L’Union européenne a échoué.
Son instabilité économique et politique est devenue évidente. On ne veut pas en voir les raisons ou on les nie. L’Union n’a jamais eu l’occasion d’atteindre ses objectifs ronflants, contenus dans le Processus de Lisbonne de l’année 2000, notamment de faire de l’UE « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». Ce n’est pas la monnaie unique, l’euro, qui a mis fin à la stabilité, c’était avant déjà le marché intérieur qui a représenté l’erreur fondamentale de l’intégration européenne. L’union monétaire avec sa monnaie unique était une réaction à la position critique qu’avait déjà provoqué le marché intérieur, mais elle n’a - comme on pouvait s’y attendre quand on veut absolument défendre des développements erronés - qu’accéléré la chute.
La dérégulation ôte aux peuples la protection de leurs économies nationales
Le marché intérieur correspond à la réalité des libertés fondamentales et économiques, c’est-à -dire la liberté des transports, d’établissement, de la prestation de services ainsi que la libre circulation des capitaux et des travailleurs. On les a imposé sans pitié et l’on a ainsi déréglé les marchés de l’Union.
Le marché intérieur suit la doctrine du libre-échange qui défini également la mondialisation. Le dérèglement néolibéral ôte aux peuples la protection de leurs économies nationales. La théorie du libre-échange de David Ricardo utilise pour les conditions spécifiques le terme d’avantages comparatifs, c’est-à -dire l’utilisation des ressources des peuples concernés, et n’a d’ailleurs pas pris en considération le libre-échange illimité et effréné. Sans avantages comparatifs définis, qui sont aussi possibles sur les marchés partiels, les avantages des uns ne sont rien d’autre que les désavantages des autres, c’est-à -dire des avantages absolus, comme par exemple des salaires bas dans un pays qui mènent au chômage dans un autre pays, notamment quant la production est transférée dans le pays à bas salaires. Le chômage dans le pays à salaire élevé renchérit sa consommation, bien que l’acquisition des marchandises importées revient moins chères. Du point de vue économique, il faut ajouter aux frais d’achat directs les coûts du financement des chômeurs. Les coûts pour les chômeurs ne sont pas moindres que les coûts pour les salariés - vu les frais de salaires bas suite à l’administration du chômage et le taux de maladies régulièrement plus élevé auprès des chômeurs - mais ils sont plutôt plus élevés. Les frais globaux de la consommation sont ainsi plus élevés. En outre, il faut y ajouter les coûts humains et politiques du chômage, mais aussi la déqualification des chômeurs. En principe, il faudrait réunir tous les coûts de la communauté, également les frais de l’Etat, notamment des guerres, des banques, des assurances, de la prévoyance vieillesse etc., afin de pouvoir calculer les frais à l’unité réels de chaque produit élaboré. Cela s’affiche clairement dans les charges fiscales et les cotisations que les entreprises et les salariés - mais aussi les consommateurs du marché intérieur (taxe à la valeur ajoutée, taxe à la consommation etc.) - ont à supporter. Les pays exportateurs de produits à bas prix n’ont pas que des avantages, mais outre l’avilissement de leurs populations suite au travail sous-payé, aussi des désavantages parce qu’ils délaissent le développement de leur marché intérieur et négligent le développement durable de leurs infrastructures. La Chine est justement en train de lutter contre ce développement erroné.
