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Les BRICs et la crise : la fin du cycle « d’opulence » ?

On rentre déjà dans la sixième année de crise économique mondiale. L’ampleur de celle-ci est historique, sans doute la plus forte depuis celle des années 1930. Ce sont les puissances impérialistes centrales qui sont, au moins du moment, dans l’oeil de la tourmente : l’UE, le Japon et les Etats-Unis. Dans ce contexte, un phénomène fait couler beaucoup d’encre : lesdits « marchés émergents » semblent bien résister à la crise et même jouer le rôle de « moteur » de la croissance mondiale. On parle ici plus précisément des pays que l’on a regroupés sous le sigle artificiellement égalisateur des BRICs (Brésil, Russie, Inde et Chine -certains y ajoutent l’Afrique du Sud). En Amérique latine où, du fait de sa subordination à l’impérialisme des Etats-Unis, une petite « secousse économique » dans ce pays a toujours provoqué un séisme dévastateur au Sud de ses frontières, c’est le Brésil qui est mis en avant comme une « puissance émergente ».

Si l’on ajoute à cela une croissance économique soutenue à plus de 10% pour la plupart de ces pays « émergents » depuis au moins 2003, les conditions étaient données pour que l’on ait commencé à parler d’un certain « décrochage » de la part des « émergents » vis-à -vis des puissances centrales. Pour les plus « optimistes », on parlait (on parle ?) même d’un « basculement du monde ».

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Mais, les pays « émergents », notamment les BRICs, pourront-ils vraiment échapper à cette crise économique historique ? Ont-ils trouvé un nouveau « modèle » d’accumulation relativement indépendant des économies centrales et/ou du marché mondial ? Ou au contraire il ne s’agit que des phases ou de temps différents dans une dynamique globale de crise ? Enfin, se dirige-t-on vers un « nouvel ordre mondial » dominé par de nouvelles puissances ou, au moins, vers une situation où le pouvoir des puissances impérialistes « traditionnelles » sera partagé avec les « émergents » ?

Ralentissement des « économiesémergentes », début de la démystification des BRICs ?

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Le fait que des pays semi-coloniaux aient connu un développement économique relativement important lors de la dernière décennie est indéniable. D’ailleurs, au cours des cinq premières années de crise nous avons même été « habitués » à évoquer plutôt des pays impérialistes, certes périphériques, comme la Grèce, l’Etat Espagnol ou le Portugal pour parler de chômage, de dette, de fermetures d’entreprises, etc. Or, depuis fin 2011 on note un ralentissement de la croissance chez les « émergents », et cela même chez le plus important parmi eux, la Chine. C’est en quelque sorte une conséquence prévisible étant donnée l’interconnexion des différentes économies nationales au marché mondial. Surtout si l’on considère que ces pays émergents sont dans leur écrasante majorité des économies basées sur un « modèle exportateur ».

En effet, « la croissance quasi nulle (voire négative) en Europe et le ralentissement significatif de la croissance aux USA ont entraîné une chute de la demande, ce qui affecte les exportations des pays émergents. L’Europe est la destination principale des exportations de nombre de pays émergents, elle constitue aussi le premier marché extérieur de la Chine. Et cette dernière est un marché de toute première importance pour les produits finis, les biens intermédiaires (dont ceux utilisés pour produire des produits finis destinés à l’exportation) et les matières premières. L’onde de choc du ralentissement économique européen s’est donc propagée rapidement au reste de l’Asie et au-delà  » [1]. Ainsi, alors que jusqu’à présent la croissance chinoise se maintenait au-dessus de la barre de 10%, pour 2012 la croissance chinoise a été de 7,8% ; la Russie est passée de 7% en 2011 à 3,5% en 2012 selon les autorités, l’Inde devrait passer de 9% à 6% et le Brésil qui connaissait une croissance en moyenne de 4,5% depuis 2008 passera selon la Banque Centrale de ce pays à 1,6%.

