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Qu’est ce que la gouvernance économique européenne ? Histoire, contexte actuel, perspectives

Cet article a pour but de fournir une présentation la plus complète possible de la notion de gouvernance économique européenne. Toute la stratégie des dirigeants européens se base dessus, toutes les critiques se focalisent sur ses objectifs, ses moyens ou ses conséquences. Cet article a pour but de présenter les concepts, l’histoire et la situation actuelle de cette gouvernance économique européenne. Un prochain article fera un inventaire des critiques émises.

Dans la 1ère partie de cet article, je vais développer le concept de gouvernance, puis tâcher de contextualiser globalement les évènements et notions-clefs en lien avec la gouvernance économique européenne avant d’en retracer les objectifs de fond.
La seconde partie sera consacrée à une analyse des développements récents dans le prolongement de l’histoire de la construction européenne.

(Une 3ème partie sur les critiques à adresser est en préparation mais je ne voulais pas alourdir l’article et je souhaitais de nourrir d’éventuelles réactions, le présent article se veut donc globalement neutre).

Partie 1 : Concept et contexte

I- Qu’est ce que la gouvernance ?

La gouvernance renvoie à l’idée de direction (lat : gubernare : "diriger un navire") en désignant l’ensemble des mesures, des règles, des organes qui permettent d’assurer le bon fonctionnement et le contrôle d’un État, d’une entité ou d’une organisation .

 Ce terme polysémique était d’abord appliqué aux pouvoirs publics sous l’Ancien Régime avant de perdre de l’influence en France puis de revenir dans le vocabulaire par la sociologie des organisations, la science administrative et la politique néo-managériale microéconomique anglo-saxone.

 La gouvernance poursuit comme objectif de "fournir l’orientation stratégique, de s’assurer que les objectifs sont atteints, que les risques sont gérés comme il faut et que les ressources sont utilisés dans un esprit responsable" (IT Governance Institute).

La gouvernance n’est ainsi qu’un moyen d’atteindre des objectifs, elle ne les fixe pas, ni ne définit ce qui est responsable en soi. Néanmoins elle peut participer par les structures et moyens mis en place à l’émergence plus ou moins orientée de ces objectifs. Elle est censée veiller aux "intérêts des "ayants-droits", c’est à dire aux personnes titulaires d’un droit du fait de leurs liens avec l’auteur des normes qui s’imposent à elles.

 L’idée de gouvernance renvoie dans une acception générale, non seulement à un moyen d’atteindre un objectif, mais bien souvent comme le bon moyen. C’est le résultat de l’influence de la notion de "bonne gouvernance" prônée par la Banque Mondiale dans ses programmes de développement. Aujourd’hui "améliorer la gouvernance", "renforcer la gouvernance" c’est tendre vers ce que doit être une "bonne gouvernance" adaptée à son environnement.

 L’idée d’adaptation à un environnement est au centre de l’idée de gouvernance, c’est ainsi que la gouvernance est également conçue comme une stratégie destinée en principe à répondre à une situation nouvelle. Aujourd’hui, la situation nouvelle est constituée, sur un plan global (applicable aux entreprises, comme aux institutions), par une grande complexité, une interdépendance des acteurs, une atténuation de la frontière public-privé, une instabilité financière et économique etc... La gouvernance sera ainsi la stratégie adéquate pour répondre à cette situation nouvelle pour les acteurs concernés. Elle ne s’interroge absolument pas sur le pourquoi de cette situation, celle ci n’est pas remise en question.

Si des critiques sont formulées sur la gouvernance il faut absolument les distinguer des critiques formulées contre la situation qui la sous-tend (qui parfois se rejoignent néanmoins si la gouvernance "retenue" semble tendre à approfondir certains aspects de cette situation).

 Dans un contexte d’interdépendance, la gouvernance est de plus en plus entendue comme un mode de pilotage qui associe des acteurs divers pour déterminer les structures, les règles permettant d’atteindre des objectifs préfixés. Il y a derrière cela l’idée de remédier à un manque d’informations, de données permettant de traiter correctement une situation, de poser des règles. En somme, la gouvernance serait un outil à la décision en ce qu’elle instituerait des orgaisations, des structures à même de faire remonter l’information nécessaire à la décision.

 Néanmoins (comme le souligne Maurice Baslé dans un article intitulé : " Évaluation des politiques publiques et gouvernance à différents niveaux de gouvernements"), la gouvernance repose sur la confiance des "ayants-droits" (je dirais même la croyance), l’aptitude à croire, à avoir confiance en un "discours idéal" si "tous les participants concernés peuvent participer au discours concernant certaines décisions et si les individus discutent sans préjudice, en l’absence de pressions et de façon cognitivement adéquate". Ce modèle parfait n’existera sans doute jamais, mais la gouvernance doit, en principe tendre vers cet objectif.

 La bonne gouvernance est entendue comme "le remodelage des politiques de gestion publique en vue de faire face aux défis du développement. Cette définition fait du développement, l’intérêt principal de la bonne gouvernance" (FMI). Celle ci passe par des institutions politiques, économiques et sociales, le développement est entendu comme vecteur de la croissance économique.

 La gouvernance renvoie ainsi à une transformation stratégique du pouvoir destinée à répondre à une situation nouvelle, théoriquement pour associer les acteurs pertinents à la remontée de l’information permettant la prise de décision pour la réalisation d’un objectif prédéterminé.

N.B : Il ne faut pas confondre la gouvernance comme notion, et la gouvernance comme réalisation à tel ou tel niveau.

* La gouvernance économique : Elle renvoie à la structuration institutionnelle et aux moyens et instruments mobilisés pour réaliser un objectif à visée économique (stabilité monétaire et financière et de croissance économique...). On parle de gouvernance économique quand on fait varier la stratégie visée.

