fût immédiatement préparée dans le palais [présidentiel] à cet effet et des Guatémaltèques furent immédiatement nommés pour mettre l’opération en place".

L’opération de Longon au sein du palais présidentiel fut le point de départ de la tristement célèbre unité de renseignement Archivos qui devait ensuite devenir le lieu où étaient approuvés les assassinats politiques les plus notoires du Guatemala.

Deux mois après le rapport de Langon, une note secrète de la CIA signala l’exécution clandestine de plusieurs "communistes et terroristes" guatémaltèques dans la nuit du 6 mars 1966. A la fin de l’année, selon une note du US Southern Command expédiée à Washington le 3 décembre 1966, le gouvernement guatémaltèque se sentait suffisamment en confiance pour demander une aide au gouvernement états-unien pour la création d’escadrons spécialisés dans les enlèvements.

En 1967, la terreur anti-insurrectionnelle guatémaltèque avait atteint un niveau féroce. Le 23 octobre 1967, le Bureau de renseignements du Département d’Etat fit état dans un rapport "d’une accumulation d’éléments qui indiquent que l’appareil anti-insurrectionnel [guatémaltèque] avait échappé à tout contrôle." Dans ce rapport, il est aussi noté que les unités "antiterroristes" guatémaltèques se livraient à des enlèvements, des attentats, des tortures et des exécutions sommaires "de communistes avérés ou supposés".

Mises en garde sur les droits de l’Homme

L’escalade du nombre de morts au Guatemala dérangea certains officiels états-uniens en poste dans le pays. Le chef adjoint de mission de l’ambassade, Viron Vaky, fit part de ses préoccupations dans un rapport remarquablement naïf qu’il rédigea le 29 mars 1968, à son retour à Washington. Vaky s’exprima en termes pragmatiques, mais entre les lignes on peut lire ses doutes sur le plan moral.

"Les escadrons officiels sont coupables d’atrocités. Les interrogatoires sont brutaux, la torture est employée et les corps sont mutilés", écrivit Vaky. "Dans les esprits de nombreux Latino-américains, et, malheureusement, particulièrement parmi la population jeune, sensible et volubile, on nous reproche de couvrir ces méthodes, quand ce n’est pas de les encourager. Alors notre image est en train de ternir et notre crédibilité faiblir lorsque nous affirmons que nous voulons un monde meilleur et plus juste."

Vaky nota aussi les mensonges qui couraient au sein du gouvernement états-unien et qui résultaient de la complicité de celui-ci avec un terrorisme d’état. "Ce qui aboutit à un résultat qui personnellement me dérange le plus - nous n’avons pas été honnêtes avec nous-mêmes", dit Vaky. "Nous avons fermé les yeux devant le contre-terrorisme, et nous l’avons peut-être même encouragé ou béni. Nous avons été tellement obsédés par la peur de l’insurrection que nous avons fini par nous débarrasser rationnellement de tous nos scrupules".

"Et ce n’est pas uniquement parce que nous sommes arrivés à la conclusion que nous ne pouvions rien faire, car en réalité nous n’avons jamais essayé. Au contraire, nous avons pensé que ce pouvait être une bonne tactique, et que tant que les victimes n’étaient que des communistes, la tuerie pouvait continuer. Les meurtres, les tortures et les mutilations sont acceptables si ce sont les nôtres qui s’y livrent et si les victimes sont des communistes. Après tout, l’homme est un sauvage depuis la nuit des temps, alors ne pinaillons pas trop sur cette terreur. Ce sont des arguments que j’ai entendu littéralement chez nous".

Bien que rapport de Vaky ait été gardé secret pendant 30 ans, il démolit toute thèse qui affirmerait que Washington n’était tout simplement pas au courant de ce qui se passait réellement au Guatemala. Pourtant, une fois ce rapport discrètement rangé dans un dossier au Département d’Etat, le massacre continua. Dans les rapports envoyés du Guatemala, la répression était signalée de manière presque routinière.

Le 12 janvier 1971, l’Agence de renseignement de la défense (DIA - services secrets militaires - ndt) rapporta que les forces guatémaltèques avaient "discrètement éliminé" des centaines de "terroristes et bandits" dans les campagnes. Le 4 février 1974, un dépêche du Département d’Etat signala la recrudescence des activités des "escadrons de la mort".