On pourrait dire que cette situation de décalage dans les temps de la crise n’a rien de nouveau. Lors de la crise des années 1970 effectivement, les pays d’Amérique latine n’ont été vraiment touchés par la crise que lors du default de la dette mexicaine en 1982, c’est-à -dire presque dix ans après que la crise ait éclaté dans les pays centraux. Aussi, le fait de voir le rythme de la croissance se maintenir à un haut niveau pendant plus d’une décennie est assez rare. Cependant, « des circonstances inhabituelles pendant la décennie précédente ont fait que cela paraisse facile : sortant de la crise des années 1990 et stimulés par un flot mondial d’argent facile, les marchés émergents ont été emportés par un élan ascendant qui a fait pratiquement que tous sortent gagnants. (…) Mais maintenant, il y a beaucoup moins d’investissements étrangers dans les marchés émergents. L’économie mondiale est en train de revenir à son état normal avec beaucoup de retardataires et juste quelques gagnants » [2].

Effectivement, au cours de cette dernière décennie on a pu aussi avoir l’illusion d’une « convergence » entre certains « émergentes » et les pays impérialistes. Comme signale l’économiste de Harvard Dani Rodrik, l’écart du revenu per capita entre les émergents et les pays industrialisés s’est maintenu inchangé, sauf rares exceptions, entre 1950 et 2000, ce n’est qu’au cours de la première décennie des années 2000 que cet écart s’est rétréci. Or, à partir de 2011 on est revenu aux niveaux de 1950. En effet, « il ne s’agit pas de faire une lecture négative des marchés émergents, c’est simplement une réalité historique. Depuis 1950, en moyenne, seulement un tiers des marchés émergents ont réussi à avoir une croissance annuelle de 5% ou plus pendant une décennie. Moins d’un quart ont maintenu ce rythme pendant deux décennies, et un dixième, pendant trois décennies. Seule la Malaisie, le Singapour, la Corée du Sud, le Taïwan, la Thaïlande et le Hong Kong ont maintenu ce taux de croissance pendant quatre décennies [jusqu’à ce qu’ils soient durement touchés par la crise asiatique de 1997-98] » [3].

En définitive, ce que montrent ces chiffres divers c’est que l’on se trouve très loin de voir des pays semi-coloniaux « spéciaux » ou dépendants substituer les puissances impérialistes traditionnelles dans le rôle de « direction mondiale » sur le plan économique, ainsi que sur le plan géopolitique. En outre, même si ici on ne peut pas développer, un tel changement aurait des implications politiques et militaires fondamentales, qui ne peuvent pas être négligées ou reléguées à un second plan, sous l’ombre des statistiques économiques [4].

Mais même sur la possibilité de ces pays de rester à la marge de la crise économique mondiale, on voit apparaitre de plus en plus d’analystes bourgeois qui expriment leurs doutes. En effet, ces marchés dits émergents restent structurellement très dépendants du marché mondial, notamment de la demande dans les pays industrialisés. En ce sens, la crise est en train de révéler les faiblesses structurelles des pays semi-coloniaux et dépendants. Passer en revue les difficultés qui commencent à être pointées dans deux des pays les plus importants des BRICs, comme le Brésil et la Chine, peut nous aider à mieux illustrer notre propos.

La Chine entre baisse de la demande internationale, suraccumulation et bulle immobilière interne

Au premier trimestre 2010 l’économie chinoise avait connu un pic de croissance de 12,8% après les secousses de 2008-2009, mais depuis elle a vu ce chiffre baisser pour se situer aujourd’hui à 7,8%. Ce ralentissement est une conséquence directe de la baisse de la demande au niveau international. On pourrait évidemment dire qu’en fin de compte une croissance de presque 8% reste assez élevée, surtout si l’on la compare à celle des pays de l’UE. Cependant, ce que la crise est en train de révéler ce sont les limites du « modèle d’accumulation » chinois basé sur les exportations, un fort taux d’épargne (51% du PIB en 2007, celui du Brésil par exemple est de près de 15% dont 90% du total représente l’épargne des entreprises) et une très faible demande interne. Mais en même temps ce taux de croissance relativement élevé cache un autre problème fondamental du « modèle » chinois : la crise de suraccumulation de capitaux et de surcapacités de production, qui sont à leur tour aggravées par les mesures prises par la bureaucratie du PC chinois pour faire face au ralentissement de la demande mondiale.

