Le Premier ministre Mario Monti a obtenu, avec sa "coalition" (« lui-même, des libéraux excellemment "free-marketistes" , quelques chrétiens démocrates épars, des ex-néofascites en vadrouille »), 9% des voix aux élections générales du dernier week-end de février. Il s’est empressé de se rendre à Bruxelles, d’abord pour y asséner la leçon qui importe, - car il a pour lui le principe sacré de la légitimité, - disons, de son point de vue. (Ce compte-rendu du journal bruxellois Le Soir, du 23 février 2013.)
« Le chef du gouvernement italien, Mario Monti, a critiqué jeudi à Bruxelles les gouvernements européens qui cherchent à gagner du temps en reportant leurs objectifs de réduction des déficits publics, estimant que cela nuit aux pays qui respectent leurs engagements. "Nous n’avons pas cédé à la tendance récente consistant à demander le report d’un an de certains objectifs, comme la réduction des déficits" , a dit M. Monti qui participait à un forum sur la concurrence organisé par la Commission européenne. "Lorsque j’ai pris mes fonctions, je n’ai pas envisagé de demander un arrangement pour reporter à 2014" les objectifs de réduction du déficit public italien, "malgré des conditions très, très difficiles" , a-t-il souligné. "Je ne blâme personne, ni au niveau de l’Union européenne ni parmi les Etats membres, mais il est évident que la crédibilité de la politique menée dans un pays peut souffrir si d’autres demandent des reports et les obtiennent" , a-t-il conclu, dans une critique voilée adressée à l’Espagne, au Portugal, à la France ou encore aux Pays-Bas. »
"Un Américain en Europe" , sous-titre du site Gulfstream Blues, a donné (le 1er mars 2013) de la visite bruxelloise de Mario Monti une vision tout de même un peu plus large, un peu plus instructive, un peu plus substantivé, et même un peu plus exotique. On voit que Monti entendait venir rendre compte à ses copains eurocrates de la justesse, de la vertu et de l’efficacité de son gouvernement et de la politique d’austérité qu’il a suivie… Il y a juste ces "clowns d’Italiens" , à l’image de Beppe, qui ne comprennent rien à rien ; pour le reste, « C’est la bonne solution et ça va continuer d’être la bonne solution ». (Comme l’écrivait Jenkins, - voir le 28 février 2013, - « Les leaders (et leurs banquiers) considèrent que l’austérité est une punition qu’il est "nécessaire" d’infliger aux peuples européens pour avoir laissé leurs gouvernements s’endetter au delà de leurs moyens. [….] Le message c’est […] prenez le médicament même si c’est du poison. […] « Ces ministres des finances sont comme des prêtres aztèques à l’autel. Si les sacrifices humains ne font pas venir la pluie, alors il faut faire couler plus de sang. […] Il est clair qu’aucune nouvelle idée n’ébranlera ces dogmatiques… »)
Voici donc les observations de cet "Américain en Europe" (avant, c’était "Un Américain à Paris" , - comme les temps changent…) « Hier, l’Union Européenne a été sur le devant de la scène politique, avec toute une série de discours de haut vol en réaction aux résultats désastreux des élections italiennes de lundi dernier. Mais malgré le nombre de discours le message n’a pas varié : il n’y a "pas d’alternative" à l’austérité, et l’hostilité envers l’Union Européenne et sa politique intérieure ne fait qu’exacerber la crise de l’euro.
»La journée a commencé avec un discours de Mario Monti, le premier ministre "technocrate" italien qui vient de subir une défaite humiliante, devant la Commission Européenne. Comme il a été rejeté dans son pays, il n’est peut-être pas surprenant que cet ancien Commissaire Européen ait eu envie de se rendre à Bruxelles où on le comprend. C’est Bruxelles après tout, qui, sur la demande de Berlin, a installé Monti sur le trône italien après en avoir chassé Silvio Berlusconi à l’apogée de la crise italienne de 2011. Et ce n’est pas un hasard si ce sont les "Italiens vivant dans d’autres pays d’Europe" qui ont le plus voté pour Monti - 30%. Tandis qu’en Italie il n’a eu que 9% des voix, moins de la moitié du comédien anti-establishment Beppe Grillo.