Le 17 décembre 1974, la biographie d’un officier guatémaltèque formé aux Etats-Unis donna un aperçu sur la manière que la doctrine états-unienne de contre-insurrection avait imprégné la politique guatémaltèque. Selon cette biographie, le Lt Colonel Elias Osmundo Ramirez Cervantes, chef de la section sécurité du président guatémaltèque, avait été formé à l’école de renseignement militaire états-unienne "U.S. Army School of Intelligence" à Fort Holabird, Maryland. De retour au Guatemala, Ramirez Cervantes fut désigné pour monter des opérations contre des subversifs présumés et diriger aussi leurs interrogatoires.

Le bain de sang de Reagan

Aussi brutales que furent les forces de sécurité guatémaltèques dans les années 60 et 70, le pire était encore à venir. Dans les années 80, l’armée guatémaltèque accentua le massacre des dissidents politiques et leurs supposés sympathisants à un niveau sans précédent.

L’élection de Ronald Reagan en novembre 1980 déclencha une série de festivités en Amérique centrale dans les milieux de la bonne-société. Après avoir enduré pendant quatre ans les reproches de Jimmy Carter sur les droits de l’Homme, les extrémistes de la région étaient heureux de voir un homme qui les comprenait s’installer à la Maison Blanche.

Les oligarques et les généraux avaient de bonnes raisons d’être optimistes. Pendant des années, Reagan avait été un défenseur farouche des régimes d’extrême droite qui exerçaient une répression anti-insurrectionnelle sanguinaire contre leurs adversaires de gauche.

A la fin des années 70, lorsque la coordinatrice des droits de l’Homme de Jimmy Carter, Patricia Derian, critiqua les militaires argentins pour leur "sale guerre" - des dizaines de milliers de "disparus", de tortures et de meurtres. Ronald Reagan, qui n’était encore qu’un simple commentateur politique, répliqua "qu’elle ferait mieux de se mettre à leur place (les généraux argentins)" avant de les critiquer. (pour plus de détails, lire Dossier Secreto de Martin Edwin Anderson)

Après son élection en 1980, Reagan appuya la levée de l’embargo sur les armes imposé par Carter au Guatemala. Et tandis que Reagan manœuvrait pour lever l’embargo de l’aide militaire, la CIA et d’autres services de renseignement états-uniens confirmaient les massacres accomplis par le nouveau gouvernement guatémaltèque.

En avril 1981, une dépêche secret de la CIA décrivit le massacre de Cocob, près de Nebaj dans le territoire indien d’Ixil. Selon cette dépêche, le 17 avril 1981, les troupes gouvernementales attaquèrent une zone soupçonnée de soutenir la guérilla. Selon la source de la CIA, "la population paraissait soutenir totalement la guérilla" et "les soldats étaient obligés de tirer sur tout ce qui bougeait". La dépêche ajouta que "les autorités guatémaltèques ont admis que de "nombreux civils" furent tués à Cocob, dont beaucoup n’étaient à l’évidence pas des combattants".

Malgré le compte-rendu de la CIA et d’autres rapports similaires, Reagan autorisa l’armée guatémaltèque à acheter 3,2 millions de dollars de camions militaires et de jeeps en juin 1981. Pour autoriser la vente, Reagan fit enlever les véhicules de la liste du matériel visé par l’embargo.

Aucun regret

Apparemment confiant dans le soutien de Reagan, le gouvernement guatémaltèque poursuivit sa politique de répression sans formuler de regrets.

Selon une dépêche du Département d’Etat du 5 octobre 1981, les dirigeants guatémaltèques rencontrèrent l’ambassadeur itinérant de Reagan, le général à la retraite Vernon Walters, et ne laissèrent planer aucun doute quant à leurs intentions. Le chef de l’armée guatémaltèque, le Gen. Fernando Romeo Lucas Garcia, "fit clairement comprendre que son gouvernement allait poursuivre ses actions - que la répression allait continuer".

Un point de vue partagé par les organisations de défense des droits de l’Homme. La Commission inter-américaine pour les droits de l’Homme publia un rapport le 15 octobre 1981, accusant le gouvernement guatémaltèque de "milliers d’exécutions sommaires." [the Washington Post, 16 oct. 1981]

Mais l’administration était occupée à effacer les traces du crime. Un "livre blanc" du Département d’Etat, publié en décembre 1981, rejeta la violence sur les "groupes extrémistes" de gauche et leurs "méthodes terroristes", inspirées et soutenues par Cuba et Fidel Castro. Et tandis de tels raisonnements étaient jetés en pâture à l’opinion publique états-unienne, les services de renseignements au Guatemala continuaient de signaler des massacres instigués par le gouvernement.

