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Pneus neige et idéologie

Je m’arrête sur deux sujets du journal de 20 h de France 2 de ce vendredi 15 mars, qui montrent la présence de l’idéologie dans tous les domaines de la vie quotidienne, en l’occurrence, ici, l’automobile.

1. Au bout d’environ 9 minutes de journal, après un sujet sur les braquages de bijouterie et les conséquences des chutes de neige en Normandie, Laurant Delahousse annonce "qu’un député UMP de la Lozère vient de lancer une proposition de loi visant à rendre obligatoires les pneus neige en période hivernale. Une proposition que d’autres pays ont mis en place mais qui suscite, bien sûr, des questions sur son financement".

[Suit un reportage sur les qualités du pneu neige, puis quelques interviews d’habitants de Montpellier qui, compte tenu du climat de leur région, ne voient pas la nécessité d’engager une telle dépense. Laquelle est estimée de 350 à 450 euros par an, pour un véhicule moyen].

En quoi cette proposition est-elle idéologique ?

- Elle est idéologique en ce qu’elle ne s’adresse qu’à la partie aisée de la population (celle dont l’UMP représente le plus les intérêts). Le salaire médian, en France, est en effet de 1675 euros nets, et une dépense de 350 ou 450 euros, cela représente de 21 à 27 % du salaire de la moitié des Français (au mieux !) et tout cela pour un pays majoritairement de plaines, de collines moyennes et où une grande partie de la population vit dans un climat océanique ou méditerranéen, donc où la probabilité de semaines entières de verglas ou de neige est faible.

- Elle est aussi idéologique dans un autre sens : en ce que les libéraux (c’est-à -dire les libéraux en matière économique) ont le fétichisme de la technologie : pour eux, les inconvénients liés à la technologie ne peuvent être surmontés que par encore plus de technologie dans le domaine considéré. Par exemple, les dommages causés par l’industrie nucléaire ne peuvent être résolus que par davantage de recherche en recherche nucléaire et les nuisances liées à l’automobile annulées par des progrès... de la technologie automobile !

[On l’aura compris, derrière cet état d’esprit se cache la volonté de ne surtout pas remettre en cause un mode de production, de rapports sociaux et de consommation. Pour le sujet qui nous occupe, l’idée est de ne surtout pas toucher au sacro-saint moyen de transport individualiste qu’est la voiture].

2. Le sujet qui suit concerne aussi l’automobile : la nouvelle génération de radars qui est en passe d’être mise en place sur toutes les routes de France. Ce sont des radars embarqués, à propos desquels, comme le dit Laurent Delahousse, "chacun s’interroge sur les raisons de tout cela : il y a la sécurité, la prévention, bien sûr, et puis il y a les recettes, l’argent qu’ils peuvent rapporter à l’État"

[Puis Laurent Delahousse questionne un confrère journaliste sur le sujet, qui expose que les amendes ont rapporté 641 millions d’euros en 2012. Sur ces 641 millions d’euros, 31 %, ont servi à la gestion des radars et au traitement des infractions, 25 % ont été alloués aux collectivités territoriales pour qu’elles améliorent leurs infrastructures et leurs transports en commun, 28 % ont été réservés à l’État pour les mêmes buts, et, enfin, 16 % (soit un peu plus de 100 millions d’euros) sont revenus aux collectivités locales et à l’État, notamment pour se désendetter].

Remarque 1. Ce poncif, cette litanie, reprise par Auto-Plus (et, très souvent, aussi, par des représentants de la droite) des radars "racketteurs", des "radars tiroirs-caisses" des "radars qui font les poches des automobilistes", lesquels sont les "vaches à lait du fisc", est une inusable thématique populiste, poujadiste (et, idéologiquement ultralibérale) de l’État-vampire, qui ne fait que "rançonner" les "pauvres" automobilistes "victimes" de sa "rapacité".

Remarque 2. La dette publique au sens de Maastricht, a été évaluée, à la fin du 3e trimestre de 2012, à 1818 milliards d’euros. En supposant donc que toute la somme non affectée des amendes pour excès de vitesse [16 %, soit 102 millions] soit entièrement reversée à l’État qui ne l’utiliserait qu’à se désendetter, il lui faudrait, à ce rythme-là , 17 824 ans pour éponger la dette...

Remarque 3. Comme d’habitude (Roland Barthes l’avait déjà relevé dans ses Mythologies, il y a plus de 50 ans), l’idéologie de droite (ou populiste, ou ultralibérale) est experte pour scinder les réalités. Elle va par exemple vanter les mérites de la délocalisation en disant qu’en faisant fabriquer des produits par des ouvriers chinois, bien moins payés, les multinationales permettent aux salariés français de se payer des produits qu’ils n’auraient pas pu se payer s’ils avaient été fabriqués par des salariés français... en omettant de préciser que ces salariés, mis au chômage par la délocalisation, n’ont justement plus d’argent pour se payer ces produits !

Remarque 3 bis. Cette même scission artificielle se manifeste ici aussi. Car les populistes, poujadistes et autres ultralibéraux se gardent bien de préciser le coût des accidents de la circulation. Un mort sur la route, en France, cela coûte 1,2 millions d’euros à la collectivité nationale. Et le coût global des accidents, en 2005, s’élevait à 12 milliards d’euros, soit près de 19 fois le montant des amendes... de 2012 ! [Ce qui était un pourcentage bien plus élevé pour celles de 2005]. Et le coût total de l’insécurité routière était, en 2008, de 24 milliards. Je mets évidemment de côté les douleurs morales, inestimables.

Remarque 4. La baisse du nombre de tués (depuis 1972, date de son pic) est directement et immédiatement liée aux limitations de vitesse. Cela a été vérifié, notamment chaque fois qu’il y a eu un renforcement des contrôles, notamment en 2003. [J’avais, à cet égard, établi un argumentaire - qui montre les aspects idéologiques des oppositions aux limitations de vitesse - argumentaire que je tiens à la disposition des intéressés].

Remarque 5. Un mort sur la route (ou un paralysé, handicapé, paraplégique, tétraplégique), c’est une perte nette pour la collectivité nationale. La victime prive la collectivité de son intelligence, de son travail, de ses enfants, d’autant plus que l’âge moyen des tués est peu élevé. [Près de 50 % ont moins de 34 ans]. Alors qu’une amende, ce n’est pas une perte ! C’est seulement un transfert à l’intérieur de la collectivité nationale, et il faut noter à cet égard la scie idéologique des opposants aux limitations de vitesse qui considèrent le budget de l’État comme un trou sans fond ou l’impôt comme une indemnité de guerre versée à un pays ennemi dont les habitants s’appellent fonctionnaires.

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