En effet, un « problème crucial assombrit l’avenir, celui du financement du commerce international. Les banques européennes, qui ont longtemps joué un rôle majeur en la matière, ont largement retiré leurs billes du jeu du fait d’un manque de fonds propres (dû à des pertes de capitaux liées aux dettes souveraines et dans certains cas au crédit immobilier). Ce vide en lui-même pourrait entraîner une réduction des échanges commerciaux, même si la demande est là . En Asie notamment, on cherche de toute urgence à combler le vide par des mécanismes de financement alternatifs. (…) [En Chine] un programme accéléré d’investissement public pourrait être envisagé en faveur de projets à haut rendement. Mais la meilleure politique, celle qui sera probablement choisie, consiste à donner un coup de fouet à la consommation intérieure en augmentant le revenu des ménages, à utiliser efficacement les revenus tirés des actifs de l’Etat et à renforcer le système de protection sociale pour réduire l’épargne de précaution » [5].

Cependant, cette politique de stimulation de la part de l’Etat et celle de relèvement des revenus des foyers pour augmenter la consommation interne rencontrent des contradictions importantes. En effet, bien que « des secteurs de la bureaucratie restaurationniste de Pékin, et également de l’intérieur du pays, poussent à une transition et à une réorientation en direction du marché intérieur (…) leurs intentions se heurtent aux intérêts des autorités de la côte qui seraient les grands perdants d’un tel processus. Ainsi, la divergence entre soutien au modèle exportateur et tournant vers la consommation interne continue de subsister. Si ce conflit au sommet de l’Etat se poursuit et si la brèche entre la capacité de production et la consommation domestique n’est pas résorbée à temps, le développement d’une crise de suraccumulation ouverte est très probable » [6].

Egalement, bien que la hausse des revenus puisse avoir un effet sur la consommation à court terme, cela pourrait entrainer une augmentation du coût de la main d’oeuvre. A moyen terme, la conséquence pourrait être une réduction de l’investissement étranger dont la Chine dépend énormément, et par conséquent un facteur supplémentaire de ralentissement de la croissance chinoise, voire de délocalisation de certaines entreprises vers des pays comme le Vietnam ou le Cambodge où la main d’oeuvre est moins chère. Et cette perte de dynamisme de l’économie pourrait avoir des conséquences sur les rentrées fiscales du pays, ce qui mettrait à mal, à son tour, les plans de relance de la consommation par l’intervention de l’Etat. Puis, « la situation risque aussi de s’aggraver, si jamais la Chine, pour alléger les pressions budgétaires, se voit forcée de puiser dans ses économies amassées sur deux générations et parquées en bons du Trésor américain. Elle s’apercevra alors que la valeur de ses réserves en monnaies étrangères s’est déjà volatilisée » [7].

Cette situation d’aggravation de la pression fiscale sur l’Etat chinois pourrait s’accélérer en outre si la bulle immobilière, qui se développe depuis des années dans le pays, venait éclater. En effet, après une réforme fiscale dans les années 1990 le gouvernement central s’arrogeait le droit de prélever certaines taxes qui jusqu’à présent revenaient aux pouvoirs locaux. Cela a réduit de manière significative les budgets locaux poussant les autorités à trouver d’autres sources de financement. C’est alors dans le secteur de l’immobilier, de la construction d’infrastructures et les taxes liées à cette activité qu’elles trouveront les sources de financement supplémentaires. Ce sont les populations des zones rurales proches des centres urbains les plus affectées par ces politiques. En fait, « d’après la législation chinoise, la propriété collective de la terre doit devenir propriété de l’Etat avant d’être vendue à des investisseurs privés. Les gouvernements locaux étaient ainsi habilités à exproprier la terre des paysans et ensuite la louer à des agents commerciaux privés comme les propriétaires d’usines ou des compagnies immobilières. D’après un sondage réalisé en 2011 (…) les gouvernements locaux ont gagné en moyenne 740.000 dollars par acre. C’est-à -dire 40 fois le montant qu’ils ont payé en moyenne pour déplacer les paysans » [8].