Un rapport de la CIA de février 1982 décrivit une opération militaire à travers la dénommée triangle Ixil dans la province centrale d’El Quiche. "Les officiers en commande des unités engagées ont reçu l’ordre de détruire tous les villes et villages qui coopèrent avec l’Armée de guérilla des pauvres (acronyme EGP) et d’éliminer tous les foyers de résistance", précisa le rapport. "Depuis le début de l’opération, plusieurs villages ont été réduits en cendres et un grand nombre de guérilleros et de collaborateurs ont été tues".

Le rapport de la CIA décrivit le modus operandi de l’armée : "Lorsqu’une patrouille de l’armée se heurte à une résistance et essuie des coups de feu tirés d’une ville ou d’un village, elle présume que toute la ville est hostile et celle-ci est détruite". Lorsque l’armée trouva un village abandonné, elle "présuma que le village soutenait l’EGP, et le village fut détruit. Il y a des centaines, peut-être des milliers de réfugiés dans les collines qui n’ont nulle part où aller. L’armée pense, non sans raisons, que toute la population indienne Ixil soutient l’EGP, ce qui a créé une situation où l’armée ne fait pas de quartier, combattants ou civils".

Rios Montt

Au mois de mars 1982, le Gen. Efrain Rios Montt prit le pouvoir par un coup d’état. Évangéliste convaincu, il fit immédiatement bonne impression à Washington où Reagan salua Rios Montt comme "un homme d’une grande intégrité".

Cependant, en juillet 1982, Rios Montt déclencha une campagne de terre brûlée qu’il appela sa politique de "fusils et haricots". Le slogan voulait dire que les "indiens pacifiés" recevraient des "haricots", tandis que les autres devaient s’attendre à être la cible des "fusils". Au mois d’octobre, il donna secrètement carte blanche à la redoutable unité Archivos pour étendre les opérations des "escadrons de la mort".

L’ambassade des Etats-Unis fut rapidement au courant d’une augmentation des massacres d’indiens perpétrés par l’armée. Le 21 octobre 1982, une dépêche décrivit comment trois officiels de l’ambassade tentèrent de vérifier certains de ces rapports mais furent victimes du mauvais temps et durent rebrousser chemin. Mais la dépêche fit quand même preuve d’un optimisme forcé. Bien qu’incapables de vérifier la réalité des massacres, les officiels de l’ambassade "sont arrivés à la conclusion que l’armée est tout à fait disposée à nous autoriser à enquêter sur les sites où des massacres auraient eu lieu et à nous entretenir avec toute personne de notre choix".

Finalement, le lendemain l’ambassade émit une analyse selon laquelle le gouvernement guatémaltèque était la victime d’une "campagne de désinformation" d’inspiration communiste, une thèse défendue par Reagan lorsqu’il déclara, après sa rencontre avec Rios Montt en décembre 1982, que le gouvernement guatémaltèque avait reçu une "fessée" (sic) à cause des droits de l’Homme.

Le 7 janvier 1983, Reagan leva l’embargo sur l’aide militaire imposé au Guatemala et autorisa la vente pour 6 millions de dollars de matériel militaire. Parmi le matériel figuraient des pièces de rechange pour les hélicoptères UH-1H et les avions A-37 employés dans les opérations de contre-insurrection. Le porte-parole du Département de la Défense, John Hughes déclara que la violence politique dans les villes avait "nettement chuté" et que la situation s’était améliorée aussi dans les campagnes.

Cependant, au mois de février 1983, une dépêche secrète de la CIA signala une recrudescence "de la violence imputable à la droite" avec des enlèvements d’étudiants et d’enseignants. Les cadavres des victimes réapparaissaient dans les fossés et les bas-côtés. A la source des ces assassinats politiques, la CIA désigna l’ordre donné au mois d’octobre par Rios Montt à l’unité Archivos d’ "arrêter, emprisonner, interroger et se débarrasser des présumés guérilleros comme bon leur semblait".