La monnaie unique prive les économies nationales de la possibilité de dévaluer
La théorie du libre-échange a des répercussions spécifiques au sein de l’Union européenne, car les conditions diffèrent de celles des pays qui pratiquent la sous-enchère salariale. Pour des raisons socio-politiques, qui ont un fort impact sur les élections, les salaires se sont rapprochés, déjà avant l’unité monétaire, de ceux des économies développées - malgré des performances médiocres -, à l’aide d’une politique salariale alimentée de manière inflationniste par les banques centrales, mais suite à l’unité monétaire avant tout à cause des crédits subventionnés par les taux d’intérêts des pays de la zone euro qui voulaient maintenir la stabilité. La monnaie unique a enlevé un avantage concurrentiel décisif aux économies nationales à faible taux d’exportation - à savoir la possibilité de dévaluer - ce qui a des effets similaires ou même pires, pour les capacités exportatrices d’un pays, que la réduction des salaires. C’est le marché qui exige la dévaluation pendant que la politique salariale est en main des partenaires tarifaires, et dépend ainsi en grande partie des syndicats ou - si la Constitution respective le permet - en main de l’Etat, à qui les baisses de salaires ordonnées par voie légale causent de grandes difficultés. Même des interventions indirectes dans la structure des salaires provoquent souvent un changement du pouvoir au sein de l’Etat, aussi longtemps qu’il est (véritablement) un État multipartite, à l’instar de l’Agenda 2010 de Schröder. Les monnaies ouvertes au marché développent impitoyablement leurs effets dans le domaine de la politique des coûts, même si ce n’est pas pour toutes les personnes concernées manière similaire ou même équitable. Elles démontrent l’unité entre l’économie et l’Etat et ainsi aussi l’unité fatidique du peuple. Cela est fondamental pour la réalisation démocratique.
La concurrence sans protection ne profite toujours qu’aux forts
Suite à l’impossibilité de dévaluer dans le cadre de la monnaie unique, les économies faibles en exportation ont perdu leur compétitivité, non seulement sur le marché intérieur européen - qui, il est vrai, n’est pas un réel marché intérieur suite aux différentes politiques sociales des pays membres - mais aussi sur le marché mondial.
Les économies les plus fortes du marché intérieur produisent à des coûts plus avantageux, et peuvent ainsi approvisionner sans problèmes les économies plus faibles qui ne sont pourtant, du point de vue des coûts, pas beaucoup plus avantageux. Ce même mécanisme fonctionne également au niveau mondial. Les pays à bas salaires fournissent les biens de consommation à des prix avantageux, privant en même temps les pays membres de l’UE, ayant une position faible sur le marché mondial, de leurs postes de travail avec les effets de renchérissement mentionnés ci-dessus. Il s’y ajoute encore un grand nombre d’autres facteurs, par exemple la corruption, engendrant notamment des importations d’armes. Les marchés organisés de manière similaire, tels le marché intérieur et le marché mondial, ruinent les économies moins solides qui se sont exposées sans protection aux conditions du marché, notamment quand la protection générale la plus importante, la dévaluation de la monnaie nationale, a été abandonnée.
Même aussi sans l’union monétaire, les lois du marché déploient - dans un système de libre-échange biaisé, réglementé par des contrats et des lois - avec le temps des effets dévastateurs, notamment quand les économies dépendent des importations et avant tout du pétrole. C’est précisément à cause de cela qu’ils ne peuvent pas se permettre une dévaluation massive. Ils doivent pouvoir gagner les devises nécessaires pour financer les importations et doivent en même temps posséder une balance commerciale équilibrée pour avoir une monnaie capable de garantir ces importations.
En règle générale, de tels pays se caractérisent par des infrastructures peu développées et des populations insuffisamment productives. Aussi longtemps que leurs coûts de production, exprimés en frais par unité, sont plus élevés que ceux d’autres pays exportateurs, ils sont voués à l’échec, s’ils restent dans les structures d’un marché intérieur ou d’un marché mondial ouverts. Pour eux, la concurrence n’est pas viable, tout au contraire, elle les enferme dans un cercle vicieux. La concurrence sans protection, le système du libre-échange biaisé, ne profite toujours qu’aux forts et nuit aux faibles - dans un tel système de marché ce sont les pays individuels et économiquement non-concurrentiels - qui forment une unité politique, donc aussi économique et sociale.
Selon les idées de Friedrich List, il faut conclure des accords bilatéraux ou multilatéraux
Les économies nationales fortes se renforcent dans un marché intérieur, les faibles s’affaiblissent. C’est une loi de la concurrence non protégée ou insuffisamment protégée. Une concurrence où tous les participants n’ont pas les mêmes chances n’est pas équitable, ne correspond pas au droit, c’est la guerre économique. Voilà ce qu’est la concurrence entre les forts et les faibles. L’équité des chances est la condition préalable à toute concurrence vivable et juste. En dépit de toutes ses faiblesses (outre quelques autres économies plus petites), l’économie allemande est plus forte, avant tout dans le domaine des exportations, que la plupart des économies au sein de l’Union européenne, notamment que celles de la périphérie méridionale. Cela se manifeste par les frais à l’unité mais également par le degré d’industrialisation et d’autres éléments tels le système d’enseignement (toujours encore meilleur) ainsi que par le caractère laborieux et le sens de l’économie d’une grande partie de la population.