Mais ce processus de construction immobilière et d’infrastructures a permis aussi d’absorber une partie considérable des surplus de capitaux en Chine, mais aussi dans d’autres parties de la planète. En effet, « l’urbanisation de la Chine au cours des vingt dernières années a été de nature très différente (très fortement focalisée sur la construction d’infrastructures), mais bien plus importante que celles des Etats-Unis. Son rythme s’est énormément accéléré après la courte récession de 1997, à tel point que, depuis 2000, la Chine absorbe près de la moitié de la production mondiale de ciment. (…) De gigantesques programmes de construction d’infrastructures, comme des projets de barrages et d’autoroutes -là encore financés par la dette- sont en train de transformer le paysage de fond en comble. Tout cela a eu de conséquences importantes sur l’économie mondiale et l’absorption de surplus de capital : le Chili est en plein boom du fait de la demande en cuivre, l’Australie prospère, et même le Brésil et l’Argentine commencent à se refaire une santé économique, en partie grâce à la forte demande chinoise en matières premières » [9]. Cependant, cette politique atteint des limites importantes car il y a une surproduction d’infrastructures sous-utilisées tout au long du pays. Cette situation vient s’ajouter en outre aux problèmes de surcapacité de production qui se fait sentir d’avantage dans le cadre d’une crise capitaliste profonde, de rétrécissement du marché mondial et d’une insuffisance chronique de la demande interne chinoise.

Une autre raison évoquée pour expliquer le développement de la bulle immobilière à travers l’action des pouvoirs locaux c’est que les projets d’infrastructure sont perçus comme symboles d’une « gestion réussite » par certains dirigeants locaux. Ces « symboles » justement leur servent de tremplin pour monter les échelons de l’appareil du PCCh. C’est pour cela que pour ouvrir de nouvelles possibilités d’investissement, les gouvernements locaux vont jusqu’à construire nouvelles infrastructures (routes, électricité, etc.), ce qu’ils financent à travers l’endettement. Les chiffres officiels estiment aujourd’hui la dette des gouvernements locaux à entre 803 milliards et 3.000 milliards de dollars (entre 13% et 36% du PIB). C’est dans une large mesure à travers les revenus tirés du secteur immobilier qu’ils remboursent les emprunts. En ce sens, si les prix immobiliers venaient à chuter, les gouvernements locaux ne pourraient pas rembourser leurs dettes, ce qui provoquerait des possibles faillites de banques. Une telle situation obligerait évidemment le gouvernement d’agir. Et c’est là encore qu’il pourrait être obligé d’avoir recours aux réserves investies dans les bons du Trésor Nord-américain, provoquant peut-être une dévaluation supplémentaire de ceux-ci. Dans un tel cas, on serait évidemment dans une toute autre phase de la crise mondiale.

Il faut ajouter à un tel scénario un risque très élevé, voire certain, de révoltes sociales car la faillite de certaines banques très exposées aux emprunts des gouvernements locaux pourrait mettre en danger l’épargne de la population. Cependant, « même avant son éclatement, la bulle immobilière en Chine est déjà en train de provoquer des dégâts sociaux. (…) Près de 300.000 paysans sont déplacés de leurs villages chaque année pour faire de la place pour construire des aéroports, autoroutes et immeubles. Depuis 1980, plus de 60 millions de paysans, presque la population du Royaume-Uni, ont été déplacés. (…) Les gouvernements [locaux] régulièrement les forcent à partir en coupant certains services tels que l’électricité de leurs maisons » [10]. Des fois ces expulsions se font sans même pas offrir de compensation, et quand c’est le cas celle-ci n’est pas satisfaisante pour les paysans. En outre, cette situation a des conséquences pour les travailleurs dans les centres urbains car « pour les paysans chinois, les terres agricoles sont à la fois un moyen de subsistance et une sorte de sécurité sociale. Dans les mauvais temps, quand le travail temporaire ou dans les usines se réduit dans les villes, les travailleurs migrants peuvent retourner dans les villages » [11]. Ce n’est pas un hasard si les déplacements, les expropriations et les démolitions sont devenus les principales causes de luttes sociales en Chine.