Peinture rose

Malgré l’épouvantable situation sur le terrain, le rapport annuel sur la situation des droits de l’Homme émis par le Département d’Etat peignait la situation en rose pour l’opinion publique états-unienne et saluait la soi-disant amélioration des droits de l’Homme au Guatemala. "Le comportement global des forces armées s’est amélioré vers la fin de l’année (1982)", indique le rapport.

Mais un tout autre tableau - bien plus conforme aux informations secrètes détenues par le gouvernement états-unien - parvenaient des enquêteurs et militants des droits de l’Homme indépendants. Le 17 mars 1983, les représentants d’Americas Watch condamnèrent l’armée guatémaltèque pour les atrocités commises contre la population indienne.

L’avocat new-yorkais Stephen L. Kass déclara qu’il y avait des preuves que le gouvernement effectuait "l’assassinat sans discrimination d’hommes, femmes et enfants dans toute ferme soupçonnée par l’armée de sympathie à l’égard de la guérilla".

Les paysannes soupçonnées de sympathies avec la guérilla étaient violées avant d’être exécutées, dit Kass. Les enfants étaient "jetés dans les maisons en feu. Ils étaient jetés en l’air et percés par des baïonnettes. Nous avons entendu beaucoup, beaucoup d’histoires d’enfants saisis par les chevilles et balancés contre des poteaux et leurs crânes fracassés" [AP, 17 mars, 1983]

Mais en public, les hauts-officiels de l’administration Reagan continuaient à afficher un visage jovial. Le 12 juin 1983, l’envoyé spécial Richard B. Stone salua "les changements positifs" dans le gouvernement de Rios Montt. Mais le fondamentalisme chrétien vengeur de Rios Montt dépassait les bornes, même selon les standards en vigueur au Guatemala. Au mois d’août 1983, le général Oscar Mejia Victores s’empara du pouvoir par un nouveau coup d’état.

Malgré le changement de pouvoir, les forces de sécurité guatémaltèques continuaient à tuer tous ceux qui étaient perçus comme des subversifs ou des terroristes. Lorsque trois Guatémaltèques qui travaillaient pour l’Agence de développement international états-unienne (USAID) furent assassinés au mois de novembre 1983, l’ambassadeur états-unien Frederic Chapin soupçonna que les escadrons d’Archivos envoyaient un message aux Etats-Unis pour couper court aux moindres pressions exercées pour une amélioration des droits de l’Homme.

A la fin de novembre 1983, dans un bref accès de mauvaise humeur, l’administration différa la vente pour 2 millions de dollars de pièces de rechange pour des hélicoptères. Cependant, dès le mois suivant, Reagan livra le matériel. En 1984, Reagan réussit aussi à faire pression sur le Congrès pour l’approbation d’un budget de 300.000 dollars pour la formation de l’armée guatémaltèque.

Au milieu de l’année 1984, Chapin, rendu amer par l’entêtement brutal de l’armée, fût remplacé par un politicien d’extrême droite, Alberto Peidra, qui était partisan d’un accroissement de l’aide militaire au Guatemala.

Au mois de janvier 1985, Americas Watch publia un rapport qui faisait remarquer que le Département d’Etat de Reagan "semblait plus préoccupé à améliorer l’image du Guatemala qu’à améliorer la situation des droits de l’Homme".

Camp de la mort

D’autres exemples de la stratégie des "escadrons de la mort" guatémaltèques furent révélés plus tard. Par exemple, une dépêche des services de renseignement de l’armée (DIA) de 1994 signala que l’armée guatémaltèque avait utilisé une base aérienne à Retalhuleu au milieu des année 80 comme un centre de coordination de la campagne de contre-insurrection dans le sud-ouest du pays - pour torturer et enterrer les prisonniers.

Dans la base, les prisonniers étaient détenus dans des fossés remplis d’eau. "Il y avait des cages qui couvraient les trous et le niveau de l’eau était tel que les prisonniers étaient obligés de s’accrocher aux grilles pour maintenir la tête hors de l’eau et éviter la noyade", précisa le rapport du DIA.

Selon ce même rapport, l’armée guatémaltèque utilisait aussi l’océan pacifique pour se débarrasser de ses victimes politiques. Les corps des insurgés qui avaient été torturés à mort et les prisonniers encore vivants condamnés à "disparaître" étaient chargés dans des avions qui survolaient l’océan. De là les soldats les balançaient à l’eau. Une technique qui avaient été largement utilisée par les militaires argentins dans les années 70.