* La gouvernance économique européenne : Elle renvoie à la stratégie de structuration institutionnelle et aux moyens et instruments mobilisés pour réaliser les objectifs précités dans le cadre d’une intégration régionale.
(L’intégration régionale à travers une Union est le choix qui a été opéré par les fondateurs de l’Union Européenne et leurs continuateurs).

C’est à cela que nous allons nous intéresser ici, dans ses principes et objectifs, ses réalisations, sa structuration institutionnelle et ses moyens. Ce sont ces 4 éléments qui sont sujets à critique et pas la notion de gouvernance en elle-même, au risque de confondre la notion et ses résultats, ses moyens, ses objectifs et la structuration institutionnelle qui en découle.

II- Brève "histoire" de la gouvernance économique européenne et de l’intégration européenne.

Je m’attelle ici à une brève chronologie des objectifs, réalisations institutionnelles et instruments à l’échelle européenne (je compile diverses chronologies que l’on trouve aisément en ligne en actualisant).

1950 : Robert Schuman, ministre français des Affaires étrangères, propose, dans un discours inspiré par Jean Monnet, la mise en commun des ressources de charbon et d’acier de la France et de la République fédérale d’Allemagne dans une organisation ouverte aux autres pays d’Europe.

1951 : Les Six signent à Paris le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA). Elle entrera en vigueur le 23 juillet 1952, pour une période de cinquante ans (elle sera caduque bien avant).

1955 : Réunis en conférence à Messine, les ministres des affaires étrangères des Six décident d’étendre l’intégration européenne à toute l’économie.

1957 : Signature à Rome des traités instituant la Communauté économique européenne (CEE) et l’Euratom. Elles entreront en vigueur le 1er janvier 1958.

1960 : Signature de la convention de Stockholm créant, à l’initiative du Royaume-Uni, l’Association européenne de libre-échange (AELE), comprenant plusieurs pays européens qui ne sont pas États membres de la CEE.

1965 : Signature du traité de fusion des exécutifs des trois Communautés instituant un Conseil et une Commission uniques. Il entrera en vigueur le 1er juillet 1967.

1966 : Compromis dit "de Luxembourg". A la suite d’une crise politique, la France accepte de reprendre sa place au Conseil en contrepartie du maintien de la règle de l’unanimité lorsque des "intérêts très importants" sont en jeu.

1968 : Élimination, avec un an et demi d’avance, des derniers droits de douane entre les États membres pour les produits industriels et mise en place du tarif extérieur commun.

1969 : Sommet de La Haye. Les chefs d’État ou de gouvernement décident de pousser plus loin l’intégration européenne.

1970 : Signature, à Luxembourg, du traité permettant le financement progressif des Communautés par des ressources propres et l’extension des pouvoirs de contrôle du Parlement européen.

1972 : Serpent Monétaire Européen.

1974 : Sommet de Paris, où les neuf chefs d’État ou de gouvernement décident de se réunir régulièrement en Conseil européen (trois fois par an), proposent d’élire le Parlement européen au suffrage universel et décident la mise en oeuvre du Fonds européen de développement régional.

1975 : Signature du traité renforçant les pouvoirs budgétaires du Parlement européen et créant la Cour des comptes européenne. Il entre en vigueur le 1er juin 1977.

1979 : Système Monétaire Européen

1985 : Signature de l’accord de Schengen, qui vise à abolir les contrôles aux frontières entre les pays membres des Communautés européennes.

1986 : Signature à Luxembourg et à La Haye de l’Acte unique européen. Il entre en vigueur le 1er juillet 1987.

1991 : Le Conseil européen à Maastricht adopte un traité sur l’Union européenne. Il prévoit une politique étrangère et de sécurité commune, une coopération plus étroite dans les domaines de la justice et des affaires intérieures et la création d’une Union économique et monétaire, y compris une monnaie unique.

1992 : Signature du traité sur l’Union européenne à Maastricht. Il entre en vigueur le 1er novembre 1993.

1993 : Mise en place du marché unique.

1994 : Institut monétaire européen.

1995 : Conférence euro-méditerranéenne de Barcelone, engageant un partenariat entre l’UE et les pays du sud de la Méditerranée.

1997 : Signature du traité d’Amsterdam. Il entre en vigueur le 1er mai 1999
 Pacte de stabilité et de croissance.

1998 : Mise en place de la Banque Centrale Européenne.

1999 : Début de la troisième phase de l’UEM : les onze monnaies des États participants disparaissent au profit de l’euro. La monnaie commune est introduite sur les marchés financiers. La Banque centrale européenne (BCE) est désormais responsable de la politique monétaire.
 Conseil européen de Tampere consacré à la réalisation d’un espace européen de liberté, de sécurité et de justice.

2000 : Le Conseil européen de Lisbonne définit une nouvelle stratégie de l’Union visant à renforcer l’emploi, la réforme économique et la cohésion sociale dans une économie fondée sur la connaissance.
 A Nice, le Conseil européen adopte le texte d’un nouveau traité qui réforme le système décisionnel de l’UE dans la perspective de l’élargissement. Les présidents du Parlement européen, du Conseil européen et de la Commission proclament solennellement la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
 Création d’ Euronext par la fusion des Bourses d’Amsterdam, Bruxelles et Paris(puis, plus tard : Lisbonne et achat du LIFFE de Londres.

2001 : Signature du traité de Nice. Il entre en vigueur le 1er février 2003.
 Conseil européen de Laeken. Adoption d’une déclaration sur l’avenir de l’Union ouvrant la voie à la future grande réforme de l’Union
 Mise en place par l’UE du cadre « Lamfalussy » créant notamment des comités visant à harmoniser la supervision des marchés financiers.

2002 : Mise en circulation des pièces et des billets en euros dans les douze pays de la zone euro.

2004 : Adoption à Rome de la Constitution européenne (rejetée en 2005 par la France et les Pays-Bas).

