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Julian Assange : "Obama est un cyberterroriste"

Dans un livre événement*, le fondateur et porte-parole de WikiLeaks invite les citoyens à lutter contre l’intrusion des Etats et des grandes entreprises. L’homme de tous les scandales reçoit L’Express à Londres, dans l’ambassade d’Equateur, où il est réfugié depuis neuf mois.

A 41 ans, cet Australien est passé en quelques mois du statut de simple programmeur informatique surdoué à celui d’ennemi des Etats-Unis : depuis juillet 2010, WikiLeaks, le site Internet qu’il a fondé, a dévoilé des centaines de milliers de télégrammes diplomatiques américains et de documents confidentiels en tout genre. Voilà neuf mois que Julian Assange vit reclus dans l’ambassade d’Equateur à Londres, afin de ne pas être extradé par les autorités britanniques vers la Suède, où il est accusé de viol. Dans son ouvrage, il appelle les citoyens à se défendre contre la disparition progressive de leur intimité, que les réseaux sociaux et Internet auraient rendue accessible aux grandes entreprises et aux Etats. Coécrit avec l’Américain Jacob Appelbaum, figure du logiciel libre, l’Allemand Andy Muller-Maguhn, porte-parole du Chaos Computer Club, le plus grand regroupement de hackers européens, et le Français Jérémie Zimmermann, de la Quadrature du Net, une association libertaire, s’agit-il d’un cri d’alarme salutaire... ou d’un délire paranoïaque ?

Pour avoir fourni des documents militaires à WikiLeaks, le soldat Bradley Manning est inculpé. Vous-même êtes cloîtré dans une ambassade. Avez-vous perdu votre guerre ?

Non, nous l’avons gagnée. Rappelez-vous, les Etats-Unis ont fait une déclaration publique très précise à notre sujet. Le procureur des armées, Joe Morrow, a expliqué en 2010 que leur objectif était de détruire toutes les publications passées concernant des informations militaires diffusées par WikiLeaks et d’empêcher la parution de nouvelles. Trois ans plus tard, non seulement, rien n’a disparu, mais nous avons poursuivi nos opérations. Le monde entier nous le demandait et nous avons répondu présent. Les Etats-Unis ont échoué sur toute la ligne. Quant à Bradley Manning, dans toute l’histoire américaine, jamais un soldat n’avait été placé en détention si longtemps sans être jugé. Je pense qu’il s’en sortira.

Comment faites-vous pour vivre ainsi reclus, tout en continuant vos activités ?

Cela pose quelques problèmes, mais cette situation est le fruit d’un choix stratégique. Elle me laisse une grande liberté pour m’organiser et mener notre combat contre le département de la Défense américain. Mes journées, comme cela a toujours été le cas, se partagent entre mon travail, la liberté que je dois défendre, mes équipes, mon organisation et la recherche de ressources. Je veille à ce que notre contribution à l’Histoire ne s’arrête pas là .

Les Etats-Unis ne veulent pas non plus relâcher la pression. Le vice-président Joe Biden vous a comparé à un cyberterroriste...

Joe Biden et Barack Obama sont des cyberterroristes. Pas moi. Ce sont bien eux qui ont ordonné des attaques informatiques contre les installations nucléaires iraniennes grâce au virus Stuxnet, qu’ils ont financé et développé. De par sa puissance financière et technologique, la National Security Agency est la plus grande et la plus sophistiquée des institutions jamais créées à ce jour, dans le seul but de mettre sur pied des actions de ce genre.

Vous arrive-t-il de regretter votre action ?

Jamais.

Dans votre livre, vous estimez que les frontières entre les gouvernements et les grandes entreprises s’estompent. Vivons-nous dans une ploutocratie ?

Oui. Dans les pays occidentaux, des relations se sont nouées entre les institutions, les gens qui y travaillent et les firmes. Ces liens peuvent prendre la forme de relations contractuelles et financières. Il peut s’agir ainsi de liens entre les gouvernements, ou entre les Etats et des sociétés privées, que ce soit au travers de participations au capital, de distribution de stock-options à des responsables politiques ou du partage de commissions sur des contrats publics.

Les systèmes démocratiques ont-ils cessé de fonctionner ?

La vraie question est de savoir s’il y a jamais eu de véritables démocraties ! Un phénomène très important est apparu il y a dix ans. Avec l’émergence d’Internet, de nombreux articles concernant les comportements des institutions démocratiques et des personnes qui y travaillent ont été publiés puis supprimés du réseau. Notre perception du système politique a peut-être changé à ce moment-là , lorsque les gens ont appris que les lois pouvaient être mal appliquées, les règles perverties.

Les régimes libyen ou syrien ont eu recours à des technologies pour contrôler Internet et espionner les dissidents. Pas les démocraties occidentales...

Bien sûr que si ! Elles les utilisent, mais les citoyens ne le savent pas. Les politiciens emploient un tour de passe-passe. Il s’agit d’accoler un concept complexe - comme la surveillance des communications électroniques qui transitent par les fournisseurs d’accès à Internet - aux peurs les plus primaires, faciles à comprendre pour le quidam. Sous prétexte de lutter contre le trafic de drogue, la pédopornographie ou la violation des droits d’auteur, les politiciens mettent en place un arsenal législatif qui permet la surveillance de masse sur la Toile. En réalité, il s’agit pour eux de maintenir leur contrôle et de faire reculer la liberté. Sous prétexte qu’ils ont été élus, ils estiment que tout ce qu’ils décident se fait avec le consentement du peuple. C’est absurde ! L’approbation du peuple n’existe pas quand il en va des agissements des services secrets ou de certaines entreprises qui espionnent la population.

