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« Il y a deux énormes failles dans le dispositif algérien »

Algeriepatriotique : Les soulèvements arabes cachent-ils une grande part d’intrigue ? Selon vous, qui êtes par ailleurs un romancier d’espionnage, quelle est la part de la « manipulation » dans le « printemps arabe » ?

Percy Kemp : La seule et unique chose qui m’intrigue dans les soulèvements arabes, c’est notre propension à voir des intrigues partout, même dans les mouvements de foule spontanés, quand des gens sans chef descendent manifester dans la rue de leur propre chef (excusez le jeu de mots). Pourquoi diable s’accroche-t-on à toutes ces théories de conspiration ? Pourquoi refuse-t-on d’accepter que la vie politique peut déborder le cadre étroit des Grandes Chancelleries ou des services locaux de renseignement et de sécurité ? Après tout, le monde a beaucoup changé depuis la prise de pouvoir par les Bolchéviques en Russie en 1917 ou des Nazis en Allemagne dans les années 1930 : plus aucun pays ne vit en autarcie, plus personne n’a le monopole de l’information, les idées circulent maintenant librement, et les réseaux sociaux permettent aux gens de se mobiliser instantanément.

Et pourtant, malgré tous ces bouleversements, nous continuons à penser, comme Gustave Le Bon à la fin du XIXe siècle, que « les hommes en foule ne sauraient se passer de maître ». Que ce soit en Tunisie, en Egypte, ou alors en Europe et aux Etats-Unis avec le mouvement des indignés et les opposants à Wall Street, tout prouve cependant aujourd’hui le contraire. A mon sens, la manipulation, quand manipulation il y a, intervient dans une deuxième phase, après que la foule a fait tomber un régime jugé illégitime. C’est à ce moment-là que des forces politiques bien organisées et ayant un chef à leur tête profitent de la nature spontanée et du manque d’organisation d’un soulèvement populaire pour tirer les marrons du feu. C’est ce qui s’est passé en Egypte, par exemple.

Vous dites que l’Occident a fait le pari de « greffer » l’islam turc sur l’islam arabe et ce, en soutenant les partis islamistes de masse. Cette greffe est-elle possible à votre avis, connaissant la grande différence entre les sociétés turque et arabes ?

Le pari est risqué. L’islamisme turc de l’AKP s’était jusque-là développé en s’appuyant sur le nationalisme turc, élaborant ainsi une forme assez particulière d’islamisme modéré (ou, mieux, raisonné) que j’appellerais « national-islamisme ». D’où, par exemple, le refus de l’AKP de reconnaître en Turquie une identité kurde séparée, ou de lâcher prise sur Chypre. Dans le monde arabe, par contre, l’islamisme se sera pour l’essentiel construit sur les ruines du nationalisme arabe et de l’arabité, ce qui aura fragilisé les Etats-nations arabes nés de la décolonisation. Ce pourquoi je pense qu’on ne peut pas greffer l’expérience turque partout dans le monde arabe. J’irais même plus loin en disant que les soubresauts continus du printemps arabe risquent, à terme, d’affecter la Turquie du fait de son implication croissante dans les conflits internes de ses voisins arabes (Syrie, Irak, Liban).

D’aucuns estiment que l’intervention directe de l’Otan en Libye fait partie d’un plan plus global qui vise à installer un « Sahelistan » au sud de l’Algérie. Jusqu’où cette théorie peut-elle être plausible ?

Je ne crois pas aux plans stratégiques grandioses : ils se cassent bien trop souvent les dents sur les réalités. Je crois plutôt aux tendances, lesquelles créent, par tâtonnements et par ballons d’essai, de nouvelles réalités. Je ne crois pas plus qu’en ce qui concerne l’Afrique du Nord et le Sahel, on puisse parler d’une politique concertée de l’Otan sur laquelle tous les membres de l’Alliance atlantique seraient tombés d’accord. Je pense plutôt qu’il faudrait distinguer là entre les Etats-Unis d’un côté, l’Europe de l’autre. Les Etats-Unis perçoivent essentiellement le Sahel et l’Afrique du Nord dans le prisme de leur sécurité : ils ne s’engageront donc militairement dans cette région que du moment où elle constituerait une menace pour le territoire américain (comme le fut le cas pour l’Afghanistan jusqu’en 2001) ou pour leurs ressortissants. Pour les Européens, par contre, et plus particulièrement pour les Français et les Britanniques, le Sahel et l’Afrique du Nord ne sauraient être dissociés du reste de l’Afrique (ainsi, le Nigeria pour les Britanniques, ou l’Afrique de l’Ouest francophone pour les Français), et ce, à un moment où l’Europe a plus que jamais auparavant besoin du continent noir.

Il en est ainsi car on assiste actuellement à un nouveau glissement dans l’axe du monde, lequel n’est pas sans rappeler celui qui était intervenu dès le XVe siècle, au moment où Machiavel écrivait Le Prince. A l’époque, rappelez-vous, du fait de la prise de Constantinople par les Turcs ottomans en 1454 et de la découverte du Nouveau Monde moins d’un demi-siècle après, le « centre » du monde s’était déplacé de la Méditerranée (la mare nostrum) vers l’Atlantique. Or, aujourd’hui, il se déplace à nouveau, cette fois de l’Atlantique vers le Pacifique, les Etats-Unis regardant de plus en plus vers l’Asie, et les Européens se retrouvant si l’on peut dire en rade. De ce fait, leur expansion vers l’est étant bloquée par leur souhait de garder la Russie à distance respectable, les Européens, et notamment les Britanniques et les Français, se doivent de regarder vers le sud et le sud-est. Ils ont plus que jamais besoin des débouchés et des opportunités d’affaires que peuvent leur offrir les pays africains et méditerranéens.