»S’il est venu à Bruxelles pour se faire applaudir, il a réussi. Il a reçu une standing ovation après un discours où il a expliqué que les brutales réformes d’austérité qu’il avait imposées au pays pendant l’année précédente allaient produire de bons résultats, mais qu’il était encore difficile à un électorat italien en colère de le comprendre. L’austérité est la bonne réponse à la crise, a-t-il dit. C’est la bonne solution et ça va continuer d’être la bonne solution Après son discours, Monti a eu un échange avec le président de la Commission, José Manuel Barroso, et le président du Conseil Herman Van Rompuy à propos de la situation en Italie. Les leaders de l’Union Européenne ont clairement indiqué qu’ils comptaient sur la prochaine administration italienne pour continuer les réformes d’austérité de Monti. »
Eh oui, légitimité, nous employons bien ce mot, assez étrangement à propos d’un Premier ministre nommé par l’UE et battu un dimanche dans son pays, dont le pays est ainsi, selon son point de vue qui rejoint cette fois ceux de ses adversaires, en plein désarroi, et quittant aussitôt ce pays pour réserver son premier discours important à sa véritable patrie. Effectivement, légitimité : Monti est allé rendre compte aux souverains qui lui donnent cette légitimité, qui sont en fait et simplement, à Bruxelles, les termites fort foisonnantes et pullulantes nées de cette sorte d’égrégore postmoderne qu’est l’UE, aussi froid qu’un serpent mais sans la nécessité naturelle de l’animal dont seule la vérité du monde possède le secret, - donc sans légitimité en ce sens souverain et dans le sens le plus fort qui est celui de l’absence de nature. Monti, serré dans les bras chaleureux comme un conditionnement d’air d’un Barroso et d’un von Rompuy, ces ET dont leurs critiques disent qu’ils réussissent à polariser toute la haine et tout le mépris d’un continent. Pourtant, ils ne sont certainement pas mécontents d’eux-mêmes et de leurs actes, et cela en bonne conscience et sans véritable culpabilité en un sens, puisqu’ils agissent pour le bien du peuple et ignorent la haine et le mépris du peuple à leur encontre ; et que, s’ils s’en avisaient, ils jugeraient héroïquement, avec une sorte d’esprit de sacrifice, qu’elle est une bonne mesure de la justesse de leur religion, - dans ce cas, montrant l’héroïsme justement d’ignorer ces impondérables (haine, mépris), pour sauver le peuple "à l’insu de son plein gré" . (Le journaliste Leigh Phillips, sur son site 1848, nous avisait, in illo tempore,n le 4 avril 2012, que « Ce sont des experts qui croient que, comme l’a dit, en mai, le président de l’Eurogroup et premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, la politique fiscale (c’est à dire presque tout ce qui dans un gouvernement a rapport avec les dépenses qui touchent la plupart des citoyens en dehors des affaires intérieures et de la politique étrangère) est "trop importante" pour que les électeurs aient leur mot à dire et qu’il faudrait mieux décider de tout cela "au cours de discussions secrètes et obscures". »
Tout cela est connu mais pas encore absolument reconnu. Pour autant, on tiendra l’escapade de Monti, pour ceux qui l’ont notée, comme un acte d’une force symbolique considérable pour montrer où est le pouvoir, d’où il vient et où il s’en retourne quand ils se voit contesté. Ce n’est pas avec le président de la république italienne que Monti passe son après-élection, et d’ailleurs le président de la république italienne se trouvait, lui, en Allemagne, qui est l’autre berceau du pouvoir italien en train d’être passé au peigne fin. Il montrait le même esprit, même s’il s’offusquait de certains jugements un peu lestes sur la situation en Italien, - mais sa mission avant tout, après tout… (« Le président italien Giorgio Napolitano était hier en Allemagne pour assurer aux marchés et aux leaders politiques que l’Italie "n’était pas en train de s’effondrer" »)
Par conséquent, de symbole en symbole, des imprécations de l’ex-comique devenu le duce (voyez le clin d’oeil allusif) du second parti d’Italie au voyage-express de Monti à Bruxelles, il faut bien admettre que tout se passe comme si la vérité de la situation européenne était brutalement éclairée par l’affaire italienne, grâce en soit rendue aux "deux clowns" vainqueurs de l’élection du dimanche précédent. (Les "clowns" vainqueurs en Italie, selon le mot du chef du parti social-démocrate allemand, Peer Steinbruck, bien entendu homme politique de gauche, on vous l’assure.) On dira que ce n’est pas la première fois qu’une telle lumière est faite sur la réalité des sources du pouvoir, en Europe, aujourd’hui. On dira que c’est la première fois qu’elle est aussi crue, cette lumière, grâce aux circonstances, à l’importance de l’Italie, à la main de fer (celle de Monti) qui tenait le pays prétendument serré pour qu’il vote dans le sens qu’il faut. Il faut donc considérer que la résistance antiSystème continue à se développer, au gré de circonstances diverses et sans guère de coordination entre elles, mais simplement comme l’expression de forces résilientes qu’il est de plus en plus difficile de contenir et de tenir à distance.