2006 : Le Conseil des Gouverneurs de la BCE lance l’étude du projet T2S (TARGET2Securities, visant à mettre en place une plate-forme intégrée de règlement-livraison de titres en euro en monnaie de banque centrale à l’échelle de la zone euro). C’est ce projet concrétisé en 2007 qui est mobilisé pour que les banques se fournissent en liquidités auprès de la banque centrale en échange de titres en garanties.

2007 : Adoption du traité de Lisbonne.

2008 : La BCE élargit son système de garantie (collatéral) et revoit à la baisse la notation minimale pour l’éligibilité des titres à BBB- contre A- auparavant. Elle rachète des titres auprès des acteurs économiques européens, notamment les banques ainsi que des obligations d’états.

2009 : Entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

2010 : Rapport de la "Task Force" du groupe de travail sur la gouvernance économique (5 objectifs : Discipline fiscale, surveillance économique et budgétaire, coordination, gestion des crises, renforcement des institutions européennes et nationales pour évaluer tout ceci).
La discipline fiscale, l’accroissement de la surveillance économique, une plus large coordination entre États membres, un robuste mécanisme pour gérer les situations de crises, et un renforcement des institutions européennes et nationales.
 Le Conseil européen a adopté le projet de « Semestre européen », qui regroupe les évolutions de politique économique et les réformes structurelles dans le cadre de la Stratégie Europe 2020 et qui doit contribuer à une meilleure coordination et à une meilleure mise en oeuvre des réformes de politique économique et financière nécessaires. Il met notamment en place une procédure en vue d’éviter et de corriger les déséquilibres macroéconomiques.
 Mise en place d’ "Europe 2020" : Lors du Conseil européen de juin 2010, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE ont élaboré une stratégie de croissance "intelligente, durable et inclusive", d’emploi...
 Mise en place du Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF) et du Mécanisme Européen de Stabilité Financière (MESF)

2011 : Les trois nouvelles autorités européennes pour la surveillance des activités financières commencent leurs activités : L’autorité bancaire européenne, l’autorité européenne des valeurs mobilières et l’autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles.
 Le nouveau Pacte de stabilité et de croissance entre en vigueur, il a pour but de garantir par des moyens coercitifs la discipline budgétaire.
 Afin de poursuivre le renforcement du pilier économique de l’Union économique et monétaire et d’atteindre une nouvelle qualité de la coordination des politiques économiques, les Etats de la zone euro et d’autres pays de l’UE ont adopté en mars 2011 le Pacte pour l’euro plus (ou "six pack").
 Au 1er janvier 2011, un Système européen de surveillance financière (SESF) (European System of Financial Supervision, ESFS) a été créé.
 Les dépôts des clients auprès des banques de l’UE sont "protégés" depuis le 1er janvier 2011 à hauteur d’un montant de 100 000 euros en cas de faillite de l’établissement.

2012 : Rapport Van Rompuy sur "Une authentique Union Économique et Monétaire" (traduction)
 Adoption du Pacte sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (PSCG)
 Adoption de la directive qui réglemente les agences de notation.
 Réflexion sur une réglementation des marchés de gré-à -gré.
 Transformation du FESF et du MESF en Mécanisme Européen de stabilité financière (MES) : "Son objectif est de mobiliser des moyens financiers et, lorsque cela est indispensable pour garantir la stabilité de l’ensemble de la zone euro, de les mettre à la disposition, sous la forme de différents instruments de financement, des Etats membres de la zone euro qui rencontrent des difficultés financières, à condition que ces Etats se soumettent à des exigences strictes en matière de politique économique".

2013 : Les ministres des Finances des 27 États membres se prononcent en faveur du processus de coopération renforcé que réclamaient les 11 pays partisans de la mise en place d’une Taxe sur les Transactions Financières européenne.
 Réflexion sur la contribution des déposants de plus de 100 000 euros lors d’une faillite bancaire.
 Mise en pratique des recommandations de Bâle III concernant les ratios de fonds propres des banques.
 Le Parlement européen adopte de nouvelles règles créant des fonds européens de capital-risque pour diversifier les sources de financement des PME.
 Adoption définitive du "two-pack" : 1° Le règlement établissant des dispositions communes pour le suivi et l’évaluation des projets de plans budgétaires et pour la correction des déficits excessifs dans les États membres de la zone euro // 2° Le règlement relatif au renforcement de la surveillance économique et budgétaire des États membres connaissant ou risquant de connaitre de sérieuses difficultés du point de vue de leur stabilité financière au sein de la zone euro .

Annexe : Petite présentation des organes de l’UE.

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/91/Institutions_de_l%27Union_europ%C3%A9enne.svg/500px-Institutions_de_l%27Union_europ%C3%A9enne.svg.png

A côté de tout cela il faut noter la présences de multiples agences mais également de "conseils", réunions concernant les états de la zone euro (l’Eurozone).
 L’Eurogroupe notamment, qui est la réunion informelle (qui se formalise en période de crise) des ministres des Finances de la Zone Euro. Il ne faut pas le confondre avec l’ECOFIN qui est une des formations du Conseil de l’Union Européenne.

L’Eurogroupe et la Banque Centrale Européenne sont sur le devant de la scène dans la crise de la Zone Euro, l’un car c’est le niveau de décision "normal" (je n’ai pas dit pertinent) dans le cadre institutionnel actuel, le second comme intervenant principal de la politique monétaire et financière.