Quel sort est-il réservé à l’Algérie dans cet éventuel « remodelage » ?

La formulation de votre question me surprend, car elle est symptomatique d’une certaine passivité. Vous parlez comme si l’Algérie était un mouton qui attendrait passivement qu’on décide, soit de le tondre, soit de le saigner.

Ce n’est pas le sens de notre question. La Libye et la Syrie ne peuvent pas être accusées de passivité. Pourtant, cela n’a pas empêché Kadhafi d’être exécuté et la Syrie de faire face à une terrible guerre civile alimentée de l’extérieur. Ces deux pays ont résisté, mais le premier a été « tondu » et le second « saigné »…

S’agissant de la Syrie et de la Libye, croyez que ces deux pays ont bel et bien attendu qu’on vienne les tondre et les saigner. Vous confondez sans doute action avec réaction, puissance avec agressivité. Kadhafi estimait que sa contribution à la guerre globale contre le terrorisme (GWOT) et ses affinités avec la CIA et la SIS allaient suffire pour lui octroyer une impunité. Il se trompait. El-Assad, lui, croyait que son amitié avec les Russes et les Chinois, et l’aide qu’il avait apportée aux Etats-Unis pour combattre la guérilla islamiste en Irak suffiraient pour l’épargner. Il se trompait. Je pense qu’en Algérie une politique régionale novatrice s’impose aujourd’hui. Et les hydrocarbures du Grand Sud pourraient en être la pierre angulaire.

Comment l’Algérie pourrait-elle éviter d’être « saignée », pour reprendre votre expression ?

Le maillon faible est de toute évidence dans le Grand Sud, et là , je vois deux énormes failles dans le dispositif algérien. La première, objective, puise ses racines dans l’Histoire. En l’occurrence, il s’agit du fait que l’immense désert situé au sud de ce qui est aujourd’hui l’Algérie ne fut jamais conquis militairement par Alger et le Nord. Ce furent les Français qui, l’ayant conquis, le cédèrent à Alger à l’issue de la guerre de Libération nationale. Ce qui explique sans doute en partie pourquoi les gens du Nord ont trop souvent tendance à traiter le Grand Sud comme une sorte de colonie, et pourquoi les gens du Grand Sud appellent les gens du Nord « les Chinois ».

La deuxième faille, subjective, elle, est plus récente. Depuis son indépendance, l’Algérie s’assurait de la paix dans cette immense désert riche en hydrocarbures mais ouvert aux quatre vents comme tout grand désert l’est nécessairement, en usant notamment de son influence, et en faisant jouer ses leviers, auprès de ses voisins situés au sud de ses frontières (le Niger, la Mauritanie, et plus encore le Mali). Or, depuis quelques années, pour des raisons que j’ignore, Alger a laissé filer son influence au sud de ses frontières. Et plus son influence dans des pays comme le Mali s’étiolait, plus il lui devenait difficile de contrôler le Grand Sud, et plus cette perte d’influence algérienne appelait aussi d’autres pays, d’autres puissances, à venir combler le vide laissé par l’Algérie à Bamako et ailleurs.

Si donc Alger ne se donne pas les moyens d’une politique régionale novatrice, si Alger continue à faire l’autruche, d’aucuns commenceront sans doute par vouloir tondre le mouton algérien à la belle saison, avant de le saigner plus tard et de le dépecer. Non pas parce qu’il y aurait quelque part un « plan », une « conspiration » ou un « complot » en ce sens, mais plus simplement parce qu’Alger aura laissé faire, par passivité, par manque de vision.

Dans votre livre, intitulé Le Prince<:i> en référence au Prince de Machiavel, vous définissez les règles du pouvoir aux dirigeants d’aujourd’hui. A quels dirigeants vous adressez-vous tout spécialement ? Et que leur conseillez-vous ?

Ce livre ne s’adresse pas qu’aux seuls gouvernants, car il y a hélas rarement du princier dans nos dirigeants actuels. Je l’ai d’ailleurs dédié à chacun d’entre nous parce qu’il y a un Prince en nous tous. J’y décris un monde où l’ennemi est désormais sans nom et sans visage. Un monde où le véritable ennemi est l’accélération de l’Histoire qui fait désormais figure de centrifugeuse, nous balançant au visage une chaîne infernale d’événements d’ordre politique, militaire, sécuritaire, technologique, écologique, que nous n’arrivons plus à maîtriser. Et j’y préconise de parfaire la connaissance de soi et de pratiquer aussi la maîtrise de soi afin de redevenir maîtres de nos destinées. Car il n’est de véritable Prince que celui qui sait exercer son pouvoir « princier » sur lui-même en premier.

Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi et M. Aït Amara

http://algeriepatriotique.com/article/percy-kemp-algeriepatriotique-il-y-deux-enormes-failles-dans-le-dispositif-algerien

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Rien ne fait plus de mal aux travailleurs que la collaboration de classes. Elle les désarme dans la défense de leurs intérêts et provoque la division. La lutte de classes, au contraire, est la base de l’unité, son motif le plus puissant. C’est pour la mener avec succès en rassemblant l’ensemble des travailleurs que fut fondée la CGT. Or la lutte de classes n’est pas une invention, c’est un fait. Il ne suffit pas de la nier pour qu’elle cesse :
renoncer à la mener équivaut pour la classe ouvrière à se livrer pieds et poings liés à l’exploitation et à l’écrasement.

H. Krazucki
ancien secrétaire général de la CGT

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