Déjà avant les accords concernant l’union monétaire, les frais à unité en Allemagne s’élevaient à environ 80% de ceux de la France, pays qui a augmenté ses coûts salariaux de façon démesurée et, suivant une théorie erronée mais longtemps à la mode, croyait que l’avenir résiderait dans le secteur des services, ce qui l’a amené à désindustrialiser plus massivement que l’Allemagne. En Allemagne, la part de l’industrie au PIB atteint actuellement environ le double de celle de la France. Avant les accords sur l’union monétaire, le franc français baissait continuellement. L’évolution était semblable en Italie, mais ce pays souffrait davantage que la France et l’Allemagne de ses structures mafieuses. La lire italienne perdit énormément de sa valeur.
Étant donné que les capacités de l’industrie allemande n’étaient pas entièrement utilisées, les industries de la plupart des autres membres du marché intérieur européen n’avaient pas de possibilités à long terme de se maintenir à côté de l’industrie allemande, et moins encore après avoir élevé le niveau de vie de leurs populations à celui de l’Allemagne ou même encore plus haut.
L’unité monétaire a encore aggravé cette situation, en offrant à l’Allemagne un avantage concurrentiel considérable sur les marchés européens et mondiaux, à savoir une monnaie largement sous-valorisée, et suite à cela des prix cassés malhonnêtes (dumping), tandis que les autres partenaires du marché intérieur doivent (de manière échelonnée) tenter de survivre avec leurs monnaies surévaluées face à la concurrence européenne et mondiale, sans en être véritablement capable.
Suite à une réévaluation, les frais à l’unité de l’industrie allemande n’augmenteraient pas de manière à nuire au marché ou à la concurrence parce que le prix des importations, qui représentent la majeure partie des produits, serait réduit. En outre, un tel renforcement du pouvoir d’achat de la population allemande revitaliserait considérablement le marché intérieur allemand. Certaines structures de l’économie allemande se transformeraient, avant tout en faveur des petites et moyennes entreprises.
De nombreuses industries délocalisées retourneraient au pays, notamment au profit du marché du travail. Sans le vouloir, l’Allemagne profite du libre-échange biaisé et de la monnaie unique, avant tout sur le marché mondial, également au détriment des partenaires du marché intérieur européen.
Ceux qui critiquent l’idéologie du libre-échange ne prônent pas des marchés cloisonnés, mais revendiquent une politique étatique sensée et pratique, participant, selon les idées de Friedrich List, à des accords bilatéraux ou multilatéraux, qui respectent les propres intérêts de chaque pays.
Mais le fait qu’un pays d’exportation tel que l’Allemagne ait abandonné sa compétence de décider de sa politique commerciale est une violation intolérable de sa souveraineté.
Le sauvetage des banques internationales ruinera aussi l’Allemagne
Les dommages de l’Allemagne sont le pouvoir d’achat réduit contrairement à toute performance parce qu’il n’y a pas de revalorisation de la monnaie en Allemagne à cause de l’unité monétaire, les faibles intérêts des dépôts d’épargne à cause de la politique d’intérêt bas de la banque centrale, les pertes des rendements des assurances vie à cause de la fuite vers les emprunts d’Etat allemands peu productifs, la longue négligence des investissements, parce qu’on a investi dans des pays qui promettaient un rendement financier rapide et élevé (et beaucoup plus d’aspects supplémentaires) et finalement la garantie par l’Allemagne des crédits par lesquels ces pays ont financé leur essor éphémère qui a échoué en fin de compte. Le sauvetage des banques internationales, dissimulé comme sauvetage de l’euro, ruinera aussi l’Allemagne. L’élargissement de la masse monétaire par le financement d’Etat des banques centrales européennes détruit définitivement la stabilité économique.