III- Les principes et objectifs de la gouvernance économique européenne

Il est impossible de séparer les objectifs de gouvernance économique européenne, des objectifs qui présidèrent à tout le processus de construction européenne. En effet les méthodes retenues pour faire avancer le processus européen ont toujours relevé plus ou moins directement d’instruments économiques accompagnés par la construction d’un ordre juridique européen qui en serait le support et le moyen. Concernant les objectifs et les principes, il convient de se reporter à la théorie économique de Béla Balassa qui constitue le modèle de développement de l’UE.
Il identifie les 5 étapes nécessaires pour la réalisation d’une zone d’intégration régionale optimale : Libre échange, Union douanière, Marché commun, Union Économique et Monétaire, Union Politique (Pour l’intégration économique pure l’étape de l’Union économique et monétaire est divisée entre l’harmonisation des politiques économiques et la monnaie commune).
Cette "intégration régionale optimale" est l’objectif premier de la gouvernance économique européenne. Ses moyens sont mobilisés vers ce but et ses éventuelles failles résulteront d’une inadéquation de sa stratégie et de ses moyens. (Cf : Partie critique).

De manière très schématique on peut envisager les choses ainsi :

* Une période post CECA jusqu’au milieu des années 60, où l’objectif était de favoriser la création d’un marché intérieur commun par la suppression progressive de tous les obstacles à la libre circulation des biens, puis des personnes, des capitaux et des services . La convergence des politiques économiques doit permettre "la stabilité dans l’expansion, l’équilibre dans les échanges et la loyauté dans la concurrence" de même qu’établir les fondements d’une "union sans cesse plus étroite entre les peuples européens". Tout ceci ne peut se faire que dans une action concertée reposant sur un organisme institutionnel qui ménageait théoriquement les intérêts nationaux, des peuples et de "l’intérêt général" (à travers le Conseil, le Parlement et la Commission...). Après le traité de Rome, les "barrières" à la libre circulation sont progressivement levées, en 1965, le traité de Bruxelles fusionne les exécutifs des 3 communautés (CEE, CECA, et Euratom) et créent le Conseil Européen (qui deviendra le Conseil de l’Union Européenne (à ne pas confondre avec le Conseil de l’Europe qui était la Réunion des chefs de gouvernements)). La Zone Euro est alors une zone de Libre-échange.

* Une période de crises institutionnelles (Crise de la "chaise vide", crise de la contribution anglaise à la PAC, vision technocratique de l’Europe par les citoyens à partir du retournement de la conjoncture économique en 1974) qui n’entravent pas la mise en place des instruments économiques nécessaires à l’avènement du marché commun européen . La mise en place de ces instruments est permise par les relances impulsées par l’axe franco-allemand notamment (Brandt-Pompidou ; Schmidt-Giscard) qui dégage des solutions souvent hors des institutions européennes. Cette période dure jusqu’au milieu des années 70 et se chevauche avec la période ultérieure.L’année 1968, voit l’Union douanière se réaliser. L’année 73 voit enfin l’adhésion de la Grande Bretagne se réaliser, prélude à des élargissements successifs.

* Confronté à la fin du système de l’étalon-or en 1971, et à la crise économique et monétaire résultant du 1er choc pétrolier, la Communauté Européenne est également en crise sur le plan de son image, ce qui est un frein aux objectifs d’approfondissement. Face à cette situation plusieurs évènements et réactions vont s’enchaîner...
- Lancement du serpent monétaire européen en 1972 pour limiter la fluctuation des taux de changes ce qui sera un échec et qui sera remplacé en 1979 par le Système Monétaire Européen prenant comme référence des fluctuations de changes un panier moyen des monnaies nationales (l’ECU).
- Le choix est fait d’élire le Parlement Européen au suffrage universel direct pour lui redonner une légitimité qui lui manquait (en théorie) mais cela ne s’accompagne pas d’un accroissement de ses attribution..
-Tout un processus de communication médiatique sur les Pères Fondateurs de l’Euro, l’hymne européen, la communauté est lancé de manière à accroître la visibilité de l’Union Européenne à partir du début des années 80.
- Il y a une structuration très forte des milieux industriels en organisations patronales, en groupes de pressions, à cette période pour "relancer la construction européenne". L’European Round Table créée en 1983 autour de 17 grands patrons à eu une importance déterminante dans la rédaction du Livre Blanc pour l’avènement du marché commun rédigé par Lord Cockfield en 1985 qui visait à l’approfondissement de l’Union Européen tout en préparant l’Acte Unique Européen de 1986. Les interlocuteurs économiques sont jugés de part leur poids financiers et de part leur "expertise" comme les acteurs impliqués légitimes dans la stratégie mise en place dans le cadre de la gouvernance économique .
- L’Acte Unique de 1986 suit les recommandations du Livre Blanc (L’élimination des frontières physiques, l’élimination des frontières techniques, l’élimination des frontières fiscales). L’Acte Unique est un moyen au service de la réalisation des objectifs fixés dans le Livre Blanc de 1985 vers l’avènement d’un marché unique dans la mesure où il renforce les pouvoirs des institutions européennes, étend leur champ de compétence et fluidifie (légèrement) les procédures de décision. Tout ceci s’effectue dans à travers des réunions très fréquentes avec les lobbys d’intérêts et dans le cadre des 310 mesures proposées par Jacques Delors dans le cadre de l’"Objectif 92". Qui aboutira au traité de Maastricht.
"la Commission demandera au Conseil européen de faire sien l’objectif de l’unification complète du marché intérieur en 1992 au plus tard et d’approuver, à cet effet, un programme assorti d’un échéancier réaliste et contraignant" (extrait du Livre Blanc de 1985). Ce marché unique doit être "dynamique" et "flexible".