Pourquoi n’avoir pas diffusé d’éléments gênants sur des pays comme la Russie ou la Chine ?

Nous avons déjà publié beaucoup de documents concernant la Chine. Plus de 100 pays du monde entier sont concernés par les documents de WikiLeaks et nous continuerons à en diffuser dès que nous disposerons d’informations supplémentaires. Cela dit, il est vrai que nous avons moins de documents sur la Russie. Mais c’est aussi parce que, là -bas, beaucoup d’organisations l’ont déjà fait. Il faut ajouter que les médias occidentaux ne sont pas intéressés par les documents que nous leur offrons, y compris sur le pouvoir politique en Syrie. Les Occidentaux ne parlent et ne s’intéressent qu’aux Occidentaux.

Vous représentez le mouvement Cypherpunk, qui réclame un chiffrement généralisé des communications entre particuliers afin de protéger leur confidentialité. Est-ce un contre-pouvoir ?

Ce mouvement couvre de nombreux domaines, de la réforme du droit d’auteur au partage de l’information. Les cypherpunks ont pensé la plupart de ces problèmes dans les années 1990 en se fixant très tôt comme objectif d’empêcher les Etats de contrôler les communications entre particuliers. A cette époque, ce mouvement n’en était encore qu’à ses balbutiements et n’apparaissait guère important. Maintenant qu’Internet a fusionné avec la société, au point d’en devenir le système nerveux, en quelque sorte, cette mouvance est prise très au sérieux.

A vous écouter, les nouvelles technologies seraient un frein à nos libertés publiques...

Les sociétés spécialisées dans l’espionnage et la surveillance de masse ont accru leur pouvoir et ont réussi à asseoir leur contrôle sur les citoyens via les nouveaux outils de communication électroniques transnationaux et la téléphonie mobile. Pourtant, dans le même temps, le partage des connaissances, grâce à Internet, a amélioré l’éducation politique de chacun. Un jeune homme d’une vingtaine d’années aujourd’hui possède un niveau de connaissance bien supérieur à son homologue du même âge il y a quinze ans. D’un côté, nous avons de grandes puissances qui exploitent les données sur des individus bien moins puissants qu’eux et, de l’autre, ces mêmes individus parviennent à soustraire des informations à ces grosses organisations, afin de les diffuser ensuite sur WikiLeaks. Ainsi, nous arriverons à rétablir un équilibre, à atteindre un jeu à somme nulle. Finalement, un monde mieux instruit pourra prendre des décisions de façon plus intelligente.

La transparence à tout prix n’a-t-elle pas aussi des répercussions négatives pour les Etats, lors de négociations secrètes, par exemple ?

Vous avez raison, il y a beaucoup trop de transparence... Mais pas là où vous pensez. Car elle se fait au détriment des citoyens, pas des Etats ! Les courriels, les chats, les appels téléphoniques, etc. Toutes ces informations privées sont collectées par des entreprises déjà extrêmement puissantes. Donc, oui, il y a trop de transparence. Mais elle bénéfice à ces multinationales et pas assez au peuple. L’Etat a une seule obligation, celle d’être transparent. Il n’a aucun droit, ce sont les citoyens qui ont des droits.

Vous êtes candidat au Sénat australien en septembre. Est-ce une autre façon de lutter ? Pourrait-il y avoir un parti WikiLeaks en France ?

Aujourd’hui, les gouvernants perçoivent le monde à travers le prisme médiatique. Lors d’une campagne électorale, les candidats mettent sur le devant de la scène certains problèmes et jaugent la réaction populaire. Comme sénateur, je suis certain que je ferai du bon travail et que je pourrai influencer le débat. Je sens un énorme désir de voir un parti WikiLeaks émerger pour porter les valeurs politiques et culturelles nées sur Internet. En France, aussi, cette demande existe. Alors, pourquoi pas ? Regardez ce qu’a réussi le Parti pirate en Allemagne. C’est d’autant plus extraordinaire qu’il prend de l’ampleur, malgré une dénomination ridicule.

A défaut d’être élu, vous êtes déjà au centre de deux films au cinéma...

L’un d’eux est sorti en Australie. Il y a aussi trois téléfilms en préparation, mais nous n’avons jamais été associés à ces productions.

Vous vouliez l’être ?

[Long silence.] Non. Nous avons essayé d’influencer certains scénarios. Nous avons eu entre les mains différentes versions du script du film que préparent les studios DreamWorks. Après tout, nous sommes WikiLeaks... Ce film s’ouvre sur une scène dans un complexe nucléaire iranien entouré de missiles Shahab et dans lequel les Etats-Unis ont une taupe dont le nom est dévoilé par WikiLeaks. A la fin, la source est obligée de quitter le pays et rejoint les insurgés irakiens. Ces deux histoires sont complètement fausses. A cet égard, il est fort intéressant de noter que DreamWorks appartient à Steven Spielberg, un membre de l’establishment américain dont la mission est de s’attaquer aux ennemis des Etats-Unis, quels qu’ils soient.

Une ancienne de WikiLeaks vous a comparé au fondateur de la Scientologie, Ron Hubbard...

Elle a décidé de se venger après que nous avons critiqué le titre de l’un de ses documentaires. Tout cela est un peu fou.

Source : http://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique/julian-assange-obama-est-un-cyberterroriste_1233001.html

*Menace sur nos libertés. Comment Internet nous espionne, comment résister, par Julian Assange, avec Jacob Appelbaum, Andy Muller-Maguhn et Jérémie Zimmermann. Robert Laffont, 252 pages, 19 euros

http://www.lalibrairie.com/les-nouveautes/sciences-humaines-sociales/menace-sur-nos-libertes-comment-internet-nous-espionne-comment-resister-julian-assange-9782221135228.html

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