La liberté de circulation du capital - un coup décisif contre la souveraineté des peuples
Il y a des profiteurs de la politique mondiale du libre-échange biaisé. Ce sont les entreprises multinationales qui réalisent - suite à la délocalisation de leurs sites de production - des marges maximales dans les pays d’importation, tant que les frais de transport sont si minimes qu’ils n’égalisent pas les économies salariales dans les pays à bas salaires, c’est-à -dire du travail des esclavages, sans parler des avantages de la production de masse (economy of scale). En outre, ce sont les banques, les assurances et les investisseurs institutionnels qui peuvent profiter des capitaux, puisés auprès des personnes privées, dont ils disposent, avec un rendement maximal - notamment en forçant les Etats de leur concéder des profits maximaux, par exemple en les menaçant de transférer leurs capitaux à l’étranger, de renoncer à l’imposition adéquate et à la réglementation de la circulation de capitaux, allant même jusqu’à socialiser leurs risques et pertes.
La libre circulation des capitaux était, et est toujours, le coup décisif contre la souveraineté des peuples. Finalement, c’est la classe politique qui a accaparé le droit au détriment de l’ancien État de droit. On ne peut plus s’attendre à ce que les tribunaux protègent les droits qui naissent avec l’homme. Actuellement, ils font partie de la classe politique à l’instar de la plupart des médias. Le mode de scrutin antidémocratique, lié aux partis, garantit l’élection d’hommes politiques suffisamment dociles aux fonctions de l’Etat. Des médias corrompus, en main d’un petit nombre d’oligarques, soutiennent ce système inhumain à l’aide de la désinformation et d’un moralisme hypocrite.
La liberté ne supporte pas le libre-échange biaisé
L’européisation et la mondialisation sont des instruments de certaines forces qui pratiquent depuis longtemps une politique « One-World ». Dans le nouveau monde, ils veulent former l’humanité selon leurs idées, la dégrader au niveau de travailleurs et consommateurs tout en la dominant, c’est-à -dire en lui enlevant liberté et dignité. Il est possible qu’ils veulent aussi faire du bien, mais ils n’estiment pas les hommes comme leur semblables. La liberté de chaque individu leur est étrange, certes en raison de leur richesse et pouvoir. Ici, l’avertissement de Friedrich Nietzsche est à sa place : « Et protège-toi des bons et des justes », en tout cas de ceux qui se voient comme tels, les Jacobins moralistes. Le paternalisme est dirigé contre l’humanité de l’homme, le moralisme est le contraire de la moralité. Le monde doit être établi de telle sorte que toute personne puisse vivre en liberté, donc dans des républiques démocratiques qui ne peuvent exister qu’en petites unités, telle une république entre d’autres républiques. Dans ce monde, chaque communauté est elle-même responsable de son épanouissement et doit être protégée de l’intervention d’autrui, aussi de l’intervention soi-disant humanitaire, qui n’est qu’une allégation protectrice utilisée pour couvrir des conquêtes d’intérêts économiques. C’est défini ainsi dans la Charte des Nations Unies. Du moins en Europe, nous ne voulons pas abandonner la culture de la liberté. La Suisse est un modèle, malgré les obligations bilatérales du marché intérieur européen (mais au moins sans euro), et malgré cela, elle est un des deux États les plus compétitifs du monde.
Un marché intérieur ne se transforme pas automatiquement en un espace économique homogène, mais il renforce les divergences, comme le prouve l’expérience à grande échelle du marché intérieur européen, contrairement aux illusions des politiciens de l’intégration. Pour sauver un objectif politique, il contraint à l’uniformité des conditions de vie dans l’espace politiquement unifié, à une politique de l’intégration du social. Cela n’est possible qu’au moyen d’une grande péréquation financière qui dépasse les capacités de tous et affaiblit le grand espace européen au sein du marché mondial de telle manière qu’il perd toute sa compétitivité. Il perd avant tout sa culture politique, car en perdant la démocratie et l’Etat de droit, il perd aussi la liberté. Le grand mot de libre-échange ne peut légitimer la politique de l’appauvrissement de la grande majorité et l’enrichissement d’une petite minorité. La liberté ne supporte pas le libre-échange biaisé. -
(Traduction Horizons et débats)
Karl Albrecht Schachtschneider
professeur de droit public, Allemagne
Die Souveränität Deutschlands, Souverän ist wer frei ist
http://www.horizons-et-debats.ch/index.php?id=3866
(proposé par gérard)