Cependant, sur le plan de la lutte de classes, les vrais tests pour la bureaucratie du PCCh sont à venir. En effet, si la contradiction entre les capacités de production chinoise, d’une part, et l’affaiblissement de la demande mondiale, combinée à la très basse demande interne, d’autre part, n’est pas résolue, des usines devront inévitablement fermer. Alors, on peut s’attendre à ce que la classe ouvrière entre en scène avec toutes ses forces pour lutter contre la dégradation de leurs déjà précaires conditions de vie. Une classe ouvrière potentiellement très puissante, qui a su déjà faire peur à la bureaucratie luttant pour des améliorations des conditions de travail ou pour des hausses de salaire [12].

Alors, si la crise est déjà en train de mettre en avant de façon de plus en plus évidente des contradictions profondes du « modèle » chinois, mettant en perspective de graves conséquences sur le plan économique, politique mais aussi de la lutte de classes, il est évident que d’autres pays soumis à la domination de l’impérialisme mais jouissant d’une marge d’indépendance moins importante que la Chine, se trouvent dans une position bien moins confortable. C’est notamment le cas du Brésil, dont une partie importante de sa croissance ces dernière années était liée à ses exportations de matières premières vers la Chine.

La crise révèle un Brésil largement sous-développé malgré les « progrès »

« Au cours des dix dernières années, les marchés mondiaux ont développé un insatiable désir d’investir dans les pays émergents, en particulier ceux dont fournissaient la Chine en énergie et en matières premières (ces produits représentent désormais environ 30 pour cent des capitaux sur les marchés boursiers internationaux). Selon la logique de cette tendance, tant que la Chine poursuive son essor, en demandant toujours plus de pétrole, de cuivre, de minerai de fer et d’autres matières premières, des pays tels que le Brésil, premier exportateur de ces produits, pourraient prospérer. En tant que démocratie stable, le Brésil semblait être un investissement sûr, et la découverte de puits de pétrole dans la côte du pays a encore renforcé cette image » [13].

« Tant que la Chine poursuive son essor »… Or, tout indique que sous la dépression de la demande en Europe, au Japon et aux Etats-Unis, cet « essor » est de plus en plus difficile à « poursuivre ». Et les pays tels que le Brésil sont et seront les premiers à le sentir. En effet, lors du moment le plus fort de la crise en 2008/2009 le Brésil avait déjà ressenti les effets de celle-ci avec une chute du PIB industriel et une forte dévaluation de la monnaie nationale, le real. Cependant, rapidement le Brésil a pu retrouver la croissance, ce que les apologistes du gouvernement Lula et du discours « Brésil puissance » ont attribué a la force de son marché intérieur. Or, « au contraire de ce que dit la propagande du gouvernement, les principaux facteurs qui ont permis que le Brésil se relève relativement rapidement n’ont pas seulement été les mesures anticycliques prises par le gouvernement et le marché intérieur. Ces mesures (…) ainsi que la consommation populaires ont joué un rôle important pour minimiser les impacts de la crise. Cependant, sans les milliards de dollars injectés dans le système financier international par les Etats impérialistes pour sauver l’économie d’une faillite généralisée et sans le gigantesque paquet d’investissements lancé par le gouvernement chinois qui a alimenté la demande, les mesures de Lula et le marché intérieur n’auraient pas été efficaces. Avec les économies des pays centraux stagnées ou en récession, l’excès de liquidité internationale généré par le sauvetage des banques a donné lieu à un flux encore plus grand de capitaux étrangers vers les pays périphériques comme le Brésil (…) ce qui a alimenté une bulle spéculative d’investissements dans les matières premières sur le marché mondial et a boosté les exportations brésiliennes » [14].