* Le Traité de Maastricht signé en 1992 donne officiellement naissance à l’Union Européenne, prévoit la création de l’Institut Monétaire Européen et à terme de la Banque Centrale Européenne, élargit les pouvoirs des institutions européennes, instaure 3 piliers (la communauté européenne (importance des règles communautaires via les institutions) et la coopération en matière de politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et de justice et d’affaires intérieures (JAI), reconnaît une citoyenneté européenne destinée à lui offrir un surcroît de légitimité et surtout elle prévoit une Union économique et monétaire (UEM) .
Tout le processus de réforme des traités qui va suivre se fera avec la réalisation de cette UEM en arrière fond.
Le traité d’Amsterdam en 1997, puis de Nice en 2001, échouent à fluidifier le fonctionnement institutionnel dans la stratégie de gouvernance orientée vers la réalisation optimale de l’intégration politique et économique. L’Euro rentre cependant en circulation, la Banque Centrale Européenne prend ses fonctions (alors que le processus d’harmonisation économique n’est pas achevé). L’UE tente parallèlement de se donner des instruments nécessaires, selon elle, à une réelle convergence économique dans une optique de long terme (Pacte de Stabilité et de Croissance, "critères de Maastricht", Stratégie de Lisbonne...) (pour des résultats décevants).

* Au milieu des années 2000, il y a une volonté de sortir de cette complexité institutionnelle néfaste pour la réalisation des objectifs, prévus par les décideurs européens, de la gouvernance économique européenne en instaurant une "Constitution pour l’Europe" qui fusionnerait les textes existants et les communautés en une unique Union Européenne (sans procédures particulières sauf rares exceptions) qui aurait dû entrer en vigueur en 2006. Le rejet par la France et les Pays-Bas du texte initial force les institutions européennes à réfléchir à un nouveau texte, qui sera le futur traité de Lisbonne (signé en 2007 et entré en vigueur en 2009).
Ce texte "modernise" les traités existants en assouplissant les prises de décisions donne la personnalité juridique à l’Union Européenne, modifie les modalités du vote qualifié et étend son champ d’application, institutionnalise clairement la BCE, ouvre la voie à une initiative citoyenne aux conditions très stricts, permets aux États-membres de se retirer éventuellement, donne aux Parlements Nationaux une possibilité de faire respecter le principe de subsidiarité plus efficacement (en théorie).

* Occupée à tâcher de sortir d’un carcan institutionnel très imparfait pour ses objectifs propres et souffrant de nombreux défauts (Cf : Partie 2), l’UE voit son UEM frappé par la crise de 2007 et son prolongement par la crise de la dette souveraine qui devient plus certainement une crise de la zone euro, de l’Eurozone, voire de l’Europe.
Dans le même temps, la question de la poursuite de l’intégration, du fondement, de l’objectif premier de la gouvernance est posée, les diagnostics de la crise étant très largement divergeants : incapacité à réaliser une union économique et monétaire, échec total du projet, insuffisance d’intégration, manque de légitimité...
Mauvais fondement, inadéquation des moyens, question de stratégie, pertinence des acteurs impliqués dans la gouvernance ?

Aujourd’hui , pour la majorité des dirigeants européens et les organisations représentatives du patronat, il ne fait aucun doute que c’est l’absence d’intégration qui est la cause de la situation actuelle et ils réagissent en mobilisant tout un arsenal de moyens destinés à renforcer cette gouvernance économique dans le cadre actuel en tâchant de lui trouver une légitimité. (Je cite le titre d’un chapitre d’un rapport parlementaire de 2011 : "La crise : une opportunité historique pour un pilotage économique européen).
Mais , il y a d’autres opinions, qui prônent d’autres moyens, qui veulent inverser la hiérarchie des acteurs impliqués dans la gouvernance, qui veulent redonner une place prééminente au citoyen, qui veulent sortir du cadre d’une Union pour aller vers une autre forme institutionnelle, tandis que d’autres veulent changer l’objectif qui doit être au centre de la stratégie de gouvernance...

Dans la seconde partie, j’analyserai de manière plus détaillée les évolutions récentes de la gouvernance économique européenne qui tente de s’adapter au contexte de crise.

Deuxième partie : La situation actuelle.

Dans cette seconde partie je vais essayer de qualifier la situation dans laquelle est actuellement la gouvernance européenne, ce dans quoi elle s’inscrit, ses objectifs, ses moyens, ses instruments (Les critiques seront présentées dans une 3ème partie).

Nous nous trouvons actuellement dans le prolongement du cycle débuté en 2001 par le Livre blanc de la Commission sur la gouvernance européenne, qui tentait de donner des pistes pour remédier au déficit de légitimité de l’UE, et de la Stratégie de Lisbonne qui fixait des objectifs très ambitieux en termes d’emplois, de chômage, et de compétitivité. Ces 2 textes que nous allons présenter succinctement s’inscrivaient dans le cadre de la maturation de l’UEM dans sa dimension monétaire, à savoir la mise en place de l’Euro qui a induit une convergence des taux d’emprunts entre États Membres.

* Le Livre Blanc sur la gouvernance européenne a clairement pour but de relégitimer l’action européenne en "rapprochant les citoyens des institutions européennes (notons la nature du lien : "les citoyens vers..."). Elle vise à réformer la gouvernance pour la rendre plus visible. La gouvernance européenne est entendue dans ce texte comme : "les règles, les processus et les comportements qui influent sur l’exercice des pouvoirs au niveau européen, particulièrement du point de vue de l’ouverture, de la participation, de la responsabilité, de l’efficacité et de la cohérence". Ces 5 dernières notions renvoient à la transparence, à la clarification des rôles, à la simplification, à la recherche de l’efficacité. L’objectif est de parvenir au citoyen par l’information, par le biais du développement de réseaux impliquant les acteurs de la société civile, des régions, mais toujours dans le cadre des institutions européennes (Comité des Régions, Conseil Économique et Social). Le Livre donne des pistes pour améliorer le droit communautaire, le simplifier par la mobilisation de tout l’arsenal que permettent les traités pour rétablir la confiance et "remporter l’adhésion". L’accent est également mis sur la transposition plus rapide du droit communautaire au niveau national.
On le voit la Commission cherche à remobiliser les institutions européennes et les volontés politiques des États Membres autour du projet européen. Il n’est pas ici question d’économie, mais de stratégie de reconquête d’une légitimité . La volonté des responsables européens est de "structurer la vie politique et l’espace unifié européen", d’être un "point de repère". Il y a bel et bien l’idée d’une stabilisation institutionnelle qui s’inscrit dans le cadre de réformes économiques et monétaires d’arrière plan qui n’intéressent pas les citoyens ou qui peuvent susciter l’incompréhension, voire le rejet (et pour de bonnes raisons). Tout ce processus renvoie à l’objectif primaire, la réalisation d’une intégration régionale optimale telle que définie dans la 1ère partie .