L’histoire du camp de la mort de Retalhuleu fut découvert par accident au milieu des années 90 lorsqu’un officier guatémaltèque voulait laisser ses soldats cultiver leurs propres légumes dans un coin de la base. Mais l’officier fut discrètement avisé de laisser tomber cette idée "parce que les emplacements qu’il voulait cultiver étaient placés au-dessus des fosses communes qui avaient servi au D-2 [renseignements militaires] au milieu des années 80", indique le rapport du DIA.

Bien entendu, le Guatemala n’était pas le seul pays en Amérique centrale où Reagan et son administration ont soutenu des opérations brutales de contre-insurrection et où ils ont tenté de couvrir les événements sanglants. La manipulation de l’opinion publique étasunienne - une stratégie appelée en interne "perception management" fait autant partie de l’histoire de l’Amérique centrale que les mensonges et manipulations de Bush sur les armes de destruction massive ont fait partie des préparations de la guerre contre l’Irak.

La falsification de l’histoire devint la marque de Reagan dans les conflits au Salvador, au Nicaragua et au Guatemala. A une occasion, Reagan s’en est personnellement pris à un enquêteur des droits de l’Homme nommé Reed Brody, un avocat new-yorkais, qui avait recueilli plus de cent procès-verbaux de témoignages sur les atrocités commises par les contras soutenus par les Etats-Unis au Nicaragua.

Contrarié par ces révélations sur ses "combattants de la liberté" contras, Reagan dénonça publiquement Brody dans un discours prononcé le 15 avril 1985, en le qualifiant "d’un des supporters du dictateur [Daniel] Ortega, un sympathisant qui a ouvertement embrassé le Sandinisme".

En privé, Reagan avait une perception beaucoup plus précise de la nature réelle des contras. A un moment donné dans la guerre des contras, Reagan s’adressa à l’officier de la CIA Duane Clarridge et demanda que les contras détruisent les hélicoptères que l’Union soviétique venait de fournir au Nicaragua. Dans ses mémoires, Clarridge raconte que "le Président Reagan m’entraîna à l’écart de me demanda "Dewey, pouvez-vous faire effectuer ce travail par vos vandales ?" [lire "A Spy for All Seasons" de Clarridge.]

Perception Management

Pour contrôler la perception des guerres en Amérique centrale par l’opinion publique, Reagan autorisa un programme de* *distorsion systématique de l’information et d’intimidation des journalistes* *états-uniens. Appelé "diplomatie publique" le projet était dirigé par un vétéran de la propagande à la CIA, Walter Raymond Jr, qui fut nommé au Conseil de sécurité national. Les axes principaux du projet étaient le développement de "thèmes" de propagande, la sélection de "sujets brûlants" qui pouvaient exciter l’opinion publique états-unienne, le recours aux journalistes malléables qui acceptaient de coopérer, et la répression de ceux qui refusaient.

Les attaques les plus connues ont été dirigées contre le correspondant du New York Times, Raymond Bonner, pour avoir révélé les massacres de civils par l’armée salvadorienne, dont le massacre de quelques 800 hommes, femmes et enfants à El Mozote en décembre 1981. Mais Bonner n’était pas le seul. Les hommes de Reagan ont fait pression sur de nombreux journalistes et leurs rédacteurs en chef et ont réussi leur campagne de minimisation auprès de l’opinion publique états-unienne de l’information sur ces crimes contre les droits de l’Homme. [pour plus de détails, lire de Robert Parry : "Lost History : Contras, Cocaine, the Press & ’Project Truth" ou "Secrecy & Privilege : Rise of the Bush Dynasty from Watergate to Iraq"]

En échange, les journalistes complices ont permis à l’administration de
mener encore plus loin les opérations de contre-insurrection en Amérique centrale. Malgré les dizaines de milliers de morts civils et les massacres et actes de génocide désormais avérés, pas un seul officier supérieur en Amérique central ne fut sérieusement inquiété pour ce bain de sang. Et pas un seul officiel états-unien n’a eu de comptes à rendre, ne serait-ce que sur le plan politique.

Les officiels états-uniens qui ont couvert et encouragé ces crimes de guerres ont non seulement échappé à toute poursuite judiciaire, mais sont encore des personnages hautement respectés à Washington. Certains occupent à nouveau des postes élevés dans l’administration de Bush. Et depuis, Reagan a vu son nom attribué à de nombreux monuments et sites, comme rarement pour un président moderne, dont l’aéroport national à Washington.