La diminution des exportations de matières premières vers la Chine et autres pays, dont le Brésil s’est révélé très dépendant, ainsi que la réduction du flot de capitaux étrangers obligent ce pays à trouver des solutions pour résoudre ses problèmes de « compétitivité » sur le marché mondial. En effet, « même dans la dernière décennie, quand la croissance du Brésil se situait en dessus de 4% et que Lula saluait l’arrivé du « moment magique » de son Pays, le Brésil progressait encore deux fois moins vite que la Chine, l’Inde et la Russie » [15]. Un premier élément qui explique cette situation c’est son très élevé taux d’intérêt (autour de 10%) pour contrôler l’inflation (une obsession pour les dirigeants brésiliens depuis les années 1990) et attirer des capitaux internationaux [16]. Le résultat de cette politique a été la survalorisation du Real brésilien, le transformant en une des monnaies les plus chères au monde. Cela rend les exportations brésiliennes plus chères sur le marché mondial [17]. Ainsi, même si le Brésil est un grand exportateur de matières premières, c’est le pays qui exporte de moins des BRICs. Parallèlement son secteur manufacturier a ressenti le coup : celui-ci est passé de 16% du PIB en 2004 à 13,5% en 2010.

Une autre raison qui explique le manque de compétitivité des exportations brésiliennes c’est le faible taux d’investissement. Alors qu’en Chine le taux d’investissement est de près de 50% du PIB, celui du Brésil est de 19% de son PIB. Pire encore, son taux d’investissements en infrastructures est de 2% du PIB, alors que la moyenne dans les pays dits « émergents » est de 5% et de 10% en Chine. Pour un pays qui est présenté comme une future « puissance mondiale », ces performances sont très médiocres. En effet, « cet échec à investir est une des principales raisons pour que l’économie brésilienne soit aussi léthargique et coûteuse. Le fait de ne pas construire des routes et des ports a rendu les plus simples opérations, comme se déplacer à travers le pays, un cauchemar. Les transporteurs de sucre depuis les plantations vers Santos, le port le plus important du pays, doivent régulièrement attendre deux ou trois jours aux portes du port à cause de manque d’entrepôts ou de déchargeuses automatiques. Un ancien exécutif d’une des principales multinationales du secteur agricole m’a dit que les camions transportant les graines depuis la campagne vers Santos perdraient la moitié de leur cargaison à cause du mauvais état des routes… » [18].

Pour renverser cette situation certains analystes bourgeois conseillent au Brésil de couper dans ses dépenses sociales, qui seraient trop couteuses, et/ou de s’endetter pour financer les travaux d’infrastructure nécessaires pour améliorer la compétitivité du pays : « pour éviter de reculer, Brasà­lia a besoin de prendre des risques et d’ouvrir l’économie. Il peut commencer à le faire en dépensant moins pour son Etat-providence, en le rationalisant, en simplifiant le code fiscal, élargissant l’assiette fiscale et en modernisant son régime de retraites et son système de sécurité sociale inefficaces. Ensuite il pourra rediriger ces dépenses pour l’éducation, la recherche et le développement, et les projets d’infrastructure » [19].

Sur ce point il faut faire une première remarque : malgré un élargissement des programmes sociaux, notamment pendant les gouvernements Lula, ceux-ci ne représentent nullement un « poids trop lourd » pour les finances brésiliennes. En 2010 par exemple, seulement 2,74% du budget fédéral a été consacré aux programmes sociaux, 3,9% à la santé, 2,8% à l’éducation et 0,16% à la « réforme agraire » alors que la même année 44,9% du budget étaient consacrés au payement de la dette ! Ensuite, un tel tournant a des implications politiques importantes. En effet, l’un des « atouts » du Brésil pour attirer les investisseurs impérialistes a étéla relative « stabilité politique », c’est-à -dire la cooptation du mouvement syndical et des larges couches populaires à travers ces concessions sociales faites par le gouvernement. Et ces minces concessions de la part du gouvernement PT n’ont été perçues par les masses comme une « avancée » en matière de protection sociale que parce que pendant es années 1990 il y a eu une forte dégradation de leurs conditions de vie et de travail. Autrement dit, on conseille au PT et au gouvernement de Dilma Russeff un important changement de méthode [20].