A côté de la quête de légitimité, se trouve la tentative de fixer un cap avec des objectifs ambitieux  : La stratégie de Lisbonne (les conclusions d’un sommet européen à Lisbonne) en est le moyen. L’optimisme régnait à cette époque puisque le but était que l’Europe soit : "l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale".
Tous ces grands objectifs seraient réalisés par l’aboutissement du marché intérieur, notamment par la fin des entraves à la libre circulation des services, la stimulation induite par la "société de l’information, des marchés financiers efficaces et intégrés, l’investissement dans la recherche et l’innovation etc... La mise en pratique de ces objectifs restent du ressort des États membres dans le cadre de procédures de coopération dans le cadre de l’UE. Des objectifs chiffrés furent avancés : 70% de taux d’emploi, 3% de dépenses de recherche et développement, faire reculer la pauvreté etc... Tous ces objectifs devaient se faire à travers le marché intérieur et la "mix-policy", c’est à dire l’articulation adéquate des politiques budgétaires et monétaires au niveau des états et de la BCE .

Quelle portée et quelles réalisations dans le cadre de l’approfondissement de l’UEM ? Les voeux des responsables européens ont ils été comblés ? Comment a évolué la gouvernance européenne ?

Les autorités européennes ont connu un échec sur ces 2 volets : La quête de légitimité s’est heurtée au mur des réalités démocratiques dans la consécration d’une démocratie européenne. Et les objectifs de Lisbonne ont été revus dès 2004 en raison de la constatation d’un retard par rapport aux autres puissances. Un recentrage sur les questions économiques s’est opéré pour attirer les investisseurs, harmoniser les politiques et fiscales...
Devant cet échec les autorités européennes ont fait ce qu’elles savent le mieux faire : transformer un échec en constat de manque de réussite.
Ainsi l’échec de l’adoption de la Constitution Européenne fut vite noyé par l’adoption du Traité de Lisbonne.
Tandis que les échecs de la stratégie de Lisbonne furent mis sur le compte de la conjoncture : "Il serait toutefois simpliste de conclure que la stratégie a échoué du fait que ces objectifs n’ont pas été
atteints"... "Même s’il n’est pas toujours possible de mettre en évidence un lien de cause à effet entre les réformes issues de la stratégie de Lisbonne et les résultats au niveau de la croissance et de l’emploi, il est prouvé que les réformes ont joué un rôle important" (Document d’évaluation du processus de Lisbonne 2010) (sans sources). En gros les échecs c’est la conjoncture, les progrès c’est grâce à l’Europe. Si l’objectif était "bon", les résultats importent peu et il faut poursuivre pour l’objectif.
On peut identifier ici clairement une des faille majeure de la gouvernance économique européenne... La capacité de se replier sur la gouvernance comme processus et but à atteindre si les résultats des moyens ne sont pas au rendez vous.

Puis survint la "crise", et la capacité des dirigeants européens et des institutions à tirer à leur profit les situations troublées. La réponse à cette crise financière, qui dégénéra en crise de la "zone euro" et plus précisément en crise de l’UEM, fut un exemple superbe de sublimation. Les échecs et les difficultés provenaient des imperfections, l’intégration devient le remède, la solution, le recours... Ce qui a échoué économiquement en l’absence de contrainte doit devenir contraignant, du moins sur certains aspects, même en l’absence de légitimité, pour répondre à l’urgence . Il s’en suit toute une nouvelle stratégie, orientée vers les mêmes objectifs, mais avec des moyens différents :

C’est ce qu’on présente comme la "nécessaire réforme de la gouvernance européenne". Quand les évènements ont commencé à aller mal en zone euro les états, sous l’impulsion du couple franco allemand notamment, ont pris différentes mesures destinées à "sauver", "stabiliser l’euro". Mesures qui sont clairement devenues contraignantes justifiées en cela par "l’urgence de la situation" selon les responsables européens. On note clairement une volonté de relancer l’UEM. On peut l’illustrer par 3 rapports :

1° Les conclusions du groupe de travail présidés par Mr Van Rompuy, Juncker, Rehn et les ministres des finances européens quant à la gouvernance économique rendu à l’automne 2010 et qui poursuivait 5 objectifs : Discipline fiscale, surveillance économique et budgétaire, coordination, gestion des crises, renforcement des institutions européennes et nationales pour évaluer tout ceci. Voici les premières lignes : " « La crise financière et les turbulences qui ont touché récemment les marchés des dettes souveraines ont clairement mis en évidence les défis auxquels se trouve confrontée la gouvernance économique de l’Union européenne.Pour relever ces défis,il faut procéder à une réorientation fondamentale de la gouvernance économique européenne qui soit à la mesure du niveau d’intégration économique et financière qu’ont déjà permis d’atteindre l’union monétaire et le marché intérieur ».

La ligne est évidente : La gouvernance économique européenne accompagne, suit l’objectif et les réalisations de l’intégration économique. L’intégration nourrit la gouvernance, et la gouvernance est nécessaire pour "gérer" efficacement l’intégration. Si l’intégration pose des problèmes il faut relancer la gouvernance, si la gouvernance pose problème, l’intégration lui donne la justification d’une réforme.