Le 25 février 1999, la Commission Vérité du Guatemala publia un rapport sur le nombre époustouflant de crimes humanitaires commis et que Reagan et son administration ont aidés, soutenus et cachés.

La Commission pour l’éclaircissement historique, un organisme indépendant de défense des droits de l’Homme, a estimé que le conflit au Guatemala a coûté la vie à quelques 200.000 personnes dans la vague sanguinaire la plus brutale des années 80. En s’appuyant sur un examen d’environ 20% des morts, la commission accusa l’armée d’être responsable de 93% des morts et la guérilla de gauche de 3%. 4% des morts étaient indéterminés.

Le rapport révéla que dans les années 80, l’armée commit 626 massacres contre les villages Mayas. "Les massacres, où des villages Mayas entiers ont été rasés, ne sont ni des allégations perfides ni le fruit d’une imagination, mais un chapitre bien réel de l’histoire du Guatemala", conclut la Commission.

L’armée "a totalement exterminé des communautés Mayas, détruit leur bétail et leurs récoltes", indique le rapport. Sur les plateaux du Nord, le rapport qualifie le massacre de "génocide". A part de se livrer au meurtre et aux "disparitions", l’armée se livrait régulièrement à la torture et au viol. "Le viol des femmes, pendant la torture ou avant d’être tuées, était une pratique courante" des forces militaires et paramilitaires, révèle le rapport.

Le rapport ajoute que "le gouvernement des Etats-Unis, par l’intermédiaire de plusieurs agences dont la CIA, a fourni un soutien direct et indirect pour certaines de ces opérations d’état". Le rapport conclut que le gouvernement des Etats-Unis avait aussi donné de l’argent et une formation aux militaires guatémaltèques qui avaient commis des "actes de génocide" contre les Mayas.

"Convaincus que la fin justifiait tous les moyens, les militaires et les forces de sécurité ont aveuglément poursuivi la lutte anticommuniste, en violation de tous les principes légaux ou valeurs éthiques ou religieuses les plus élémentaires, et ont ainsi totalement perdu toute trace de morale humaine", a déclaré le président de la Commission, Christian Tomuschat, un juriste allemand.

"Dans le cadre des opérations de contre-insurrection menées entre 1981 et 1983, dans certaines régions du pays des agents de l’Etat guatémaltèque ont commis des actes de génocide contre des groupes du peuple Maya", a dit Tomuschat.

Lors d’une visite en Amérique centrale, le 10 mars 1999, le Président Clinton s’excusa pour le soutien accordé par les Etats-Unis aux régimes d’extrême droite au Guatemala. "Pour les Etats-Unis, il est important que je dise clairement que notre soutien aux forces militaires et unités des services de renseignement engagées dans des actes de violence et de répression généralisée était une erreur, et les Etats-Unis ne doivent pas répéter cette erreur" a dit Clinton.

Robert Parry

[De nombreux documents déclassifiés sont consultables sur le site internet du "National Security Archive"]

Robert Parry broke many of the Iran-Contra stories in the 1980s for the Associated Press and Newsweek. His new book, Secrecy & Privilege : Rise of the Bush Dynasty from Watergate to Iraq, can be ordered at secrecyandprivilege.com. It’s also available at Amazon.com, as is his 1999 book, Lost History : Contras, Cocaine, the Press & ’Project Truth.’

 Source : www.consortiumnews.com

 Traduit par Viktor Dedaj, webmaster de Cuba Solidarity Project, et auteur, avec Danielle Bleitrach et Jean François Bonaldi de "Cuba est une île". Ed. Le Temps des Cerises.

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Croire que la révolution sociale soit concevable... sans explosions révolutionnaires d’une partie de la petite bourgeoisie avec tous ses préjugés, sans mouvement des masses prolétariennes et semi-prolétariennes politiquement inconscientes contre le joug seigneurial, clérical, monarchique, national, etc., c’est répudier la révolution sociale. C’est s’imaginer qu’une armée prendra position en un lieu donné et dira "Nous sommes pour le socialisme", et qu’une autre, en un autre lieu, dira "Nous sommes pour l’impérialisme", et que ce sera alors la révolution sociale !

Quiconque attend une révolution sociale “pure” ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution.

Lénine
dans "Bilan d’une discussion sur le droit des nations", 1916,
Oeuvres tome 22

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