Evidemment, ces conseils des « amis du Brésil » sont lourdement chargés du cynisme typique des analystes bourgeois. En effet, qu’est-ce que cela veut dire « réduire le poids de l’Etat-providence brésilien » si ce n’est la généralisation de la précarité qui touche déjà larges secteurs des masses laborieuses. Plus encore, face aux limites de la compétitivité de l’économie brésilienne que l’on a mentionné plus en haut et à l’impossibilité des gouvernements d’attaquer trop frontalement les acquis du mouvement ouvrier organisé du pays, l’extension de la précarité dans les centres urbains, mais aussi dans les campagnes, a été un élément central du capitalisme brésilien ces dernières années. Ainsi, selon des chiffres officiels, des 94,7 millions de personnes ayant un emploi au Brésil 56,5% n’ont pas de contrat de travail formel et par conséquent n’ont pas accès aux droits sociaux les plus élémentaires.

Pas d’avenir pour les travailleurs et les masses des pays dominés sans rupture avec l’impérialisme !

La crise capitaliste mondiale la plus grave depuis celle des années 1930, malgré ses spécificités liées au développement particulier de l’économie mondiale depuis au moins quarante ans, met en évidence peu à peu les contradictions structurelles des « modèles d’accumulation » des semi-colonies et des pays dépendants comme les BRICs. Loin d’avoir développé un « marché national » capable de compenser le ralentissement de la demande globale, les pays de la périphérie capitaliste, tournés clairement vers les exportations notamment vers les marchés impérialistes, restent très dépendants.

D’un point de vue des exploités et opprimés des pays dominés, même si certains gouvernements peuvent profiter des brèches ouvertes par la crise mondiale pour mieux se positionner pour négocier avec les différents pays impérialistes, il est clair qu’ils ne peuvent rien attendre des bourgeoisies nationales et de leurs gouvernements. Ils sont incapables de répondre aux demandes essentielles et structurelles des masses populaires, comme les gouvernements du PT au Brésil, avec leur continuité de la misère et la précarité dans les villes et à la campagne, le montrent clairement. D’ailleurs, dans le contexte actuel de crise et des premiers signes de « ralentissement économique » dans les pays dominés par l’impérialisme, les gouvernements s’apprêtent à appliquer des dures attaques contre les travailleurs et les masses populaires. En outre, il est évident qu’ils chercheront à renforcer la domination des multinationales impérialistes, assoiffées de nouveaux marchés, sur des secteurs entiers de ces économies. Au lieu de se diriger vers un monde où les « émergents » auront plus de poids, comme certains affirment, au contraire on assistera à une forte pression pour renforcer le rôle subordonné de ceux-ci aux différentes puissances impérialistes, qui se livrent une lutte acharnée entre elles.

Il devient donc très clair que pour les travailleurs et les masses des pays dominés il n’y a pas de raccourcis possibles pour satisfaire leurs revendications les plus profondes et structurelles que de rompre avec l’impérialisme. Il fat refuser de payer la dette, exproprier les groupes industriels monopolistiques sans rachat ni indemnité et sous contrôle des travailleurs ainsi que les géants de l’agroalimentaire qui exproprient les paysans les expulsant de leurs terres et en les obligeant à s’entasser dans des bidonvilles dans les zones périphériques des centres urbains. Mais pour cela les travailleurs et les couches populaires ne peuvent compter que sur leurs propres forces et leur propre pouvoir car aussi bien les différentes factions des bourgeoisies nationales que leurs gouvernements sont intimement liés/dépendants de l’impérialisme.