D’un côté, l’on connaît sans aucun doute les critiques furieuses, "la haine et le mépris" dont nous parlions plus haut, l’horrible frustration qui semble confiner à une impuissance sans retour, qui semble être le lot des peuples en général, en Europe, devant l’extraordinaire unicité de la politique générale et monstrueusement autodestructrice qui leur est imposée. Cette façon de voir suscite une colère d’autant plus furieuse qu’on la croit inutile, une révolte d’autant plus futile qu’on la juge paralysée dans des normes contraignantes et dans des perspectives paradoxalement fermées. Plus personne n’ignore que le mot "révolution" fait partie du passé… Cela suffirait à justifier tous les découragements dans des esprits qui, pour être contestataires du Système, ne s’appuient pas moins sur des notions passées qui furent elles-mêmes enfantées par le Système et qui en portent les mêmes tares, même si ces tares semblent des vertus lorsque le regard se laisse aller à l’ivresse de l’inversion qu’autorise la pratique intellectuelle de l’idéologie.
…Mais c’est du côté opposé qu’il faut voir les choses. Ce côté-là nous montre que le Système, malgré sa surpuissance monstrueuse dans toutes les lignes de front qui comptent, n’arrive pas à contenir et à écarter quoi que de ce soit des blocages, des freins, des contestations, des réactions hors des normes dans les entreprises qu’il ne cesse de lancer avec toute cette même surpuissance et sa capacité de coordination. Où se trouve le bilan le plus encourageant ? Depuis quatre ans que le Système a pris le pouvoir en Europe, laquelle n’attendait que cela dans ses structures institutionnelles, rien de décisif n’a été fait ; aucun colonel n’a encore pris le pouvoir, aucune "stratégie de la tension" sérieuse n’a pu être développée, il n’est même pas question de ces "années de plomb" que les manipulateurs des divers services surent si parfaitement développer dans les années 1970. Ils n’ont que Davos, les consignes chuchotantes d’un Juncker, les Goldman-Sachs accumulant les $milliards, le diable et son train qui n’arrive même pas à respecter les horaires… Nous en sommes encore à attendre l’opération décisive du Système, et chaque "coup de force" qui semble la préparer est bientôt suivi d’un recul à mesure, voire plus que dans cette mesure… Leur "stratégie de la tension" ressemble à une "stratégie de l’écrevisse" et l’escapade de Monti à Bruxelles pourrait être décrite, par un ex-comique qui aurait trouvé sa place au Parlement, comme un remake postmoderne, certes temporaire mais joliment symbolique, d’une sorte de "fuite de Varennes" … Comme quoi, la "révolution" , si elle est passée de mode, nous permet de faire des mots avec un bon contenu symbolique ; en effet, il est aisément décrété que, derrière ces mots, il y a des réalités, et elles ne sont pas à l’avantage du Système. Les applaudissements qui accueillirent Monti à Bruxelles, discours autosatisfait regnante, exprimaient une solidarité aveugle qui, ma foi, n’est pas exempte d’une certaine trouille (pour parler comme un "clown" ).
Pour consulter l’original : http://www.dedefensa.org/article-monti_vite_bruxelles_mamma_mia_bobo_04_03_2013.html
Traduction des parties en Anglais : Dominique Muselet