2° Une seconde illustration très nette de cette opinion des responsables européens se trouve dans un rapport remis en 2010 au président français et intitulé "Un chemin pour un pilotage économique européen". La crise serait une "opportunité" pour la mise en place d’un gouvernement économique européen dans la mesure où les crises grecque et irlandaise seraient les conséquences d’états qui ne joueraient pas le jeu, l’approfondissement de l’intégration serait nécessaire et accepté dans la mesure où chacun se rendrait compte que tout le monde est dans le même bateau : "pour le meilleur et pour le pire". Des réformes devraient être mise en place pour mettre en route le "Semestre Européen", affirmer l’importance de l’Eurogroupe dans la communication de la crise, mettre en place un Comité des Sages composés d’économistes, faire converger les politiques économiques et sociales, achever le marché unique, introduire des règles contraignantes de maîtrise des déficits publics (suspension du droit de vote etc...). On voit encore une fois la logique : La gouvernance économique européenne ne peut être améliorée pour les responsables européens, qu’en durcissant les moyens vers la réalisation de son objectif . Faisons un inventaire des mesures et orientations qui ont été prise depuis le déclenchement de la crise et qui constituent le socle de cette gouvernance européenne.

3° Le rapport : "Vers une authentique Union Économique et Monétaire" de Van Rompuy le 26 juin 2012 qui s’oriente vers la réalisation de 4 cadres : Cadre financier intégré, cadre budgétaire intégré, cadre intégré de politiques économiques, légitimité démocratique fondée sur "l’exercice commun de la souveraineté" en coopération avec les Parlements Nationaux.

Réalisons à présent une vue d’ensemble de la situation actuelle.

* Tout d’abord le premier élément notable réside dans la montée en puissance de la BCE et de l’Eurogroupe dans la gestion de la crise de la zone euro. La BCE donne des orientations monétaires et se lancent dans des programmes de rachats de titres à travers le programme Target 2 (le programme Target 2 sécurities sera prochainement mis en place) pour "assouplir" les risques sur les marchés actions et obligataires. L’Eurogroupe (la réunion des ministères de l’économie et des finances) reconnu comme une institution de l’UE à part entière par le traité de Lisbonne donne les orientations de réforme concernant les "réformes structurelles" à mettre en place. En 2008, dans ses orientations de politique monétaire la BCE choisit de fournir plus de liquidités aux banques notamment, la BCE élargit son système de garantie (collatéral) et revoit à la baisse la notation minimale pour l’éligibilité des titres à BBB- contre A- auparavant. Elle accepte des titres de moins bonne qualité en contrepartie de l’injection de liquidité. La taille de son bilan et sa qualité s’en ressentent.

* La gestion de la crise a parallèlement mis en place toute une structuration de " mécanismes d’aide " qui sont en réalité autant de structures complexes permettant des transferts de fonds contre une stricte conditionnalité dans l’application de réformes visant à corriger ce qui sera considéré comme la cause des déséquilibres macroéconomiques. Après le FESF et le MESF, c’est le MES qui a pris le relais.

* Outre ces éléments de gestion de la "crise", l’UE s’est doté à travers un Conseil Européen en 2010 d’un projet à long terme qui est la continuité de la Stratégie de Lisbonne : "Europe 2020". Elle traduit toujours une ambition en termes d’objectifs (moins de pauvreté, 75% de taux d’emploi, dépenses de recherches etc). Différentes initiatives sont prises pour la réalisation de ces objectifs, mais l’essentiel des réalisations passent par les états nationaux. C’est ici qu’interviennent les décisions prises dans le cadre du "Semestre Européen". Ayant identifié l’échec de la stratégie de Lisbonne comme un échec de la réalisation nationale de ses objectifs, le Semestre Européen a pour but d’exercer un contrôle, une surveillance sur l’avancée des réformes : "Le semestre européen est un cycle de six mois commençant au début de l’année, au titre duquel les procédures de coordination dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance et de la Stratégie Europe 2020 sont coordonnées et les Etats membres reçoivent des lignes directrices et des recommandations politiques préalablement à l’ouverture de leur procédure budgétaire nationale.". Les états membres sont invités à en tenir compte dans leur programmes de stabilité et de convergence (PSC) et à présenter dans leur programme de réforme national (PRN). Il y a donc un contrôle, une évaluation et un suivi très fort, justifié par l’échec de la stratégie de Lisbonne et de la crise mais qui ne se limite absolument pas à ces éléments. Une procédure de surveillance des déséquilibres macro-économiques a également été mise en oeuvre, elle passe notamment par un système d’alerte précoce basé sur un tableau d’indicateurs qui peuvent conduire à des recommandations pour corriger ces déséquilibres.
Dans la gouvernance économique européennes, les divergences sont analysées comme obstacle à l’intégration et facteur de risques. Tous les instruments de la gouvernance visent donc à lutter contre ceux ci.

* Les objectifs de coordination économique et budgétaire ont également trouvé leur traduction en 2011 à travers le "pacte pour l’euro plus" (ou six pack (car 6 normes de droit dérivé (directives et règlements))) (dont le nom est très révélateur soit dit en passant) qui réitère la volonté politique de persévérer dans la gouvernance économique actuelle en insistant sur la coordination des politiques économiques et fiscales notamment. Les engagements nationaux pris dans le cadre de 4 objectifs de compétitivité, d’emploi, de viabilité des finances publiques et de stabilité financières devront être plus ambitieux. Un rapport d’étape a été présenté par José Manuel Barroso fin 2011 (ici). Il y a toujours le poids d’une surveillance qui s’impose par la comparaison entre les états membres et les recommandations de la Commission.

* Ce pacte pour l’euro plus est complété par l’adoption des chefs d’état de 25 états de la zone d’un "pacte budgétaire" ou "Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance" (TSCG) dont les 3 éléments sont les suivants : 1° Inscription dans l’ordre juridique d’une règle visant à ce que le budget soit équilibré ou en excédent. Les états qui feront état d’un déficit excessif devront soumettre à la Commission et au Conseil un programme de "partenariat économique" pour approbation // 2° Un renforcement des règles dans le cadre de la procédure pour déficit excessif : les mesures recommandées par la Commission seront présumées acceptés par les états membres, sauf opposition à la majorité qualifiée. // 3° Renforcement de la surveillance et du suivi des réformes mises en oeuvres.