Philipe Alcoy

Source : http://fabricadehombreslibres.blogspot.fr/2013/03/les-brics-et-la-crise-la-fin-du-cycle.html

12/2/2013.

[1Michael Spence, « Résilience des pays émergents », Project Syndicate, 12/10/2012.

[2Ruchir Sharma, « Why the Rest Stopped Rising », Foreign Affairs, 23/10/2012.

[3Idem.

[4Voir : J. Chingo, « Basculement du monde » ou énième « basculement théorico-stratégique » ? (http://www.ccr4.org/Basculement-du-monde-ou-enieme).

[5Michael Spence, « Résilience des pays… », article déjà cité.

[6Juan Chingo, « Basculement du monde… », article déjà cité.

[7Yu Yongding, « La prochaine crise de croissance de la Chine », Project Syndicate, 29/11/2012.

[8Lynette H. Ong, "Indebted Dragon" , Foreign Affairs, 27/11/2012.

[9David Harvey, « Le droit à la ville » in Géographie et capital, 2010, p. 169.

[10Idem.

[11Idem.

[12Voir à ce sujet : Yann Le Bras, « La crise mondiale provoque une seconde vague de grèves ouvrières » (http://www.ccr4.org/La-crise-mondiale-provoque-une).

[13Ruchir Sharma, « Bearish on Brazil », Foreing Affairs, Mai-Juin 2012, p. 81.

[14Daniel Matos, « Brasil : Entre o gradualismo reformista e as contradições estruturais do paà­s », Estratégia Internacional Brasil n° 5, juin 2011, p. 111-150 (consultable sur : http://www.ler-qi.org/spip.php?article3292).

[15Idem.

[16Les capitaux boursiers sont passés de 35% du PIB en 2000 à 74% en 2010.

[17Au niveau de la compétitivité au niveau international le Brésil se situe à la 53e place, derrière Malte et le Sri Lanka !

[18Ruchir Sharma, « Bearish on Brazil », op. cit.

[19Idem.

[20En réalité ce virage à droite de la politique du PT vis-à -vis du mouvement syndical et de masses commence à s’effectuer comme on a pu le voir il y a quelques mois lors de la grève de fonctionnaires (voir : Clarissa Menezes, « La plus grande grève au Brésil depuis près de dix ans » sur http://www.ccr4.org/Nouvel-article,301).


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L’Etat voyou
William BLUM
Quatrième de couverture « Si j’étais président, j’arrêterais en quelques jours les attaques terroristes contre les États-Unis. Définitivement. D’abord, je présenterais mes excuses à toutes les veuves, aux orphelins, aux personnes torturées, à celles tombées dans la misère, aux millions d’autres victimes de l’impérialisme américain. Ensuite, j’annoncerais aux quatre coins du monde que les interventions américaines dans le monde sont définitivement terminées, et j’informerais Israël (…)
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Si j’étais le président, je pourrais arrêter le terrorisme contre les Etats-Unis en quelques jours. Définitivement. D’abord je demanderais pardon - très publiquement et très sincèrement - à tous les veuves et orphelins, les victimes de tortures et les pauvres, et les millions et millions d’autres victimes de l’Impérialisme Américain. Puis j’annoncerais la fin des interventions des Etats-Unis à travers le monde et j’informerais Israël qu’il n’est plus le 51ème Etat de l’Union mais - bizarrement - un pays étranger. Je réduirais alors le budget militaire d’au moins 90% et consacrerais les économies réalisées à indemniser nos victimes et à réparer les dégâts provoqués par nos bombardements. Il y aurait suffisamment d’argent. Savez-vous à combien s’élève le budget militaire pour une année ? Une seule année. A plus de 20.000 dollars par heure depuis la naissance de Jésus Christ.

Voilà ce que je ferais au cours de mes trois premiers jours à la Maison Blanche.

Le quatrième jour, je serais assassiné.

William Blum

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