* Tous les éléments évoqués s’inscrivent dans le prolongement du Pacte de Stabilité et de Croissance (issu de Maastricht et réformé en 2005). La nouvelle réforme adoptée en 2011, renforce les sanctions qui sont adossées au non respect des objectifs chiffrés qui y sont inscrits (équilibre des finances publiques à moyen terme, règles comptables harmonisées...).

* Pour ajouter encore à la complexité de cet édifice institutionnel que nous allons tenter de résumer ultérieurement, de nouvelles dispositions sont adoptées en 2013, notamment le " two-pack" composé de 2 réglements : 1° Le règlement établissant des dispositions communes pour le suivi et l’évaluation des projets de plans budgétaires et pour la correction des déficits excessifs dans les États membres de la zone euro // 2°Le règlement relatif au renforcement de la surveillance économique et budgétaire des États membres connaissant ou risquant de connaitre de sérieuses difficultés du point de vue de leur stabilité financière au sein de la zone euro . Le premier texte resserre le calendrier du contrôle qu’exerce déjà la Commission sur les processus budgétaires nationaux. La Commission pourra demander une révision du projet avant l’examen au parlement national. Le second texte vise à renforcer les pouvoirs européens de tutelle sur les pays en grave déséquilibre financier. Il dispose qu’un pays pourra être placé d’autorité (après un vote à la majorité qualifiée des Etats membres) sous une surveillance renforcée. Il pourra aussi être sommé de faire appel aux fonds de secours de la zone euro. Tout ceci est encore justifié par l’approfondissement de la crise qui, par une rhétorique du "tout le monde est dans le même bateau", rendrait nécessaire ces mesures.

* Les futures orientations sont résumées dans ce schéma et cette communication de la Commission en date du 10 avril (sur la base d’un texte de fin mars) :
http://europa.eu/rapid/exploit/2012/11/IP/FR/i12_1272.fri/Pictures/10000000000005D20000045B96D6BD91.jpg

La communication de la Commission est intitulée : Prochaines étapes pour une Union Économique et Monétaire profonde et véritable : Une coordination précoce et des arrangements contractuels.
Le document dit en clair ceci : Les réformes économiques et financières (y compris du marché du travail) peuvent avoir des conséquences sur les autres états membres et doivent donc être discutés au préalable au niveau européen, le Conseil et la Commission pourraient proposer des modifications. La seconde proposition concerne l’instauration d’un instrument de convergence et de compétitivité. Ce dernier aiderait les pays en difficulté à accomplir des réformes en termes de croissance et de compétitivité par des accords contractuels (reste à définir le champ et le moment ou cela serait mobilisé). Ces accords contractuels seraient incités par la mise en oeuvre d’une solidarité financière en cas d’adoption d’un programme de réforme inspiré des recommandations issues des recommandations dans le cadre du Semestre Européen .
"Un soutien financier sera conditionnel à la mise en oeuvre intégrale et rapide des réformes prévues par l’accord. Si, par le biais de rapports annuels, la Commission estime qu’un État membre ne s’est pas pleinement conformé à l’entente, elle peut émettre un avertissement, après lesquelles un soutien financier pourrait être suspendu ou, le cas échéant, récupérés. La même chose s’applique si la Commission constate qu’un État membre est revenue sur les réformes mises en oeuvre antérieurement ou décide de mettre en oeuvre d’autres mesures qui vont à l’encontre des objectifs des réformes convenues".

Voilà ce vers quoi nous nous orientons pour les années à venir.

Conclusions

 :

1° Il y a une frénésie normative dans la réforme actuelle de la gouvernance économique européenne. Aux rapports, succèdent les déclarations, qui seront suivis de "pactes", de directives, de règlements, de conclusions, de traités qui n’ont pas toujours la même portée.

L’impératif de légitimité démocratique est envisagé a minima, c’est à dire sous l’angle d’une coopération avec les Parlements Nationaux pour la mise en oeuvre et le contrôle de décisions prises "en commun" au niveau européen.

Intégration économique et gouvernance économique se nourrissent l’une, l’autre. Si l’une avance, l’autre doit suivre, les échecs ne sont conçus que comme un retard dans ce processus.

4° Le concept de transfert de souveraineté n’est plus utilisé, l’accent est mis sur "l’exercice commun de la souveraineté" par les représentants nationaux et les responsables européens.

5° La technicité des mesures prises dans cette gouvernance a justifié la montée en puissance d’ "acteurs impliqués" nouveaux ou dont le rôle s’est accru (Eurogroupe, BCE, ECOFIN, experts économiques et financiers qui les conseillent...)

On bascule vers une harmonisation, une intégration basée sur des instruments contraignants préventivement et correctivement (en amont et en aval).

L’importance de la convergence des indicateurs macro-économiques et budgétaires est mise en avant.

Les décisions prisent doivent être "entièrement compatibles avec le marché unique". Il ne peut y avoir de retour en arrière dans la résolution des crises, dans la mesure où les solutions proposées visent à approfondir ce dernier.
« L’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises » (Jean Monnet)

La frénésie normative évoquée en 1° nuit à un impératif de transparence.

10° Concernant la stratégie générale d’adaptation à l’environnement : On a une évolution de la structuration institutionnelle, des acteurs "pertinents" associés ou mis en valeur, des moyens et instruments. Mais les objectifs fondamentaux sont toujours les mêmes et le cadre dans lequel ceux ci sont recherchés ne change pas.

Dans une 3ème partie (qui fera l’objet d’un nouvel article), je vais faire un inventaire non exhaustif des critiques adressés à cette gouvernance économique européenne.

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